2. La culture traditionnelle africaine
Comme nous l'avons vu précédemment, c'est au
XIXème siècle que les premiers travaux sur la notion de culture
voient le jour à travers la naissance de la sociologie et de
l'ethnologie. La découverte de ses peuples considérés
comme « primitifs » va être au coeur des recherches. Il est
vrai que lorsque nous quittons notre pays européen pour partir à
la découverte du continent africain, nous ne pouvons qu'être
décontenancé et étonné. Un changement de
décor, de climat, de ce qui met nos sens en éveil... Le lendemain
de mon arrivée, j'écrivais au coeur de mon journal de bord :
« Première journée intense et
chargée en informations. Nous découvrons petit à petit
notre nouvelle ville, grouillante et pleine de vie. Pleins de petites choses
ont marqué ces premiers instants. Tout d'abord les odeurs. Il faut que
je me
19
souvienne de ces odeurs, qui me rappellent le
Sénégal. L'Afrique a des odeurs bien particulières. Quand
nous traversons la ville en taxi, les fenêtres grandes ouvertes, au
passage de certains quartiers les odeurs changent. Une odeur de roussi, de
grillade ou tout simplement de poussière ».
Manon Le Flour, septembre 2015, p.1-2
En quelques secondes nous sommes confrontés à
une toute nouvelle culture, qui peut nous paraître étrange,
incompréhensible mais qui nous fait vibrer. Au premier coup d'oeil il
est évident que la culture africaine semble très riche : une
musique particulière remplie de percussion pour danser, une cuisine
partageant l'identité du pays aux mille épices, des arts
multiples tels que la sculpture, la peinture, la création de bijoux...
Chaque pays, et même chaque quartier, semble avoir ses propres traditions
et sa propre culture.
Très vite, nous nous rendons compte qu'il est
impossible de parler de culture traditionnelle africaine sans parler de
religion. D'ailleurs, comme nous l'a appris Evariste Adjangba (intervenant lors
de la formation Intercordia) la religion, et plus
particulièrement la religion traditionnelle africaine (RTA), est un
élément fondamental et constitutif de la culture africaine.
L'africain est essentiellement déterminé par ses croyances.
La religion se définit comme « l'ensemble des
croyances ou des dogmes et de pratiques culturelles qui constituent les
rapports de l'homme avec la puissance divine (monothéisme) ou les
puissances surnaturelles (polythéisme, panthéisme) » (Le
Dictionnaire du Français, 1996, p.1399). De ce fait, nous pouvons dire
que la religion est donc un élément constitutif de la culture.
Yves Lambert, sociologue français
spécialisé dans l'histoire des religions dont nous a parlé
E. Adjangba, a tenté de définir trois critères au concept
de religion. La première caractéristique est la croyance en une
réalité se situant au delà du réel,
c'est-à-dire en dehors des limites qu'impose la science. Le second
critère est la croyance en la possibilité d'une communication
entre l'individu et la puissance surréelle grâce à des
moyens symboliques (prière, etc.). Enfin, le dernier critère qui
compose la religion est l'existence de rituels collectifs inclus dans un
système de croyances et de pratiques donnant lieu à des formes
communautaires.
La religion, présente dans la majorité des
sociétés, endosse plusieurs fonctions. Tout d'abord, elle permet
de créer du lien social entre les individus qui partagent alors des
valeurs
20
et des croyances communes sur lesquelles ils peuvent partager.
De plus, à travers les anciens écrits, les religions peuvent
fournir une explication du monde et de sa création à leurs
fidèles. Enfin, elle permet aussi de répondre à certaines
inquiétudes essentielles que les individus peuvent ressentir en donnant
des éclaircissements sur ces préoccupations, comme le mal ou
encore la mort par exemple.
Cependant, malgré sa prégnance dans la culture
africaine, ce n'est que lors du colloque sur « Les religions africaines
comme source de valeurs de civilisation »19 qui s'est
déroulé en 1970 à Cotonou que le terme de RTA a
été adopté par la communauté de chercheurs.
Auparavant, c'était le terme d'animisme qui prédominait dans le
langage commun. Le Dictionnaire du Français (1996, p.66) définit
l'animisme comme « une croyance attribuant aux choses une âme, une
conscience ». Comme le précise René Tabard (2010,
p.191)20 dans son article : « les Noirs n'étaient pas
matérialistes parce qu'ils croyaient que tous les êtres,
animés et inanimés, avaient une âme ».
Le terme de RTA est donc né suite à de
nombreuses recherches sur les pratiques religieuses observées en Afrique
subsaharienne et désigne l'ensemble des expressions
répertoriées : animisme, fétichisme, naturalisme... Albert
Mukena Katayi dans son ouvrage défini les RTA comme telles :
« Ensemble des croyances et des pratiques religieuses
traditionnelles par lesquelles les Africains se relient à Dieu et
à la communauté formée par les morts-vivants et les
vivants d'ici-bas. »
Albert Mukena Katayi, 2007, p.3421
Comme le précise Philippe Denis (2007)22
dans son article, les RTA recherchent principalement à assurer
l'harmonie entre les vivants, les morts-vivants mais aussi les ancêtres.
En effet, dans les RTA il n'y a pas de coupure entre le visible et l'invisible,
ni entre le sacré et le profane, tout se confond. Comme nous l'avait
précisé Evariste Adjangba lors de son intervention, dans les RTA
tout est lié, tout est vivant, tout est doté d'une âme et
tout est interdépendant.
19 Aguessy, H. (1970). « A propos du Colloque sur "Les
religions traditionnelles comme source de valeurs de civilisation" ».
Présence Africaine, n°74, p.90-93
20 Tabard, R. (2010). « Religions et cultures
traditionnelles africaines ». Revue des sciences religieuses, 84
(n°2), p.191-205
21 Mukena Katayi, A. (2007). Dialogue avec la religion
traditionnelle africaine. Paris : L'Harmattan
22 Denis, P. (2007). « La montée de la religion
traditionnelle africiane dans l'Afrique du Sud démocratique ».
Histoire et missions chrétiennes, (n°3), p.121-135
21
La grande différence entre les RTA et les religions que
nous connaissons dans nos cultures occidentales est que ces religions ne sont
pas instituées. En effet, comme l'écrit P. Denis (2007, p.122) :
« elle n'a ni clergé, ni lieu de culte, ni doctrine. Son seul objet
est de développer une relation de confiance avec les ancêtres du
clan ou de la tribu pour éviter les malheurs, accidents et maladies qui
risqueraient de se produire s'ils cessaient de protéger leurs
descendants ». Il est aussi intéressant de mettre en lumière
la dimension dynamique des RTA ou rien n'est figé, ou toute
évolution est possible. Les RTA présentent alors une forte
capacité d'adaptation et ne sont pas antonymes avec une évolution
possible.
R. Tabard (2010) appui son article sur les travaux de
Gérard Buakassa (1977)23, anthropologue congolais, pour
évoquer l'influence des RTA dans la vie quotidienne des individus. Il
cite alors G. Buakassa dans son article :
« Aujourd'hui, écrit-il, la religion africaine
n'existe nulle part, mais elle est
partout, dans les consciences, dans les opérations
spirituelles ou empiriques,
dans les représentations, dans les attitudes, dans les
gestes, dans les proverbes
dans les légendes, dans les mythes... Elle est partout,
à la campagne comme en
ville, dans les procès judiciaires comme dans les
conventions politiques ».
R. Tabard, 2010, p.194
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Lors du Colloque du Festival mondial des Arts
Négro-africain, G. Buakassa démontre alors l'impact
prépondérant des RTA sur l'existence quotidienne des individus.
Elles influencent les rythmes de vie à travers les nombreux rituels,
mais aussi l'organisation sociale dans son ensemble. La société
peut alors se représenter sous forme d'un triangle, divisé en
quatre catégories. La première, à la base de la pyramide,
représente les individus qui composent la famille menée par le
chef de clan. La seconde catégorie est celle des ancêtres qui
représente les ascendants qui ont déjà quitté le
monde réel et se trouvent dans un entre-deux. Ils continuent à
vivre mais d'une nouvelle manière, dans un autre monde. Ces deux
catégories forment la famille
23 Buakassa, G. (1977). « Impact de la religion africaine
sur l'Afrique d'aujourd'hui : latence et patience », Colloque du
Festival mondial des Arts Négro-africains, Lagos
22
étendue. Les membres de la famille entrent en contact
avec les ancêtres dans deux types de situations comme l'explique P. Denis
dans un de ses articles (2004)24. La première situation est
lors des rites de passage que la famille célèbre au cours de la
vie, tel que les naissances, les mariages, les enterrements par exemple. La
seconde situation est lors des moments de crises, pouvant alors être la
maladie ou les conflits au sein de la famille. De cette manière, les
ancêtres accompagnent les vivants tout au long de leur vie et de leurs
expériences avec pour mission d'assurer la protection de ces
derniers.
La troisième catégorie qui organise la
société est celle des divinités et des esprits. Elle se
trouve entre les humains présents sur terre et la divinité au
sommet de la pyramide. Ces esprits, pouvant également être
appelé génies dans certaines sociétés, sont des
êtres vivants très souvent lié aux phénomènes
de la nature (génie de la rivière, génie du vent,
génie de la forêt, etc.) et ont pour rôle de maintenir
l'ordre du monde. Enfin, la dernière catégorie est celle qui
représente Dieu qui est à la base du fondement du monde et de la
vie. Il est inaccessible. C'est un créateur bon et tout puissant, comme
le qualifie E. Adjangba, et la question de son existence ne se pose même
pas. Le concept d'athéisme, c'est-à-dire la doctrine qui nie
l'existence de Dieu, n'existe pas en Afrique Subsaharienne. Pour un africain,
il est inconcevable de ne pas croire en Dieu.
Le monde des vivants est lui organisé en fonction de
différentes structures sociales qui partagent toutes des valeurs morales
et religieuses similaires. Chaque structure englobe la suivante, allant de la
famille à l'ethnie d'appartenance. Dans le cadre de mon
expérience au Congo-Brazzaville, j'ai pu remarquer la présence et
l'importance de ces structures.
Il y a tout d'abord la famille comprenant les
personnes vivant sous le même toit ou au sein de la même parcelle.
En Afrique, le concept de famille nucléaire, c'est-à-dire un
père, une mère et des enfants, n'existe pas. Ensuite, nous
pouvons évoquer la parenté, c'est-à-dire
tous les membres de la famille éloignés mais également les
alliés, c'est-à-dire les individus de confiance. La
parenté en Afrique est plus sociale que biologique. Puis se trouve le
clan qui regroupe alors un ensemble d'individus partageant des
liens de sang, mais surtout se considérant comme descendants d'un
ancêtre commun. La quatrième structure est celle de la
tribu qui se définit alors comme le groupe social et
politique qui fonde leur solidarité sur une parenté ethnique
réelle ou supposée comme nous l'explique E. Adjangba lors de
son
24 Denis, P. (2004). « Chrétiennes et africaines.
Le dilemme d'un groupe de femmes sud-africaines », Revue
théologique de Louvain, (n°1), p.54-74
23
intervention. Enfin, la dernière structure est
l'ethnie, structure la plus large et englobant les
précédentes, qui se définit alors comme un ensemble
d'individus unis par une certaine culture.
Ces différentes structures partagent donc un socle
commun de valeurs et travaillent dans un but commun : le maintien de l'ordre
social. L'ordre social, en opposition au désordre, est la recherche de
ce qui est conforme aux traditions et aux lois. Ce concept d'ordre social
permet à l'individu de faire la différence entre le bien et le
mal. De ce fait la recherche de l'ordre et donc du bien accroît
l'harmonie sociale et assure l'équilibre qui mène alors au
bien-être social.
Enfin, la culture africaine se différencie
également par son oralité. Qui n'a jamais entendu le vieil adage
?
« En Afrique, lorsqu'un vieillard meurt, c'est une
bibliothèque qui brûle »
Cette citation que nous avons tous déjà entendue
a été prononcée par Amadou Hampâté Bâ,
écrivain et ethnologue malien, qui défendait avec ferveur la
tradition orale très présente sur le continent noir. En effet,
comme le précise A. Sow et ses collaborateurs dans leur ouvrage
(1977)25, l'oralité est l'une des caractéristiques des
cultures africaines traditionnelle, voir même celle qui est essentielle.
En effet, les valeurs culturelles sont transmises depuis de nombreuses
générations par la voie orale permettant alors aux individus de
les acquérir. A. Sow & all. (1977) précisent que la
transmission orale n'est bien entendu pas la seule, mais c'est cette voie de
transmission qui est privilégiée au sein de la
société. De ce fait, ils écrivent que «
l'oralité est l'effet autant que la cause d'un certain mode d'être
social. Elle marque des rapports sociaux spécifiques en
privilégiant certains facteurs de stratification ou de
différenciation sociale tels que la détention de la parole qui
fait autorité, l'initiation à des connaissances constituant une
sorte de savoir minimum garanti qualifiant l'individu » (A. Sow &
all., 1977, p.173-174).
La dimension orale prend alors une place importante dans la
culture africaine. Elle est essentielle pour la transmission des valeurs, des
règles, de la culture comme nous venons de le voir. Dans son ouvrage
relatant ses aventures africaines, R. Kapuoeciñski (1998, p.362)
témoigne de cette oralité à travers l'éducation
donnée aux enfants du village lorsqu'il raconte la vie autour du
manguier du village :
25 Sow, A. & all. (1977). Introduction à la culture
africaine - Aspects généraux. Unesco
24
« Si dans le village il y a un instituteur, l'arbre
tient lieu d'école. Le matin, il entraine sous ses ramures les enfants
du village tout entier. Il n'y a ni classes ni limite d'âge. Qui veut
venir vient. Le maître ou la maîtresse accroche au tronc un
alphabet imprimé sur une feuille de papier. Il montre les lettres avec
une baguette, et les enfants regardent et répètent. Ils doivent
apprendre par coeur, car ils n'ont ni crayon ni papier ».
Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362
Bien heureusement, cet auteur-voyageur raconte les
scènes qu'il a découvertes au début des années 1960
et les choses ont évolué depuis. Des écoles se sont
construites avec des tableaux noirs aux murs et des ardoises dans les casiers,
les cahiers et les stylos sont plus facilement accessibles pour la
majorité de la population. Bien entendu, comme j'ai pu le constater au
cours de mon expérience congolaise, des disparités subsistent et
l'accès à l'éducation est encore un luxe pour certains
enfants.
De ce fait, comme l'écrit Mesmin Tchindjang, Athanase
Bopda et Louise Angéline Ngamgne dans l'article intitulé «
Langues et identités culturelles en Afrique » (2008,
p.48)26 : « L'oralité est une voie de transmission de
l'histoire, de la loi, de la littérature, de génération en
génération dans les sociétés humaines (peuples,
ethnies, etc.) qui ne disposent pas ou ne veulent pas disposer de
système d'écriture ou qui, dans certaines circonstances,
choisissent de ne pas l'utiliser, ou y sont contraintes ».
La République du Congo n'échappe pas à
cette tradition de l'oralité comme nous le précise Charlemagne
Moukouta dans son ouvrage (2005)27. En effet, les congolais,
descendants directs des peuples bantous, utilisent cette communication
essentiellement orale qui inclut l'animisme, le cosmos et le divin. Les langues
bantoues, qu'il serait possible de dénombrer à plus de quatre
cents, se retrouvent essentiellement en Afrique subsaharienne. Cependant, il
est nécessaire de ne pas mettre de côté la communication
non verbale, tout aussi importante chez les bantous. Comme dirait C. Moukouta
(2005, p.37) : « l'animisme rime toujours avec la mimique ». Ainsi,
il est essentiel pour recevoir le message dans sa totalité de prendre en
compte l'environnement de la personne (hiérarchie, valeurs, etc.), mais
aussi la position de l'émetteur (assis ou debout, etc.).
Dans son ouvrage, le manguier symbolise le lieu de
transmission de l'éducation, mais aussi le lieu ou tout se règle.
La communauté étant tout aussi importante que l'oralité au
sein de la
26 Tchindjang, M., Bopda, A., Ngamgne, L.A. (2008). «
Langues et identités culturelles en Afrique. Museum International
(Edition Française). Unesco
27 Moukouta, C.S. (2005). Maladie mentale : itinéraires
thérapeutiques au Congo. Paris : Paari
25
culture traditionnelle africaine, elle a le besoin de se
retrouver régulièrement afin de faire le point sur la situation
actuelle, sur les problèmes rencontrés et de prendre une
décision ensemble. Les individus discutent afin de trouver une solution
qui convient à chacun. R. Kapuoeciñski témoigne avec
beaucoup de simplicité ces scènes de vie que nous pouvons
rencontrer de manière quotidienne lorsque nous nous promenons dans un
pays africain. Elles se font peut-être de nos jours au fond d'une
parcelle ou au détour d'une ruelle, mais elles existent bel et bien :
« C'est l'après-midi que les choses
sérieuses se passent : les adultes se retrouvent sous l'arbre pour tenir
conseil. Le manguier est le seul endroit où ils peuvent se réunir
et discuter, car dans le village il n'y a pas de local suffisamment spacieux.
Les gens se rendent à cette réunion avec ponctualité et de
bon gré. Les Africains ont une nature collectiviste, ils
éprouvent un besoin intense de participer à tout ce qui fait
partie de la vie du groupe. Toutes les décisions sont prises de concert.
C'est en commun que l'on tranche les disputes et les conflits, que l'on
décide qui recevra telle terre à cultiver. La tradition veut que
toute décision soit prise à l'unanimité. »
Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362
Nous avons donc vu que l'Afrique détient une forme
traditionnelle de culture, se caractérisant essentiellement par une
forme de religion traditionnelle mais aussi par une transmission via une voie
orale des valeurs communes.
Nos recherches sur le concept de « culture » dans
les sciences sociales nous ont également amenées à
découvrir l'école « culture et personnalité »
mis en lumière par certains anthropologues et ethnologue. De plus, comme
les concepts de « culture » et d'«identité »
relèvent d'une réalité similaire, certain auteur, comme
Charlemagne Moukouta (2005), ont tenté de définir
l'archéologie de la personnalité congolaise au sein de l'un de
ses ouvrages traitant des maladies mentales.
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