Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).( Télécharger le fichier original )par Eric FARGES Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013 |
CHAPITRE 1. LES «ANNEES 68» : CONTESTATION ET POLITISATION DU SYSTEME PENITENTIAIRE ET DE SA MEDECINE (1970-1973)« Je consacrais une grande part de mon temps à des tournées d'inspection dans les établissements pénitentiaires [...] A visiter ainsi les prisons, j'avais parfois le sentiment de plonger dans le Moyen-âge. Les conditions matérielles de la détention étaient indescriptibles et scandaleuses. Je me rappelle par exemple qu'à la maison de correction de Versailles, les détenus étaient rassemblés dans une pièce baptisée chauffoir, ainsi nommée car elle était la seule à disposer d'un système de chauffage. Ils y passaient tout le jour avant d'être remis en cellule pour la nuit. Le milieu de ce chauffoir servait de W-C. Une voiturette tirée par un cheval passait de temps en temps pour évacuer les déchets et excréments. C'était effrayant. Pour résoudre de tels problèmes, la bonne volonté ne suffisait pas. Nous butions sur un cruel manque de moyens. Afin de sensibiliser l'opinion, avec l'espoir qu'à son tour elle mobiliserait les élus, le directeur de l'administration pénitentiaire a eu l'idée de demander à un grand chroniqueur judiciaire de l'époque d'effectuer un reportage sur l'état des prisons [...] Son reportage a conclu au caractère honteux des conditions de détention au pays de droits de l'homme. Malheureusement, nous n'avions pas prévu que le mouvement d'opinion ainsi créé aboutirait au résultat inverse de celui que nous souhaitions. Nombreux furent les auditeurs qui protestèrent, trouvant que les détenus bénéficiaient de conditions de vie déjà trop confortables [...] Je compris alors, que dans la longue arche nécessaire pour placer le système carcéral français à un niveau convenable et respectable, les bonnes volontés se heurtaient à un obstacle plus difficile encore à vaincre que les contraintes budgétaires : l'état de l'opinion. J'en ai été effarée »212(*). Le système pénitentiaire français n'a jamais été autant éloigné du reste de la société qu'au début des années soixante-dix. En effet, malgré quelques réformes visant à adoucir la vie en détention213(*), le monde carcéral demeure très largement à l'écart des mutations socio-économiques qui transforment durablement la société française (modification de la consommation, essor du niveau scolaire, redéploiement des politiques sociales, etc.)214(*). En 1969, l'inscription de la DAP pour la première fois au Plan révèle la pauvreté de cette administration : soixante M.A doivent être désaffectées, soixante-et-un établissements disposent uniquement de dortoirs, soixante-six ne sont pas chauffés215(*). Les conditions de détention sont souvent exécrables, comme en attestent les propos de ce magistrat alors en poste à la DAP : « Y avait des cages à poule encore... C'étaient des dortoirs... C'est des machins grillagés. C'était quand même des conditions de détention... C'était la vieille taule. On se rendait compte quand même qu'il y avait des conditions de détention effroyables. C'étaient souvent des taudis »216(*). Les besoins en personnel sont également criants : il manque en 1969 trois cent vingt-cinq éducateurs, cent quatorze infirmières, cent assistants sociaux et quatre-vingt sept chefs de travaux. Pourtant à cette époque marquée par une forte contestation sociale, la principale préoccupation demeure la sécurité. En atteste cette anecdote sur la manière dont le ministre de la Justice, Jean Foyer, décide de réaffecter en un centre de formation un bâtiment initialement destiné aux détenus mineurs : « Le bâtiment de l'Ecole [du personnel pénitentiaire] était une excroissance de Fleury qui devait être le bâtiment des Jeunes détenus. Et au moment de la fin des travaux, le garde des Sceaux était venu, il avait visité le complexe carcéral, avec le mur, bien sécurisant et puis il voit ce bâtiment où il n'y avait qu'un grillage, symbolique. Et il dit : "C'est quoi ça ? C'est pour le personnel ?". On lui répond : "Non, c'est pour les jeunes détenus". "Mais vous n'y pensez pas!". C'était à l'époque de l'angoisse de l'évasion. "Vous allez mettre des détenus ici ? Pas question !". Donc le local est resté désaffecté dans un premier temps puis on y a mis l'école dans ce qui devait être le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis »217(*). Spécialistes et chercheurs s'accordent pourtant à reconnaître, qu'en dépit des mauvaises conditions de détention, les prisons sont demeurées en dehors du mouvement de protestation de 1968, la violence des manifestations de rue contrastant avec l'unique tentative de rébellion, survenue le 3 juin à Fresnes, qui ne nécessite même pas l'intervention des forces de l'ordre218(*). Témoignent de ce décalage entre le dedans et le dehors les propos de cette assistante sociale qui téléphone alors à son inspectrice au ministère pour lui raconter la situation difficile dans laquelle elle était : « Elle me dit :"Oh, c'est Mai 68 à Paris, c'est extraordinaire, les étudiants sont dans les rues, tout va changer, on va vers une innovation extraordinaire". Je disais : "Oui, mais moi je suis en danger". Elle vivait son Mai 68 à Paris, et moi mon Mai 68 à Clairvaux »219(*). Au-delà de cette absence de révolte, on peut s'étonner que les groupes gauchistes soient alors demeurés muets sur l'institution carcérale et ses pratiques : « De ce mouvement, de ces mouvements, de critique institutionnelle tous azimuts, d'invitation à la subversion et à la remise en cause sociale généralisée [...] les prisons sont pour l'essentiel exclues »220(*). Cette mise à l'écart de la prison de Mai 68 s'explique par une première raison d'ordre « socio-cognitif » exposée par Grégory Salle. De par leurs trajectoires biographiques, les acteurs de Mai seraient restés dans l'ignorance de la réalité carcérale221(*). Une seconde raison plus idéologique, avancée par Philippe Artières, tiendrait à l'hostilité à laquelle était en butte la population détenue parmi les marxistes222(*). Enfin, troisième hypothèse, la méfiance des contestataires à l'égard des prisonniers s'expliquerait par le rôle que ces derniers ont parfois joué dans les événements de Mai durant lesquels d'anciens détenus faisaient fonction d'indicateurs ou de briseurs de grève au service de la police223(*). Si les prisons semblent peu affectées par les événements de Mai, c'est également, comme on en fait l'hypothèse, parce qu'elles demeurent alors largement en dehors des préoccupations sociales. Bien qu'elles soient sans commune mesure avec les révoltes de 1971-1972 et encore moins avec celles survenues en 1974, plusieurs protestations ont éclaté en effet en 1968 dans les établissements pénitentiaires comme le révèle un document interne à l'Administration pénitentiaire recensant tous les « mouvements » de détenus entre 1968 et 1973224(*). Ces révoltes sont trop souvent occultées de l'histoire des prisons. Le 4 mars 1968, cent soixante douze prisonniers du CP de Saint Martin de Ré se mobilisent en faveur du « retrait des ceintures la nuit pour éviter les suicides ». Le 1er avril, mille cent détenus effectuent une grève de la faim à la M.A de La Santé afin d'obtenir une « amélioration de la nourriture et des conditions de détention ». D'autres révoltes surviennent à Saint Martin de Ré, à Brest et à Nîmes. Aucune de ces protestations n'a été, à notre connaissance, rapporté par la presse225(*). Le 3 juin, la « tentative collective de casser les portes » de deux milles détenus à Fresnes n'est alors nulle part mentionnée. Les violences commises à l'encontre de prisonniers ne furent pas non plus l'objet de polémiques, faute d'être médiatisées, comme ce fut le cas par la suite226(*). Outre le degré de fermeture de l'institution carcérale, le peu d'écho accordé aux événements qui ont lieu à l'ombre des prisons est probablement lié à la faible politisation de la question carcérale. Mai 68 joue à cet égard un rôle fondamental. Bien que les prisons ne furent pas au coeur de la contestation sociale, à l'encontre des universités, des hôpitaux ou des usines, Mai 68 n'en a pas moins exercé une influence considérable sur la vie pénitentiaire des années soixante-dix227(*). Les « années 68 » auraient ainsi, remarque Grégory Salle, « créé les conditions d'un changement dans les rapports de force, d'une mobilisation autour et à l'intérieur des prisons, et plus largement d'une politisation de la question carcérale, au sens où celle-ci sort du champ social pour prendre sa place dans le champ politique »228(*). C'est cette dynamique de politisation de la question carcérale qui eut lieu au début des années soixante-dix, ainsi que ses effets sur la considération de la santé en détention, qu'on propose de restituer ici. Pour cela, on rappellera d'abord comment la prison, de grande absente du débat démocratique, est apparue progressivement comme un enjeu de la vie politique française (Section 1). Cette politisation de l'institution pénitentiaire contribua à mettre au premier plan la question sanitaire en milieu carcéral. Les carences du dispositif de santé furent alors dénoncées par les opposants au « régime pénitentiaire » comme autant d'exemples d'un pouvoir répressif (Section 2). C'est, d'une part, en réaction aux accusations portées à leur encontre, et, d'autre part, du fait de cette forte médiatisation que certains praticiens ont pour la première fois pris la parole dans l'espace public plaidant notamment pour une plus grande reconnaissance déontologique et statutaire de la médecine en milieu carcéral (Section 3). Section 1- La prison comme nouvel objet de luttes politiques : le « scandale des prisons »Michel Foucault : « Il fallait montrer à l'Administration pénitentiaire et aux journalistes que l'on savait ce qui s'était passé la veille au soir dans une prison. C'était un instrument de mise en question de la prison et d'agitation dans la prison mais aussi un moyen d'inquiéter l'administration pénitentiaire et les journalistes : la prison ce n'est pas un lieu immobile où rien ne se passe [...] Il fallait faire entrer la prison dans l'actualité, non sous forme de problème moral, ou de problème de gestion général, mais comme un lieu où il se passe de l'histoire, du quotidien, de la vie, des événements du même ordre qu'une grève dans un atelier, un mouvement de revendication dans un quartier, une protestation dans une cité HLM... »229(*). Expression de la force publique, l'institution pénitentiaire apparaît spontanément comme étant de nature politique. On peut cependant distinguer deux représentations sociales distinctes de la prison. La première revient à percevoir l'institution carcérale comme le réceptacle d'une criminalité considérée de manière positiviste comme « naturelle ». La prison peut, d'autre part, être perçue comme un indice de la manière dont la déviance est sanctionnée dans une société donnée. Cette seconde conception souligne le rôle joué par les dispositifs de gouvernement (police, tribunaux, prisons) dans la gestion des déviances ou « illégalismes »230(*) que tend à l'inverse à minorer la première définition. La politisation, définie comme une forme de travail politique destiné à dépasser « les limites assignées par la sectorisation à certains types d'activités »231(*), de la question carcérale contribue non seulement à faire de la population détenue le produit d'une entreprise de construction des catégories pénales mais également à transformer la représentation du rôle de la détention. Reléguées au second plan au cours des années soixante sous le poids d'une majeure prise en compte des préoccupations sécuritaires, les conditions de vie des détenus apparaissent progressivement comme un élément clef des phénomènes de réinsertion et de récidive. « Au moment du GIP, on s'est rendu compte qu'il fallait considérer la prison, ainsi que la police, comme une pièce essentielle de la pénalité », observait Michel Foucault au sujet de cette expérience militante232(*). Ce phénomène de politisation recourt principalement au registre de la « scandalisation », pouvant être définie comme une entreprise de qualification de « faits » (les conditions de détention) incriminés au nom de normes supérieures (les « droits de l'homme »)233(*). Cette « scandalisation » fut en premier lieu le fait de détenus gauchistes incarcérés relayés par des associations comme le Groupe d'information sur les prisons (1). La presse française, davantage défiante à l'égard du pouvoir en place, a dans un second temps contribué à dénoncer le « scandale des prisons », dont les révoltes de détenus furent interprétées comme autant de preuves (2). 1. De la revendication du régime politique à la dénonciation du régime des prisons : la politisation de l'institution carcérale« Pendant des jours, les prisonniers politiques avaient fait la grève de la faim ; pendant des jours, la presse et l'Etat avaient gardé le silence. Puis tout avait été cédé : le scandale éclatait »234(*). L'une des conséquences de Mai 68 fut la transformation de la population pénale, largement issue des mouvements de révolte étudiants et ouvriers : « Le niveau intellectuel est supérieur à ce qu'il était précédemment. On relève un sensible rajeunissement, qui s'accompagne d'une intolérance plus marquée à la prison : les actes de violence se multiplient. L'idée s'instaure progressivement, dans les Maisons centrales, que les améliorations de régime s'obtiennent par la force »235(*). Un matin d'octobre 1969, une grève de la faim est déclenchée par les détenus de Clairvaux qui réclament l'assouplissement des conditions de détention236(*). Le 1er septembre 1970, vingt neuf militants de la Gauche Prolétarienne, principal groupuscule du maoïsme français, parmi lesquels Alain Geismar, figure de proue de Mai 68, incarcérés au motif d'appartenance à une ligue dissoute ou en vertu de la loi dite « anticasseurs », déclenchent une grève de la faim. Leur objectif est d'obtenir l'octroi du « régime politique » leur permettant de rester en lien avec leur organisation. « Un régime contre le Régime », plaisante Francis Blanche au micro d'Europe 1. Le garde des Sceaux, René Pleven, tente de discréditer leur revendication en les accusant de constituer une élite voulant « attirer l'attention de l'opinion publique » (LM, 3/09/1970). Dès l'origine, pourtant, les grévistes s'efforcent de donner un sens collectif à leur combat par la condamnation générale des conditions de détention. En attestent les Déclarations des emprisonnés politiques, texte largement retransmis dans la presse : « Nous réclamons la reconnaissance effective de notre qualité de détenus politiques. Nous ne revendiquons pas pour autant des privilèges par rapport aux détenus de "droit commun", à nos yeux, ils sont les victimes d'un système social qui, après les avoir produits, se refuse à les rééduquer et se contente de les avilir et de les rejeter. Bien plus, nous voulons que notre combat, dénonçant le scandaleux régime actuel des prisons, serve à tous les prisonniers »237(*). Les grévistes condamnent à plusieurs reprises le « scandale des prisons », expression qui se diffuse au sein de la presse, constitué d'une accumulation de problèmes et « en particulier celui de la saleté, du manque de nourriture, de l'absence de soins en cas de maladie, de l'entassement et de la surveillance » (La Croix, 5/09/1970). En octobre, les militants incarcérés font parvenir au Comité chargé de leur défense des rapports fournissant de nombreuses informations relatives aux conditions de détention238(*). Cette grève de la faim n'arrive toutefois pas à attirer durablement l'attention, notamment des milieux gauchistes extérieurs à la prison239(*), et elle s'achève au terme de vingt-cinq jours par la décision de René Pleven d'assouplir le régime de détention des détenus inculpés devant la Cour de sûreté de l'Etat, sans pour autant accorder le statut politique à ceux qui avaient été condamnés par des tribunaux correctionnels, pourtant majoritaires (LM, 24/09/1970). Une vingtaine de gauchistes proches de la Gauche Prolétarienne ou de Vive la Révolution initient une nouvelle grève de la faim le 14 janvier 1971 en vue d'obtenir « le droit au régime politique » (LM, 22/01/1971). Ce mouvement de protestation, contrairement au premier, mobilise de nombreux gauchistes non-détenus qui témoignent de leur solidarité en multipliant grèves de la faim et manifestations240(*). La protestation s'étend à toutes les prisons parisiennes puis au reste de la France alors que des acteurs associatifs (le Secours populaire français, la Ligue des droits de l'Homme) ou syndicaux (la CFDT) se mobilisent. Cent soixante médecins lancent un avertissement au gouvernement. Mais surtout, et ce contrairement à la première mobilisation, les grévistes bénéficient du soutien des milieux intellectuels et étudiants241(*). Au-delà d'un positionnement politique similaire, ce mouvement de soutien s'explique, comme le suggère la tribune d'un philosophe dans Le Monde, par la nature des revendications défendues par les grévistes : « Ce qui leur importe, c'est d'abord que le gouvernement reconnaisse qu'il y a des prisonniers politiques, qu'ils sont des hommes dont l'action a un sens politique. Mais c'est aussi que soit changé le régime des prisons : pas pour eux, mais pour tous les prisonniers, à commencer par les "droits communs". Ils dénoncent un scandale : le régime pénitentiaire français, fondé sur l'humiliation et l'expiation. Ils sont les seuls à le dénoncer »242(*). Cette mise en cause de la situation des prisons n'était certes pas absente de la première grève mais elle acquiert en 1971 davantage de visibilité pour au moins deux raisons. Les militants extérieurs semblent tout d'abord, selon le CERFI, plus prompts que les maoïstes incarcérés à condamner l'écart entre les deux régimes de détention : « Les [grévistes] gauchistes ne veulent absolument pas être assimilés aux droits communs [...] D'ailleurs, la polémique est vive chez les gauchistes. Certains trouvent inadmissibles cette cassure avec les droits communs et proclament : "Nous sommes tous des droits communs" »243(*). La difficulté à concilier une démarche spécifiquement politique et pouvant bénéficier à l'ensemble des détenus trouve un « dénouement », toujours d'après le CERFI, à travers l'action d'une organisation réussissant à articuler des motifs idéologiques d'une part, et concrets d'autre part : le Groupe d'information sur les prisons (GIP), créé en février 1971 à l'instigation de Daniel Defert et de Michel Foucault244(*). Tandis que la plupart des associations de défense des détenus étaient jusqu'alors organisées sur la base des mouvements maoïstes, le GIP s'appuie sur des militantismes d'origines diverses regroupant notamment une mouvance chrétienne, des étudiants et des lycéens ou encore des professionnels de la prison, lui permettant ainsi d'élargir son audience245(*). Mais surtout, contrairement aux organisations révolutionnaires, le GIP s'inscrit dans une ligne d'action réformiste ayant pour objet de dénoncer et de modifier le fonctionnement concret des prisons. « Nous nous proposons de faire savoir ce qu'est la prison : qui y va ; comment et pourquoi on y va ; ce qu'y s'y passe, ce qu'est la vie des prisonniers, et celle, également, du personnel de surveillance ; ce que sont les bâtiments, la nourriture, l'hygiène ; comment fonctionne le règlement intérieur, le contrôle médical, les ateliers », annonce le texte de présentation du GIP246(*). C'est probablement ce changement de perspective qui permet à la mobilisation de s'élargir et de devenir plus durable dans le temps. Ainsi, alors même que les grévistes décident l'arrêt de leur action collective, suite à l'annonce par René Pleven de l'adoucissement de leurs conditions de détention, les non-détenus ayant entamé une grève de la faim de soutien décident de poursuivre leur action (LM, 11/02/1971). La presse se fait l'écho de cette mobilisation dont la principale motivation est la condamnation du « régime indéfendable » des prisons en tant qu'institution qui échoue à resocialiser les individus qu'elle prétend « corriger »247(*). Longtemps reléguées au second plan, les conditions de détention sont désormais présentées comme le symbole de cet échec. * 212 Simone Veil décrit là sa première affectation en tant que magistrat à l'Administration pénitentiaire à la fin des années cinquante (VEIL Simone, Une vie, Paris, Stock, 2007, 398p). * 213 La circulaire du 14 avril 1969 ramène la durée de punition de cellule de 90 à 45 jours, abolit le retrait « des fournitures de couchage » pour la nuit, la coupe de cheveux à ras et l'occlusion toute la journée de la fenêtre par un volet. La note de service du 28 février 1970 supprime les galons de bonne conduite qui permettaient d'obtenir avantages et récompenses. Enfin, la note du 14 avril 1971 accorde aux femmes le droit d'acheter certains produits de beauté (FAVARD Jean, Des prisons, Paris, Gallimard, coll. « Au vif du sujet », 1987, pp.118-119). * 214 FAUGERON Claude, « Les prisons de la Ve République : à la recherche d'une politique », dans PETIT J.G et alii, Histoire des galères, bagnes et prisons (XIIIème - XXème siècles), Toulouse, Ed. Privat, 1991, p.319. * 215 « Trente ans de politique pénitentiaire », Justice. Journal du Syndicat de la magistrature, n°33, 1974, p.3-8. * 216 Jean Favard, magistrat à la DAP de 1970 à 1975 puis Conseiller technique du ministre de la Justice de 1981 à 1986. Entretien réalisé le 10/01/2008, durée: 3H00. * 217 Yvan Zakine, magistrat affecté à la DAP de 1962 à 1970 puis directeur de la DAP de 1981 à 1983. Entretien réalisé le 20/03/2008. Durée : 3H00. * 218 FAVARD Jean, Le labyrinthe pénitentiaire, Paris, Ed. Le Centurion, Coll. « Justice humaine », 1981, p.176. * 219 Propos cités dans BELLANGER Hélène, Vivre en prison. Histoires de 1945 à nos jours, Paris, Hachette littérature, 2007, p.233-234. * 220 SALLE Grégory, « Mai 68 a-t-il changé la prison ?», Critique internationale, n°16, juillet 2002, p.184. * 221 SALLE Grégory, « Mettre la prison à l'épreuve. Le GIP en guerre contre l'« intolérable » », Cultures et conflits, n°55, 2004, p.77. * 222 Le marxisme assimilant les détenus au lumpenprolétariat, incapable de se forger une conscience de classe, « jusqu'à la fin des années 1960, le prisonnier fut tenu éloigné des luttes de l'extrême gauche » (ARTIERES Philippe, « La prison en procès, les mutins de Nancy (1972) », Vingtième Siècle, 70, avril-juin 2001, p.61). * 223 DELBAERE Loïc, Le système pénitentiaire à travers les luttes des détenus de 1970 à 1987, maîtrise d'histoire, Université de Haute Bretagne Rennes II, année universitaire 2001-2002, p.17. * 224 Dossier de douze pages comportant toutes les révoltes de détenus entre 1968 et 1973 (Fonds Etienne Bloch. ARC 3017-14 IV-35 : Les violences). * 225 On rappelle qu'on a consulté les dossiers de presse « prisons » à la FNSP, à l'IEP de Lyon et à la bibliothèque municipale de Lyon, ainsi que toutes les tables par index du Monde à la BDIC de Nanterre. * 226 Le passage à tabac de six détenus qui tentaient de s'évader en mai 1970, en présence du directeur de l'établissement et sous le regard de leurs codétenus, ne fut ainsi rapporté par la presse que plus tard (DOUAILLER Stéphane, VERMEREN Patrice, « Mutineries à Clairvaux », Les révoltes logiques, n°6, Cahiers du centre de recherches sur les idéologies de la révolte, automne/hiver 1977). * 227 Un des effets de Mai 68 sur la prison semble également avoir été, comme nous l'a confié une interviewée, une « libération de la parole » parmi les surveillants, à l'image de ce qui eut lieu dans beaucoup d'endroits en France. * 228 SALLE Grégory, « Mai 68 a-t-il changé la prison ?», art.cit., p.190. * 229 COLCOMBET François, LAZARUS Antoine, APPERT Louis (alias de Michel Foucault), « Luttes autour des prisons », Esprit, n°11, novembre 1979, p.105. * 230 « Ensemble des activités de différenciation, de catégorisation, de hiérarchisation et de gestion sociale des conduites définies comme indisciplinées », l'illégalisme est un concept élaboré par Michel Foucault, qu'il distingue de la délinquance, à partir duquel se mesure selon lui non pas l'échec mais la réussite de la prison, qui se révèle être un appareil de reconfiguration des illégalismes (LASCOUMES Pierre, « L'illégalisme, outil d'analyse », dans LENOIR Rémy (dir.), « Michel Foucault, "Surveiller et punir" : la prison vingt ans après », Sociétés & représentations, n°3, CREDHESS, novembre 1996, pp.78-84). * 231 LAGROYE Jaques, « Les processus de politisation », dans LAGROYE J. (dir.), La politisation, Paris, p.356. * 232 COLCOMBET François, LAZARUS Antoine, APPERT Louis (alias de Michel Foucault), « Luttes autour des prisons », art.cit., p.110. * 233 GARRIGOU Alain, « Le scandale politique comme mobilisation » dans CHAZEL François (dir.), Action collective et mouvements sociaux, Paris, PUF, 1993, pp. 183-191. * 234 « Une opération politique. Enjeu d'un combat », La Cause du Peuple, 24/05/1972. * 235 LETENEUR Henri, « La politique pénitentiaire française », Etudes, n°360, 02/1984, p.192. * 236 BELLANGER Hélène, Vivre en prison. Histoires de 1945 à nos jours, op.cit, p.199. * 237 « Le Secours rouge : notre combat sert à tous les prisonniers », Le Monde, 2/09/1970. * 238 C'est de ces documents, qui « révélaient le caractère à la fois misérable et insupportable de la condition carcérale », que naquit l'idée qu'« il était urgent de publier ces rapports, d'informer l'opinion démocratique » et dont serait né le projet du GIP (RANCIERE Danielle, « Brève histoire du Groupe d'information sur les prisons (G.I.P) 1971-1972 », Mana, Caen, 1998, pp.221-226). * 239 À titre d'exemple, un ouvrage du Centre d'études, de recherche et de formation institutionnelle (CERFI) animé par Félix Guattari, proche des milieux gauchistes, ne fait dans son historique de la « crise des prisons » aucune référence à cette première grève (ARMAZET André, Les prisons, Paris, Editions Fillipacchi, 1973, p.105). * 240 « Cinq personnes entreprennent une grève de la faim de solidarité à Paris », Le Monde, 24-25/01/1971 ; « Manifestation devant la prison de La Santé par solidarité envers les détenus gauchistes », Le Monde, 26/01/1971 ; « Onze militants du Secours rouge à la chapelle de la gare Montparnasse font grève de la faim pour soutenir les gauchistes demandant le régime spécial », Le Monde, 30/01/1971 ; « Manifestation du Secours Rouge en faveur des militants gauchistes détenus à Paris », Le Monde, 3/02/1971 ; « Cinquante membres du Secours Rouge s'enferment à Marseille dans l'église réformée pour soutenir la grève de la faim des prisonniers politiques », Le Monde, 5/02/1971 ; « Manifestation à la Gare Saint Lazare de sept femmes dont Mme Geismar qui s'enchaînent par solidarité », Le Monde, 5/02/1971 ; « Kermesse de "soutien" à la halle aux vins par le Secours Rouge », Le Monde, 9/02/1971. * 241 « Plusieurs personnalités demandent l'octroi du régime spécial aux prisonniers politiques », Le Monde, 27/01/1971 ; « René Pleven reçoit une délégation de quatre universitaires », Le Monde, 6/02/1971 ; « Poursuite de la grève de la faim à la Sorbonne », Le Monde, 6/02/1971. * 242 DUFRENNE Mikel, « Un cri », Le Monde, 9/02/1971. * 243 ARMAZET André, Les prisons, op.cit., pp.107-108. * 244 Pour plus de détails sur la création du GIP, on peut se reporter à SALLE Grégory, Le Groupe d'information sur les prisons, DEA Sociologie politique, sous la direction de Pierre Favre, 1999-2000, pp.15-16. On consultera également les archives publiées dans : ARTIERES Philippe, QUERO Laurent, ZANCARINI-FOURNEL Michelle, Le Groupe d'information sur les prisons : archives d'une lutte, 1970-1972, Paris, Ed. de l'Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine, 2003, p.28 et suiv. * 245 FAUGERON Claude, « Les prisons de la Vème République : à la recherche d'une politique », art.cit. p.329. * 246 FOUCAULT Michel, « Nul de nous n'est sûr d'échapper à la prison... », texte ronéotypé, 8/02/1971 (Cité dans ARTIERES Philippe et alii, op.cit., p.43). * 247 « Dans la presse hebdomadaire. Un régime indéfendable : celui des prisons », Le Monde, 21-22/02/1971. |
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