Chapitre III : Les dommages aux autres espaces
Certains espaces, sans pour autant être des espaces
internationalisés, ne font pas partie du territoire d'un Etat. C'est le
cas de la Zone économique exclusive (ZEE), à savoir la zone
située au-delà de la mer territoriale et adjacente à
celle-ci, qui ne s'étend pas au-delà de 200 milles marins des
lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la
mer territoriale112.
Dans la ZEE, l'Etat côtier a des droits souverains et
juridiction en ce qui concerne la mise en place et l'utilisation d'îles
artificielles, d'installations et d'ouvrages, la recherche scientifique marine,
et la protection et la préservation du milieu marin113. Il
arrive que des personnes privées exercent des activités dans la
ZEE, qui peuvent causer un dommage à la ZEE, voire au territoire de
l'Etat côtier.
C'est le cas de la multinationale britannique
BP, qui louait une plate-forme pétrolière pour forer
dans la Zone Economique Exclusive (ZEE) des Etats-Unis. Cette plate-forme a
explosé en 2010, déversant ainsi une énorme
quantité d'hydrocarbure dans le Golfe du Mexique et tuant 11
personnes.
C'est aussi le cas du pétrolier maltais
Erika, qui a fait naufrage en 1999 au large des côtes Bretonnes,
déversant un peu moins de 20 000 tonnes de pétrole, polluant
ainsi environ 400 km de côtes114.
Le bien--fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
Lorsqu'un dommage est causé au territoire d'un autre
Etat par une activité exercée dans la ZEE, ces personnes
privées ne relèvent pas de la juridiction ni du contrôle de
l'Etat sur le territoire duquel elles causent un dommage. En revanche, elles
relèvent de la juridiction pénale de leur Etat de
nationalité. Or certains Etats ont des réglementations
environnementales très souples et se refusent à exercer leur
juridiction à l'encontre de ces entreprises. Ce sont les Etats de
complaisance. Là encore, le dommage pourra ne pas être
sanctionné.
Dans le cas de l'explosion Deepwater Horizon,
la compagnie pétrolière a pu être condamnée sur le
plan civil, à payer plus de 20 billions de dollars115.
Cependant, elle n'a pas été condamnée sur le plan
pénal pour les atteintes qu'elle a portées à
l'environnement. En outre, seul le décès des 11 salariés
causé par l'explosion a fait l'objet d'une incrimination
pénale.
Dans le cas de l'affaire de l'Erika, l'Etat
lésé, en l'occurrence la France, a préféré
rechercher directement la responsabilité de l'entreprise qui a
causé le dommage, plutôt que de mettre en cause la
responsabilité de l'Etat qui n'a pas respecté son obligation de
s'assurer que les activités sous sa juridiction ou son contrôle
n'ont pas causé de dommage au territoire d'un autre Etat.
Dans ces deux cas, un dommage a été causé
à la ZEE mais aussi à l'Etat côtier. Dans la
première affaire, l'Etat côtier n'a pas exercé sa
compétence pénale, mais uniquement sa compétence civile.
Cela est conforme au droit international puisque la compétence
pénale revient en principe à l'Etat de nationalité de
l'auteur du dommage, qui n'a pas non plus exercé sa compétence
pénale. En revanche, dans la seconde affaire, l'Etat côtier a
exercé sa compétence pénale, alors même qu'il
n'était pas compétent en vertu du droit international.
Dans le cas où un dommage est causé uniquement
à la ZEE et pas à l'Etat côtier, comme pour les dommages
causés à des territoires régis par le droit international,
aucune action ne sera menée.
Il résulte de ce qui précède que pour les
dommages au territoire d'un autre Etat, l'Etat compétent n'exerce
parfois pas sa compétence pénale, tandis que pour les dommages
à un territoire régi par le droit international, aucune
compétence (civile ou pénale) n'est parfois exercée. Dans
toutes ces hypothèses d'absence d'exercice de la juridiction d'un Etat,
le dommage causé à l'environnement par ces personnes restera
impuni. D'où la nécessité d'une juridiction internationale
compétente en droit de l'environnement, pour pallier ce défaut
des Etats.
115 Jana Kasperkevic, BP oil spill: judge grants final
approval for $20bn settlement, The Guardian, 4 avril 2016.
34
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
Partie II: Le bien--fondé de l'extension de la
compétence de juridictions internationales existantes
Une juridiction internationale compétente en
environnement pourrait prendre deux formes. Il est en effet possible
d'argumenter qu'il est préférable de renforcer le pouvoir des
juridictions internationales existantes pour qu'elles acquièrent une
compétence en matière environnementale, plutôt que de
créer une nouvelle juridiction internationale spécialisée
en droit de l'environnement.
L'extension de la compétence d'une juridiction
internationale permanente et universelle existante, telle que la Cour
Internationale de Justice, la Cour Pénale Internationale et le Tribunal
international du droit de la mer serait-elle plus efficace que la
création d'une juridiction internationale spécialisée en
droit de l'environnement, afin de protéger l'environnement?
Une importance fondamentale est à noter ici entre la
CIJ et le Tribunal international du droit de la mer d'une part, et la CPI
d'autre part. En effet, l'extension de la compétence de la CIJ et du
Tribunal international du droit de la mer implique la rédaction d'une
nouvelle convention internationale environnementale générale qui
donnerait compétence à ces juridictions en cas de
différends relatifs à la convention. En revanche, l'extension de
la compétence de la CPI implique une modification de son statut.
Titre Ier : La Cour Internationale de Justice (CIJ)
La CIJ a été instituée par le chapitre
VIX de la Charte des Nations Unies. C'est l'organe judiciaire principal des
Nations Unies116. Le statut de la CIJ est fondé sur le statut
de la Cour Permanente Internationale de Justice et fait partie
intégrante de la Charte des Nations Unies. Il définit la
constitution et le fonctionnement de la Cour117. A noter que tous
les membres des Nations Unies sont ipso facto parties au statut de la
CIJ, même si des Etats non membres des Nations Unies peuvent devenir
parties au statut de la CIJ118. De plus, cela n'empêche pas
les Etats membres des Nations Unies de pouvoir soumettre leurs
différends à d'autres juridictions internationales que la
CIJ119. Les Etats membres des Nations Unies s'engagent à
respecter les arrêts de la CIJ rendus sur des affaires auxquelles ils
sont parties120. A défaut, les autres Etats peuvent avoir
recours au Conseil de Sécurité.
116 Charte des Nations Unies, Article 92.
117 Statut de la Cour Internationale de Justice, Article 1.
118 Charte des Nations Unies, Article 93.
119 Charte des Nations Unies, Article 95.
35
120 Charte des Nations Unies, Article 94.
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
Il n'y a que peu d'affaires de la Cour Internationale de
Justice (CIJ) qui traitent du droit international de l'environnement.
L'extension de la compétence de la CIJ en matière
environnementale permettrait de juger des Etats en cas de non-respect de leur
obligation de s'assurer que les activités exercées dans les
limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de
dommage au territoire d'autres Etats ou à des territoires régis
par le droit international. Cependant, l'extension de la compétence de
la CIJ en matière environnementale comporte aussi des
inconvénients.
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