CHAPITRE I. Les assouplissements tenant à
l'existence d'une cause légitime de préférence.
De l'égalité à l'inégalité,
c'est-à-dire, vers une certaine désacralisation du principe de
l'égalité des créanciers, ainsi pense monsieur
NEMEDEU94, sans doute pour faire état de l'application de
ladite égalité. Cette application est de plus en plus
entamée par divers mécanismes, mais aller jusqu'à croire
à son anéantissement serait un peu exagéré. Il est
d'une évidence que, la loi et la jurisprudence sont venues consacrer des
exceptions de plus en plus nombreuses aux droits des créanciers.
L'égalité est présentée comme un outil de
régulation des rapports entre les créanciers ; c'est un
instrument au service du redressement. Son application a tout de même
souvent conduit à créer des situations d'inégalité
lorsque la nature de la créance ou lorsque le sort de l'entreprise
défaillante l'exige.
Loin de parler du déclin de l'égalité des
créanciers, l'on pourrait sans faille parler d'assouplissements qui, le
plus souvent sont commandés par l'existence d'une clause légitime
de préférence; des situations juridiques, susceptibles de
conduire à un infléchissement dans l'application des
règles égalitaires. Elles découlent de
l'énonciation expresse à l'article 2093 du code civil. Ces
mécanismes sont visés par Mme MOREAU-MARGREVE en ces termes :
« certaines règles, voire certains mécanismes ou
institutions tenant au droit des obligations, parfois même d'origine
contractuelle, permettent à des créanciers qui sont dans des
circonstances données propices de se trouver dans une situation telle
qu'ils jouissent en définitive d'une préférence par
rapport à d'autres créanciers, sans qu'ils se targuent, à
cette fin, d'une sûreté »95. Sans pour autant
dénaturer la règle, elles ont tout de même un champ
d'application de plus en plus étendu. Ce raffermissement des droits des
créanciers pour le passé et la restriction de leurs droits
individuels pour l'avenir, sera assoupli d'une part en raison de la nature de
certaines créances (section I), d'autre part en raison du statut de
certains créanciers. (Section II)
Section I.- Les Assouplissements découlant de la
nature de certaines créances.
Synonyme d'un droit personnel, le vocable créance est
généralement utilisé pour designer la droit d'exiger la
remise d'une somme d'argent, elle peut être civile, commerciale,
94 R. NEMEDEU, op. cit.n° 106, p264.
44
95MOREAU-MARGREVE, « Evolution du droit et de la
pratique en matière de sûretés », loc. cit.,
p. 217 ; Fr. T'KINT, op. cit., p. 91, cité par J. MUSHAGALUSA
NTAKOBAJIRA op.cit. note de bas de page n°26.
45
L'égalité des créanciers dans les
procédures collectives en droit OHADA, Kouamo Darly Russel
garantie ou non garantie... Ce qu'il faut remarquer ici est
que, la nature d'une créance peut commander la variation dans
l'application de l'égalité entre les créanciers. Ce qui
efface alors la règle de l'égalité entre créanciers
chirographaires et ceux titulaires des sûretés, c'est la
multiplication de ces causes « légitimes » de
préférence, au point où monsieur Gaston LAGARDE a
même affirmé que l'égalité entre les chirographaires
est une égalité devant le néant et que l'ouverture des
procédures collectives sonne le glas des créanciers
chirographaires96.
Au nom d'un principe de réalisme, les limitations au
principe de l'égalité entre les créanciers ont connu une
forte augmentation ces dernières années97. Partant du
statut privilégié des créances du trésor public
(paragraphe 1), l'on débouchera sur le caractère vital des
créances salariales. (Paragraphe 2)
Paragraphe 1 Le statut privilégié des
créances des administrations publiques.
Les administrations publiques, comme tous les autres
créanciers, sont soumises aux règles communes applicables
à l'ensemble des créanciers. Cependant, elles profitent des
solutions particulières, afin de tenir compte du fait que leur
créance est d'intérêt public98. C'est dans cet
ordre de réflexion que certaines d'entre elles bénéficient
d'un régime dérogatoire de déclaration des créances
(A), le tout assorti d'un privilège renforçant leur protection.
(B)
A- Le particularisme dans leurs déclarations de
créances.
Le particularisme conféré à certaines
administrations publiques, dans le processus de déclaration des
créances, tient au fait qu'elles aient la possibilité de
procéder à des déclarations prévisionnelles. A
l'article 81 de l'AUPC, il s'agit du trésor, de l'administration des
douanes et des organismes de sécurité et de prévoyance
sociale. De prime abord, l'on pourrait croire que cette règle ne leur
confère aucun avantage. Ce serait porter un jugement assez pitoyable que
d'affirmer cela. L'on sait que la brièveté des délais
accordés pour produire les créances n'est pas de nature à
favoriser les créanciers. Accorder une prorogation
96V. G. LAGARDE, dans la préface de la
thèse de Mme M-J. R. DE GENTILE, Le principe de
l'égalité entre les créanciers chirographaires et la loi
du 13 juillet 1967, éd. Sirey 1973, cité par O. KAHIL, op.
Cit. p.98.
97V. B. OPPETIT, « la décodification du
droit commercial », mélanges Rodière, P. 202 : « qui
aujourd'hui pourrait prétendre être en mesure, à l'occasion
d'une procédure collective, de dresser une liste exhaustive des
innombrables privilèges créés au fil des lois
particulières et leur appliquer un ordre de classement certain ?
»., Cité par C. LEGUEVAQUES, op.cit., p1226.
98SERLOOTEN, « Le trésor,
créancier de l'entreprise », Colloque du C.R.E.D.I.F
Toulouse, « la situation des créanciers d'une entreprise en
difficulté », Montchrestien, 1998, p. 105 et s., cité
par C. LEGUEVAQUES, idem.
L'égalité des créanciers dans les
procédures collectives en droit OHADA, Kouamo Darly Russel
à ces créanciers constitue une véritable
mesure, qui assouplit évidemment les rigueurs de la discipline
collective.
En droit français, une pareille disposition existait
déjà dans la loi du 25 janvier 1985, sauf qu'elle ne concernait
que les créances du trésor public et celles des organismes de
prévoyance et de sécurité sociale. Mais avec les
modifications intervenues avec la loi du 10 juin 1994, cette possibilité
concerne également les institutions du régime d'assurance
chômage tels que mentionnés à l'article L. 351-21 du code
du travail français99 . Renforçant cette règle
discriminatoire, la jurisprudence a jugé que l'autorité de la
chose jugée résultant d'une admission prévisionnelle pour
le montant déclaré n'est pas de nature à faire obstacle
à une déclaration complémentaire de la part de l'organisme
de prévoyance de ses créances non éteintes100.
Il est à noter ici que cette inflexion consentie au profit de ces
organismes n'est pas unanimement appréciée, parlant du fisc par
exemple, le professeur SOINNE pense qu'il doit être traité comme
tous les autres créanciers et qu'il n'y a aucune raison d'exclure
l'application du dispositif établi pour les créances
émanant de l'administration, car celles-ci ne présentent pas un
caractère plus noble que les autres101.
|