A. Le recours contre la caution bancaire d'un
débiteur97 en difficultés
La situation pratique est la suivante :
La banque A (caution) se porte caution pour son client B
(débiteur principal) auprès de C
(créancier-bénéficiaire). Lorsque la dette devient
exigible, C s'adresse à B pour le paiement de sa créance.
C'est en ce moment que C découvre que B connaît
des difficultés financières et que pour y remédier il est
sous procédures collectives Deux questions principales ressortent alors
de cette situation :
? C pourrait-il engager des poursuites contre la banque A
(caution de B) au motif que B est sous procédures collectives98
?
? La banque B peut-elle invoquer les procédures
collectives pour se libérer des poursuites de C ?
L'acte uniforme sur les sûretés ne répond pas
à cette question.
Il a laissé le soin à l'Acte Uniforme sur les
procédures collectives d'apurement du passif de le faire. La
réponse du législateur OHADA est ainsi transcrite aux articles 18
et 91 à 94 de l'AUPCAP.
Il ressort de l'analyse de ces dispositions que la caution ne
peut invoquer la mise sous procédures collectives du débiteur
pour éviter les poursuites du créancier.
Pour le règlement préventif par exemple le
législateur OHADA a pu affirmer dans l'article 18 que :
« les cautions et coobligés du débiteur ne
peuvent se prévaloir des délais et remises du concordat
préventif (...) ».
Quand on sait qu'à l'ouverture de la procédure
de règlement préventif le débiteur en difficultés
accompagne sa requête en règlement préventif d'une offre
concordataire, laquelle contient toutes les propositions qu'il fait aux
créanciers dont il demande la suspension des poursuites pour le
redressement de son entreprise.
97 Le débiteur dont on parle ici est
une personne (morale ou physique) pouvant bénéficier des
procédures au sens de l'article 2 de l'Acte Uniforme du 10 avril 1998
portant organisation des Procédures Collectives d'Apurement du Passif
paru au J.O OHADA n°7, du 01.07.98, p1 et s.
98 Sur les procédures collectives
d'apurement du passif voir
SAWADOGO(F), OHADA : Traité et Actes Uniformes
commentés et annotés : commentaire de l'acte uniforme sur les
procédures collectives, 3e éd., Juriscope 2011, p. 873-888,
207 p.
71
Les créanciers consentent ensuite des remises de dettes
et/ou des délais supplémentaires de paiement pour « aider
» le débiteur. Ce sont ces remises et délais concordataires
qui ne peuvent être invoqués par la caution bancaire à son
propre bénéfice. Autrement dit, en cas de règlement
préventif le créancier, dont les poursuites ont été
suspendues à l'égard du débiteur, a bien le droit de
poursuivre la banque caution pour paiement. Cette banque devra subir les
poursuites.
Le droit français a, quant à lui, pris le sens
inverse. En France la caution ne peut être poursuivie lorsque le
débiteur est sous procédures collectives.
Les articles 91 à 94 sont aussi dans ce même
ordre d'idée mais cette fois ci dans le cas du redressement et de la
liquidation judiciaire.
L'article 93 est certainement le plus explicite
:
« Nonobstant le concordat, les
créanciers conservent leur action pour la totalité de la
créance contre les coobligés de leur débiteur
».
Ce qui signifie que le concordat de redressement n'a aucun
effet sur le droit de poursuite à l'encontre des coobligés du
débiteur. La caution étant coobligée du débiteur,
elle tombe sous le coup de l'article 93.
Les autres articles (91,92 et 94)99
évoquent, quant à eux, le droit du créancier de produire
sa créance garantie par une sûreté (totale ou la partie qui
n'a pas encore payée) dans la masse pour paiement.
Pour répondre donc aux questions posées plus
haut, il convient d'indiquer qu'à l'ouverture de la procédure
collective le créancier dispose toujours de son droit de
99 Nous citerons successivement les articles
91,92 et 94 de l'AUPCAP.
« Le créancier porteur d'engagements souscrits,
endossés ou garantis solidairement par deux ou plusieurs
coobligés qui ont cessé leurs paiements, peut produire dans
toutes les masses, pour le montant intégral de sa créance et
participer aux distributions jusqu'à parfait paiement s'il n'avait
reçu aucun paiement partiel avant la cessation des paiements de ses
coobligés ».
« Si le créancier porteur d'engagements
solidairement souscrits par le débiteur en état de redressement
judiciaire ou la liquidation des biens et d'autres coobligés, a
reçu un acompte sur sa créance avant la cessation des paiements,
il n'est compris dans la masse que sous déduction de cet acompte et
conserve, sur ce qui lui reste dû, ses droits contre le coobligé
ou la caution ».
Le coobligé ou la caution qui a fait le paiement
partiel est compris dans la même masse pour tout ce qu'il a payé
et qui était à la charge du débiteur ».
« si le créancier a reçu paiement d'un
dividende dans la masse de l'un ou plusieurs coobligés en état de
redressement judiciaire ou de liquidation des biens, ces derniers n'ont aucun
recours entre eux, sauf si la réunion des dividendes donnés par
ces procédures excède le montant total de la créance en
principal et accessoires ;en ce cas, cet excédent est dévolu,
suivant l'ordre des engagements, à ceux des coobligés qui
auraient les autres pour garants et à défaut d'ordre, au marc le
franc entre eux ».
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poursuite contre la caution ; bien plus celle-ci ne peut pas
s'y opposer. Une caution ne peut donc refuser de payer en invoquant la
suspension des poursuites ou encore les remises et échéances
concordataires. Elle ne peut bénéficier des effets de cette
procédure.
L'Acte Uniforme fait ainsi application d'une position
doctrinale qui est la suivante : selon la doctrine en faveur de la poursuite de
la caution malgré les procédures collectives, même si le
cautionnement reste un engagement accessoire, la caution s'est engagée
à pallier la défaillance du débiteur principal. La mise
sous procédures collectives de ce dernier est justement l'expression
même de cette défaillance. Le droit des procédures
collectives étant le droit des entreprises « malades », il est
clair qu'en ce moment-là le débiteur est défaillant et ne
peut payer sa dette. Etant donné que le cautionnement garantit cette
carence le créancier peut valablement se retourner contre la caution.
Cette position est par ailleurs, vigoureusement battue en
brèche par la doctrine en faveur de la mise en oeuvre du
caractère accessoire du cautionnement dans toute sa vigueur. L'un des
tenants de cette doctrine est le docteur AGBENETO100. Pour cette
partie doctrinale, la solution sus évoquée est une injustice
faite à la caution qui subit déjà assez les affres du
droit des sûretés.
Explication : D'abord, le cautionnement, comme on ne cesse de
le répéter, est un contrat accessoire. Ce caractère, comme
on le sait, est de l'essence de cet engagement. Pour ce faire son sort est
étroitement imbriqué à celui de l'obligation principale.
Dans les procédures collectives l'obligation principale subit les effets
découlant de l'ouverture de la procédure. Ces effets vont de la
suspension des poursuites individuelles aux remises et échéances
concordataires (que ce soit dans le concordat préventif ou dans le
concordat de redressement).
Le cautionnement devrait alors bénéficier de ces
mêmes effets qui sont en réalité des facilités
accordées au débiteur pour redresser son entreprise en
difficultés économiques. Si les poursuites sont suspendues
à l'encontre du débiteur en difficultés,
100 AGBENETO, Thèse pour l'obtention
du grade de docteur : le Cautionnement à l'Épreuve des
Procédures Collectives. Université de
Lomé(Togo)-université de Maine(France) ,28 novembre 2008.
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elles devraient l'être également à
l'encontre de la caution, tout au moins pour la durée du cautionnement.
Que nenni. C'est plutôt la solution contraire qui est
appliquée.
Ensuite, un autre aspect du caractère accessoire est
affirmé au travers de l'article 17 in fine en ces termes :
« Le débiteur ne peut aggraver l'engagement de la caution par
une convention postérieure au cautionnement
».
Et pourtant, le concordat est défini comme un accord
collectif (à caractère de compromis) passé, dans le cadre
d'une procédure collective (règlement préventif ou
redressement judiciaire), entre un débiteur et ses créanciers
afin d'organiser les opérations d'apurement de ses dettes.
Le concordat est donc de nature contractuelle. Il est la
rencontre de l'offre émanant du débiteur et de l'acceptation du
créancier qui consent des facilités. Partant, ces
facilités peuvent s'avérer préjudiciables pour la caution.
Tel est par exemple le cas de la prorogation d'une échéance qui
peut s'analyser en une clause d'atermoiement avec les effets qu'on lui
connaît.
Le concordat peut donc avoir des conséquences
dramatiques pour la caution. Etant une convention, elle tombe sous l'empire de
l'article 17 in fine précédemment évoqué. Le plus
injuste, c'est que la caution n'est même pas associée à la
formation de cette convention mais elle en subit les
conséquences101. La remise concordataire, par exemple,
éteint la dette principale. Si cette dette est cautionnée, il n'y
a en principe plus de raison de poursuivre la caution, d'autant plus que le
créancier lui-même a voulu la faire disparaître. Sur quelle
base il devrait avoir le droit de poursuivre la caution alors qu'il a
volontairement éteint sa créance.
A notre avis le législateur, en décidant que la
caution ne pouvait se prévaloir des procédures collectives a
voulu rester en phase avec sa volonté de protéger le
créancier. Mais comme on le remarque, cette position est non seulement
une injustice faite à la caution mais elle affecte le caractère
sacro-saint du cautionnement. Nous nous plaçons alors dans le juste
milieu. La caution devrait avoir le droit d'invoquer la procédure
collective au moins jusqu'à ce qu'on ait réussi à
démontrer que le débiteur est en
101 En parfaite violation de l'article 1165
du code civil : « Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties
contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que
dans le cas prévu par l'article 1121(sur la stipulation pour autrui)
».
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cessation des paiements. Car dans cette situation il est
indiscutable qu'il ne peut faire face à la dette cautionnée. Dans
le règlement préventif, il pèse, selon nous un doute sur
la capacité du débiteur à faire face à ses
obligations. De plus, concernant les échéances concordataires,
dans le cas des clauses d'atermoiements nous avions précisé que
le débiteur avait un droit d'option. Il lui revenait de décider
de payer ou pas le créancier avant échéance. Il devrait
avoir ce même droit en cas de concordat.
La banque a un recours contre le débiteur principal.
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