2. Les Eglises Evangéliques au Congo et leurs
mouvances
Le terme d'Eglise évangéliques est
polysémique comme l'écrit Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) dans
leur article. Ce mouvement à la particularité de mettre en avant
l'expérience spirituelle vécue. Elles cherchent alors la
conversion du coeur et se considèrent comme des communautés de
vrais convertis qui se baptisent à l'âge adulte. Ces Eglises sont
dirigées par les élites de la société, sensibles
à la modernité et à la mondialisation, recherchant alors
l'ouverture des paroisses vers l'occident. La plupart de ces Eglises
s'autofinancent, c'est-à-
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dire que les activités proposées sont possibles
grâce aux contributions des fidèles, lors des temps de culte par
exemple. Les Eglises recrutent leurs fidèles auprès des
catégories sociales plutôt favorisées comme nous explique
Dorier-Apprill et Ziavoula (2005). Le public visé est alors les
élites du pays, les potentielles jeunes élites ou encore les
jeunes diplômés qui ne parviennent pas à trouver un emploi.
En effet, je me souviens de mon premier culte à la paroisse du
Centenaire à Brazzaville, j'avais été très surprise
des montants annoncés par le pasteur lors de l'annonce du montant de la
quête de la semaine précédente. Le montant annoncé
s'élevait à plusieurs milliers, voir proche du million.
Les Eglises évangéliques comprennent le
mouvement pentecôtisme actuellement en vogue dans de nombreux pays, comme
en République du Congo. Selon Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), ce
mouvement religieux compterait plus de 150 millions de croyants dans le monde.
Ce mouvement a la particularité de regrouper de nombreuses
communautés de différentes tailles et dirigées par des
leaders charismatiques. Cette mouvance a la particularité d'asseoir sa
réputation sur le rigorisme moral et l'interprétation
littérale de la Bible. Il rejette donc en bloc les religions
traditionnelles africaines et le lien avec les ancêtres. De ce fait,
« il manifeste une double revendication de rupture : prise de distance
à l'égard de toutes les représentations et pratiques
néo-traditionnelles (magie, culte des morts, funérailles
somptuaires, mariage coutumier, polygamie), qui sont systématiquement
« satanisées » - et rejet du « matérialisme
dialectique » qui a occupé pendant des années le champ
politique et culturel, prétendant canaliser le religieux au sein des
seules sept Eglises reconnues par l'Etat » (Dorier-Apprill et Ziavoula,
2005, p.134). Dans leur recherche, Lallemant, Jourdain et Gruenais (1988),
évoquent les églises pentecôtistes comme l'un des choix
possible lors de l'itinéraire thérapeutique. Selon eux, ce
mouvement est très hiérarchisé avec le Pasteur comme
leader de la communauté. Pour ces derniers, l'appartenance à une
Eglise chrétienne associée à une foi chrétienne
forte est la solution pour se confronter aux pressions familiales mais surtout
pour se protéger des puissances surnaturelles à l'origine des
entraves au développement du pays. Apparaît alors
l'émergence d'une nouvelle éthique versée sur l'individu.
S'appuyant sur un modèle occidental, c'est alors le lien conjugal et la
famille nucléaire qui sont mis en lumière. Ces nouveaux
mouvements diffusent un modèle neuf où la place de l'individu est
modifiée, au détriment de la communauté. Dorier-Apprill et
Ziavoula (2005) associent ce changement à une modification de
l'éthique actuellement basée sur un phénomène
d'acculturation consentie. Ces mouvements religieux sont un excellent moyen de
communication et de diffusion des nouveaux paradigmes promulgués par ces
Eglises. Les
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auteurs notent que le réseau présent à
Brazzaville a une structure souple et que ces dernières cherchent
à se rattacher entre elles dans l'ensemble du pays, en laissant de
côté les clivages ethno régionaux.
Il existe les Assemblées de Dieu présentes
à Brazzaville. Certes, comme nous le disent Dorier-Apprill et Ziavoula
(2005), elles sont minoritaires mais ce sont ces dernières qui ont
joué un rôle important dans l'expansion du pentecôtisme
pendant les années 1970. Il est intéressant de parler de ce petit
mouvement religieux puisque son activité principale se base sur la
guérison des malades. Ainsi, « les malades guéris ont
constitué le vivier des adeptes, c'est pour cette raison d'ailleurs que
malgré l'interdiction de la loi de 1977, ils ont résisté
aux pressions, et même gagné le soutien de dignitaire du pouvoir
qui y cherchent un appui spirituel » (Dorier-Apprill et Ziavoula, 2005,
p.148).
Les Assemblées de Dieu offrent donc des cours bibliques
afin de former la nouvelle génération de cadres religieux
affichant des pratiques et des modes de guérison plus orthodoxes. Ils
mettent également en place des campagnes d'évangélisation
et des séminaires afin de propager leurs voix à travers le pays.
Grâce aux dons, ils parviennent à acquérir des terrains ce
qui va permettre de structurer le mouvement à travers les dynamiques
locales. Cependant, après la loi « antisecte » de 1977, ils
sont expulsés du Congo. Malgré tout, ce mouvement religieux ne
disparaît pas totalement et continue de se développer dans la
clandestinité. C'est de cette manière que les premières
Eglises du réveil verront le jour. Les mouvements religieux
indépendants deviennent légal en 1991 ce qui leurs permet de se
multiplier rapidement. « Elles contribuent à un
élargissement et une « banalisation » de la sensibilité
religieuse pentecôtiste hors du contrôle direct des
Assemblées de Dieu, qui deviennent minoritaires » (ibid.).
Afin de se différencier de l'Eglise protestante, le
mouvement pentecôtiste et les autres mouvements indépendants
partageant certaines idéologies, utilisent le nom Eglises du
réveil pour se désigner.
Comme nous l'avons vu précédemment et comme le
précise J-P. Bat (2014)44, le Congo connaît, comme
nombreux de ses voisins, une augmentation fulgurante de l'Eglise du
réveil sur le territoire. Ses Eglises sont partout, au milieu des
quartiers et dans les périphéries. Ce sont de petits locaux
pouvant accueillir quelques dizaines de personnes. Elles sont
44 Bat, J-P. (2014). « Les Eglises de réveil au
Congo-Brazzaville », Afrique contemporaine, 2014/4 (n252),
p.145-146
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essentiellement présentes dans les quartiers populaires
tels que Bacongo, Kinsoudi, Mokondo à Brazzaville. Elles mettent en
place des actions sociales, tel que des cours d'alphabétisation, pour
aider les paroissiens et les fidéliser ainsi. Ce mouvement religieux a
sa propre identité qu'elle transmet à travers ses logos, ses
slogans, ses discours. Elles réunissent alors un tissu social
composé par la communauté où certaines valeurs et
idées sont diffusées et adoptées. « Le pasteur, point
d'équilibre de la communauté, est bien plus qu'un ministre du
culte. Il renoue pleinement avec la figure du guide spirituel... et temporel
» (Bat, 2014, p.146).
Les Eglises du réveil, ayant une influence directe sur
les populations, sont la cible du gouvernement actuel. En effet, avec les
élections qui se sont déroulées en 2016, le gouvernement
à la tête du pays avait tout intérêt à se lier
avec ces nouvelles mouvances religieuses pouvant faire la différence.
Toutes ces entités sont gérées administrativement par le
Conseil Supérieur des Eglises de réveil (COSERCO) dirigé
par Germain Loubouta. Hasard ou coïncidence, G. Loubouta est
également le premier collaborateur d'Antoinette Sassou N'Guesso, femme
du président de la république du Congo. Ainsi, « certaines
Eglises de réveil sont dirigées par des personnalités
politiques proche du pouvoir, à titre personnel ou à titre
politique » (ibid..).
Il est alors clair que le lien entre le gouvernement et les
institutions religieuses existe, donnant du pouvoir à l'un comme
à l'autre. C'est également le cas pour l'Eglise
Evangélique du Congo, reconnu dans tout le pays. En effet, l'EEC est
l'église protestante la plus importante dans le pays et reconnaît
le Pasteur Patrice N'souami comme président depuis 2005 et
jusqu'à la fin de cette année 2016. Cette mouvance religieuse
compte 500 000 fidèles, soit environ 17% de la population congolaise.
Leur dogme et leurs pratiques sont centrés sur les Ecritures et une
théologie protestante en opposition avec les phénomènes du
« réveil » et la superstition en général venant
de la tradition africaine. Cependant, selon Katie Badie pasteure dans une
paroisse parisienne (2009)45, l'Eglise affirme son identité
tout en rappelant ses origines africaines par l'utilisation de chants
traditionnels par exemple. L'EEC est en lien avec de nombreux partenaires
à travers le monde, montrant sa place dans une Eglise universelle. Au
Congo-Brazzaville, l'EEC s'engage à plusieurs niveaux, dont de nombreux
fronts sociaux comme la lutte contre le VIH/Sida, l'accueil des malades et des
orphelins dans les centres de santé intégrés et les soins
donnés dans les dispensaires, mais aussi dans le processus de
réconciliation suite aux guerres civiles connues par le pays.
45 Fédération Protestante de France (2009, 14
octobre). « Cent ans de protestantisme au Congo-Brazzaville ». [En
ligne] mis en ligne le 14 octobre 2009, Consulté le 22 août
2016
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Cette Eglise, faisant partie des sept reconnues pendant les
périodes difficiles, possède certains privilèges et un
lien étroit avec le gouvernement. En effet, chaque voiture de l'Eglise a
le droit à un laisser passer sur le pare-brise leur permettant de passer
outre les barrages policiers et/ou militaires. Elle est également
financée en partie par le gouvernement et participe à certains
programmes nationaux. Par exemple, l'EEC a décidé au sein de ces
centres de santé intégrés de prendre en charge les
personnes vivant avec le virus de l'immunodéficience humaine (VIH).
L'EEC a alors établi un partenariat avec le Conseil National de Lutte
contre le VIH/Sida (CNLS), même si ça semble aller à
l'encontre des valeurs diffusées par l'EEC. En effet, peu d'Eglises
reconnaissent l'existence du VIH/Sida et encouragent le port du
préservatif afin de ralentir l'expansion de la maladie. Malgré
tout, le slogan congolais pour la lutte contre le Sida traduit cette forte
présence des Eglises dans le pays : « Abstinence,
Fidélité, Préservatif ». Leur seule limite est la
prise en charge des patients homosexuels comme me l'avait précisé
ma collègue psychologue au centre de santé intégré
de La Source.
De part ce partenariat avec le gouvernement, ils travaillent
également avec des ONG internationales tel que la Croix Rouge
Française sur certains programmes de prise en charge des personnes
vivant avec le VIH (PVVIH). C'est dans ce cadre là que j'ai
effectué mon Service Civique à l'International, sur la
continuité du projet R5, prenant en charge les adultes vivant avec le
VIH et sur l'actuel projet R9 qui s'occupe des enfants vivant avec le VIH. Il y
donc un réel lien entre les centres de santé
intégrés de l'EEC et les organisations politiques et
internationales agissant dans le pays.
Comme nous l'avons vu, la santé est au coeur des
préoccupations de la religion chrétienne et ce depuis
l'arrivée des premiers missionnaires. Ces derniers avaient pour mission
de soigner les malades au sein des différents dispensaires ruraux. Au
fil des années, en plus des dispensaires, des centres de santé et
des hôpitaux sont apparus afin de soigner les malades mais
également pour faire du prosélytisme.
Cependant, l'EEC ne propose pas réellement de soins
adaptés pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Cette
dimension là, encore peu développée au Congo, n'est que
peu prise en charge dans la vie quotidienne. Malgré tout, certaines
structures religieuses proposent de prendre en charge ces personnes vivant avec
des troubles psychiques.
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