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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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CHAPITRE 3. TENTATIVES ET LIMITES DE SPECIALISATION D'UNE ACTIVITE MEDICALE CONTROVERSEE

La médecine pénitentiaire connaît une importante inflexion au cours de la seconde moitié des années soixante-dix avec l'arrivée du nouveau Médecin-inspecteur, Solange Troisier, nommée trois mois après la mort de Georges Fully. Gynécologue-accoucheur dans une maternité de l'Assistance publique à Paris, Solange Troisier assure depuis 1962 une consultation hebdomadaire de gynécologie à la M.A de la Petite Roquette768(*). Bien que peu implantée dans le secteur de la médecine pénitentiaire (elle n'avait jusqu'alors pas publié d'articles sur la question et ne figure dans aucun acte de congrès), elle est nommée en septembre 1973 Médecin-inspecteur par le Premier ministre, Pierre Messmer, dont elle est considérée comme « proche » (LM, 15/06/1973)769(*). Bien qu'elle écrit avoir été « sollicitée par de nombreux collègues, médecin de prisons tant à Paris qu'en province », ou être une amie proche de Georges Fully, les raisons ayant conduit à la nomination de Solange Troisier semblent être avant tout d'ordre politique770(*). Médecin traitant de Marie Bonaparte, elle fréquente, notamment du fait de ses ancêtres, de nombreux hommes politiques dont le général de Gaulle, Georges Pompidou (témoin de son mariage), Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas ou Jacques Chirac (Cf. Encadré). Sa nomination, contestée par le DAP, Georges Beljean, semble ainsi avant tout motivée par des raisons politiques :

« Mon arrivée place Vendôme ne lui [Beljean] plaisait guère. Il avait fait son choix, un médecin de gauche ami de Fully, adoptant un parfait laxisme face aux détenus psychopathes ou non, les plus dangereux. Mais les ordres étaient venus de plus haut, de très haut même »771(*).

SOLANGE TROISIER, PORTRAIT D'UNE « BARONNE DU GAULLISME »

Née en 1919 à Paris, Solange Troisier compte parmi ses ancêtres Emile Ollivier, premier ministre du second Empire, et le Bailli de Suffren772(*). Issue d'une famille de prestigieux médecins (son père est membre de l'Académie de médecine), elle entreprend des études médicales qu'elle interrompt pendant la guerre pour s'engager parmi les F.T.P du colonel Fabien. Elle est ensuite intégrée comme infirmière au sein du 151ème régiment d'infanterie de l'armée française ce qui lui vaut la Croix de guerre avec palmes. De sa rencontre avec le Général de Gaulle, elle dit hériter un « gaullisme inconditionnel ».

Parallèlement à son activité médicale (interne des hôpitaux de Paris en 1948 puis assistante des hôpitaux de Paris à partir de 1955), elle tente de faire carrière en politique. Elue aux municipales de 1959 sur la liste UNR-UDT (Union pour la nouvelle République-Union démocratique du travail) de Saint-Tropez, elle se présente en 1968, à la demande du Général de Gaulle et de Jacques Foccart, à la députation dans le département du Val d'Oise, après une tentative malheureuse en 1967 dans le vingtième arrondissement de Paris sous l'étiquette du « Front travailliste ». Elle est alors élue députée gaulliste UDR (Union pour la défense de la République) face au député sortant communiste et face à Claude-Pierre Brossolette, fils du fameux résistant. Solange Troisier est cependant battue aux élections municipales de 1971 à Sarcelles et perd son siège de député aux législatives de 1973.

Bien que membre du bureau exécutif de l'UDR, puis dès 1975 membre du conseil national du RPR (Rassemblement pour la République) et de son comité central, Solange Troisier se met en retrait de la vie politique pour se consacrer à sa nouvelle fonction de Médecin-inspecteur. Elle est alors surtout connue au sein de l'opinion publique pour son engagement en faveur du droit des femmes, notamment par son rapport sur les problèmes d'égalisation des salaires entre hommes et femmes ou son soutien à la réforme de l'autorité parentale.

Contrairement à son prédécesseur, Solange Troisier dispose de multiples ressources, en raison de sa position « marginale-sécante » entre la médecine et la politique773(*). Bien qu'appartenant à l'Administration pénitentiaire, le Médecin-inspecteur dispose d'une importante autonomie fonctionnelle puisqu'il n'est rattaché à aucune sous-direction ministérielle et dépend seulement du Directeur central. Issue d'une famille de prestigieux médecins, Solange Troisier dispose également d'importantes ressources politiques tant du fait de ses ancêtres que de ses amitiés gaullistes. Ce sont ces ressources qu'elle met à profit afin de faire de la médecine pénitentiaire une spécialité médicale à part entière dont elle serait la « patronne ». Peu de temps après sa prise de fonction, elle écrit en hommage à Georges Fully : « Je suivrais son exemple et travaillerais pour faire de la médecine pénitentiaire une médecine à part »774(*).

Ses ambitions coïncident alors avec le souhait de l'Administration pénitentiaire de revaloriser l'exercice médical en prison afin de le rendre plus attractif auprès des professionnels de santé. L'organisation des soins en prison apparaît en effet, au lendemain de l'importante vague de contestation des prisons françaises, largement discréditée aussi bien au sein de l'espace public que du secteur médical. La spécialisation de la médecine pénitentiaire apparaît dès lors comme un moyen destiné à réhabiliter un secteur d'action publique contesté et peu attractif (Section 1).

En dépit d'un début de reconnaissance, aussi bien au sein du secteur professionnel d'origine que de l'espace public, cette dynamique de spécialisation est entravée par de nombreux obstacles qui apparaissent comme autant de limites à la stabilisation de la figure professionnelle du « médecin pénitentiaire ». L'échec à faire reconnaître la médecine pénitentiaire en tant que spécialité médicale établie apparaît ainsi indissociable de la critique qu'elle subit. La personnification de ce secteur d'activité dans son Médecin-inspecteur, fortement politisé et contesté, tend à amplifier cette critique (Section 2). Cette remise en cause permanente rend impossible l'institutionnalisation de la médecine pénitentiaire au sein du secteur hospitalo-universitaire français.

Section 1 - La spécialisation de la médecine pénitentiaire comme réhabilitation d'un secteur d'action publique peu attractif

Docteur Petit, médecin-chef de l'Hôpital de Fresnes : « La plupart des mes collègues travaillent à la vacation; un certain nombre d'autres comme moi travaillent au K opératoire. Je peux vous livrer un petit secret si vous voulez : le K opératoire de la Sécurité sociale est à 6,20 [francs] par exemple à l'heure actuelle. Et bien nous, nous travaillons à 1,88 depuis 1969 très exactement... »

Journaliste : « Comme si c'était une médecine au rabais... »

Docteur Petit : « Comme si c'était une médecine au rabais ! Alors votre question est très juste et très agréable. On doit dire très certainement : "Ces pauvres médecins et chirurgiens sont les derniers de la lignée et on doit les payer à leur valeur et pas plus !" »775(*).

La médecine pénitentiaire est confrontée au milieu des années soixante-dix à un malaise. Soumis à des conditions de travail difficiles, plusieurs personnels de santé, notamment infirmiers, refusent de poursuivre une activité faiblement rémunérée et démissionnent au point que de nombreux postes demeurent vacants776(*). En outre, le mode de recrutement par concours institué à la fin des années soixante pour les infirmières « s'est soldé par un échec » comme le constate un médecin de la M.A de Lyon777(*). Les deux concours organisés en 1973 ne permettent par exemple « de mettre à la disposition de l'administration pénitentiaire que 4 infirmières stagiaires ce qui est loin de correspondre à celui des vacances d'emploi »778(*). Comme l'observe un journal professionnel, si le prix des vacations augmente régulièrement, « les vocations, quant à elles, semblent loin de soutenir ce rythme... » (QDM, 16/9/1975). Car au-delà des raisons matérielles, le problème de recrutement s'explique en partie par la mauvaise image dont souffre la médecine pénitentiaire au sein du secteur médical.

La prison est au début des années soixante-dix l'objet d'une attention de plus en plus grande de la part de la presse médicale. A l'occasion du « scandale de Toul » et du rapport du Dr Edith Rose, le corps médical s'indigne pour la première fois des conditions d'exercice en prison779(*). Dans un éditorial du Concours médical, le Dr Koupernik rend hommage à son confrère psychiatre: « Dans ce monde concentrationnaire où, avec les faibles moyens qu'on vous tolère, vous avez apporté un peu de lumière, un peu de chaleur, tout le monde paraît aliéné. On attache donc encore certains détenus, forçant les surveillants à les nourrir. On en isole d'autres, cependant que de savants auteurs, des psychiatres comme vous, dissertent sur la pathogénie de la psychose carcérale »780(*). Le même éditorialiste781(*) oppose au courage des Dr Rose ou Dayant, venant de publier son récit, la honte apportée à d'autres médecins travaillant en prison : « Il m'est arrivé de lire sur la pathologie carcérale des ouvrages dont par charité je tairais la signature et dont l'unique souci était de dépister la simulation. Le livre de Charles Dayant fait honneur au Corps médical »782(*).

Se diffuse alors au sein du secteur médical l'image d'une profession ingrate. A l'encontre de la prudence adoptée par Le Quotidien du Médecin, rarement critique envers le corps médical, le journal Tonus, davantage politisé, restitue ainsi la difficulté de cette profession783(*). Le médecin pénitentiaire y est présenté comme « un "civil" à tout faire au royaume de l'absurde » : « C'est un vacataire qui n'a pas de contrat, est nommé par arrêté ministériel, n'a pas de stabilité de l'emploi, pas de congés annuels, pas de retraite, pas de revalorisation régulière [...] Le médecin doit se débrouiller avec le minimum dans la cellule exiguë, peu éclairée qui lui est allouée, avec un matériel très sommaire qui l'oblige à avoir recours à des spécialistes pour le moindre examen d'oeil »784(*). En publiant un article de l'équipe lyonnaise, Le concours médical diffuse également une image peu flatteuse de la médecine pénitentiaire, susceptible de décourager d'éventuels candidats :

« Pas de secrétariat, un "dispensaire" aménagé dans une ou deux cellules à peine transformées, pas de lits d'examens, une "infirmerie" avec dortoir au confort plus que précaire. Quant aux soins... Il est très difficile, souvent impossible, d'appliquer en prison certains traitements, fussent-ils classiques, ne faisant pas question en pratique de ville et souvent irremplaçables [...] c'est dans ce monde qu'il s'agit d'être médecin. La position de ce dernier n'a rien de confortable. Il lui faut bien sûr, se soumettre à la règle et admettre une subordination administrative contraignante [...] Lié par son métier et le contrat moral qui l'attache, le médecin de prison a l'impression de porter caution à cette conception d'ensemble du monde carcéral, d'où sa sensation continuelle d'être en porte à faux [...] Il faut avoir le coeur bien accroché et de solides motivations idéologiques pour être médecin de prison »785(*).

Pour compenser ce manque d'attractivité et éviter les défections, le ministère de la Justice accepte progressivement une règle tacite selon laquelle les médecins ne seraient pas tenus d'effectuer la totalité des vacations qui leur sont rémunérées786(*). Après une première période durant laquelle l'Administration semble refuser tout absentéisme787(*) et où certains médecins effectueraient même des heures supplémentaires non rémunérées788(*), il semble admis au cours des années soixante-dix que ceux-ci n'effectuent que la moitié de leurs vacations. Il s'agit, selon un magistrat de la DAP d'un accord établi le plus souvent au plan local : « Dans certains endroits ou dans certaines directions régionales, il y avait un modus vivendi. On lui avait dit : "Bon, docteur, on vous paye deux vacations mais vous ne venez qu'une heure". Bon... sachant que ça, c'était aussi pour que ce soit plus attractif pour lui parce que... » 789(*).

Pourtant plusieurs indices plaident en faveur d'une politique élaborée au niveau national. Les contrôles effectués en 1983 révèlent tout d'abord qu'aucun médecin n'effectue la totalité de ses vacations, pas même le plus souvent la moitié. Ce cours dispensé à l'ENAP confirme cette information : « Le nombre de ces vacations est uniquement fonction de l'établissement et n'a aucun rapport avec le temps réel que les médecins consacrent à leurs fonctions qui est laissé à leur conscience professionnelle [...] Il est difficile d'apprécier dans quelle mesure la présence effective des médecins dans l'établissement correspond au nombre de vacations allouées »790(*). Le fait qu'un médecin généraliste consacrant 150 heures à son activité en milieu carcéral, c'est-à-dire un « total supérieur à son minimum éligible, 224/2=112 »791(*), obtienne une augmentation de ses vacations, et par conséquent de sa rémunération, atteste que l'Administration pénitentiaire n'exige jamais plus de la moitié des vacations, le nombre réel étant souvent bien plus bas.

Au-delà de cette règle tacite permettant de pallier le manque de motivation des praticiens en place, le ministère de la Justice souhaite réhabiliter l'image de la médecine pénitentiaire au sein du secteur médical. Encouragé par les autorités pénitentiaires, le Médecin-inspecteur entreprend ainsi de faire de cette activité une spécialité médicale à part entière. Comme l'ont montré Claude Dubar et Pierre Tripier en sociologie des professions792(*) et Isabelle Baszanger en sociologie de la médecine793(*), pour qu'un groupe soit considéré comme une profession établie, il doit réaliser un travail de légitimation à au moins deux niveaux. Il doit tout d'abord conférer à ses différents membres une identité commune en définissant, d'une part, l'objet de leur pratique et, d'autre part, des standards professionnels homogènes. C'est dans le but de délimiter les frontières de cette nouvelle spécialité médicale que Solange Troisier poursuit le travail initié par Georges Fully de mise en évidence et d'enseignement de la « pathologie carcérale » (1). Pour être reconnu en tant que profession, un groupe doit en second lieu effectuer un travail au sein même du secteur professionnel dans lequel il souhaite être reconnu. L'adoption d'un code éthique spécifique au milieu carcéral ou encore la consécration de l'appellation de « médecine pénitentiaire » attestent de la progressive reconnaissance de cette nouvelle spécialité au sein du secteur médical (2).

1. Le travail interne de délimitation d'une nouvelle spécialité médicale : la mise en évidence d'une « pathologie carcérale »

Journaliste : « Exercer la profession de médecin dans le milieu pénitentiaire, qu'est ce que cela signifie ? Les détenus sont des hommes comme les autres, la médecine devrait être la même. Et il est vrai que le médecin-chef de la prison de Fresnes voit défiler à sa consultation les mêmes maladies qu'un médecin de quartier par exemple. Pourtant, même lorsqu'il s'agit d'une maladie purement organique la situation du patient ne peut pas ne pas être prise en compte [...] Et puis le milieu pénitentiaire sécrète une pathologie spécifique. C'est à dire que certaines maladies, certaines tensions trouvent un terrain privilégié dans ce monde coupé du monde. Non, le médecin des prisons ne peut pas être un médecin comme les autres »794(*).

Si l'on excepte l'annexion de disciplines connexes (hygiène publique, anatomie, physiologie) par le secteur médical795(*), les premières spécialités de la médecine clinique s'affirment dès la seconde moitié du XIXème siècle à partir de la connaissance de certains organes (ophtalmologie, stomatologie, oto-rhino-laryngologie, etc.) ou de certaines pathologies (infectiologie, allergologie, etc.) rendue possible par les développements de la science796(*). Longtemps laissées à la seule appréciation du secteur médical, ces spécialités sont l'objet en France d'une régulation étatique à partir de la Libération rendue nécessaire à mesure que s'érige le système de protection sociale. Le corps humain est cependant l'objet d'un découpage si minutieux entre spécialités que toute nouvelle entrée dans le secteur de la médecine se produit, sauf découverte scientifique majeure, sur le fondement d'une demande spécifique à laquelle répondrait un groupe de professionnels797(*). La mise à profit d'une demande sociale par un groupe professionnel serait ainsi à l'origine des nouvelles spécialités médicales. Une profession ne pouvant maintenir son mandat que par le biais d'une « rhétorique professionnelle » par laquelle elle définit le problème auquel elle serait seule à pouvoir résoudre798(*), l'émergence d'une nouvelle spécialité médicale exige par conséquent que celle-ci soit reconnue comme la réponse à un problème, que celui-ci soit purement biomédical ou plus largement social. La médecine pénitentiaire tente d'affirmer sa spécificité en démontrant qu'elle répond, d'une part, à un besoin médical en tant que tel, les détenus étant pensés comme des malades spécifiques, et d'autre part, à un rôle social de réinsertion des détenus.

L'un des éléments d'affirmation de la médecine pénitentiaire est en premier lieu la mise en évidence d'une « pathologie carcérale », terme désignant les affections spécifiques au milieu pénitentiaire, qui rendrait nécessaire la reconnaissance d'une nouvelle spécialité médicale. Georges Fully justifiait déjà ainsi en 1966, dans une revue consacrée aux études médicales, le fait que la médecine pénitentiaire soit considérée comme une « forme d'exercice de la médecine » au côté de la médecine légale ou de la médecine militaire : « Les médecins pénitentiaires, aussi bien généralistes que spécialistes et psychiatres, sont unanimes à reconnaître qu'il existe des formes pathologiques inhérentes à l'incarcération et qui sont inconnues ou presque en pratique normale [...] Cette pathologie [...] fait de la médecine pénitentiaire, de plus en plus, une spécialité d'un genre particulier »799(*). Bien qu'ancienne, l'idée d'une pathologie carcérale acquiert une certaine reconnaissance au cours des années soixante-dix sous la forme de congrès et de publications800(*). Une commission lui est par exemple consacrée lors des Journées nationales de médecine pénitentiaire de 1970801(*).

Ces rencontres sont l'occasion pour chaque praticien de spécifier sa spécialité d'origine au regard du milieu carcéral. Au cours du congrès de 1978, l'urologue de l'Hôpital de Fresnes justifie ainsi la particularité de « l'urologie pénitentiaire » du fait, d'une part de la simulation, puis d'autre part en raison d'affections « le plus souvent rencontrées en milieu pénitentiaire », que ce soient des maladies rarement présentes dans les pays occidentaux (telles la bilharziose vésicale ou la chylurie) ou des comportements propres à la prison, tels que l'introduction de corps étrangers dans l'urètre (fil électrique, aiguilles, clous)802(*). Lors de cette rencontre entre praticiens pénitentiaires, le radiologue de Fresnes précise, au sujet des ulcères bulbaires ou duodénaux, qu'« il n'est pas exagéré de parler d'une véritable pathologie carcérale » pouvant s'expliquer par des facteurs nutritionnels ou psychiques803(*). La notion de pathologie carcérale se diffuse même, de manière relative, au sein de l'espace public par le biais de reportages télévisés. « La chirurgie pénitentiaire, il faut bien le dire, est une chirurgie spéciale qui s'adresse à des gens spéciaux et qui s'exerce dans des locaux spéciaux », déclare ainsi le Dr Petit dans le premier documentaire télévisé consacré à la médecine pénitentiaire804(*).

Bien qu'elle soit l'objet de nombreuses publications, l'idée d'une « pathologie pénitentiaire » ne constitue cependant pas une notion homogène comme en attestent les débats quant à la définition des troubles qu'elle recouvre. Dans sa thèse consacrée à la « médecine carcérale », un praticien y englobe les problèmes digestifs, l'ingestion de corps étrangers, les grèves de la faim, les autolyses, les simulations et de « nombreux problèmes psychiatriques »805(*). Le médecin-chef d'une M.A restreint en revanche la portée de cette notion, dans un article qui lui est pourtant consacré et qu'il utilise d'ailleurs avec des guillemets comme pour mieux exprimer sa réserve : « Existe-il une "pathologie pénitentiaire"? En réalité, si l'on peut préciser les circonstances qui favorisent la maladie, décrire le terrain où elle se développe et les signes cliniques qui la caractérisent en prison, on ne peut citer que trois manifestations pathologiques propres au régime pénitentiaire : les grèves de la faim, les automutilations et les suicides »806(*). Ces divergences d'interprétation soulignent la fragilité d'une notion qui s'avère progressivement remise en cause à mesure que les praticiens intervenant en milieu carcéral gagnent en expérience.

Médecins libéraux, les généralistes semblent en effet enclins durant les premières années de leur exercice à qualifier de « carcéral » des phénomènes qu'ils n'ont jamais rencontrés dans leur pratique quotidienne. Si la médecine pénitentiaire est « si particulière », selon un interne, c'est parce qu'« on découvre une médecine parfois déroutante pour laquelle on n'a pas été préparé (grève de la faim, automutilation, autolyse, ingestion de corps étrangers, simulation, toxicomanes, alcooliques, transsexuels) »807(*). A l'inverse, les psychiatres, souvent confrontés à des situations similaires en institution psychiatrique, sont réticents à reconnaître l'existence d'une pathologie spécifiquement carcérale. En témoignent les divergences d'interprétation entre généralistes et psychiatres à propos de la simulation (Cf. Encadré)808(*). S'ils remarquent parfois l'existence de pathologies propres à la prison, les professionnels de la santé mentale exerçant en milieu carcéral, comme ici ceux de Lyon, en soulignent l'origine psychologique : « Comme le rappelle le Dr Broussole, du point de vue psychosomatique, le délinquant présente également une pathologie particulière : l'anxiété due à l'ensemble du processus pénal révèle ou aggrave certaines manifestations psychosomatiques »809(*). Bénéficiant d'une expérience en hôpital psychiatrique, ces médecins sont amenés à relativiser l'originalité des pratiques qu'ils observent en prison. C'est par exemple le cas de cette interne en psychiatrie consacrant sa thèse aux automutilations en prison : « La pathologie dite "carcérale" recouvre un ensemble de manifestations morbides qui, bien que non pathognomoniques [caractéristiques] de ce milieu, y sont observées avec une relative constance »810(*).

LA SIMULATION : ELEMENT DE PATHOLOGIE CARCÉRALE OU EXPRESSION D'UNE SOUFFRANCE ?

La simulation, pouvant être définie comme la feinte ou l'exagération de symptômes destinée à obtenir les avantages accordés par la maladie, a été considérée par certains médecins comme une pathologie justifiant la spécificité de la pratique médicale en milieu pénitentiaire. Très tôt pourtant des psychiatres exerçant en institution carcérale défendent l'idée que la simulation serait une réaction rationnelle des détenus face au manque de considération dont ils sont l'objet : « Langage des opprimés, des diminués, la simulation se rencontre chaque fois que l'individu se sent infériorisé par la société [...] Lorsque la prison perdra ce caractère oppressant et humiliant pour l'individu et deviendra l'instrument d'une authentique promotion de l'Homme, la simulation en milieu carcéral sera devenue un phénomène historique »811(*). Dans une approche globale de la personne, les professionnels de la santé mentale voient la simulation comme un élément « normal » de leur pratique médicale, tentant ainsi de distinguer la signification latente de ce comportement. C'est ainsi qu'un interne en psychiatrie y voit dans sa thèse « un faux problème » : « La simulation est un mode de comportement, donc un symptôme et comme tel il doit être interprété »812(*).

A l'inverse des psychiatres, les médecins pénitentiaires, peu habitués à rencontrer des patients feindre une maladie, voient dans la simulation une spécificité de l'exercice en milieu carcéral, tel ce chirurgien, médecin-chef des prisons de Fresnes : « Notre malade, avec sa pathologie "volontairement déformée" et son comportement si particulier [...] font que la chirurgie pénitentiaire revête un aspect qui ne se retrouve ni dans les maisons de santé privées, ni dans les hôpitaux militaires »813(*). Pour les mêmes raisons, la détection de la simulation est considérée par le Dr Albert-Weil, médecin-chef de service à Fresnes de 1950 à 1966, comme le principal élément de définition de son activité médicale en détention : « Je devais donc à tout prix, sous peine de perdre la face et ne pas conserver la confiance de mes malades, déceler la tromperie, la simulation. Ces principes devaient guider tout mon comportement ultérieur »814(*). Ce même praticien consacre d'ailleurs un ouvrage à cette « affection » au sein duquel il décrit les différentes méthodes d'examen ainsi que des études de cas clinique815(*). « Il est symptomatique que le seul ouvrage français récent traitant de la médecine en prison soit exclusivement consacré à la simulation alors que les simulateurs ne représentent qu'un pourcentage infime des malades », observent deux praticiens des prisons de Lyon ayant une formation psychiatrique816(*).

La simulation est aux yeux des médecins et de l'Administration un phénomène tellement particulier au milieu pénitentiaire qu'elle est présentée, par exemple dans cette thèse de science pénitentiaire, comme la meilleure illustration de la spécificité de cette nouvelle spécialité médicale : « La pratique de la médecine en milieu pénitentiaire a des aspects particuliers entièrement différents de ceux rencontrés en milieu libre. Un des problèmes essentiels est celui de la simulation des symptômes de la maladie »817(*).

Même si Georges Fully en soulignait déjà l'importance, Solange Troisier a largement contribué à faire de la simulation une pathologie pénitentiaire en tant que telle, notamment au cours de ses déclarations publiques, comme ici lors du congrès de médecine pénitentiaire de Dijon en 1978 : « Bien souvent l'on me demande qu'elle est la différence entre la médecine pénitentiaire et la médecine tout court. Bien sûr, toutes les maladies sont retrouvées en prison, mais majorées, maquillées, utilisées ou volontairement niées. Mais il y a chez chaque détenu tout un cortège carcéral où la maladie imaginaire devient parfois réelle » (Libération, 25-26/11/1978). Outre l'idée alors débattue qu'à force de simuler le détenu provoquerait la maladie818(*), la représentation de la simulation en tant que pathologie repose sur l'idée d'une spécificité de la population pénale, ainsi que le rappelle Solange Troisier :

« Ce qui est particulier, c'est qu'il s'agit d'une population pénale pathologique [...] Les détenus sont tous plus ou moins des déséquilibrés, des désoeuvrés, beaucoup sont très instables, ne sont pas assurés sociaux ou n'ont même jamais travaillé. Il s'agit donc d'une population particulière qui va avoir des maladies et un comportement psychique différents des autres. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait des simulations totales »819(*).

Erigée en catégorie médicale, la simulation est cependant vécue par certains praticiens comme une immixtion de l'Administration dans l'exercice de leur profession. C'est en effet souvent sous l'injonction du directeur de l'établissement que les médecins sont contraints d'exercer une fonction de dépistage à des fins disciplinaires820(*). La détection de la simulation est souvent décrite comme une qualité essentielle du métier de praticien pénitentiaire car nécessaire à la construction d'un lien de confiance avec le directeur d'établissement. En témoigne cet interne de Fresnes :

« La situation du médecin en milieu pénitentiaire doit être claire et sans équivoque [...] vis-à-vis de l'administration, qui doit savoir que le corps Médical Pénitentiaire soigne et protège les vrais malades, et que de ce fait, la "raison administrative" doit dans leur cas, céder le pas devant la "raison médicale". En contrepartie, elle doit savoir aussi que les médecins sont capables de dépister les simulateurs dans la plupart des cas, et que, de toute façon, ces derniers ne bénéficieront pas de leur complicité »821(*).

Elément de définition de la médecine pénitentiaire, la simulation est à l'inverse pour ses détracteurs l'un des emblèmes de l'emprise de l'Administration sur l'organisation des soins. Charles Dayant relate ainsi comment il fut amené à décrocher la pancarte, rappelant que « Toute consultation non motivée sera punie », apposée à la porte de l'infirmerie :

« Dès la prise de mes fonctions à La Santé, le directeur m'avait donné tous les pouvoirs [...] pour démasquer les délinquants d'un type nouveau : les simulateurs, que je devais ensuite dénoncer pour "consultation non motivée" [...] Curieux médecin en vérité que ce dépisteur de simulations, que ce supergardien à diplômes par le truchement duquel le bras trop court de l'autorité répressive atteindrait même au coeur de l'infirmerie ceux qui espéraient nouer avec un civil des relations humaines normales »822(*).

Malgré la quasi-unanimité observée dans les publications médicales, les praticiens exerçant en prison semblent profondément partagés sur la dimension médicale conférée à la simulation. Un groupe de travail réuni lors du congrès de médecine pénitentiaire de 1963 refuse ainsi de considérer la simulation comme une pathologie : « En fait une consultation est toujours motivée, il y a toujours un motif même si ce motif n'est pas classique »823(*). Dans un ouvrage consacré à la relation clinique, un psychiatre intervenant aux prisons de Lyon consacre un chapitre au « faux problème de la simulation » : « Décréter simulé un comportement parce qu'il est utilitaire, c'est s'en tenir à un diagnostic descriptif et en refuser le sens »824(*). Citant cet ouvrage fort commenté, un médecin s'interroge dans sa thèse afin de savoir si la simulation doit être considérée comme la réaction d'un individu en détresse ou comme une pathologie en tant que telle : « Le problème est de savoir si ce type de simulation représente une entité réelle ou s'il ne se cache pas autre chose derrière ? [...] La simulation, qu'elle ait un but utilitaire ou non est-elle une maladie ? »825(*).

La réponse négative apportée à cette question par ce même médecin traduit peut-être un rapprochement de la représentation qu'ont les médecins de la simulation avec celle des psychiatres : « C'est parce que l'institution le condamne à un perpétuel combat, parce qu'elle nie en lui et en autrui toute revendication à la dignité, qu'elle favorise les conduites infantiles à quoi se réduit le théâtralisme utilitaire. Le détenu ne peut combattre avec ses mains ou sa voix mais avec ses plaintes »826(*). C'est cette évolution que constate Antoine Lazarus parmi les médecins pénitentiaires : « De plus en plus l'on prend conscience que le symptôme proposé pour justifier la demande de consultation n'est qu'un moyen pour approcher le médecin auquel on a besoin de parler »827(*). Les entretiens réalisés auprès de médecins et d'infirmières ayant travaillé en prison au cours des années quatre-vingt confirment une progressive prise de distance à l'égard de cette représentation de la simulation en tant que pathologie carcérale. Ils témoignent que la médecine pénitentiaire est alors de moins en moins perçue comme une spécialité médicale à part entière qui justifierait une organisation spécifique placée sous la tutelle du ministère de la Justice.

Dotés d'une faible expérience, les internes sont parmi les premiers à reconnaître cette spécificité carcérale : « Médecine déroutante parce qu'il existe une pathologie particulière [...] Lequel d'entre nous [internes] n'a pas hospitalisé un malade présentant un état fort inquiétant et dont les signes avaient disparu le lendemain matin. La simulation et surtout l'exploitation de maladies antérieures à l'incarcération, surprendront bien d'autres jeunes internes »828(*). Ainsi, les médecins exerçant en prison contestent, à mesure que leur expérience s'accroît, la spécificité de ces pathologies. Les suicides, les auto-agressions, la simulation ou les grèves de la faim sont peu à peu interprétés comme des réactions de défense à l'égard du milieu pénitentiaire, ne relevant ainsi pas stricto sensu de la médecine. Un praticien travaillant à la M.A de Lyon depuis dix ans y voit une « pathologie "psychofonctionnelle" » : « Pour Mégard, si l'on faisait abstraction du cadre de la détention et de ce qu'elle crée, on retrouverait simplement les problèmes propres à tout exercice médical »829(*). Si, comme le souligne un psychiatre intervenant à Fresnes depuis le début des années soixante, « il existe une spécificité sanitaire pénitentiaire, il n'y a pas lieu de l'exagérer et de faire du délinquant un homme à part, tout à fait différent des autres »830(*). Certains médecins, comme ici le Dr Hintermayer de Fresnes, voient même dans la notion de pathologie carcérale une tentative abusive de faire de la médecine pénitentiaire une spécialité médicale à part entière :

Journaliste : « Monsieur, est ce que vous pensez que la médecine pénitentiaire est une médecine en soi, différente des autres ? »

Dr Hintermayer : « Pas du tout ! Je ne vais pas faire plaisir à tout le monde, en particulier à certains confrères en vous disant cela.... C'est un mythe ! Ça n'existe pas ! Vous avez pu vous en rendre compte... Vous pourrez le voir en voyant ce film. C'est exactement la même médecine qu'à l'extérieur. Nous sommes ici comme dans un cabinet médical extérieur. Avec simplement des malades un petit peu particuliers du fait qu'ils sont enfermés 23 heures sur 24 le plus souvent [...] Alors nous dire que pour cela il y a une médecine pénitentiaire... Vous pensez bien que l'hémorragie intestinale que nous avons vue tout à l'heure ou l'ulcère de l'estomac, ou le drogué même de tout à l'heure, sont exactement les mêmes qu'à l'extérieur. Alors c'est vrai qu'il y a une pathologie un petit peu particulière, c'est celle des corps étrangers, le chirurgien vous en a sans doute parlé, et des gens qui majorent les symptômes et quelques fois qui sont capables de s'automutiler pour rentrer à l'hôpital [...] Mais enfin faire de ça une médecine pénitentiaire... Je dirai que c'est bien léger ! Pour ne pas dire plus... »831(*).

Sans prendre position dans le débat relatif à la spécificité de la médecine pénitentiaire, on peut remarquer que les particularités qu'elle présente (automutilations diverses, grèves de la faim simulation, etc.) ont été mises à profit par ceux qui souhaitaient en faire une discipline distincte. L'idée d'une pathologie carcérale fut cependant contestée par certains praticiens exerçant eux-mêmes en détention. Loin de former un groupe professionnel homogène, les praticiens pénitentiaires sont ainsi divisés entre un segment favorable à la reconnaissance de leur spécificité et un segment souhaitant, à l'inverse, être reconnus avant tout comme des médecins généralistes. Derrière des questions d'ordre médical se jouent par conséquent des enjeux statutaires et déontologiques. La médecine pénitentiaire est-elle si spécifique au point de justifier qu'elle soit placée sous la tutelle du ministère de la Justice ? C'est cette position qu'adopte Solange Troisier en tant que Médecin-inspecteur, qui exerce alors sur ce groupe professionnel une position dominante.

Parce que la logique de spécialisation de la médecine pénitentiaire ne repose pas sur des connaissances purement médicales mais sur l'idée d'un milieu et d'une population spécifiques, elle doit, pour se légitimer, démontrer à travers sa « rhétorique professionnelle » à quel « problème public » elle entend répondre832(*). C'est pourquoi dans sa tentative de spécialisation, le Médecin-inspecteur tente, au moment où les prisons représentent l'une des grandes préoccupations de la société française, de mettre en évidence le rôle social que les praticiens peuvent avoir, du fait de leur profession, au sein de l'institution carcérale833(*). Solange Troisier, qui s'enorgueillit de son « sens de l'humain » ou de son « goût de l'apostolat social »834(*), défend une conception « humaniste » du médecin pénitentiaire : « Dans l'univers carcéral, celui-ci n'est pas un médecin tout à fait comme les autres parce que ses malades ne ressemblent pas complètement aux autres [...] Pour s'occuper de cette "clientèle" spéciale, il faut un supplément de psychologie et de coeur, le médecin étant souvent appeler à jouer un rôle de confident et à éviter les gestes de désespoir » (La Croix, 6/02/1977). Parce que les détenus sont des êtres dotés d'« une psychologie particulière » et dont « le comportement se rapproche fréquemment de celui de l'enfance », le médecin devrait selon elle développer une relation particulière avec « ses » détenus qui « ont besoin d'affection » (LM, 28/09/1973) : « Ces hommes et ces femmes étaient un peu "ma chose" [...] J'interpellai quelque fois les détenus d'un "Mon petit" [...] Est-ce un crime d'avoir été une mère cordiale avec des sujets certes que la société a rachetés, mais que nous, médecins, devons soigner ? »835(*). Les propos de Solange Troisier lors de cette émission radiophonique traduisent la conception quasi-religieuse de l'activité médicale en prison qu'elle défend :

« Il y a tant de choses à faire pour les gens malheureux. Vous me direz que Saint Vincent a été un des premiers médecins des prisons. Ça a presque été mon prédécesseur et c'est lui qui a donné ce côté humain à la médecine pénitentiaire. C'est merveilleux ! Quand je rentre dans les cellules de mes prisonniers, même parfois quand ils sont au mitard, je leur parle pour leur demander si leur santé est bonne [...] Ils sont très contents de me voir. Je crois qu'ils sentent en moi d'abord quelqu'un qui est un être humain qui se penche sur leur détresse et qui va leur apporter une présence. Je ne suis pas là d'abord pour juger. Je suis le médecin. Je suis la liberté et donc je suis quelque chose qui leur permet de se raccrocher et bien souvent dans les moments difficiles, comme les grèves de la faim... Nous avons un rôle. Nous sommes d'abord une présence » 836(*).

Les médecins pénitentiaires, décrits comme « des êtres privilégiés pour les prisonniers [...] peut-être [...] leurs meilleurs alliés »837(*), n'auraient ainsi pas pour seule tâche de « soigner » car « tout ce qui concerne la vie des détenus intéresse le médecin ». C'est à ce titre, par exemple, que le Médecin-inspecteur obtient l'autorisation du maquillage auprès de René Pleven pour les femmes incarcérées ou qu'elle plaide, en tant que membre du Haut comité d'étude et d'information sur l'alcoolisme, en faveur de la lutte contre l'alcoolisme qu'elle considère comme un facteur de criminalité838(*). Dans la description qu'elle livre de son activité en milieu carcéral, Solange Troisier aborde d'ailleurs de nombreuses questions non médicales, telles que le profil social des détenus ou encore les délits à l'origine de leur incarcération.

Loin de se réduire à une pure technicité, comme pourrait le laisser croire l'idée de « pathologie carcérale », la médecine pénitentiaire constituerait ainsi selon elle « une médecine à part entière qui réclame surtout du bon sens, de la générosité, un certain sens du don de soi, une vocation » (LM, 28/09/1973). Médecine sociale, la médecine pénitentiaire exigerait avant tout un profil spécifique. « Mes médecins sont un peu des saints. Il faut beaucoup de discrétion et beaucoup d'amour », affirme le Médecin-inspecteur au micro de Jacques Chancel839(*). La reconnaissance de cette nouvelle spécialité médicale apparaît dès lors inextricablement liée à la fonction sociale de réinsertion des détenus impartie aux praticiens. C'est ce que souligne Solange Troisier lors du congrès de médecine pénitentiaire de 1975 :

« Je dois par notre action, soucieuse du progrès social, donner aux détenus une chance de resocialisation. Le rôle du médecin pour cela est essentiel : travailler dans des locaux modernes, avec un matériel d'avant-garde, avec des médecins bien considérés et bien payés pour faire de la médecine carcérale une science à part entière ayant sa place au soleil »840(*).

En faisant des médecins pénitentiaires des « apôtres », « mal payés, mal connus, mal appréciés », au service des détenus841(*), Solange Troisier met à profit une légitimité de type messianique parfois présente au sein du secteur médical mais surtout dans le secteur humanitaire. Même si cette description est avant tout le fait du Médecin-inspecteur, d'autres praticiens travaillant en prison ont parfois recourt à ce registre pour décrire leur fonction, tel que ce médecin de la M.A de Dijon s'interrogeant lors du congrès sur la fonction des praticiens en prison : « Rôle médical, rôle d'information mais surtout rôle humanitaire ? A tout moment le médecin côtoie des hommes qui ont des difficultés de toutes sortes, lors de chaque consultation si nous prenons le temps d'interroger chaque détenu nous apprenons beaucoup de détails, qui expliquent parfois certains éléments de conduite ou de leurs actes. Nous pouvons alors leur dire que nous les comprenons et que nous sommes là pour les aider »842(*). Cette représentation, enfin, s'étend progressivement à la définition qui est donnée de la profession de médecin pénitentiaire au sein de l'espace public. En atteste cette présentation que donne Patrick Poivre d'Arvor des médecins pénitentiaires, à l'occasion du congrès de 1978 : « Au-delà de la médecine du corps, le médecin est amené à jouer un rôle de médiateur entre l'Administration et les détenus »843(*).

Ainsi, la reconnaissance d'une spécialité médicale suppose la définition d'un domaine spécifique d'intervention, que ce soit une pathologie en tant que telle ou un problème public. Son autonomisation requiert en second lieu, souligne Anselm Strauss, l'élaboration de « standards de pratique » (standards of practice) par le biais de formations permettant à un groupe professionnel d'homogénéiser ses règles de fonctionnement. Déjà en 1965 à l'initiative de Georges Fully une « attestation d'études relatives à la médecine pénitentiaire » est instaurée auprès de la chaire de médecine légale de la Faculté de Paris. La création de cet enseignement est alors décrite par les pouvoirs publics comme « un progrès considérable [...] puisque la médecine pénitentiaire est en quelque sorte reconnue comme une spécialité nécessitant des connaissances particulières »844(*) tandis que Georges Fully y voit « la reconnaissance, sur le plan universitaire, de cette discipline particulière de la science médicale »845(*). Pourtant, et ce à l'encontre de Solange Troisier, le premier Médecin-inspecteur ne vise pas tant à autonomiser la discipline médicale en prison qu'à accorder un plus grand rôle aux praticiens en leur assurant une assise universitaire.

Dès sa prise de poste en 1960, Georges Fully est intégré aux travaux de l'école lyonnaise de criminologie. C'est dans ce contexte qu'il envisage que l'Administration pénitentiaire devienne « une sorte de "Service de Santé" chargé du traitement de ce phénomène socio-pathologique qui a pour nom "délit" et qui traitera le délinquant »846(*). Regrettant le rôle subalterne longtemps conféré aux praticiens, Georges Fully ambitionne de faire « faire comprendre aux futurs médecins pénitentiaires leur véritable rôle de médecins criminologues » leur permettant d'obtenir une reconnaissance à part entière au sein de l'institution carcérale. La médecine pénitentiaire n'est ainsi pas tant conçue pour le premier Médecin-inspecteur comme une discipline autonome que comme une branche de la criminologie dont elle est au service :

« S'il est normal que le médecin n'intervienne qu'à titre consultatif dans le déroulement de la peine et dans l'application de celle-ci, il n'en est pas mois normal de voir prendre en considération par l'Administration pénitentiaire le rôle important que joue le médecin dans l'établissement. C'est la raison pour laquelle le médecin pénitentiaire doit être intégré à la vie de l'établissement pénitentiaire et participer à toutes les formes du traitement pénitentiaire. Je crois que c'est là que l'on peut voir le point de rencontre de la criminologie et de la médecine pénitentiaire. La criminologie, science éminemment humaine et faite de disciplines multiples, absorbe, doit absorber la médecine pénitentiaire comme elle absorbe le droit pénal et la science sociologique »847(*).

La création d'un enseignement de médecine pénitentiaire traduit pour Georges Fully la reconnaissance progressive du rôle spécifique des praticiens en prison, dotés d'une fonction de compréhension et de traitement du crime. Chargé de cours à Henri Mondor, le Médecin-inspecteur tente cependant en vain d'obtenir la création d'une chaire de médecine pénitentiaire, faute de disposer de titre hospitalier. « J'envisage la possibilité d'une forme d'intégration hospitalière partielle au CHU de Créteil dans le cadre de la médecine légale du droit médical, de la déontologie et de la médecine pénitentiaire, cette dernière pouvant faire l'objet d'activités jumelées entre l'Hôpital de Fresnes et l'hôpital Henri Mondor de Créteil », écrit le Médecin-inspecteur en 1969848(*). Solange Troisier, bien insérée dans les réseaux médicaux, réussit là où son prédécesseur avait échoué en inaugurant en janvier 1977 la première chaire de médecine pénitentiaire au CHU Lariboisière Saint-Louis (Paris VII)849(*). D'abord rattachée à celle de médecine légale puis autonome à partir de 1980, cette chaire est présentée par un journaliste comme « la reconnaissance d'une spécialité peu connue » (La Croix, 6/02/1977). Plus tard Solange Troisier présenta cet événement, rendu possible « grâce à l'action de M. Raymond Barre, alors premier ministre »850(*), comme la consécration du travail qu'elle avait entrepris depuis sa nomination. A force de publications et de congrès, elle aurait convaincu les autorités médicales et scientifiques, mais également ses confrères exerçant en prison, de « la spécificité des problèmes typiquement carcéraux » : « De Lille à Bordeaux en passant par Brest, Angers et Tours, de Strasbourg à Nice via Dijon, Besançon, Grenoble, Lyon et Marseille, j'ai sensibilisé mes collègues aux problèmes sociaux et humanitaires de la médecine carcérale »851(*). Enfin, en 1981 Solange Troisier devient Professeur de médecine pénitentiaire toujours grâce à des soutiens politiques, si l'on en croit le Conseiller technique de Robert Badinter : « Elle est devenue Professeur par un décret du 12 mai 81 malgré l'opposition du ministre [de l'Enseignement supérieur] de l'époque car elle bénéficiait d'une protection... »852(*).

Au-delà d'une réussite personnelle853(*), l'instauration de cette chaire marque la consécration des enseignements de médecine pénitentiaire854(*). Déjà l'attestation créée en 1965 avait pour but d'enseigner, comme le précise le Dr Fully lors d'une interview, « toute cette pathologie un peu spéciale, un peu particulière qui est la pathologie carcérale »855(*). Parmi les soixante-quinze heures de cours théoriques, réparties sur deux jours mensuels pendant une année, quarante heures étaient en effet dédiées aux « pathologies carcérales » ainsi qu'aux différentes branches de la médecine pénitentiaire, enseignement placé sous la direction de Léon Dérobert, Professeur de médecine légale856(*). Etaient notamment présentées la « gynécologie pénitentiaire », la « gastrologie pénitentiaire », la « cardiologie pénitentiaire », la « vénérologie pénitentiaire », l'« oto-rhino-laryngologie pénitentiaire », la « dermatologie pénitentiaire », l'« ophtalmologie pénitentiaire », « l'urologie pénitentiaire » ou la « radiologie pénitentiaire »857(*). Les trente-cinq heures restantes étaient consacrées à l'« administration médico-pénitentiaire », afin de diffuser un certain nombre de savoirs administratifs et juridiques auprès des médecins exerçant en milieu carcéral.

Désireuse d'orienter la pratique des praticiens en cas de situation extrême (grève de la faim, suicides) ou plus simplement dans leur activité quotidienne (simulation, certificats administratifs, placement au quartier disciplinaire), l'Administration encourage le développement d'un enseignement de médecine pénitentiaire858(*). En tentant de faire du certificat de médecine pénitentiaire l'une des conditions d'accès à un poste de praticien en prison859(*), le ministère de la Justice souhaitait sensibiliser les praticiens aux contraintes pénitentiaires afin de les intégrer dans leur pratique professionnelle et de faire ainsi, comme le souligne un rapport d'activité de la DAP, « de meilleurs médecins pénitentiaires, destinés à la fois à mieux servir l'administration et à mieux comprendre certains problèmes particuliers, dans l'intérêt même des malades »860(*).

Destiné initialement aux médecins puis ouverts aux infirmières, cette formation combinait enseignements médicaux sur les « pathologies carcérales » et éléments juridiques sur le fonctionnement des établissements. C'est d'ailleurs cette seconde dimension qui donnait tout son intérêt à cette formation d'après cette infirmière : « Mais au niveau médical on apprenait rien ! C'était surtout au niveau des lois, etc. » 861(*). Elle permettait également à des praticiens récemment arrivés en milieu carcéral de mieux assurer le rôle d'« auxiliaire de Justice » suivant la conception qu'en développe Solange Troisier. En témoigne ce généraliste d'un petit établissement :

« On apprenait comme ça si vous voulez... C'était du reste un peu ce qu'on faisait... La façon de savoir dire "non" à un détenu mais un "non" qui permette... Qui soit pas définitif si vous voulez, pour lui laisser l'espoir d'avoir la possibilité d'avoir tel traitement un jour ou l'autre de façon à ... Il fallait penser à calmer le jeu surtout dans les Maisons d'arrêt surchargés, c'est important. C'était pas uniquement médical. C'était intéressant. Mais enfin bon, il était bien dit qu'il fallait travailler en accord avec l'Administration. Ce n'était pas comme un médecin indépendant en ville. C'est pas vrai. Il y avait trop de contraintes [...] C'était intéressant parce que ça permettait de rencontrer d'autres médecins de Maison d'arrêt comme nous. Parce qu'on avait pas de relations. Même si on travaillait tous à peu près pareil, en tous cas dans les Maisons d'arrêt peu médicalisés comme Pontoise » 862(*).

Afin d'en élargir l'audience, ce certificat fut proposé par Solange Troisier aux professionnels de la Justice, et notamment aux directeurs d'établissement, permettant ainsi d'attirer un nombre croissant de participants. Tandis qu'il ne compte que dix-neuf médecins en 1973863(*), près de quatre-vingt personnes y assistent à la fin des années soixante-dix.

La médecine pénitentiaire se dote au cours des années soixante et soixante-dix des attributs d'une spécialité médicale. L'idée d'une spécificité pénitentiaire est certes bien antérieure, comme en atteste la publication d'ouvrages et de thèses à la fin du XIXème siècle sur cette nouvelle spécialité. « L'ouvrage de Laurent, véritable précis de médecine pénitentiaire, et la thèse de médecine de Chipier, de 1897, marquent semble t-il, le début de la médecine pénitentiaire au sens de médecine particulière », relève un interne dans l'histoire qu'il consacre à cette nouvelle spécialité864(*). La médecine pénitentiaire s'avère cependant à cette époque incapable de diffuser des savoirs qui lui sont spécifiques. L'idée de pathologie carcérale semble alors largement supplantée par les savoirs psychiatriques jugés plus essentiels. Au cours du VIème congrès pénitentiaire international, ayant eu lieu à Bruxelles en 1900, est votée une motion demandant à ce que tous les médecins travaillant en prison aient des connaissances en psychiatrie afin d'améliorer le dépistage des maladies mentales865(*). L'influence de la criminologie et le lien alors établi entre maladie mentale et délinquance expliquent en partie que le premier enseignement destiné aux médecins pratiquant en institution carcérale, créé en 1921 à Strasbourg, soit consacré exclusivement à la psychiatrie clinique et à la médecine légale psychiatrique. En inscrivant la médecine pénitentiaire dans le milieu universitaire, largement autonome bien que non sans liens avec la psychiatrie, la criminologie et la médecine légale, Georges Fully mais surtout Solange Troisier ont oeuvré à la reconnaissance d'une nouvelle spécialité médicale. Le rôle social conféré aux praticiens, la description d'une pathologie spécifique et la mise en place d'un enseignement visent à conférer aux médecins exerçant en prison une identité commune. A ce travail de construction interne s'ajoute une mobilisation externe destinée à faire reconnaître cette spécialité au sein du secteur de la médecine.

* 768 TROISIER Solange, J'étais médecin des prisons, Paris, La Table Ronde, 1985, pp.31-32.

* 769 Solange Troisier était une amie de Mme Messmer avec laquelle elle avait servi en tant qu'infirmière pendant la Seconde guerre mondiale.

* 770 Certains doutent même de l'amitié qu'elle revendique envers Georges Fully à titre posthume : « Depuis longtemps déjà, Solange intrigue pour obtenir la place. Elle avait même tenté de faire passer Fully pour un dangereux communiste » (CAUVIN Claire, PONCET Dominique, Les femmes de Giscard, Paris, Tema Editions, 1975, p.131). L'accusation de « communisme » est alors un moyen de disqualifier certains médecins pénitentiaires comme en témoigne une lettre dans laquelle Georges Fully défend le médecin de la M.A d'Ajaccio auprès du garde des Sceaux Edmond Michelet : « Dans le but évident de faire échouer la candidature du Docteur [...], le préfet et le maire n'ont pas hésité à écrire dans la lettre qu'ils vous ont adressé que le docteur [...] était communiste... Je le connais suffisamment et depuis assez longtemps pour pouvoir affirmer qu'il s'agit là d'une accusation fausse » (Lettre de Georges Fully au ministre de la Justice du 7/08/1960. CAC. 19940511. Art. 91).

* 771 TROISIER Solange, Une sacrée bonne femme, Paris, La Table Ronde-La Palatine, 2003, p.235.

* 772 On s'inspire des articles suivants: Le Monde, 01/08/1969; 09/04/1970; 17/03/1972; 24/09/1973; 18/03/1983 ; Libération, 17/03/1983.

* 773 Dans son étude de la réforme des études médicales, Haroun Jamous observe l'existence d'un petit groupe de réformateurs marginaux hostiles au système traditionnel mais se situant à l'intersection de plusieurs sous-systèmes clefs, position sécante d'où ils tirent leur influence (JAMOUS Haroun, Contribution à une sociologie de la décision : la réforme des études médicales et des structures hospitalières. Paris, Copédith, 1968). A partir de ces travaux, Erhard Freidberg et Michel Crozier ont défini le « marginal-sécant » comme « un acteur qui est partie prenante dans plusieurs systèmes d'action en relation les uns avec les autres et qui peut, de ce fait, jouer le rôle indispensable d'intermédiaire et d'interprète entre des logiques d'action différentes, voire contradictoires ». Ils ont ainsi gommé de leur analyse la position « marginale » qu'avait mis en avant Haroun Jamous (CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p.86.).

* 774 DAP, Journées européennes de médecine pénitentiaire, op.cit., p.2.

* 775 « Médecins des prisons : 1ère partie », 1ère chaîne, 17/03/1976, 55 minutes, Archives INA.

* 776 Cf. Annexe 19 : « L'obstacle récurrent de la rémunération dans le projet de la création d'un corps des soignants pénitentiaires ».

* 777 « Journées de médecine pénitentiaire de Marseille », Instantanés criminologiques, n°12, 1971, p.42.

* 778 « Rapport général pour l'année 1973 », RPDP, 01/03/1976, p.101.

* 779 Cf. Chapitre1 - Section 3-1 : « De la psychiatrie asilaire à la psychiatre pénitentiaire : l'émergence... ».

* 780 KOUPERNIK Cyrille, « Lettre ouverte à Madame le docteur Rose », Le concours médical, 22/01/1972, p.483.

* 781 D'origine russe, Cyrille Koupernik fut un psychiatre très engagé en matière l'éthique médicale, en participant par exemple en 1972 à la création d'un Comité contre l'utilisation de la psychiatrie à des fins politiques.

* 782 KOUPERNICK Cyrille, « Les murs de la honte », Le concours médical, 30/12/1972, pp.8827-8828.

* 783 Créé en 1960 par le laboratoire pharmaceutique Winthrop, Tonus est un journal médical qui se distingue dans les années soixante-dix pour ses prises de position. Après avoir incité les médecins à s'engager dans l'action humanitaire, il participe indirectement par l'entremise de son directeur, Raymond Borel, à la constitution de Médecins sans frontières en 1971. Tonus se distingua, en outre, par son engagement, en diffusant notamment en 1983 une pétition en faveur d'une enquête sur les violences commises à l'encontre de détenus au Kurdistan iranien (Tonus, 14/10/1983).

* 784 MOREAU, « Médecin de prison : un "civil" à tout faire au royaume de l'absurde », Tonus, 14/08/1972.

* 785 COLIN Marcel, GILLON Jean-Jacques, MEGARD Marc, « La médecine en geôle...», art.cit., pp.4691-4700.

* 786 Le nombre de vacations horaires est théoriquement défini par le nombre de détenus mais est dans les faits laissé au bon vouloir de la DAP. Le nombre de vacations annuelles allouées à un praticien varie entre et 50 et 1200 rendant ces postes plus ou moins attractifs (Cf. Introduction du Chapitre 4 : « Les spécificités carcérales à l'épreuve du décloisonnement »).

* 787 Une note adressée le 20 janvier 1950 aux directeurs d'établissements soulève la question de l'absentéisme des pharmaciens gérants : « Dans la plupart des cas celui-ci n'assure pas réellement la gestion de la pharmacie de l'établissement en question. Son rôle se borne souvent à signer les commandes [...] Ce pharmacien doit gérer réellement la pharmacie de l'établissement » (CAC. 19960279. Art. 120. (M. 321 Pharmaciens gérants)).

* 788 L'enquête effectuée à l'occasion du congrès de 1963 auprès des médecins pénitentiaires relève que « beaucoup disent passer plus de temps à la prison que leur vacation théorique » (AP, Le service médical..., op.cit., p.19).

* 789 Jacques, magistrat chargé à la DAP de la réglementation sanitaire de 1982 à 1989. Entretien réalisé le 11/01/2008, 3H30.

* 790 « La médecine en milieu pénitentiaire », cours de l'ENAP, 22/11/1978. Archives internes DAP.

* 791 Lettre du Directeur régional des services pénitentiaires de Marseille au Bureau des personnels de la DAP du 8/11/1979 (CAC. 19940511. Art.87).

* 792 DUBAR Claude, TRIPIER Pierre, Sociologie des professions, Paris, Armand Colin, 2003, p.247.

* 793 BASZANGER Isabelle, « Emergence d'un groupe professionnel et travail de légitimation. Le cas des médecins de la douleur », Revue française de sociologie, XXI, 1990, pp.257-282.

* 794 « Médecins des prisons : 1ère partie », 1ère chaîne, 17/03/1976, 55 minutes, Archives INA.

* 795 PINELL Patrice, « Spécialisation » dans LECOURT Dominique (dir.), Dictionnaire de la pensée médicale, Paris, PUF, Coll. « Quadrige », 2004, pp.1063-1069.

* 796 Cette première explication de la logique de la spécialisation médicale fut développée par l'historien américain Rosen et reprise par Ackerknecht (ROSEN George, The specialization of medecine, New York, Froben Press, 1944 ; ACKERKNECHT E.H., La médecine hospitalière à Paris (1794-1848), Paris, Payot, 1986).

* 797 Jean Peneff précise ainsi que, tandis que les premiers services d'urgence étaient l'oeuvre de chirurgiens, la médecine urgentiste est née dans les années soixante de la rencontre entre une exigence sociale (ouverture de l'hôpital à la ville et transformations de la vie dans les métropoles) et un groupe de médecins réanimateurs-anesthésistes (PENEFF Jean, Les malades des urgences, Paris, Métailié, 2000, pp.21-22).

* 798 PARADEISE Catherine, « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du travail, 1, 1985, pp.17-31.

* 799 FULLY Georges, « La médecine pénitentiaire », Avenirs, 170-171, 1966, pp.250-255.

* 800 En 1897, Chipier évoque dans sa thèse de médecine une « pathologie spéciale » : « Nous avons cru remarquer qu'il existait une nosologie spéciale aux habitants des prisons. Certaines maladies observées par nous étaient très fréquentes et se présentaient avec les mêmes caractères, les mêmes symptômes, se terminant de la même façon, nous avons pensé qu'il existait un cadre d'affections particulières à ces individus qui vivent d'une façon identique et sont soumis à un régime identique. Nous disons que la question des maladies de prison est nouvelle » (Cité dans PAPELARD Alain, Histoire de la médecine pénitentiaire en France, op.cit., p.131).

* 801 DAP, Journées nationales de médecine pénitentiaire, op.cit., pp.19-20.

* 802 DAP, Premier congrès mondial de médecine pénitentiaire, op.cit., p.271-276.

* 803 Ibidem, p.281.

* 804 « Médecins des prisons : 1ère partie », 1ère chaîne, 17/03/1976, 55 minutes, Archives INA.

* 805 SCHMITT Jean-Noël, La médecine carcérale, op.cit., p.3.

* 806 FORGET Daniel, « La pathologie carcérale », Médecine de l'homme, n°95, 05/1977, pp.12-16.

* 807 GERON Yvan, Rôle médico-social du médecin pénitentiaire, thèse de médecine, Paris VI, 1980, p.1.

* 808 Le fait que les médecins urgentistes ayant investi le champ carcéral au cours des années quatre-vingt-dix refusent toute spécificité à la médecine pénitentiaire peut également s'expliquer, entre autres, par le fait qu'ils sont confrontés à des phénomènes similaires dans leur exercice quotidien d'urgentiste.

* 809 BUFFARD Simone, BROUSSOLE M., COLIN Marcel, COTTREAUX Jean, DUCOTTET François, GONIN Daniel, « L'équipe médico-psychologique en milieu pénitentiaire », Cahiers médicaux lyonnais, vol.48, n°21, 26/05/1972, pp.2393-2402.

* 810 FROGER Christiane, L'automutilant en milieu carcéral. Approche psycho-dynamique, thèse de médecine, faculté de Lyon, 1983, p.15.

* 811 HIVERT Paul, « La simulation en prison », RPDP, 07-09/1967, pp.621-624.

* 812 BERTHET Jean-Paul, Contribution à l'étude de la psychiatrie en prison, op.cit., p.38.

* 813 PETIT Jacques, « La chirurgie en milieu pénitentiaire » dans DAP, Le service médical en milieu pénitentiaire, op.cit., p.70.

* 814 ALBERT WEIL Jean, J'ai été 16 ans médecin à Fresnes, op.cit., p.11.

* 815 ALBERT-WEIL Jean, Simulations médicales, Paris, Doin et Compagnie, 1962.

* 816 HOCHMANN Jacques, COLIN Marcel, « Considération sur la signification du régime diététique en milieu pénitentiaire » in COLIN Marcel, Etudes de criminologie clinique, Paris, Masson, 1963, p.241.

* 817 GOLPAYEGANI Behrouz, L'humanisation de la peine privative de liberté, op.cit., pp.218.

* 818 Cf. SCHMITT Jean-Noël, La médecine carcérale, op.cit., p.75.

* 819 « Le Dr Solange Troisier : "Plus de médecine vétérinaire pour les détenus" », Tonus, n°208, 17/10/1977.

* 820 Rappelons qu'en cas de « consultation abusive » le médecin était en droit de demander la sanction du détenu.

* 821 GRUN Victor, La simulation médicale en milieu pénitentiaire, thèse de médecine, Faculté de Paris, 1958, p.55.

* 822 DAYANT Charles (avec Arnaud Still), J'étais médecin à La Santé, op.cit., p.22.

* 823 DAP, Le service médical en milieu pénitentiaire, op.cit., p.31.

* 824 HOCHMANN Jacques, La relation clinique en milieu pénitentiaire, Paris, Masson, 1964.

* 825 SCHMITT Jean-Noël, La médecine carcérale, op.cit., pp.70-75.

* 826 Idem, p.76.

* 827 LAZARUS Antoine, « Le médecin pénitentiaire entre deux demandes », art.cit., p.74.

* 828 SALVETTI Antoine, « Le rôle de l'interne en milieu pénitentiaire », cours polycopié remis par Mme Salvetti.

* 829 COLIN Marcel, GILLON Jean-Jacques, MEGARD Marc, « La médecine en geôle...», art.cit., p.4697.

* 830 « Le décloisonnement de l'administration pénitentiaire et des autres administrations publiques », art.cit., p.24.

* 831 « Médecins des prisons : 1ère partie », 1ère chaîne, 17/03/1976, 55 minutes, Archives INA.

* 832 La médecine du sport s'est ainsi progressivement autonomisée depuis les années soixante-dix à mesure qu'elle est apparue comme un moyen de répondre au problème du dopage (BRISSONNEAU Christophe, LE NOE Olivier, « Construction d'un problème public autour du dopage et reconnaissance d'une spécialité médicale », Sociologie du travail, n°48, 2006, pp.487-508).

* 833 Le discours de professionnalisation de la médecine urgentiste repose également depuis le début des années quatre-vingt dix en partie sur le rôle social que ces médecins exercent auprès des populations les plus précaires.

* 834 TROISIER Solange, J'étais médecin des prisons, op.cit., p.34 et p.32.

* 835 Ibidem, p.42.

* 836 « Solange Troisier », France Inter, 14/01/1974, 57 min, Archives INA.

* 837 DAP, Deuxièmes journées européennes de médecine pénitentiaire, op.cit., p.21.

* 838 Cf. TRETON DE VAUJAS DE LANGAN Arnault, Alcoolisme, délinquance et malinsertion sociale chez deux cents détenus de la prison de Fresnes, thèse de médecine, sous la direction de S. Troisier, Lariboisière Saint-Louis, 1981.

* 839 « Solange Troisier », France Inter, 14/01/1974, 57 min, Archives INA.

* 840 Cité dans SCHMITT Jean-Noël, La médecine carcérale, op.cit., p.278.

* 841 DAP, Premier congrès mondial de médecine pénitentiaire, op.cit., p.20.

* 842 Ibidem, pp.182-183.

* 843 « Dijon, capitale de la médecine pénitentiaire », JT 20H, Antenne 2, 24/11/1978, Archives INA.

* 844 DAP, « Rapport général pour l'année 1965 », dans RPDP, 1966, 10-11, pp.693 et suiv.

* 845 FULLY Georges, « La médecine pénitentiaire », Gazette médicale de France, n°10, 5/04/1969, p.1992.

* 846 Intervention de Georges Fully in Examen de personnalité en criminologie. Tome II. Aspects juridiques et administratifs, 1er congrès français de criminologie, Lyon, 21-24 octobre 1960, Paris, Masson, 1961, p.214. 231p.

* 847 FULLY Georges, « Médecine pénitentiaire et criminologie », art.cit., p.15.

* 848 FULLY Georges, « La médecine pénitentiaire », art.cit.,, p.1985.

* 849 « Création d'une chaire de médecine pénitentiaire », Le Monde, 05/02/1977.

* 850 TROISIER Solange, « Sur la médecine des prisons », Le Figaro, 4/10/1996.

* 851 TROISIER Solange, J'étais médecin des prisons, op.cit., pp.48-49.

* 852 Jean Favard, magistrat à la DAP de 1970 à 1975 puis Conseiller technique du ministre de la Justice de 1981 à 1986. Entretien réalisé le 10/01/2008, durée: 3H00.

* 853 Solange Troisier déclara avoir longtemps regretté n'avoir pu devenir Professeur de médecine en gynécologie-obstétrique, sa spécialité médicale d'origine (TROISIER Solange, Une sacrée bonne femme, op.cit., p.31).

* 854 À l'exception d'un tome trouvée à l'Académie de médecine, tous les cours dispensés dans le cadre de cette chaire de médecine pénitentiaire sont malheureusement aujourd'hui introuvables.

* 855 « Au-delà des barreaux », 1ère chaîne, 22/10/1965, 15 min, Archives INA.

* 856 Des liens très étroits unissaient Georges Fully à Léon Dérobert grâce à qui il avait fait ses études de médecine (Cf. Annexe 5 : « La création du poste de Médecin-inspecteur des prisons... »).

* 857 « Rapport d'activité », RPDP, 10-12/1966, p.694.

* 858 Cf. les propos du garde des Sceaux lors du congrès de médecine carcérale de 1970 (AP, Journées nationales de médecine pénitentiaire, op.cit., p.20).

* 859 Bien qu'officiellement non obligatoire, le certificat de médecine pénitentiaire facilitait considérablement à son détenteur l'obtention d'un poste de praticien. Les titulaires de ce certificat pouvaient, en outre, bénéficier d'une augmentation de 10% dans le tarif de leurs vacations.

* 860 DAP, « Rapport général pour l'année 1965 », art.cit., p.695.

* 861 Anne, infirmière Croix-Rouge à la M.A de Pontoise de 1980 à 1990. Entretien réalisé le 5/01/2006, 2H.

* 862 Claude, généraliste à la M.A de Pontoise de 1979 à 1991. Entretien réalisé le 12/01/2006, 1H10.

* 863 « Rapport général pour l'année 1973 », RPDP, 01/03/1976, p.101.

* 864 PAPELARD Alain, Histoire de la médecine pénitentiaire en France, op.cit., p.131.

* 865 Ibidem, p.126.

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