Chapitre I : Le détournement des règles du
droit international économique
Les règles du droit international économique
prévoient en théorie la possibilité d'une
réciprocité avec les règles du droit international de
l'environnement.
Le commerce international est extrêmement important pour
une utilisation efficiente des ressources naturelles, mais aussi pour une
circulation plus large des produits et des services à faible empreinte
environnementale78. Les règles en matière de commerce
international ont depuis longue date envisagé ces interactions, mais les
questions environnementales ont été intégrées d'une
manière plus claire au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce
(OMC). Un groupe de travail sur les mesures environnementales et le commerce
international, créé par les Etats parties à l'Accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947, a
par exemple servi de matrice pour la création du Comité du
commerce et de l'environnement de l'OMC.
En particulier, l'article XX du GATT de 1947
prévoit des exceptions générales aux
règles de l'accord de l'OMC en matière environnementale. Cet
article énonce que sous réserve que ces mesures ne soient pas
appliquées de façon à constituer soit un moyen de
discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays
où les mêmes conditions existent, soit une restriction
déguisée au commerce international, rien dans l'accord ne
sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application
par toute partie contractante des mesures :
b) nécessaires à la protection de la
santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la
préservation des végétaux;
g) se rapportant à la conservation des
ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont
appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou
à la consommation nationales.
Cette possibilité de réciprocité a aussi
été consacrée par l'Organe de règlement des
différends (ORD) de l'OMC.
En outre, dans l'affaire des
crevettes--tortues, Inde etc./Etats-Unis, de l'Organe d'appel
de l'ORD de 1998, l'ORD a clairement dit qu'au titre des règles de
l'OMC, les pays ont le droit de prendre des mesures commerciales pour
protéger l'environnement (en particulier la santé des personnes,
des animaux ou la préservation des végétaux) ainsi que les
espèces en voie d'extinction et les ressources
épuisables79. Il a donc admis la possibilité
théorique de faire des entorses à la concurrence en vertu de
motifs environnementaux80.
78 Pierre-Marie Dupuy et Jorge E. Viñuales,
Introduction au droit international de l'environnement, p 443.
79 Site internet de l'OMC, Inde etc./Etats-Unis :
l'affaire «crevettes--tortues».
80 Pierre-Marie Dupuy et Jorge E. Viñuales,
Introduction au droit international de l'environnement, p 449.
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Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
Ainsi, en théorie, il est possible de déroger
aux règles du droit international économique en vertu de
l'objectif de protection de l'environnement. Pourtant, jusqu'à
présent, cette possibilité n'a jamais été admise
in concreto sous l'angle de l'article XX81. Le fait que
cette possibilité ne reste que théorique peut s'expliquer par
plusieurs facteurs, notamment le détournement des règles
économiques par les Etats.
En pratique, nombre d'Etats en voie de développement
perçoivent l'attitude environnementale de certains Etats
développés comme une tentative de recherche d'avantages
concurrentiels sur leurs produits et leurs investissements, sous couvert du
drapeau de la protection environnementale82. En effet, certains
Etats invoquent la protection de l'environnement comme justification de leur
législation nationale, alors même que leur objectif réel
est de permettre une atteinte au principe de non-discrimination en
matière commerciale.
Ce fut notamment le cas des Etats-Unis dans l'affaire des
crevettes--tortues précitée. L'ORD a
considéré que cette justification était possible, mais
que, dans les circonstances de l'espèce, les conditions n'étaient
pas remplies, en particulier du fait des exigences du « chapeau
» de l'article XX. Le chapeau de l'article XX prévoit en outre
que les mesures ne doivent pas être appliquées de façon
à constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable
entre les pays où les mêmes conditions existent.
Dans cette affaire, les Etats-Unis ont interdit l'importation
de crevettes et de produits à base de crevettes, sous couvert de la
protection des tortues marines. Cependant, ils accordaient aux pays de
l'hémisphère occidental - essentiellement dans les Caraïbes
- une assistance technique et financière et des délais de
transition plus longs pour que leurs pêcheurs de crevettes se mettent
à utiliser des dispositifs d'exclusion des tortues, tandis qu'ils
n'accordaient pas les mêmes avantages aux quatre pays d'Asie (Inde,
Malaisie, Pakistan et Thaïlande)83.
Cela peut aussi s'expliquer par l'interprétation que fait
l'ORD de l'article XX.
En effet, dans le cas de la justification par l'article XX
(b), l'ORD fait en outre une application très stricte du critère
de nécessité, comme le prouve l'affaire des conditions
d'octroi de préférences tarifaires aux pays en
développement, Inde etc./Communautés européennes,
de l'Organe d'appel de l'ORD de 200484. L'ORD fait aussi une
interprétation stricte du critère de rapport de la justification
par l'article XX (g), comme le montre l'affaire essence,
Venezuela et Brésil/Etats-Unis, de l'Organe d'appel de l'ORD de
199685.
Ainsi, la réciprocité des obligations
économiques avec les obligations environnementales apparaît pour
le moment plus virtuelle que réelle.
81 Pierre-Marie Dupuy et Jorge E. Viñuales,
Introduction au droit international de l'environnement, p 449.
82 Pierre-Marie Dupuy et Jorge E. Viñuales,
Introduction au droit international de l'environnement, p 435.
83 Site internet de l'OMC, Inde etc./Etats-Unis :
l'affaire «crevettes--tortues».
84 Site internet de l'OMC, WTO Analytical Index on
GATT Article XX, paragraphe 895.
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85 Site internet de l'OMC, WTO Analytical Index on
GATT Article XX, paragraphe 938.
28
86 Site internet de l'OMC, Portail des textes
juridiques.
87 Mémorandum d'accord sur les règles
et procédures régissant le règlement des
différends, Article 1er, paragraphe 1.
88 Site internet de l'OMC, Portail des textes
juridiques.
89 Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce de 1994, Paragraphe 1.
90 Mémorandum d'accord sur les règles
et procédures régissant le règlement des
différends, Article 2, paragraphe 1.
91 Mémorandum d'accord sur les règles
et procédures régissant le règlement des
différends, Article 4.
92 Mémorandum d'accord sur les règles
et procédures régissant le règlement des
différends, Article 5.
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spécialisée en droit de l'environnement
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