III. La religion au centre de la culture congolaise
1. L'arrivée des religions dites occidentales en
Afrique et le concept d'inculturation
Comme nous l'avons vu dans la partie précédente,
la République du Congo possède une culture traditionnelle
africaine. Cependant, il ne faut pas oublier son histoire et la période
coloniale qui a duré plus de cent ans. C'est donc à la fin du
XIXème siècle que les européens font leurs
premiers pas sur le sol congolais en naviguant le long du fleuve Congo et
signent un traité de souveraineté avec le Roi Makoko. Au fur et
à mesure des explorations, les traités se multiplient. De fil en
aiguille, le Congo devient l'un des quatre Etats de l'Afrique
équatoriale française en 1885 puis, quelques années plus
tard, la colonie du Congo Français officiellement.
Les européens arrivent donc sur ce nouveau territoire
avec leur propre langue, leur propre monnaie, leur propre moyen de
communication. Tout simplement avec leur culture, alors bien différente
de celle des locaux. Lorsque deux cultures se rencontrent, de nombreuses
possibilités apparaissent et de là sont nées les notions
phare de l'anthropologie actuelle comme celle de l'acculturation. En raison du
nombre trop important de recherche sur le sujet, le Conseil de la recherche en
sciences sociales des Etats-Unis crée un comité afin de
définir ce concept. C'est donc en 1936 que le Mémorandum pour
l'étude de l'acculturation est publié définissant le
concept d'acculturation :
« L'acculturation est l'ensemble des
phénomènes qui résultent d'un contact continu et direct
entre des groupes d'individus de cultures différentes et qui entrainent
des changements dans les modèles (patterns) culturels initiaux
de l'un ou des deux groupes. »
Denys Cuche, 2010, p.59
Ce Mémorandum joue un rôle essentiel et permet de
créer un champ de recherche spécifique qui est précieux
afin d'obtenir et d'utiliser les outils théoriques adéquates. De
ce fait, au fil des années, la culture congolaise se voit
transformée par la présence des français sur leur
territoire.
Il existe un concept propre à la religion, celui de
l'inculturation qui se définit alors comme « l'activité
visant à intégrer le message chrétien dans une tradition
culturelle » (Le Dictionnaire du Français, 1996, p.835). Ce concept
se rapproche de celui de l'acculturation, à la différence qu'il
évoque le contact entre l'Evangile et les autres cultures. De ce fait,
l'inculturation est un concept théologique. R. Tabard (2010) consacre
une partie de son article
40
à ce phénomène d'inculturation. Selon
lui, ce concept semble actuellement s'imposer en Afrique mais il s'agit avant
tout d'une communication entre des hommes qui utilisent chacun leurs
systèmes culturels de représentations. Ainsi, selon
Léonard Santedi Kinkupu (2003, p.141)42, la théorie de
l'inculturation s'articule autour de deux dimensions : « d'une part,
évangéliser la culture africaine de telle sorte qu'elle puisse
s'intégrer dans l'héritage chrétien de toujours et
contribuer à rendre cet héritage plus « catholique »
et, d'autre part, « africaniser » le christianisme au point d'en
faire un constituant du patrimoine culturel et spirituel de l'Afrique
».
Selon Tabard (2005), « même si la vie
chrétienne s'inculture depuis quelques décennies, le mouvement
d'inculturation fait apparaître avec plus de force la vivacité des
cultures traditionnelles » (Tabard, 2010, p.193). De ce fait, le
Congo-Brazzaville en tant que culture traditionnelle africaine parvient tout de
même à garder son identité et sa particularité. Les
deux cultures se côtoient, se mélangent mais l'une
n'étouffe pas complètement l'autre. Il n'y a pas eu assimilation,
c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu disparition de la culture d'origine
comme le précise Cuche (2010). L'assimilation est alors la phase ultime
de l'acculturation. En effet, pour Tabard (2010), même si il est possible
de noter une augmentation importante du nombre de baptisé, sous-tendant
une augmentation du nombre de catholiques, cela ne veut pas dire que l'Africain
abandonne son identité profonde. Comme nous l'avons vu
précédemment, puisque les cultures traditionnelles africaines
sont profondément marquées par la dimension religieuse, le
christianisme africain de nos jours ne peut pas être complètement
détachée des systèmes de représentations
traditionnelles présents au sein de la société. Comme
l'écrit Tabard (2010, p.192), « on doit dire que si tout
baptême d'un Africain constitue effectivement une augmentation du nombre
de catholiques, ce rite ne signifie pas qu'il y a un Africain de moins !
Autrement dit, le baptême d'un adulte ne fait pas disparaître dans
l'eau bénite toute la culture qui le constitue dans son être
d'Homme et d'Africain ».
Cependant, il est impossible de ne pas se rendre compte du
phénomène d'inculturation et de la présence de plus en
plus forte des églises chrétiennes sur le continent africain. En
2005, Courrier International a consacré un dossier sur cette expansion
du fondamentalisme chrétien qui sert d'appui à Elisabeth
Dorier-Appril et Robert Ziaboula dans leur article (2005)43. Cet
42 Santedi Kinkupu, L. (2003). Dogme et inculturation en Afrique.
Paris : Karthala
43 Dorier-Apprill, E., Ziavoula, R. (2005). « La
diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale.
Théologie, éthique et réseaux »,
Hérodote, 2005/4 (N°119), p.129-156
41
article parle essentiellement du christianisme
évangélique et de sa conquête du monde. En effet, depuis le
début des années 2000, le nombre de nouveaux adeptes se compte
par million et ne cesse d'augmenter sur tous les continents. Tabard (2005) le
précise dans son article en utilisant des chiffres récents. Bien
que l'Eglise se soit implanté seulement un siècle auparavant en
Afrique, représentant alors seulement cinq ou six
générations de chrétien dans les familles, le nombre de
baptisés à triplé en vingt-cinq ans. Tabard (2005) remet
en cause ces informations et évoque la présence de l'Eglise
catholique au sein du Royaume Kongo entre les années 1500 et 1838. Ces
trois siècles auraient été une période
féconde dans la construction d'églises et le baptême de
nombreux individus, avant de disparaître. A l'heure d'aujourd'hui, les
Eglises sont présentes sur tout le continent africain et
intégrées aux sociétés. Cependant Tabard (2005,
p.198) laisse à penser que « c'est aussi une « nouvelle Eglise
qui naît dans des formes originales, dans la mesure où elle
intègre des éléments des cultures et religions africaines
».
Durant la colonisation, chaque état menait sa propre
politique et cette dernière pouvait être appuyée par une
Eglise. Mais en parallèle et de manière indépendante, les
Eglises évangéliques ont mit en place des missions afin
d'évangéliser les peuples. De ce fait, l'émergence de ces
Eglises n'est ni récente, ni soudaine. Selon Dorier-Apprill et Ziavoula
(2005), cette émergence a précédé la crise
économique et s'est consolidé dans la clandestinité
lorsque les Eglises missionnaires étaient bridées par le
régime marxiste. En Afrique Centrale, et plus particulièrement au
Congo-Brazzaville, ce sont les Eglises évangéliques nordiques qui
s'installent à partir du XIXème siècle. Cela a
d'ailleurs été vérifié lors de mon
expérience à Brazzaville. En effet, la plupart des projets mis en
place par mon organisation d'accueil, c'est-à-dire l'Eglise
Evangélique du Congo (EEC), est financé en grosse partie par une
association regroupant l'Eglise Unie de Suède et l'Eglise
Evangélique de Norvège : l'ASUdh (l'Action de Secours d'Urgence
et de développement humain). Nous avons d'ailleurs partagé notre
maison avec un couple de retraités norvégiens et une amie
à eux qui étaient là pour donner des « cours de
mariage » aux paroissiens de l'EEC qui le désiraient. De ce fait,
l'EEC descend directement d'une branche de l'Eglise luthérienne
suédoise et a été fondée en 1898 par des
missionnaires comme le précise Dorier-Appril et Ziavoula (2005).
C'est au cours des périodes de pré et de post
indépendance que les grands mouvements évangéliques ont
commencé à se diffuser. Et actuellement, ces mouvements
connaissent un réel succès en Afrique noire et ils s'enracinent
dans un champ religieux diversifié. Comme
42
l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.130),
« la variété des formes du christianisme contemporain y est
peut-être plus grande que partout ailleurs ». Ils expliquent cette
diversité religieuse par l'inculturation rapide des monothéismes
qui sont arrivés lors de la période coloniale, mêlée
aux nombreux prophétismes afro chrétiens et aux nombreuses
croyances mystico-religieuses locales.
Il subsiste tout de même un conflit entre les religions
monothéistes arrivées au cours des dernières années
et les religions traditionnelles africaines présentes depuis toujours.
Comme l'écris D. Philippe (2004, p.70), « certaines Eglises, nous
l'avons vu, rejettent catégoriquement le culte des ancêtres au
motif qu'il n'est pas sanctionné par l'Ecriture. C'est le cas de la
plupart des Eglises évangéliques et pentecôtistes ».
Cependant, toutes les églises missionnaires ont débuté une
réflexion sur le concept d'inculturation et sur leur présence en
Afrique. Nombre d'entre elles prennent le parti de ne pas se positionner sur la
pratique des rites traditionnels chez leurs paroissiens. Selon D. Philippe
(2004), c'est l'Eglise catholique qui a mené la réflexion sur
l'inculturation la plus poussée et n'a donné aucune consigne
précise sur la manière de concilier les héritages
africains et les héritages chrétiens. Cependant, les
autorités de l'Eglise catholique d'Afrique australe hésitent
entre deux positions. Pour certains, l'inculturation est également une
forme d'évangélisation, c'est-à-dire que les croyances
déjà présentes peuvent être
considérées comme une préparation à la foi. Dans
cette vision, il suffit d'adapter le discours religieux à la culture
indigène. Pour d'autre, la religion traditionnelle africaine a une
réelle importance et ne doit pas seulement être utilisée
comme un simple outil d'évangélisation mais doit être prise
en considération dans sa globalité. Ainsi selon D. Philippe
(2004, p.73), « le christianisme africain est profondément
authentique. Le « théologie orale » qui s'élabore sous
nos yeux est un signe de son dynamisme ».
Pendant et depuis la fin de la colonisation,
l'évolution des relations entre sphère religieuse et gouvernement
oscille. Les autorités coloniales n'ont cessé de se battre contre
les messianismes chrétiens africains qui cherchaient à promouvoir
l'identité africaine. Ces derniers étaient alors
surveillés par les autorités comme nous le raconte Dorier-Apprill
et Ziavoula (2005). La prise d'indépendance des pays africains marque la
prolifération de mouvements religieux de différentes confessions.
C'est donc à partir de 1960 que la République du Congo
connaît une multiplication des Eglises chrétiennes nouvelles et
indépendantes. Le Congo a connu une évolution un peu
différente de celle de ces voisins en raison de la restriction
religieuse menée par les gouvernements communistes militaires
43
jusqu'aux années 1980. En effet, l'Etat congolais avait
institué une loi antisectes qui permettait de contrôler la vie
religieuse. Entre 1978 et 1991, en raison de cette loi, seulement sept Eglises
étaient reconnues. Cette restriction prend fin en 1991 lors de la
Conférence Nationale pendant laquelle la liberté de culte est
proclamée. A partir de là, le Congo connaît une
augmentation fulgurante de l'offre religieuse, et particulièrement dans
les villes. Le Parti Congolais du Travail (PCT), parti politique de l'actuel et
indétrônable président de la république
déjà au gouvernement, tolère le pluralisme religieux
à condition que les « sectes » se rassemblent en union. De ce
fait, le Congo-Brazzaville se différencie de ses voisins par sa
structuration de l'espace religieux. En effet, comme le précise
Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), le champ religieux s'organise
essentiellement en fédérations et en réseaux
stratégiques qui lui permet de défendre leurs
représentations.
Les années 1990 sont marquées par trois guerres
civiles en République du Congo qui laissent encore des traces
aujourd'hui. En effet, il subsiste de nombreuses tensions ethno
régionales, principalement entre les ethnies du nord et celles du sud,
qui ont profité aux leaders des partis politiques tel que Denis Sassou
N'Guesso. C'est la capitale Brazzaville qui a essentiellement été
touchée pendant ces périodes noires, et particulièrement
les quartiers du sud qui ont alors été bombardés, amenant
la population à fuir. Cette période difficile prend fin en 2001
avec l'organisation du retour des populations exilées dans les
forêts au sein de leur quartier, dans des conditions encore très
pénibles. Cette période post conflit est une aubaine pour le
président actuel qui est alors élu avec 89% des voix grâce
à une campagne présidentielle de taille et à l'absence de
concurrent sérieux. Ainsi, comme l'écrivent Dorier-Apprill et
Ziavoula (2005, p.139), « en l'espace de quinze années, la
société congolaise subit alors une mutation brutale liée
à un contexte d'effondrement de l'économie rentière et de
l'Etat redistributeur, lié au surendettement du pays et aux politiques
d'ajustement, de chômage des jeunes scolarisés, de guerres entre
milices politiques, d'un coup d'Etat, d'exodes urbains et de banditisme
».
Les guerres civiles ont bien entendu ralenti l'expansion des
Eglises mais n'ont en aucun cas empêché cette dernière. En
effet, Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) ont débuté leur
étude après la première guerre civile et ont
constaté une différence entre les chiffres du gouvernement et la
réalité. Ils ont alors découvert 250 lieux de cultes,
comprenant des Eglises indépendantes diverses, mais également
plusieurs Eglises chrétiennes évangéliques et des grandes
Eglises instituées.
44
A l'heure d'aujourd'hui, la liberté de culte est
garantie par la Constitution mais le sujet reste délicat. En effet, les
partis politiques nationaux et également les puissances occidentales
restent très vigilants en raison de la situation actuelle au Congo. Les
Eglises inquiètent puisqu'elles peuvent être le lieu de
rassemblement de contre pouvoir ou encore de mobilisation partisane, mais en
parallèle elles intéressent puisqu'elles sont des relais sociaux.
Le texte de la Constitution de 2002 garantit également des dispositions
relatives à la sécurité, la tranquillité et la
salubrité du lieu et de la voie publique.
En 2005, le ministère de l'Administration du territoire
et le ministère de l'Intérieur procèdent à un
recensement des toutes les Eglises présentes à Brazzaville. Ce
dernier va être réalisé par les forces de police qui
arpentent les rues de la capitale afin d'identifier les lieux de cultes, tout
en demandant aux responsables des Eglises de fournir les papiers en
règle. Ils recensent alors 350 lieux de culte, rassemblée sous
224 dénominations. Les Eglises doivent alors répondre a un
certain nombre de critère évoqués par Dorier-Apprill et
Ziavoula (2005) : les pasteurs doivent être formés, les lieux de
culte être construits en maçonnerie durable. De plus, l'Eglise
doit disposer d'une date d'ordination et être capable de créer des
oeuvres sociales et d'ouvrir un compte en banque... Les lieux de culte ne
répondant pas à ses critères sont menacés de
fermeture par le ministère de l'Intérieur. Ils ont alors un
délai de six mois pour se conformer aux différents
critères.
Comme nous l'avons vu, les Eglises et leurs mouvements sont en
expansion au Congo-Brazzaville depuis plusieurs années malgré les
politiques de restrictions mises en place par le gouvernement. Les Eglises
doivent leur succès grâce à la population présente
friande de cette effervescence religieuse. Cependant, comme l'écrivent
Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.131), « leur influence politique est
amoindrie, voire nulle, dans un pays où la démocratie est
purement formelle, comme le Congo ».
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