Conclusion
Nous voilà à la fin de ce travail qui a pour
objectif de répondre à la question suivante :
Quelle place pour la psychologie dans une culture
traditionnelle africaine ?
Afin de répondre à cette large question, nous
avons réduit notre champ d'étude à la République du
Congo, pays dans lequel j'ai passé mon service civique et
travaillé au sein des centres de santé intégrés. Le
Congo-Brazzaville, comme nous l'avons vu, a une culture traditionnelle
africaine. Cette culture est largement empreinte des religions animistes,
où les sorciers, les génies et les ancêtres jouent un
rôle important au sein de la société.
La psychologie, science d'origine occidentale, est liée
à la santé mentale de l'individu. Il a été
essentiel de définir la santé mentale au coeur de ce sujet de
recherche afin d'en délimiter le cadre. Pour cela nous nous sommes
appuyés sur les travaux de l'OMS, précurseur en termes de
réflexion autour de la santé mentale. Ainsi depuis une dizaine
d'année, la santé mentale est au coeur des préoccupations
actuelles dans les organisations internationales.
La société congolaise a la particularité
d'offrir plusieurs choix de recours thérapeutiques, et ce d'autant plus
avec l'urbanisation du pays au cours des dernières années.
L'itinéraire thérapeutique le plus courant dans les années
1980 a servi de squelette au plan de ce travail.
La première partie de ce travail a permis de faire le
point sur la réalité congolaise d'un point de vue
économique, démographique et politique, afin de mieux cerner les
problématiques actuelles présentes dans ce pays.
Nous avons donc consacré la deuxième partie de
ce travail à la culture traditionnelle africaine et ses
particularités et donc à la médecine traditionnelle qui a
longtemps été utilisée et qui encore aujourd'hui a une
importance certaine.
La troisième partie de ce travail a porté sur la
sphère religieuse, qui a connu une expansion incroyable au cours des
dernières décennies et qui joue également un rôle
majeur dans la prise en charge des malades au Congo-Brazzaville.
Enfin, la dernière partie a été
consacrée à la prise en charge des troubles mentaux par les
institutions médicales et psychiatriques présentes dans le pays
depuis peu.
La question de base était de savoir si la psychologie,
d'origine occidentale, pouvait s'adapter à une culture
complètement différente comme les cultures traditionnelles
africaines. Pour nombre d'entre nous, la psychologie est avant tout universelle
comme nous l'a dit le
73
psychologue congolais Monsieur Raymond Sita rencontré
en entretien à Brazzaville. L'être humain, quelque soit son
origine, est animé par les mêmes pulsions, les mêmes
mécanismes physiologiques et psychologiques. Cependant, il est tout de
même marqué par sa culture dans laquelle il évolue depuis
sa naissance, et peut-être même avant. La culture joue un
rôle important sur la personne, elle le modèle, elle lui inculque
les valeurs et les normes qu'il doit intégrer. Comme nous l'avons vu, la
culture traditionnelle africaine est particulière, avec ses codes
à elle et l'importance de la religion traditionnelle très
présente encore de nos jours. De ce fait, beaucoup de symptômes
sont directement associés à des phénomènes de
sorcellerie.
Malgré tout, les troubles psychiques présents en
Afrique ont de nombreux points communs avec ceux de l'occident. Ils ne
s'expriment pas tous de la même manière mais les mécanismes
sous-jacents sont similaires. De ce fait, les psychologues et psychiatres
présents pratiquent donc les théories qu'ils ont apprises lors de
leurs études à l'étranger. C'est le cas du psychiatre Paul
Gandou et du psychologue Michel N'Zalamou qui pratiquent les thérapies
cognitivo comportementales. A travers leurs témoignages, ils m'ont
montré la pertinence de ces théories et la possibilité de
les mettre en pratique au Congo ainsi que leur efficacité. Chacun des
grands courants peut alors trouver une accroche dans les cultures
traditionnelles africaines. Ce qui est important c'est de prendre le temps de
connaître l'autre, de comprendre son fonctionnement et de prendre en
compte ses représentations. Cette notion avait déjà
été abordée à la formation de départ
Intercordia par Gilles Le Cardinal. Les représentations sont au
coeur des relations interculturelles et rejoignent les dogmes théoriques
de certains courants de pensée comme l'éthnopsychiatrie.
Il est également nécessaire de prendre le temps.
Le temps, pour un psychologue occidental arrivant dans un pays africain pour
pratiquer, de découvrir son environnement, de découvrir ses
collègues, de découvrir la population et d'essayer de comprendre.
Nous l'avons évoqué, le temps en Afrique est très
élastique, et c'est le cas pour cette prise de contact. Il ne faut pas
trop brusquer les choses afin de favoriser l'alliance thérapeutique.
Peut-être est-il préférable de « perdre » un peu
de temps au début, afin de construire des bases solides, quitte à
ne pas répondre aux demandes d'efficacité des institutions ou des
sièges d'ONG se trouvant en occident. J'ai souvent évoqué
cette notion de temps dans mes rapports d'étonnement, j'ai
également abordé ce temps d'adaptation avec les patients, avec
les collègues.
74
J'avais alors cité un passage du célèbre
livre d'Antoine de Saint-Exupéry (1943)60 qui à mon
sens résume bien l'approche à adopter :
« C'est alors qu'apparut le renard . ·
[...]
- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis
tellement triste.
- Je ne puis jouer avec toi dit le renard, je ne suis pas
apprivoisé.
- Ah ! pardon, fit le petit prince.
Mais après réflexion, il ajouta
. ·
- Qu'est ce que signifie "apprivoiser" ?
[...]
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard.
Ça signifie "créer des liens"... »
A. de Saint-Exupéry, 1943, p. 66-68
La prise en charge de la santé mentale est donc
actuellement au coeur des préoccupations dans la communauté
internationale et de plus en plus présente en République du
Congo. Comme nous l'avons vu précédemment, dans les années
1980, l'itinéraire thérapeutique dominant était :
Apparition des troubles - Consultation du
tradithérapeute
Si persistance des troubles - Consultation du pasteur /
prêtre
Si persistance des troubles - Consultation du médecin /
psychiatre
Les entretiens avec les psychologues et psychiatre
rencontrés, ainsi que les analyses et les articles existants, nous a
permis de nous rendre compte d'un changement au fil des dernières
années. En effet, avec l'expansion des sphères religieuses
à la sortie des guerres civiles, ces dernières prennent de plus
en plus de place dans la société congolaise.
De ce fait, à l'heure d'aujourd'hui, les personnes qui
souffrent de troubles mentaux et leurs familles vont avoir tendance à se
diriger en premier vers leurs paroisses afin de consulter le pasteur ou le
prêtre. Ce dernier a pour mission de désenvoûter le malade
comme nous avons pu le voir. Il existe donc des centres prières qui
accueillent les malades, dans des conditions plus ou moins difficiles. Ainsi,
aujourd'hui l'itinéraire thérapeutique dominant prend cette forme
:
Apparition des troubles - Consultation du pasteur /
prêtre
Si persistance des troubles - Consultation du médecin /
psychiatre
Si persistance des troubles - Consultation du
tradithérapeute
60 de Saint-Exupéry, A. (1943). Le Petit Prince. Paris :
Gallimard
75
Cette recherche nous permet de voir que la psychologie a une
place cohérente au sein des cultures traditionnelle africaine, et plus
particulière en République du Congo. Elle est de plus en plus
utilisée par les ONG internationales au sein de différents
programmes d'aide aux populations vulnérables suite à conflits
armées, aux catastrophes naturelles, aux difficultés
économiques. Mais également de plus en plus présente au
sein des pays. Le Congo-Brazzaville propose dorénavant une formation
universitaire afin de diplômer des psychologues cliniciens. Cependant,
des efforts sont encore à fournir, au niveau de la qualité de la
formation mais également de la communication entre les
différentes institutions afin de sensibiliser la population aux
problématiques de santé mentale.
Pour cela, le gouvernement doit prendre part aux
réformes, doit s'investir et investir dans cette dimension de la
santé. Il doit donner les moyens aux acteurs pour prendre en charge
correctement les malades.
Le psychiatre Paul Gandou est confiant, les choses vont
s'améliorer et l'itinéraire thérapeutique va encore se
modifier en faveur des institutions psychiatriques. Il devrait alors prendre la
forme suivante :
Apparition des troubles - Consultation du médecin /
psychiatre Si persistance des troubles - Consultation du pasteur / prêtre
Si persistance des troubles - Consultation du tradithérapeute
Cela ne veut pas dire que la population locale abandonne son
identité, sa culture, ce qu'elle est, et ce d'autant plus que la
psychologie et la psychiatrie respecte cette dimension traditionnelle. Elles
s'adaptent aux représentations collectives, aux représentations
individuelles de chaque patient. Il est essentiel que chaque pratique
réponde à une certaine éthique enseignée. C'est
également pour cette raison qu'il est essentiel que le domaine de la
santé mental soit régi par une législation et un code de
déontologie afin de prévenir les excès. Comme nous l'avons
vu, des premiers textes ont été écrits pour une
législation de la santé mentale par l'OMS (2005) et des actions
naissent petit à petit au sein des pays comme c'est le cas au
Congo-Brazzaville avec l'organisation de la première journée de
« Psychologie et de Santé Publique ».
Il y a donc quelque chose qui se met en mouvement, petit
à petit, des mesures qui favorisent le développement des
institutions psychiatriques afin de prendre en charge les
76
personnes atteintes de troubles mentaux. La République
du Congo est un pays qui s'est enrichi grâce au pétrole et qui
possède actuellement un PIB important. C'est donc un pays qui a les
moyens de mettre en place des réformes, de construire des centres de
prise en charge répondant aux critères européens, de
fournir les psychotropes nécessaire. Mais c'est également une
société qui fonctionne à deux vitesses. En effet, d'un
côté nous avons la population favorisée, proche des
ministères la plupart du temps et qui possèdent une grosse partie
du pays. De l'autre, une population qui rencontre de nombreuses
difficultés pour se nourrir, se vêtir, se déplacer et
également se soigner. La classe moyenne n'existe pas réellement
au Congo. Etant donné l'existence d'un lien de causalité entre la
pauvreté et les troubles mentaux, c'est également cette classe de
la population qui a besoin d'être sensibilisée aux
problématiques de santé mentale, d'avoir accès aux soins
psychiatriques si nécessaire et également aux psychotropes.
La question est donc maintenant de savoir si le gouvernement
va prendre ses responsabilités et s'investir réellement pour
améliorer le service de prise en charge des personnes atteintes de
troubles mentaux ?
|