3. La relation entre croissance et productivité
Le niveau du PIB peut être décomposé au
plan comptable comme le produit de la productivité horaire du travail,
du nombre moyen d'heures travaillées et de l'emploi total. Dans un
rapport intitulé « Productivité et Croissance
», Patrick Artus et Gilbert Cette (2004) ont signalé que
l'articulation économique entre la croissance de la productivité
et celle de ses deux composantes comptables (PIB et emploi) était
complexe.
- Sur le court terme, les inerties de l'ajustement dynamique
de l'emploi à la production induisent une relation négative entre
emploi et productivité, cet effet étant parfois appelé
« cycle de productivité ».
- Sur le moyen terme, des déséquilibres
persistants peuvent exister sur le marché du travail, le taux de
chômage effectif s'écartant durablement de son niveau
d'équilibre (le NAIRU). Le
Page 27
chômage peut par exemple durablement comprendre une
composante keynésienne plus ou moins importante (insuffisance de la
demande globale). Si le taux de chômage est ainsi supérieur au
NAIRU, un ralentissement de la productivité peut aboutir à
rapprocher ces deux grandeurs, via une baisse du taux de chômage effectif
(contraction de la composante keynésienne du chômage) et,
éventuellement, une hausse du NAIRU (si le choc de productivité
induit des conflits de répartition). Le niveau de l'emploi est ainsi
augmenté et celui du PIB peut éventuellement être
réduit. Deux effets s'opposent, le premier pouvant au mieux compenser le
second : l'augmentation de l'emploi est favorable au niveau du PIB mais le
ralentissement de la productivité lui est défavorable.
- Sur le très long terme, l'effet d'un choc de
productivité sur le niveau d'équilibre du PIB et sur l'emploi
dépendait de multiples mécanismes, dont la répartition
directe du choc de productivité entre rémunérations des
facteurs travail et capital ; et les conséquences sur les prix des
éventuels conflits de répartition de ce choc. Ainsi, l'effet d'un
choc de productivité sur l'équilibre macroéconomique
dépend de son impact sur le taux de chômage d'équilibre
(c'est-à-dire sur le NAIRU). Un ralentissement de la productivité
aboutit à une hausse du NAIRU, ou au mieux à une stabilité
si les salariés acceptent une répercussion de ce ralentissement
dans leurs salaires. Autrement dit, un ralentissement de la productivité
ne peut aboutir qu'à un maintien, voire une dégradation, du
niveau de l'équilibre sur le marché du travail. Dans ces
conditions, le PIB est réduit à long terme en raison à la
fois de la moindre productivité, et aussi de l'éventuelle baisse
de l'emploi associée à ce choc négatif sur la
productivité. Ces effets défavorables sur le niveau
d'équilibre du PIB et éventuellement de l'emploi peuvent
être amplifiés si les conflits de répartition du choc de
productivité se traduisent par une augmentation de l'inflation, du fait
des effets négatifs de l'inflation sur la demande interne et externe.
Inversement, une accélération de la productivité aboutit
à une élévation du PIB et, dans l'hypothèse
où elle induit une baisse du NAIRU, à une augmentation de
l'emploi et une réduction du chômage.
Les évaluations internationales de PIB par habitant et
de productivité du travail proposées sur l'année 2002 par
l'OCDE (Schreyer et Pilat, 2001), Eurostat (Stapel, 2002) et Van Ark et Mc
Guckin (2003) tendent à donner les enseignements suivants :
- Les États-Unis sont le pays industrialisé
où le PIB par habitant est le plus élevé. Le niveau du PIB
par habitant de l'ensemble de l'Union européenne, comme d'ailleurs de
chacun des quatre
Page 28
principaux pays de l'Union, ainsi que du Japon, serait
très nettement inférieur (d'environ 25 à 30 points) au
niveau atteint par les États-Unis ;
- les pays dans lesquels le niveau de la productivité
horaire du travail est le plus élevé feraient partie de l'Europe
continentale. La France serait d'ailleurs particulièrement performante,
derrière la Belgique.
- Compte tenu de la faible productivité horaire
relative de certains pays européens comme l'Espagne et plus encore le
Portugal et la Grèce, la productivité horaire serait, dans
l'ensemble de l'Union européenne, nettement inférieure (d'environ
10 points) au niveau moyen des États-Unis.
L'écart serait encore plus important pour le
Royaume-Uni (environ 20 points), le Canada (15 à 20 points) et le Japon
(25 à 30 points).
Selon Patrick Artus et Gilbert Cette (2004, p. 20), «
la dégradation, relativement aux Etats-Unis, de la situation des
pays d'Europe continentale entre le niveau de productivité horaire et le
niveau du PIB par habitant s'explique à la fois par la durée du
travail plus courte et un taux d'emploi plus faible ». La
durée du travail plus courte peut résulter d'une durée
collective elle-même plus courte ou d'un développement important
du travail à temps partiel, voire parfois de ces deux facteurs
conjointement. Le taux d'emploi peut résulter d'un taux de participation
plus faible ou d'un taux de chômage plus élevé. Le tableau
1 tend à montrer que l'écart de PIB par habitant vis-à-vis
des Etats-Unis s'expliquerait au plan comptable par une durée moyenne du
travail plus courte pour les Pays-Bas, la Norvège, l'Allemagne, la
France et la Belgique ; une part de l'emploi à temps partiel plus forte
aux Pays-Bas, au Japon, au Royaume-Uni et en Norvège ; et un taux
d'emploi plus faible pour l'Italie, la Grèce, l'Espagne, la Belgique et
la France...
Tableau 1 : Ecart de PIB vis-àvis des
Etats-Unis
|
Durée annuelle moyenne du travail des
employés en heures
|
Par de l'emploi à temps partiel en %
de l'emploi total
|
Taux d'emploi en % de la population
âgée de 15 à 64 ans
|
Taux de participation en
% de la
population âgée de 15 à 64 ans
|
Taux de chômage en % de la population active
|
Allemagne
|
1444
|
18.8
|
65.3
|
71.5
|
8.2
|
Belgique
|
1559
|
17.2
|
59.7
|
64.1
|
7.3
|
Canada
|
1778
|
18.7
|
71.5
|
77.5
|
7.7
|
Espagne
|
1807
|
7.6
|
59.5
|
67.1
|
11.4
|
Page 29
|
Durée annuelle moyenne du travail des
employés en heures
|
Par de l'emploi à temps partiel en %
de l'emploi total
|
Taux d'emploi en % de la population
âgée de 15 à 64 ans
|
Taux de participation en
% de la
population âgée de 15 à 64 ans
|
Taux de chômage en % de la population active
|
Etats-Unis
|
1815
|
13.4
|
71.9
|
76.4
|
5.8
|
France
|
1545
|
13.7
|
61.1
|
68
|
8.7
|
Grèce
|
1934
|
5.6
|
56.9
|
63.1
|
9.9
|
Irlande
|
1668
|
18.1
|
65
|
67.9
|
4.4
|
Italie
|
1619
|
11.9
|
55.6
|
61.2
|
9.0
|
Japon
|
1809
|
25.1
|
68.2
|
72.3
|
5.4
|
Norvège
|
1342
|
20.6
|
77.1
|
80.3
|
3.9
|
Pays-Bas
|
1340
|
33.9
|
73.2
|
75.6
|
2.8
|
Portugal
|
1719
|
9.6
|
68.1
|
72
|
5.1
|
Royaume-Unis
|
1707
|
23
|
72.7
|
76.6
|
5.1
|
Source : OCDE (2003)
Dans une étude intitulée, «
Productivité, temps de travail et taux d'emploi dans l'Union
Européenne », Jean-François Jamet
(2006, p.1) a confirmé ces résultats, à l'aide d'une
comparaison des performances entre les différents pays occidentaux. Il
montre ainsi que la productivité européenne par personne
occupée était inférieure de 26.7% à celle des
Etats-Unis et légèrement supérieure à celle du
Japon. Les résultats sont par ailleurs très
hétérogènes au sein de l'Union Européenne. La
productivité des Etats membres varie du simple au triple (retard
important des pays d'Europe Centrale et Orientale).
Deux raisons expliqueraient le différentiel de
productivité entre l'Union européenne et les Etats-Unis: le
nombre d'heures travaillées et la productivité horaire. Le nombre
d'heures travaillées, en moyenne, par une personne ayant un emploi
s'élève à 1624 heures par an dans l'Union
européenne contre 1749 heures au Japon et 1819 heures aux Etats-Unis. Au
sein de l'Union européenne, le temps de travail varie
énormément d'un Etat à l'autre. Le nombre d'heures
travaillées annuellement est compris entre 1806 et 2166 heures dans les
pays d'Europe centrale et Orientale (PECO) alors qu'il est inférieur
à 1450 heures en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Au sein de
l'Union européenne, ce n'est donc pas le nombre d'heures
travaillées qui explique les différentiels de productivité
par personne occupée mais bien le niveau de productivité horaire.
Les différences sont considérables avec des écarts de 1
à plus de 4. Les pays d'Europe centrale et orientale présentent
une productivité horaire très inférieure à celle
des pays d'Europe occidentale (en 2005, la Pologne affichait une
productivité
Page 30
horaire de 19 dollars (PPA) contre plus de 62 dollars pour le
Luxembourg. Si la productivité horaire de la main d'oeuvre
européenne est inférieure de 18% à celle des Etats-Unis et
supérieure de 10% à celle du japon, certains pays
européens se démarquent. Ainsi la France et l'Irlande disposaient
d'une productivité horaire supérieure à celle des
Etats-Unis.
|