2. Les limites du modèle économique
sénégalais et les contraintes à la croissance
a. Les limites du modèle
L'instabilité de la croissance économique au
Sénégal est davantage expliquée par les limites de son
modèle économique que par les difficultés émanant
du contexte international.
De plus, la croissance économique est trop
centrée sur les services. L'économie sénégalaise
fabrique depuis plusieurs année d'une part du déficit courant
imputable au fait que les services sont faiblement exportables, et d'autre part
de l'inflation importée issue de la combinaison d'une
productivité agricole trop molle et d'une forte demande de produits
alimentaires. Cette faible productivité, qui entraine une absorption
très lente de la main d'oeuvre excédentaire dans les zones
rurales, génère un accroissement des inégalités de
revenus et maintient les déficits publics. L'Etat, en tentant de
corriger l'augmentation des inégalités de revenus, crée un
modèle de l'assistanat.
Du côté du financement de l'économie,
depuis la fin des avances statutaires de la BCEAO, le système financier
domestique consacre de plus en plus de ressources au financement du
déficit public de sorte que le financement des investissements lourds
est en partie contraint par la disponibilité de l'épargne
extérieure. Le schéma actuel du marché de la dette
publique risque de créer des « Lazy Banks » et centraliser les
effets d'éviction sur l'investissement privé.
En somme, la présence de déséquilibres
macroéconomiques occasionne une trajectoire de croissance marquée
par des mouvements pendulaires de type « stop and go».
b. Les contraintes2 à la croissance
- Coût élevé de la main
d'oeuvre
Au Sénégal, le marché du travail est
fortement marqué par un coût élevé de la main
d'oeuvre. Selon une étude de la Banque mondiale portant sur
l'évaluation du climat des investissements en 2006, la
rémunération mensuelle moyenne est de 281,9 dollars dans le
secteur manufacturier et de 431,5 dollars US dans les services. Contrairement
aux pays concurrents comme la Chine, l'Inde, la Tanzanie et le Kenya ces taux
sont très élevés.
Un des facteurs majeurs qui contribuent à
l'accroissement des coûts de production, est le salaire
élevé des ouvriers non qualifiés. Ce qui est dangereux
à la compétitivité des entreprises. Dès lors, un
marché du travail plus efficace peut découler d'une plus grande
formation des travailleurs et la construction du pacte social apaisé
bâti dans le cadre de l'existence de
2 Les contraintes ont été
analysées par la DPPE (Direction de la Prévisions et des Etudes
Economiques) du Sénégal
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conventions collectives et d'accord globaux
négociés entre le patronat et les syndicats. L'efficacité
du marché du travail peut provenir d'une plus grande formation des
travailleurs et la construction d'un pacte social apaisé. L'analyse de
l'évolution des salaires laisse apparaître de fortes hausses qui
sont supérieures à celles des prix. Les salaires au
Sénégal ont progressé de 3,9% en moyenne entre 1980 et
2009 avec de grandes disparités entre les secteurs. Plus
spécifiquement, sur la période 1995-2009, les salaires ont
augmenté de 5,4% contre une progression de 2,6% des prix à la
consommation. De plus, il est établi un décrochage entre la
productivité du travail et l'évolution des salaires.
C'est-à-dire que l'évolution des salaires ne reflète pas
la productivité du travail, ce qui entraine une réduction des
gains de productivité de l'ère post-dévaluation.
- Déficit d'infrastructures
Avec ses 14825 km en 2009, le réseau routier du
Sénégal assure l'essentiel des déplacements
intérieurs des personnes et des marchandises. Le réseau routier
sénégalais est faible à cause d'une absence de politique
d'extension, des investissements peu élevés et trop axés
dans la capitale. Cette politique freine le développement de
l'agriculture et accentue la faible productivité en milieu rural. Les
difficultés de mobilité urbaine et la pollution poussent à
envisager d'autres options notamment le chemin de fer qui joue un rôle
marginal dans les transports au Sénégal. Comparativement à
celui du Ghana (953 km), de la Tunisie (2260 km), de la Corée du Sud
(3123 km) et de la Malaisie (1622 km), le réseau ferré du
Sénégal (long de 906 km en 2000) est peu développé.
Les chemins de fer se sont fortement dégradés et n'assurent que
le fret vers le Mali. Le paradoxe au Sénégal revient à
vouloir se développer dans un pays plat sans recourir au chemin de fer.
Concernant le secteur énergétique, la fin de la décennie
2000 a été marquée par la question des délestages.
Le déficit énergétique est devenu une contrainte majeure
pour la croissance économique et le développement du secteur
privé. Les estimations évaluent les pertes, en termes de
croissance économique, imputables aux délestages à 1,4%.
La persistance des problèmes de fourniture d'électricité
poussent les entreprises vers l'achat de groupes électrogènes du
fait des manques à gagner importants. Le Plan Takkal, plan de
restructuration et de relance du secteur de l'énergie, qui fait l'objet
d'un large soutien des partenaires techniques et financiers, a permis de
réduire considérablement les délestages mais la question
du coût de l'électricité n'est pas entièrement
réglée.
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- Marché financier
Dans une activité économique, les marchés
de capitaux occupent une place essentielle dont le financement. C'est par
l'innovation technologique et l'accumulation de capital qu'ils contribuent
à la croissance économique. Un système financier bien
développé peut mobiliser l'épargne et l'orienter vers des
investissements rentables à grande échelle, tout en offrant aux
épargnants une liquidité élevée. Au
Sénégal, le financement des entreprises locales par le
système bancaire est trop faible, ce qui constitue une entrave majeure
pour le développement de l'initiative privée et de promotion de
la croissance économique. Le climat des affaires est également
caractérisé par le financement des projets des entreprises sur
fonds propres. 64% des entreprises sénégalais ont accès au
crédit. La distribution des crédits bancaires est plus
axée vers les entreprises qui disposent plus de visibilité ou
évoluant dans les sous-secteurs « commerce, bars, restaurants
», les activités de rente ou celles qui sont de nationalité
étrangère. Ces constats découlent de la faiblesse de
l'approfondissement du marché financier sénégalais. En
effet, le ratio de la masse monétaire au sens large au PIB est
passé de 34,1 % en 2004 à 39,2 % en 2011 alors que le ratio du
crédit intérieur au secteur privé au PIB affiche une
évolution similaire, passant de 22,7% en 2006 à 25,9% en 2010. En
même temps, les pays à revenu intermédiaire d'Afrique au
Sud du Sahara dont le Sénégal fait partie ont vu leur ratio de la
masse monétaire au sens large au PIB passer de 57,6% en 2004 à
69,2% en 2011. Le marché boursier du Sénégal a connu une
croissance modérée ces dernières années et sa
taille demeure modeste. Sa capitalisation en pourcentage du PIB est
passée de 24% en 2006 à 31% en 2010 et la liquidité est
restée très faible par rapport à d'autres bourses
d'Afrique subsaharienne. Par contre en 2011, le marché des titres
publics a été un segment très dynamique du secteur
financier depuis la suppression des avances statuaires de la BCEAO. Les
émissions annuelles de titres publics du Sénégal
constituaient près de 6,1% du PIB et 32,4% des recettes fiscales. Le
volume d'émission prévu en 2012 est d'un montant de 518 milliards
FCFA soit 7,2 % du PIB et 36,7 % des recettes fiscales. Elles ont
progressé tant en termes nominaux qu'en pourcentage du PIB et des
recettes fiscales respectivement de 55,2 %, 46,1 %, 42,1 % entre 2009 et 2012.
Toutefois, les emprunts publics restent dominés par les titres de court
terme.
- Un taux de change générant une faible
croissance
La crise de la dette souveraine en Zone euro a fait
naître dans les pays de l'UEMOA toute sorte de rumeur et de
spéculation. Selon les analystes, les pays de l'UEMOA, ont plus à
craindre, dans un avenir proche, de la récession qui sévit en
Europe que d'un changement de parité du
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FCFA. Cette Situation qui correspond au fait que les
mouvements de taux de change effectif réel (TCER) ne sont pas
cohérents avec les fondamentaux sur la période 1995-2005 avec une
tendance forte vers la surévaluation. A partir de 2005, le
Sénégal a enregistré une surévaluation du TCER,
estimée à 2% en 2006, 9% en 2007 et de 17% en 2008. Cette
situation reflète bien la détérioration accentuée
notée au niveau de certains fondamentaux du Sénégal
notamment le solde commercial. Dans un autre registre, la détermination
de la durée moyenne de passage dans les régimes
(sous-évaluation, surévaluation) indique qu'au
Sénégal, les périodes de sous-évaluation durent en
moyenne 6,8 années contre 12 années pour les périodes de
surévaluation. Il découle de ce constat que la période de
surévaluation constatée depuis 2006 risque de durer si elle n'est
pas interrompue par la mise en place de politique de
compétitivité efficace.
Depuis plus d'un demi-siècle, le Sénégal
n'a pas réussi à faire face aux nombreux défis
économiques. L'analyse de sa trajectoire économique a
montré les maigres performances réalisées (stagnation du
niveau de vie des populations) alors que des pays ayant le même niveau de
développement que lui dans les années 60 (Tunisie, Corée
du Sud) y sont parvenus. C'est pourquoi, les pouvoirs publics qui ont des
objectifs d'améliorer le niveau de vie et le bien-être social de
la population doivent engager les transformations structurelles idoines pour
une croissance économique soutenue et durable.
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