Chapitre II: L'extension possible de la
compétence de la CIJ
Des différentes formes que peut prendre le consentement
des Etats à la compétence contentieuse de la CIJ, la forme la
plus protectrice de l'environnement serait la conclusion d'une nouvelle
convention internationale. Cela est dû d'une part au fait que cette
acceptation serait multilatérale, contrairement à la
déclaration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, qui
est unilatérale. D'autre part, cela est dû au fait que cette
acceptation se fait par avance, elle est donc moins casuistique que le
compromis.
137 Statut de la Cour Internationale de Justice, Article 25.
138 Statut de la Cour Internationale de Justice, Article 26,
paragraphe 1.
139 Statut de la Cour Internationale de Justice, Article 26,
paragraphe 2.
140 Statut de la Cour Internationale de Justice, Article 29.
141 Statut de la Cour Internationale de Justice, Article 27.
142 Statut de la Cour Internationale de Justice, Article 28.
143 Site internet de la Cour Internationale de Justice, Chambres
et comités.
39
144 Raphaël Romi, Droit international et européen de
l'environnement, p 14.
40
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
Pour étendre la compétence de la CIJ en
matière environnementale, il faudrait donc conclure une nouvelle
convention internationale générale en droit de l'environnement,
qui rend la CIJ compétente pour connaitre des différends relatifs
à la Convention. Cette Convention pourrait consacrer l'obligation
générale des Etats de s'assurer que les activités
exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur
contrôle ne causent pas de dommage au territoire d'autres Etats ou
à des territoires régis par le droit international. Elle pourrait
aussi définir l'environnement, ainsi que les grands principes
environnementaux.
L'extension de la compétence de la CIJ en
matière environnementale est intéressante dans la mesure
où elle est simple, puisqu'elle utilise des instruments institutionnels
connus et existants. De plus, elle permet d'éviter la création
d'une nouvelle juridiction qui favoriserait l'apparition de conflits de
juridiction. Enfin, elle permettrait de contourner l'inconvénient de la
nature consensuelle de la compétence de la CIJ, dans la mesure où
les Etats auraient consenti par avance à la compétence de la
Cour. Mais surtout, elle permettrait d'envoyer un message politique fort des
Etats, à savoir que les atteintes à l'environnement doivent
être réprimées par le droit international.
Cependant, cette extension de compétence aurait des
effets limités quant à la protection de l'environnement.
D'une part, cette extension ne remettrait pas en cause le fait
que certaines conventions internationales environnementales existantes ne font
pas référence à la CIJ, à savoir les conventions
internationales environnementales générales sectorielles
précitées. La compétence de la CIJ ne s'appliquerait que
par défaut de disposition conventionnelle prévoyant la
compétence d'une juridiction internationale.
D'autre part, elle requiert une volonté des Etats qui
semble pour le moment inexistante. En effet, la CIJ a déjà
consacré de façon coutumière l'obligation des Etats de
s'assurer que les activités exercées dans les limites de leur
juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage au territoire
d'autres Etats ou à des territoires régis par le droit
international (cf Introduction).
Comme vu précédemment (Partie I), certains Etats
ne s'assurent pas toujours, via leurs juridictions nationales, du respect de
leur obligation de protéger l'environnement, en particulier lorsqu'aucun
dommage n'est causé à leur territoire ou bien s'en assurent
partiellement, sans faire usage de leur compétence pénale.
Il semble donc peu probable que ces Etats acceptent par avance
la compétence de la CIJ pour connaître du non-respect de leur
obligation de s'assurer que les activités exercées dans les
limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de
dommage au territoire d'autres Etats ou à des territoires régis
par le droit international. Partant, les Etats qui accepteront cette
compétence seront ceux qui respectent déjà cette
obligation et non les Etats défaillants.
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
Comme vu en introduction, le nombre d'atteintes à
l'environnement à l'échelle internationale est en
hausse145. Or les législations nationales sur le crime
environnemental sont peu développées dans de nombreux
Etats146. Ces derniers n'exercent pas leur compétence
pénale à l'égard des activités relevant de leur
juridiction ou de leur contrôle.
Or, l'extension de la compétence de la CIJ ne
remédie pas nécessairement au fait que les Etats n'engagent pas
toujours la responsabilité d'un Etat qui n'a pas respecté son
obligation de ne pas causer de dommage au territoire d'autres Etats ou à
un territoire régi par le droit international. Il résulte de
cette inaction des autres Etats que l'atteinte à l'environnement restera
impunie dans le cas où l'Etat compétent ne fait pas usage de sa
juridiction. En ce sens, l'extension de la compétence de la CIJ ne
permettrait pas une meilleure efficacité du droit international de
l'environnement et donc ne serait pas `bien fondée'.
Ainsi, il apparaît peu efficace de créer une
nouvelle convention internationale réaffirmant l'obligation des Etats de
protéger l'environnement, au terme d'un objectif de protection de
l'environnement, dans la mesure où cette obligation existe
déjà en droit coutumier. Par conséquent, l'extension de la
compétence de la CIJ en matière environnementale ne serait que
d'un intérêt limité du point de vue de la protection de
l'environnement.
Titre II: La Cour Pénale Internationale (CPI)
La CPI est une institution permanente qui exerce sa
compétence à l'égard des personnes pour les crimes les
plus graves ayant une portée internationale. Elle est
complémentaire des juridictions pénales nationales147.
Elle est reliée au système des Nations Unies par un
accord148. La Cour a son siège à La Haye, aux
Pays-Bas149. La Cour a la personnalité juridique
internationale. Elle a aussi la capacité juridique qui lui est
nécessaire pour exercer ses fonctions et accomplir sa mission. La Cour
peut exercer ses fonctions et ses pouvoirs sur le territoire de tout
État Partie à son statut150.
La CPI n'est à l'heure actuelle compétente en
matière environnementale que dans le cadre d'un conflit armé.
L'extension de la compétence de la CPI permettrait de juger des
personnes physiques en cas de commission d'un crime international
environnemental. Cependant, cette extension comporte, comme l'extension de la
compétence de la CIJ, certaines limites.
145 Rapport de UNEP et Interpol, The environmental crime crisis,
2014, p 7.
146 Rapport de UNEP et Interpol, The environmental crime crisis,
2014, p 17.
147 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 1.
148 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 2.
149 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 3.
41
150 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 4.
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement Chapitre Ier : La
compétence actuelle de la CPI
La CPI a compétence à l'égard de quatre
crimes internationaux, à savoir, le crime de génocide ; les
crimes contre l'humanité; les crimes de guerre et le crime
d'agression151. Le statut de la CPI définit les trois
premiers crimes, tandis que le crime d'agression est défini par la
Résolution 3314 de l'Assemblée
Générale des Nations Unies de 1974152.
CPI153
En particulier, le crime de guerre est défini par
l'article 8 du statut de la comme les
infractions graves aux Conventions de Genève du 12
août 1949, mais aussi comme les autres violations graves des lois et
coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre
établi du droit international. Parmi ces dernières, se trouve en
particulier le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant
qu'elle causera incidemment, notamment, des dommages étendus, durables
et graves à l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs
par rapport à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct
attendu.
Actuellement, l'environnement ne fait l'objet d'une protection
par la Cour Pénale Internationale (CPI) qu'à travers la
répression des crimes de guerre. Or les conditions de la qualification
pénale de crime de guerre sont très strictes.
Le statut de la CPI prévoit que sept ans après
l'entrée en vigueur du statut, le Secrétaire
général de l'Organisation des Nations Unies convoquera une
conférence de révision pour examiner tout amendement au
statut154. L'examen pourra porter notamment, mais pas exclusivement,
sur la liste des crimes figurant à l'article 5, à savoir les 4
crimes internationaux à l'égard desquels la CPI est
compétente.
Cette conférence de révision du statut de la CPI
s'est tenue du 31 mai au 11 juin
2010 à Kampala en Ouganda. Elle a abouti à
l'adoption en 2010 des amendements à l'article 8, et à l'ajout
des articles 8bis, 15bis et 15ter155.
En outre, sont maintenant considérés comme des
crimes de guerre le fait d'employer du poison ou des armes empoisonnées
; le fait d'employer des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que
tous liquides, matières ou procédés analogues ; et le fait
d'utiliser des balles qui s'épanouissent ou s'aplatissent facilement
dans le corps humain, telles que des balles dont l'enveloppe dure ne recouvre
pas entièrement le centre ou est percée d'entailles. De plus, le
crime d'agression est maintenant défini par le statut de la CPI.
En 2010, l'avocate britannique Polly Higgins a soumis aux
Nations Unies une proposition d'amendement au statut de la CPI visant à
inclure l'écocide parmi les crimes internationaux contre la
paix156. Cependant, certains Etats se sont opposés à
cette proposition, parmi lesquels figurent les Pays-Bas.
151 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 5.
152 Résolution 3314 de l'Assemblée
Générale des Nations Unies, 14 décembre 1974, relative
à la Définition de l'agression, Annexe, Article premier.
153 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 8 2.
(b) (iv).
154 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article
123.
155 Site internet du CICR, Statut de Rome de la Cour
pénale internationale, 17 juillet 1998.
42
156 Site internet de Polly Higgins, Press.
43
157 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 25
paragraphe 1.
158 Site internet du CICR, La responsabilité
pénale individuelle pour violation du droit international humanitaire
applicable en situation de conflit armé non international.
159 Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 25
paragraphe 4.
160 Valéry Laramée de Tannenberg, Peut--on
réprimer le crime environnemental?, Journal de l'environnement, 16
mars 2016.
161 Marine Jobert, Ecocide : criminaliser et juger les
atteintes à la nature, Journal de l'environnement, 13 mars 2013.
Le bien--fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
La CPI est compétente à l'égard des
personnes physiques en vertu de son statut157. En revanche, elle
n'est pas compétente à l'égard des personnes morales.
Cette compétence ratione personae de la CPI
est concordante avec l'affirmation du Tribunal militaire international de
Nuremberg, en vertu de laquelle « ce sont des hommes, et non des
entités abstraites, qui commettent les crimes dont la répression
s'impose, comme sanction du Droit international »158.
Aucune disposition du statut relative à la
responsabilité pénale des individus n'affecte la
responsabilité des Etats en droit international159.
Ainsi, l'extension de la compétence de la CPI n'est pas
incompatible avec une extension de la compétence de la CIJ.
|