3. Le concept de personnalité et
l'identité congolaise
Le concept de culture est également au centre des
recherches dans différentes sciences comme l'anthropologie, la
sociologique, ou encore la psychologie. Cependant, les années 1930 vont
marquer un tournant dans l'étude de la culture. Certains anthropologues
vont alors chercher à se défaire de l'étude des cultures
considérée comme abstraite et à se concentrer sur la
manière dont les individus incorporent et vivent leur culture. Ils vont
alors former l'école « culture et personnalité
». Comme le précise D. Cuche dans son ouvrage (2010,
p.38) : « l'hypothèse [de ce courant théorique] étant
précisément que chaque culture détermine un
26
certain style de comportement commun à l'ensemble des
individus participant d'une culture donnée ». De ce fait, la
pensée majeure de ce courant est que ce sont les hommes qui vivent cette
culture qui permette de la définir.
Ruth Benedict va essentiellement centrer son travail sur la
définition des « types culturels »
qui se retrouvent au sein d'un « arc culturel » qui inclus les
différentes possibilités culturelles. De ce fait, la culture est
définie par un certain modèle que Benedict va nommer
pattern. C'est d'ailleurs grâce à son concept de
pattern of culture qu'elle va devenir célèbre. La
culture est alors homogène et cohérente, et non pas seulement une
juxtaposition de traits culturels. Et c'est grâce à cette
direction globale que la culture va pouvoir être définie, et non
pas par la présence ou non de traits culturels.
En parallèle aux recherches de Benedict, Margaret Mead
va essentiellement travailler sur les processus de transmission
culturelle et de socialisation. Pour
cela, elle étudie alors les modèles d'éducations afin de
comprendre de quelle manière la culture s'inscrit chez l'individu,
pouvant alors expliquer la personnalité de ce dernier. Ainsi, comme le
résume D. Cuche dans son ouvrage (2010, p.41), « la
personnalité individuelle ne s'explique pas par des caractères
biologiques (par exemple, ici, le sexe), mais par le « modèle
» culturel particulier à une société donnée
qui détermine l'éducation de l'enfant ». L'enfant,
dès sa naissance va alors être confronté à des
valeurs et des interdits formulés de manière explicite ou non qui
vont l'amener a adopter de manière inconsciente un comportement
considéré comme conforme aux principes fondamentaux de la culture
dans laquelle il évolue.
La psychologie s'est elle aussi penché sur la question
de la culture à travers ce courant théorique. Ralph Linton et
Abram Kardiner ont souhaité se différencier des anthropologues en
étudiant l'individu dans sa singularité. Pour eux, ainsi que pour
ce courant de pensée, l'homme et la culture sont deux entités bel
et bien différentes, tout en étant indissociables puisqu'elles
agissent l'une sur l'autre. R. Linton mettra en avant le concept de «
personnalité de base » qui est directement lié à la
culture dans laquelle l'individu grandit. Selon lui, c'est le type de
personnalité de base prédominant dans une culture qui la
différencie des autres. Ainsi, l'individu au cours de ses
expériences acquiert les valeurs et les fondements de sa culture
à travers l'éducation transmise par les institutions primaires,
soit la famille et l'école. Souhaitant un concept flexible et
adapté, Linton avance que dans une même culture il peut y avoir
plusieurs types de personnalité de base puisqu'il peut également
y avoir plusieurs systèmes de valeurs.
27
Enfin, ces auteurs vont également aborder la question
de l'évolution des cultures. En effet, puisque l'individu qui
intériorise sa culture à sa manière, et qu'il peut
être créateur d'innovation, il peut alors amorcer un changement.
C'est donc « l'accumulation des variations individuelles
(d'intériorisation et de vécu) à partir du thème
commun que constitue la personnalité de base permet [qui] d'expliquer
l'évolution interne d'une culture qui se fait le plus souvent à
un rythme lent » (Cuche, 2010, p.45).
Plusieurs groupes de recherche se sont penchés sur la
définition du concept de « personne » et Gora Mbodj (1988,
p.141)28 nous propose celui de l'université du Mirail
à Toulouse qui définit la personne comme « l'être
conscient de son existence, doué de raison, maître et responsable
de ses actes ». De ce fait, l'individu a conscience d'exister et
d'être différent des autres, mais a aussi besoin d'être en
lien avec son entourage pour être, tout en étant un dans un espace
temps et spatial donné.
Dans son ouvrage, C. Moukouta (2005) tente de définir
l'archéologie de la personnalité congolaise. Il débute ce
chapitre en précisant que « l'une des caractéristique de
l'Afrique en général, du Congo en particulier est sa conception
singulière de la notion de personne. En effet, attribuer à un
individu la qualité de personne sous-entend reconnaître
d'emblée l'existence d'un ordre de symboles, d'une logique de
représentation qui lui assignent une reconnaissance juridique et morale
à travers le rôle et la fonction qui l'occupe dans la
société » (Moukouta, 2005, p.33). Cependant, pour cet
auteur, il existe un écart entre le dualisme cartésien de
Descartes présent dans les sociétés occidentales et le
monisme proposé par Spinoza des sociétés traditionnelles
africaines. En effet, l'articulation entre esprit et matière ne
correspond pas aux organisations sociales observées sur le continent
africain. En Afrique, l'individu ne se différencie par de son
environnement, il est lié à son entourage, à son groupe.
L'âme et le corps sont liés. Ainsi, « au Congo, comme partout
en Afrique, l'être est indivisible voire insécable. C'est dans la
dynamique de ses rapports à la fois avec le monde réel et le
monde invisible que l'existence de l'être prend sens et corps »
(Moukouta, 2005, p.34).
Comme nous l'avons vu précédemment, la
communauté joue un rôle essentiel dans l'organisation de la
société africaine et cela va jusque dans l'achèvement du
Moi de la personne. Nous pouvons dire que l'unité personnelle existe,
mais elle englobe le groupe qui
28 Mbodj, G. (1988). « Modèle(s)
théorique(s) et développement de la personne chez les Wolofs du
Sénégal ». Regards sur la personne. Toulouse :
Presses Universitaires du Mirail
28
entoure l'individu. L'autorité de la tribu, le plus
souvent exercé par l'oncle maternel, est le garant du respect des lois
et de la mémoire collective. Face à lui, il n'y a pas de notions
de volonté et de liberté individuelle dans les
sociétés africaines.
Comme nous l'avons vu précédemment, dans les
cultures traditionnelles africaines, la société privilégie
la transmission orale pour transmettre la culture de la communauté. De
ce fait, nous pouvons dire qu'il existe un lien entre la culture, la langue et
le langage. D. Cuche (2010) consacre dans son ouvrage un encadré sur le
rapport entre ces trois entités. Il est essentiel pour le chercheur
d'étudier la langue puisque c'est un fait culturel à part
entière. Il évoque alors les travaux de l'analyse structurale en
linguistique qui précise le lien complexe entre ces deux concepts. En
effet, le langage est un produit de la culture qui est transmit de
génération en génération, mais il est aussi une
condition de la culture puisque c'est via ce langage que l'individu va
acquérir sa culture. La langue est donc le ciment de la culture, et cela
est d'autant plus vrai en Afrique.
L'Afrique est caractérisée par sa
diversité linguistique avec l'existence de nombreux dialectes. En
République du Congo, en raison du nombre important d'ethnies
différentes, il est d'ailleurs difficile de tous les compter. Cependant,
il est intéressant de noter que peu de pays africain ont conservé
une langue nationale comme langue officielle ou co-officiel comme le
précise M. Tchindjand & all. (2008). C'est le cas du
Congo-Brazzaville puisque la langue officielle est le français. En
effet, la majorité des pays africains ont choisi comme langue principale
celle issue des longues années de colonisation.
Cependant, en République du Congo, nous avons pu
observer que ce sont les dialectes nationaux qui sont principalement
utilisés dans la vie quotidienne. D'ailleurs, il est intéressant
de noter que le lingala et le kituba sont deux dialectes qui
sont considérés comme les langues nationales véhiculaires
dans le pays. Ces deux dialectes sont largement répandus au
Congo-Brazzaville, mais il est possible de noter des différences en
fonction des régions du pays, voir même des quartiers. En effet,
le kituba est essentiellement parlé dans le sud du pays,
à Pointe-Noire par exemple, alors qu'il sera plus rare à
Brazzaville. Dans la capitale, il est plus courant de rencontrer une population
qui parle le lingala, surtout dans les quartiers situés au nord
de la ville. En revanche, la population vivant dans les quartiers sud, comme le
quartier de Bacongo, utilise plus facilement un autre dialecte appelé
lari qui se différencie du lingala dans sa construction et son
vocabulaire.
La langue est importante puisqu'elle est le vecteur essentiel
de la culture et qu'elle permet à l'individu de communiquer avec son
entourage mais aussi parce qu'elle permet de marquer
29
l'appartenance au groupe, à la communauté et
même à l'ethnie. Ce sont les parents qui choisissent la langue
qu'ils vont transmettre à leurs enfants, signifiant alors qu'ils
appartiennent à la communauté dans laquelle ils
évoluent.
Nous avons donc vu que la personnalité de l'individu se
construit au fur et à mesure de ses expériences au sein d'une
communauté, mais aussi que le langage est une des dimensions de
l'identité de l'individu puisqu'il partage un socle commun avec son
groupe lui permettant de partager et de communiquer.
L'identité de la personne est donc formée
à travers de nombreuses dimensions et nous pouvons dire que le
prénom en est une composante essentielle. En Afrique, c'est la
reconnaissance du groupe, à travers les rites d'initiation, qui va
valoriser la naissance biologique de l'individu, comme nous l'apprend C.
Moukouta (2005). De ce fait, l'acte de nommer un individu, qui est alors du
premier stade d'initiation, va permettre à l'individu de prendre toute
son essence. En effet, il existe de nombreuses études cliniques
menées en psychologie cherchant à démontrer le lien de
corrélation entre prénom, identité et personnalité.
Ainsi, comme l'écrivent Nicolas Guéguen & all. (2005,
p.33)29 dans son article, le prénom est un «
élément intrinsèque du soi privé et social, a une
incidence sur les individus et il participe aux interactions sociales et
à l'évaluation d'autrui ». Le choix du prénom
dépend directement de celui des futurs parents qui vont se mettre
d'accord, mais ce dernier semble directement influencé par la culture
dans laquelle les parents évoluent.
Dans son article, N.Guéguen & all. (2005) exposent
plusieurs études qui ont permis de démontrer un lien entre le
prénom que l'individu porte, l'image de soi qui pourrait être
influencé par ce dernier, mais aussi avec la personnalité de la
personne. Les résultats des recherches montrent que le prénom est
donc une composante de la personnalité de l'individu, et donc de son
identité. Le prénom est la représentation du projet
familial mais aussi social comme l'expose Jean-Gabriel Offroy
(2001)30 dans son article. Il fait alors référence
à plusieurs types de prénoms que nous pouvons retrouver dans la
culture congolaise par exemple. Tout d'abord, il évoque « le
prénom sacré », c'est-à-dire un prénom
qui a déjà été porté par un ainé,
vivant ou décédé. Selon l'auteur, par ce processus, les
parents cherchent à
29 Guéguen, N. & all. (2005). « Le
prénom : un élément de l'identité participant
à l'évaluation de soi et d'autrui ». Les Cahiers
Internationaux de Psychologie Sociale, 2005/1 (n°65), p.33-44
30 Offroy, J-G. (2001). « Prénom et
identité sociale. Du projet social et familial au projet parental
». Spirale, 2001/3 (n°19), p.83-99
30
conserver les âmes qui détiennent le potentiel
productif du groupe. Le second type de prénom est celui qu'il a
appelé « le prénom et l'héritage ». Ce
dernier englobe les règles de prénomination qui sont liées
aux stratégies familiales et le prénom joue un rôle
économique. Le troisième type des prénoms est «
le prénom et le projet familial » et correspond au droit
d'ainesse répandu dans de nombreuses cultures. La transmission des
prénoms est essentiellement lié à l'ordre de naisse et au
sexe. Dans ce cadre, le prénom est révélateur du projet
familial détenu par les parents et la famille. Enfin, il y a «
le prénom qui situe dans un ordre social » très
souvent présent dans les cultures traditionnelles, et
particulièrement celle où le mythe est important. Dans ce cas, le
prénom renvoi de nombreuses informations comme le statut social. Il
permet de positionner l'individu à l'intérieur de sa famille,
mais également au sein de la communauté. « Il fixe le
destin, le statut, la « condition », comme on disait autrefois »
(Offroy, 2001, p.88).
Le prénom peut alors jouer sur deux dimensions que J-G.
Offroy (2001) va distinguer dans son article. Sur un niveau collectif, le
prénom, et plus précisément sa répétition,
va mettre en avant la volonté du groupe à se perpétuer. En
revanche, sur un niveau individuel, le prénom est le symbole du
désir parental de se réaliser à travers l'enfant.
Le prénom joue donc un rôle important dans la
construction de l'identité de l'individu et semble pouvoir influencer
l'individu au cours de sa vie. De ce fait, le nom que l'individu donne à
son enfant n'est que rarement le fruit du hasard, et ce particulièrement
en Afrique. Comme l'écrit M. Tchindjand & all. (2008, p.49) : «
si le nom donné à un enfant à sa naissance est lié
aux mutations politiques et sociales dues aux guerres que les régions,
les clans ou les tribus ont connues, il révèle aussi les
espérances et les projets d'avenir en même temps que les craintes,
les appréhensions à conjurer ». Le prénom est alors
un réel indicateur permettant de connaître l'origine ethnique dans
le cas des prénoms traditionnels, ou encore l'appartenance religieuse.
Cela est vrai en République du Congo. En effet, il n'est pas rare de
rencontrer des individus qui ont des prénoms que nous pouvons
considérer comme hors du commun. Il est impossible de compter le nombre
de Dieu-veille, Dieudonné et Dieu-béni
rencontré au cours de l'année.
Le prénom peut également raconter les
circonstances de sa naissance comme témoigne R. Kapuoeciñski
(1998) dans son ouvrage sur ses aventures africaines :
31
« Dans de nombreuses communautés africaines,
les noms que l'on donne aux enfants sont en rapport avec des
événement du jour de leur naissance. [É].
Jadis, dans les régions où le christianisme
et l'islam n'étaient pas encore bien implantés, la richesse des
prénoms donnés aux hommes était infinie. C'est là
que s'exprimait la poésie des adultes. Ils donnaient à leurs
enfants des noms comme « Matin agile » (si l'enfant était
né à l'aube) ou « Ombre d'Acacia » (s'il était
né sous un acacia). Dans les sociétés ignorant
l'écriture, les noms perpétuaient les évènements
les plus importants de l'histoire ancienne ou actuelle. Si un enfant naissait
au moment de la proclamation de l'indépendance du Tanganyika, on le
baptisait « Indépendence » (en swahili Uhuru). Si les parents
étaient des inconditionnels du président Nyerere, ils appelaient
leur enfant Nyerere. »
Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362
En revanche, de nos jours, les prénoms africains
disparaissent petit à petit pour laisser place à des
prénoms plus courants dans les sociétés occidentales.
Selon M. Tchindjand & all. (2008), l'attribution du nom est actuellement
influencé par trois facteurs : la mobilité des populations, le
déracinement culturel (ou le nouvelle enracinement), ou encore
l'assimilation culturelle. De ce fait, de nos jours, il n'est pas rare de
rencontrer des prénoms de nos stars et héros occidentaux lorsque
nous nous promenons en Afrique. Cependant, il est important de noter que tous
ces prénoms et noms qui disparaissent au profit des prénoms
occidentaux c'est avant tout du patrimoine immatériel qui se perd.
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