Les dispositifs d'encadrement du public du parc des Princes et leurs effets.( Télécharger le fichier original )par Mathieu Kerrien Université Paris-Est Marne-la-Vallée - Master Espaces, Sociétés et Territoires 2014 |
Première partie - Les nouveaux dispositifsd'encadrement au Parc des PrincesI. En amont du Parc des Princes, un filtrage renforcé du public« Le PSG veut avoir un contrôle total sur le spectacle produit et sur l'ambiance ». Ces mots furent prononcés par Ludovic Lestrelin, sociologue du sport et des supporters, lors d'un reportage diffusé sur Canal Plus81. Cette politique est la ligne directrice des dirigeants du PSG concernant l'encadrement du public. De nombreux dispositifs sont développés pour contrôler à distance le public parisien et marquent la spécificité de cette politique. Les dirigeants du PSG semblent vouloir empêcher le public de s'organiser de manière indépendante et autonome. 1. Le fichage de l'ensemble du public parisien présent au Parc des PrincesPar le passé, le Parc des Princes était presque devenu une zone de non-droit. Les autorités publiques et notamment les ministres de l'intérieur qui se sont succédés, étaient contrariés par ce constat. Comme l'écrit dans un article publié sur le site internet Mediapart Louise Fessard82, différentes personnalités publiques sont très proches de la direction du PSG. C'est notamment le cas du commissaire Antoine Boutonnet, patron de la DNLH, cellule policière créée par le ministère de l'intérieur en 2009 pour éradiquer toutes formes de violence à l'intérieur d'un stade de football. Antoine Boutonnet a participé à la célébration du titre de champion de France 2014 avec les dirigeants du club. Dans ce même article, la journaliste interroge ces ententes et dénonce une connivence entre une unité policière chargée d'exclure « tous comportements déviants à l'occasion de rencontres de football »83 et la direction du PSG qui souhaite conserver la maitrise du public parisien. Ainsi, le préfet de police et le ministère de l'intérieur par le biais de la DNLH, ont toujours soutenu sans faille la politique du PSG vis-à-vis de ses supporters. Cette mainmise du club sur l'ambiance du stade est justifiée par l'histoire récente du PSG. A la suite du décès d'un supporter parisien en 2010, les instruments sécuritaires se sont multipliés et renforcés84. Parmi ceux-ci, le reportage télévisé intitulé « Parc des Princes, Ultra(s) sélect » évoque une présence humaine et sécuritaire plus importante. Toutefois, cette 81 Enquête de Foot., op cit, diffusé le 19 mars 2014. 82 Fessard L., « Un nouveau fichier de police pour les beaux yeux du PSG », Mediapart, 30 avril 2015. 83 Interview d'Antoine Boutonnet : « Le principe de précaution guide nos actions », So Foot, propos recueilli par Anthony Cerveaux le mercredi 13 février 2013. URL : http://www.sofoot.com/antoine-boutonnet-le-principe-de-precaution-guide-nos-actions-166731.html 84 Enquête de Foot, op cit., diffusé le 19 mars 2014. 29 information est à nuancer. En effet, comme le stipule le préfet de police de Paris Bernard Boucault le 5 février 2015, « alors qu'à mon arrivée en 2012, le maintien de l'ordre autour du Parc des Princes nécessitait dix ou douze unités, on en est aujourd'hui à trois unités et, de mon point de vue, on pourrait même descendre à deux unités, les matches étant de plus en plus tranquilles »85. Ce même reportage télévisé révèle ensuite l'utilisation d'une liste noire de supporters, jugée illégale par la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL), sur laquelle sont inscrits les noms des supporters interdits de stade86. Au mois d'avril dernier, la CNIL a révélé l'existence d'un fichier informatique prénommé « Stade »87. Celui-ci a été créé quelques années auparavant par la préfecture de police de Paris dans un secret relatif, afin de « prévenir les troubles à l'ordre public »88. Le 15 avril 2015, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, a autorisé l'existence et l'application de ce fichier. D'après le quotidien Le Monde, la particularité de ce programme réside dans l'accumulation par traitement informatique automatisé d'informations privées, quotidiennes et fluctuantes89. Parmi celles-ci, on trouve notamment « l'activité sur les blogs et les réseaux sociaux » et la surveillance des personnes « entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l'intéressé »90. D'après ces écrits, on peut comprendre qu'une personne ayant une relation amicale avec un supporter considéré comme étant une personne à risque par la préfecture de police de Paris, est susceptible d'être surveillé par mesures de prévention. Ces surveillances s'étendent ainsi sur des personnes n'ayant aucun lien particulier avec le PSG. Monsieur Barthélémy, avocat de nombreux supporters tenus à l'écart du Parc des Princes pour différents motifs, parle de « fichier clairement fait pour le PSG »91. En réalité, ce fichier s'étend sur un réseau et une zone géographique plus large. En effet, il s'applique à l'ensemble des supporters des clubs professionnels ayant une activité « dans les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne »92. Ainsi, les supporters du Créteil Lusitanos en Ligue 2, du Paris Football Club et le Red Star, tous deux récemment promus en Ligue 2, sont aussi concernés. Toutefois, comme l'arrêté ministériel nous le fait comprendre, le PSG est un cas à part. En effet, à la différence des clubs de ligue 2 85 Fessard L., op cit, 30 avril 2015. 86 Le Bail J., « Le fichage des supporters du PSG officialisé par un arrêté ministériel », L'équipe, Mis à jour le 24 avril 2015. URL: http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Le-fichage-des-supporters-du-psg-officialise-par-un-arrete-ministeriel/553662 87 Guillou C., « Le conseil d'Etat suspend le fichage des supporteurs parisiens », Le Monde, Mis à jour le 13 mai 2015. 88 Arrêté du 15 avril 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « fichier STADE ». URL : http://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2015/4/15/INTD1501632A/jo/texte 89 Guillou Clément., « Un nouveau fichier de supporteurs sur mesure pour le PSG », Le Monde, Mis à jour le 25 avril.2015. URL: http://www.lemonde.fr/football/article/2015/04/24/un-nouveau-fichier-de-supporteurs-sur-mesure-pour-le-psg_4622370_1616938.html 90 Arrêté du 15 avril 2015. 91 Guillou C., op cit, Mis à jour le 25 avril 2015. 92 Arrêté du 15 avril 2015. 30 précédemment cités, les « manifestations sportives du `Paris-Saint-Germain' et les rassemblements liés à ces manifestations se tenant à l'extérieur des départements précités »93 sont surveillés. La préfecture de police de Paris est donc en droit de surveiller tous les supporters du PSG y compris lorsque cette équipe joue hors du Parc des Princes. A la suite de la révélation de la CNIL, le magazine So Foot a contacté les dirigeants du PSG pour connaitre leur point de vue sur la question. Sans révéler l'identité de sa source, le journaliste Anthony Cerveaux rapporte dans un article la révélation d'un salarié du club : le PSG va « se mettre en conformité avec les demandes de la CNIL sans pour autant modifier la politique commerciale actuelle vis-à-vis des supporters considérés comme indésirables »94. Ces mesures soutenues par le ministère de l'intérieur paraissent symptomatiques d'une ère de sécurisation des stades, qui consiste à surveiller à distance des supporters de football et leur entourage. Dans ce cas, les libertés individuelles et collectives sont entravées puisque ces mesures entrainent des interdictions de déplacements. Ce fut notamment le cas des supporters de Saint-Etienne à la date du 10 février 2015. Ils n'étaient pas autorisés à se déplacer en Ile-de-France lorsque les « Verts », surnom donné aux Stéphanois, jouaient contre le Red Star en Coupe de France. De cette manière, chaque personne qui se rend aujourd'hui au stade est contrôlée à distance, et ce dès l'achat d'une place. Avant même d'entrer à l'intérieur du Parc des Princes, un système de surveillance automatisé est mis en place par la préfecture de police sur demande du ministère de l'intérieur. Celui-ci repose sur un fichage renforcé qui permet alors aux dirigeants du PSG de connaitre l'identité de l'ensemble de son public. En effet, au moment d'acheter une place ou un abonnement pour la première fois sur le site du PSG ou sur le site Viagogo, il est demandé d'ouvrir un compte personnel dans lequel il est nécessaire de fournir des informations privées concernant le genre, l'âge, une adresse postale, une adresse mail et une identité bancaire. De cette manière, les places sont nominatives. Le 7 mai, lors d'un entretien, Monsieur André95 m'a affirmé que « théoriquement, tout le monde doit contrôler n'importe quel billet. Quelque soit la tribune. » Cette personne est un responsable commercial dans une société de sécurité spécialisé dans l'évènementiel qui est axé principalement sur le sport. Depuis trois saisons maintenant, l'entreprise travaille pour le PSG au Parc des Princes. Leur mission est de contrôler les accès aux tribunes. Au cours de cet entretien, Monsieur André m'a certifié qu'il fallait présenter une carte d'identité à l'entrée du stade. Par conséquent, on ne peut pas entrer avec la place d'une autre personne. Dans les faits, cette mesure n'est pas toujours respectée. En effet, Kerim, un jeune spectateur avec qui je me suis entretenu n'a jamais voulu payer pour se rendre au stade. Cet étudiant en ingénierie du son qui s'est présenté comme « simple sympathisant du PSG » est « loin d'être prêt à prendre un abonnement car il n'est pas du tout supporter du PSG ». Cette année, il est allé deux fois au Parc des Princes grâce à l'un de ses meilleurs amis qui est lui-même abonné avec sa famille à 93 Arrêté du 15 avril 2015. 94 Cerveaux A, « Supporters : la CNIL épingle de nouveau le PSG », So Foot, mercredi 10 juin 2015. URL : http://www.sofoot.com/supporters-la-cnil-epingle-de-nouveau-le-psg-202707.html 95 Pour des raisons éthiques, monsieur André est un nom d'emprunt. Cette personne a voulu rester anonyme. 31 la tribune Boulogne. C'est ainsi que Kerim a pu se rendre au stade en empruntant la carte d'un membre de la famille de son ami. Puisqu'il connaissait la règle interdisant d'emprunter une carte d'abonnement gratuitement sans passer par un paiement sur Viagogo, il a réussi à dissimuler la photographie intégrée sur la carte d'abonnement une première fois. Pour une autre rencontre au Parc des Princes, il a de nouveau tenté d'entrer dans le stade. Cette fois-ci, le personnel à l'entrée du stade lui a demandé de fournir une carte d'identité pour confirmer qu'il s'agissait bien de sa carte d'abonnement. Comme ce n'était pas le cas, il fut interdit d'entrer dans l'enceinte sportive. Si le contrôle à l'entrée n'est pas infaillible, il est néanmoins effectif. En collectant les données sur son public, les dirigeants du PSG ont donc la capacité de contrôler à distance des personnes selon une relation anonyme mais fichée. En cas de comportements turbulents, les dirigeants du PSG ont suffisamment d'informations pour les exclure sur un temps plus ou moins long. C'est notamment le cas des TAS. Ces TAS révèlent l'existence d'une méthode de filtrage, et non plus seulement de contrôle, à distance. Si une personne présente un comportement jugé comme inapproprié dans le cadre d'un match de football, l'accès à un stade de football en particulier lui est interdit. En prime, elle doit se présenter à un commissariat à chaque fois que l'équipe dont elle est supportrice joue une rencontre, quelque soit le lieu où celle-ci se déroule. Parmi ces comportements jugés comme inappropriés par la DNLH, il y a : l'usage de stupéfiants, le fait d'être en état d'ébriété, les comportements violents et racistes, etc. Pourtant, aucun statut juridique officiel n'explicite formellement ce que sont un hooligan et le hooliganisme, phénomène contre lequel le DNLH est précisément censé lutter. En se référant aux discours de spécialistes sur la question comme le sociologue Nicolas Hourcade96, on s'aperçoit que les JAS sont confrontés à des répressions autoritaires, fermes, identiques et généralisées pour des délits pourtant dissemblables. En effet, au nom de la lutte contre le hooliganisme, les dirigeants mettent en place une politique répressive qui s'appuie sur des interdictions de stade aussi bien pour des consommateurs de drogues, des usagers de fumigènes que pour des auteurs de réels actes violents. Alors même que ces actes ne constituent pas pour leur majorité une mise en danger physique de la vie d'autrui, on est face à un continuum dans les délits qui ont pourtant un degré de dangerosité et de criminalité différent. Un arsenal répressif unifié se développe pour lutter contre toute forme de déviance. Ainsi, même pour un délit mineur, un supporter ne peut se rendre au stade pour une durée allant de trois mois à un an. Cette condamnation peut être prolongée de plusieurs mois et reconduite sur deux nouvelles années en cas de récidive. Cette mesure permet de filtrer et d'exclure une partie du public considérée comme comportant un « potentiel risque ». 96 Hourcade N., « Principes et problèmes de la politique de lutte contre le hooliganisme en Fance », Archives de politique criminelle 1/ 2010 (n° 32), pages 123-139. 32 |
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