3. Les politiques de santé publique en termes de
santé mentale
Comme nous l'avons vu précédemment, la
santé mentale est au coeur des nouvelles préoccupations
gouvernementales en termes de santé. Cependant, les troubles mentaux ont
longtemps été pris en charge par les médecines
traditionnelles et encore aujourd'hui. Comme l'écrit Kastler (2011,
p.172) dans son article, « les malade sont souvent
considérés comme « possédés » par
l'esprit des ancêtres ou agressés par la sorcellerie. Cela
entraine des réponses inadaptées et contribue à
stigmatiser ceux qui souffrent de maladies mentales. Ce sont les
guérisseurs et les dirigeants religieux qui sont ainsi amenés
à traiter les maladies mentales en raison de l'influence de la tradition
et du manque d'infrastructures adéquates ». Ce dernier point que
Kastler (2011) évoque est important et primordial€ dans la
compréhension de la prise en charge en santé mentale.
a Basé sur les informations communiquées par 181
Etats Membres bBasé sur les informations communi uées
ar 160 Etats Membres
67
Figure 3 : Présence de politiques et de
législation de santé mentale, pourcentage d'Etats Membres par
Région, OMS
2000
L'OMS (2001) fait un état des lieux de la situation
actuelle. De nombreux pays du sud ne disposent pas de politiques de
santé mentale, ni même de législation alors que ces
dernières sont essentielles afin de protéger les personnes
vulnérables. Comme nous pouvons le voir sur les figures, en Afrique,
dans 52% des cas, les politiques de santé mentale n'existent pas.
Cependant, nous pouvons remarquer que dans 59% des cas, une législation
de santé mentale existe dans le pays.
68
De plus, les pays d'Afrique sont confrontés à
l'absence de structures et de personnel pour prendre en charge correctement ces
malades. En effet, comme le précise Kastler (2011) qui s'appuie sur les
chiffres de l'OMS (2001), nous comptons un psychiatre pour 5 millions
d'habitants. A comparaison, en Europe, il y a un psychiatre pour 1000
personnes. La République du Congo n'est pas la dernière du
classement mais est loin des standards européens. Dans tout le pays qui
compte 4 millions d'habitants, il y a quatre psychiatres. Deux d'entre eux
officient au Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville, dont le docteur
Paul Gandou que j'ai eu l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises ;
un psychiatre intervient à l'hôpital militaire de Brazzaville ; un
psychiatre à Pointe-Noire (capitale économique du pays). Il y a
aussi un psychiatre retraité qui officie en libéral pour soulager
les services psychiatriques surchargés lorsque cela est
nécessaire. Tous ces psychiatres ont été formés
à l'étranger avant de revenir pratiquer au Congo puisque
l'université Marien N'Gouabi ne propose pas le cursus adapté.
Cela met en avant la première faiblesse du système : la formation
des professionnels de santé spécialisés en santé
mentale. Afin de répondre aux besoins des populations il semble
essentiel de renforcer la formation du personnel pour mieux prendre en charge
les malades.
Sarah Sauneron (2011)57 consacre un article
à un phénomène important en Afrique : la fuite des
cerveaux. Chen et ses collaborateurs (2004)58 estime qu'il manque 4
millions de professionnels médicaux dans les pays les plus pauvres. Ce
constat est le même quelques années plus tard. L'OMS
(2006)59 évoque une situation extrêmement
préoccupante avec 57 pays en manque important de personnel de
santé, dont de nombreux en Afrique. Cela est d'autant plus
inquiétant que l'OMS (2006) évalue que 20% des personnes malades
se trouvent en Afrique, alors que ce continent ne compte seulement que 4% des
agents de santé. Il existe donc bel et bien une pénurie de
personnel médical dans les différents pays qui peut être
expliquée par plusieurs facteurs. Sauneron (2011) différencie les
facteurs de départ et les facteurs d'attraction pour expliquer ce
phénomène important. Les facteurs de départ sont donc ceux
qui motivent les professionnels à quitter leur pays afin
d'émigrer dans un nouveau, ce sont des facteurs propres au pays. Les
plus récurrents sont les conditions de travail et les
57 Sauneron, S. (2011). « La migration des
médecins africains vers les pays développés ».
Santé internationale : Les enjeux de santeì au
Sud. Paris : Presses de Science Po, 207-213
58 Chen, L. & all. (2004). « Human ressources for
health: overcoming the crisis », The Lancet, 364 (9449),
p.1984-1990
59 Organisation Mondiale de la Santé Mentale (2006).
Travailler ensemble pour la santé. Rapport sur la santé dans
le monde. Bibliothèque de l'OMS
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difficultés rencontrées, l'instabilité
politique et économique du pays et enfin l'absence de valorisation. En
revanche, les facteurs d'attraction sont liés au pays d'accueil et
à ce qu'il offre de meilleur, comme un salaire plus attrayant, des
meilleures conditions d'éducation pour les enfants de la famille ou
encore des possibilités de promotion professionnelle. Ces facteurs
associés il est tout à fait possible de comprendre la
décision des médecins d'émigrer vers d'autres pays.
Afin d'éviter la fuite des cerveaux, plusieurs
solutions sont possibles. Les organisations internationales s'accordent sur la
nécessité d'agir de manière coordonnée et
rapidement. L'une des premières solutions envisagées est de
financer les pays africains formateurs afin de favoriser l'éducation,
mais également pour compenser le manque à gagner de ces
départs. La seconde action est d'instaurer des codes de recrutement
éthiques étant donné que certains pays mènent des
politiques de recrutements qui poussent à l'émigration de ces
médecins africains. Il existe donc huit documents internationaux pour
encourager le recrutement international éthique de personnel de
santé. Ces textes sont intéressants mais ils n'ont qu'une marge
d'action limitée car ils ne sont pas obligatoires. Enfin, une autre
solution possible est la mise en place de mesures de restriction (services
obligatoires, etc.) dans les pays à forte émigration. Tout cela
étant très compliqué, les institutions internationales
mettent en avant la migration circulaire. Cette migration consiste à
voir les médecins revenir au pays après leur formation. Ainsi,
« l'objectif n'est donc pas d'empêcher la circulation entre le Nord
et le Sud mais bien d'inciter les médecins à revenir dans leurs
pays » (Sauneron, 2011, 210).
Il faut donc améliorer plusieurs dimensions afin de
voir la fuite des cerveaux ralentir. Travailler sur les politiques de
recrutements est essentiel, mais il est également important d'essayer de
réduire les facteurs de départ afin d'inciter les médecins
à rester dans leur pays d'origine.
Au Congo-Brazzaville, il y a de plus en plus de psychologues,
et plus particulièrement de psychologues cliniciens. En effet,
l'université Marien N'Gouabi forme des psychologues
généraux depuis les années 1980 et a ajouté
à son offre de formation la psychologie clinique depuis plusieurs
années. Le métier est petit à petit en train de se
démocratiser et de faire sa place dans la société.
Cependant, il est encore très rare de trouver des cabinets
libéraux ouverts au public. Les psychologues formés ont longtemps
essentiellement travaillé dans les administrations, comme c'était
le cas pour Monsieur Raymond Sita rencontré en entretien. Depuis peu,
les psychologues font leur entrée dans les services des hôpitaux
du pays. Il y a donc désormais une psychologue dans le service
psychiatrique qui travaille au côté des deux
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psychiatres. Egalement il y a des psychologues dans les
services de neurologie et de cardiologie afin de prendre en charge le stress.
Beaucoup d'entre eux sont également engagés par les ONG
internationale (Terre Sans Frontière, Croix Rouge Française,
etc.) afin d'intervenir sur les programmes spécialisés comme la
prise en charge des personnes vivant avec le VIH ou des réfugiés
au nord du pays par exemple.
Au cours de mon expérience au Congo, j'ai eu l'occasion
d'assister à la première journée de la « Psychologie
et de la Santé Publique » le 12 mai 2016. Cette journée a
été organisée à l'initiative du département
de la psychologie et du département de la santé publique de
l'université Marien N'Gouabi de Brazzaville. Le thème principal,
« Pathologie Psychosomatique et Psychotraumatique » a donné
lieu à plusieurs conférences. Son objectif principal a
été de créer du lien entre ces deux départements et
le CHU de Brazzaville qui a accueilli cet événement. Le
partenariat avec le CHU est essentiel car il y a une demande pour la
présence des psychologues au sein des différents services. Ce qui
créerait un lieu ou les étudiants pourraient effectuer leurs
stages universitaires et pratiquent pour la première fois
encadrés par un tuteur. La salle était pleine à craquer.
Des médecins, des psychiatres, des psychologues et de nombreux
étudiants ont assisté à des conférences plus
intéressantes les unes que les autres. En plus des conférences,
des débats se sont tenus afin d'évoquer les problèmes de
législation inexistante au Congo-Brazzaville, et l'absence de
déontologie. La fin de journée a été
consacrée à la création d'un code de déontologie
afin de mieux définir la pratique des psychologues.
Selon le docteur Paul Gandou, le plus gros problème
à Brazzaville c'est que tout le monde fait ses choses dans son coin,
qu'il n'y a pas de communication entre les différentes institutions. Les
ONG travaillent dans leur coin, le système judiciaire aussi et fait
appel aux psychiatres lorsqu'ils en ont besoin. Les psychologues font de
même et travaillent là où ils le peuvent.
Un autre problème est la présence de personnes
non qualifiées à la tête de certains gouvernements, comme
celui qui prend en charge la problématique de la santé mentale.
Depuis son investiture à la tête du ministère de la
santé mentale, ce ministre n'a encore jamais mis les pieds dans le
service de psychiatrie de la ville. Et comme le souligne Dr Gandou, si le
ministre ne se déplace pas dans le lieu de référence de la
prise en charge de la maladie mentale, les réformes ne vont pas pouvoir
se faire, ou du moins seront inadaptées. Comme il n'y a pas de
politiques existantes sur la santé mentale, il ne peut pas y avoir de
moyens attribués et donc il est impossible de faire la promotion de la
santé mentale et de ses
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problématiques. Il est donc difficile pour les
individus d'avoir accès à l'information et donc au soin
psychiatrique si nécessaire.
De plus, étant donné que le service de
psychiatrie est rattaché au CHU de la ville, ils n'ont qu'une
très faible liberté de mouvement sur certains choix importants
(budget, aménagement, etc.). Le CHU prend en charge le service de
psychiatrie comme un autre service, ce qui n'est pas adapté à la
demande réelle.
Cette journée montre que les choses sont en train de
bouger petit à petit. Que le pays est en train de prendre conscience de
l'importance de la prise en charge de la santé mentale et de la
nécessité de former son personnel médical. Au fil des
années, les lieux de soins des troubles mentaux sont de plus en plus
visibles et accessibles aux malades. Ainsi, les réformes sont petit
à petit mises en place dans le pays afin de voir une amélioration
de la prise en charge de ces malades. Au fil des dernières
décennies, des changements ont déjà pu être
constatés, ce qui est encourageant pour la suite.
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