CHAPITRE II.- Les assouplissements commandés par
les motifs d'intérêts supérieurs.
L'égalité des créanciers en droit OHADA
des entreprises en difficultés, l'a-t-on dit, est le socle de
l'organisation desdites procédures. Sans l'érection de
l'égalité, les procédures collectives perdraient toute
leur valeur. Etant entendu que ces règles sont destinées à
être appliquées aux hommes, l'on note bien souvent des
infléchissements dans leur application. D'ailleurs ARISTOTE n'a-t-il pas
affirmé qu' « il n'y a pas inégalité, mais
égalité véritable à traiter inégalement des
choses inégales »; et Edouard HERRIOT ajoute qu' « il
est plus facile de proclamer l'égalité que de la réaliser
». C'est dire que l'application intangible de l'égalité
est souvent difficile à mettre en oeuvre.
Les entreprises s'inscrivent aujourd'hui dans un environnement
économique où l'on note des interdépendances. La ruine
d'une entreprise pourrait avoir inévitablement des répercussions
sur d'autres entreprises partenaires, c'est tout le système qui pourrait
être en branle. C'est fort de tout cela que le droit de la faillite
contemporain opte pour la préservation de l'activité. Au nom de
tous ces impératifs qu'un auteur a péjorativement qualifié
d'intérêt supérieur124, des assouplissements
sont apportés dans l'application de l'égalité des
créanciers dans les procédures collectives.
Dans cette perspective, d'intérêt
général125, des différences de traitement se
sont fait jour entre les créanciers, en respectant la jurisprudence du
conseil constitutionnel français qui prévoit qu'une
différence de situation objective et rationnelle126 consentie
en rapport avec l'objet ou le but établi par la loi127 peut
justifier une atteinte au principe d'égalité128. A cet
effet, la jurisprudence, la doctrine et le législateur ont
érigé au fil des temps des variabilités dans l'application
de l'égalité.
De nos jours, il est de plus en plus fait appel à la
notion de discrimination positive. La restriction au principe
d'égalité pour des motifs tirés d'intérêts
supérieurs n'est donc pas nouvelle. Le droit communautaire
européen a d'ailleurs admis que le principe d'égalité
pouvait connaître « certaines limites justifiées par les
objectifs d'intérêt général poursuivis
124Ph. DELMOTTE op.cit.
125 En matière constitutionnelle, le conseil
constitutionnel Français estime qu'il peut être
dérogé au principe d'égalité « pour des motifs
d'intérêt général qu'il appartient au
législateur d'apprécier » C.C., décision n°
86207, 25-26 juin 1986, p. 61 relative aux privatisations.
55
126 C.C. n° 83-164 du 29 décembre 1983, perquisitions
fiscales, p. 67.
127 C.C. n° 87-232 du 7 janvier 1998, Mutualisation de la
C.N.C.A., p. 67.
128 C. LEGUEVAQUES, op. cit., p.1226.
L'égalité des créanciers dans les
procédures collectives en droit OHADA, Kouamo Darly Russel
par la Communauté, dès lors qu'il n'est pas
porté atteinte à la substance des droits en cause
»129. Pour une meilleure appréhension, l'on
traitera tour à tour des assouplissements d'ordre légal et
judiciaire (section I), et des assouplissements résultant de la force de
certaines conventions. (Section II)
Section I.- Les assouplissements d'ordre légal
et judiciaire.
Le réalisme juridique commande de ne plus faire de la
règle de l'égalité un dogme. Les dérogations au
principe de l'égalité peuvent-elles ainsi, obéir à
des impératifs supérieurs, être commandées par la
raison, tandis que la stricte application du principe de
l'égalité peut engendrer la pire des iniquités. Ce
à quoi l'on a cherché à se prémunir, en instituant
des assouplissements aussi bien judiciaires (paragraphe 2) que légaux.
(Paragraphe 1)
Paragraphe 1 Les restrictions légales des droits
politiques des créanciers.
Le législateur OHADA, dans le but d'empêcher que
l'égalité des créanciers ne puisse être abusivement
utilisée au point de nuire à la tentative de sauvetage de
l'entreprise, a encadré l'exercice des droits politiques des
créanciers. Ce faisant, les droits concordataires étant
auparavant totalement libres (A), se trouvent embrigadés par l'admission
du concordat imposé. (B) Or nul ne doute que la liberté est le
corolaire de l`égalité, le déclin de l'un emporte ipso
facto le déclin de l'autre.
A- Une liberté concordataire apparente.
« Messieurs, il nous était dû à
tous en bloc un million. Nous avons dépecé notre homme comme une
frégate sombrée. Les clous, les fers, les bois, les cuivres ont
donné trois cent mille francs. Nous avons donc trente pour cent de nos
créances. Heureux d'avoir trouvé cette somme quand notre
débiteur pouvait ne nous laisser que cent mille francs, nous le
déclarons un Aristide, nous lui votons des primes d'encouragement, des
couronnes, et proposons de lui laisser son actif, en lui accordant dix ou douze
ans pour nous payer cinquante pour cent qu'il daigne nous promettre. Voici le
concordat, passez au bureau, signez-le ! » [Histoire de la
grandeur et de la décadence de César Birotteau]. C'est en
ces termes que Balzac décrit l'accord collectif auquel les
créanciers pouvaient espérer parvenir sous l'empire du Code de
commerce de 1807 ; le concordat, fruit d'un compromis130. La
liberté concordataire a été
129Cour de Justice des Communautés
européennes, 14 mai 1974, Nolc c/Commission, aff. 4-73, cité par
Ph. DELMOTTE, op. cit.
56
130 Ph. DELMOTTE, op.cit.
L'égalité des créanciers dans les
procédures collectives en droit OHADA, Kouamo Darly Russel
consacrée en droit OHADA des entreprises en
difficulté, il s'agit d'un accord entre le débiteur et ses
créanciers. Un accord qui contient les perspectives de résorption
des difficultés auxquelles fait face le débiteur. C'est dans une
vision égalitaire que tous les créanciers y sont admis, quelle
que soit la nature ou le montant de leur créance.
A l'origine, l'on y notait l'intervention d'un conciliateur
qui, sans imposer ses points de vue, recherchait juste à rapprocher les
prétentions des protagonistes afin qu'un accord soit trouvé entre
eux. Mais plus tard, l'on constatera une forte implication tant du
législateur que du juge. Tout compte fait, comme le souligne le
professeur SAWADOGO, hors mis le cas du concordat qui s'impose d'office, le
concordat sous réserve du respect de motifs d'ordre public peut
être diversement homologué en termes inégaux. L'auteur
pense que dans cette circonstance, le principe d'égalité
cède devant celui de liberté131.
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