PREMIERE PARTIE
LE REGLEMENT JURIDICTIONNEL DES DIFFERENDS COMMERCIAUX
INTERNATIONAUX : UN MECANISME AMBIVALENT
Le caractère ambivalent du règlement
juridictionnel des conflits commerciaux internationaux résulte
essentiellement de la diversité des acteurs des relations commerciales
internationales. En effet, les échanges internationaux font intervenir
principalement les Etats et les opérateurs économiques
privés dont les intérêts, faut-il le signaler, sont ou
peuvent être largement divergents ; ce qui provoque
inéluctablement des situations conflictuelles qu'il faut
résoudre, le plus rapidement possible, pour rétablir l'ordre
commercial international. Si la résolution des liges commerciaux entre
Etats (Chapitre I) est principalement confiée à l'OMC à
travers son système de règlement des différends, il est
alors hors de doute que celle des conflits opposant un Etat et un
opérateur économique étranger (Chapitre II) est
généralement l'oeuvre de l'arbitrage.
CHAPITRE I : LES DIFFERENDS COMMERCIAUX OPPOSANT LES
ETATS
Si certains historiens et politistes ne cessent de
prétendre qu'il existe des dimensions anarchiques au sein de la
société internationale, du fait de l'inexistence
d'autorité supérieure aux Etats disposant de l'utilisation
légitime de la force, ayant la capacité de défendre la
justice, et le droit ainsi que le pouvoir d'arbitrer les conflits entre eux et
les contraindre à respecter ses décisions,26 c'est
parce que celle-ci telle qu'elle existe( et se présente) ne peut
garantir une égalité « parfaite » entre les sujets. Il
en est ainsi, par exemple dans le cadre des relations entre Etats dont les
niveaux de développent économique ne sont pas les mêmes, en
plus de leur « obsession souverainiste » qu'ils mettent à
chaque situation en avant dans leurs rapports, l'équilibre et la
stabilité de cette société ne serait, malheureusement,
qu'illusoire, par conséquent s'occasionne effectivement une divergence
d'intérêt. Celle-ci se manifeste encore beaucoup plus rude
lorsqu'elle met en jeu les intérêts économiques.
Les relations commerciales multilatérales sont
régies par les Accords de Marrakech instituant l'OMC, qui sert
un cadre institutionnel commun pour conduire les relations commerciales entre
ses membres.27 L'OMC dispose ainsi de larges pouvoirs en ce qui
concerne l'interprétation des dispositions de tels accords et le
règlement des conflits qui peuvent surgir dans l'application desdites
dispositions. Elle réalise cette fin par le biais de son système
de règlement des différends, à travers
l'ORD (Section 1) qui, en soi, est un mécanisme
original de résolution des conflits commerciaux internationaux. Cette
originalité s'apprécie même au niveau du traitement
spécial et différencié qu'il accorde aux PED (Section 2)
au sein du mécanisme.
26 Cf. Pierre. De SENARCLENS, La mondialisation,
théories, enjeux et débats, Dalloz, Paris, 2001, p 183
27 Article II§1 de l'Accord de
Marrakech
SECTION 1 : L'ORD, principal mécanisme de
règlement des différends commerciaux multilatéraux
L'un des principaux sucés des négociations
d'Uruguay est la mise sur pied de l'OMC. Cette organisation
internationale à vocation universelle a pour objectif principal de faire
disparaitre graduellement et progressivement les barrières tarifaires et
non tarifaires aux échanges internationaux. Fondée sur les deux
solides piliers que sont la CNPF (clause de la nation la plus favorisée)
et la CTN (clause du traitement national), l'OMC se veut être le gardien
du nouveau système commercial multilatéral.28
Savons-nous d'emblée que l'idée qui transcende la
résolution des conflits commerciaux multilatéraux est d'arriver
à une conciliation entre les parties, mais non pas de «
répudier » la partie fautive dans les relations
commerciales29 ; ce qui pourrait, à coup sûr,
désorganiser le système si toutefois celle-ci y pèse
lourdement. C'est par souci que le GATT de 1947 avait pris comme fondement,
dans son système de règlement des différends, la
consultation.30 Cette procédure était
prévue aux articles XXII et XXIII de l'accord. Cependant, vu son
importance dans la préservation du commerce multilatéral, elle
n'est point négligée, tout comme la médiation,
les bons offices, dans le nouveau mécanisme de
règlement des différends (à travers l'ORD) de
l'OMC.31
L'OMC, pour résoudre les différends qui peuvent
inéluctablement surgir dans les rapports commerciaux entre ses membres,
tout en protégeant la libéralisation des échanges, doit
non seulement prendre en compte la procédure sus visée, mais
également celle dite « juridicisée » prévue dans
le Mémorandum d'Accord sur les règles et procédures
régissant le règlement des
différends(MARD),32 qui d'ailleurs demeure une
réalité de l'avancement du système de règlement des
différends de l'OMC par rapport à celui du GATT, en ce qu'il
constitue une codification des règles et de la
procédure.33
Le mécanisme de règlement des différends
de l'OMC allie à la fois souplesse et rigidité. Ce qui le rend,
sans hésitation, efficace (Paragraphe 2). A cela, s'ajoute le fait qu'il
s'applique à tous les accords de l'OMC et touche l'ensemble des conflits
relatifs à l'application desdits accords ; lorsqu'un membre ne respecte
pas ses engagements en violant les normes de l'organisation, il reste la seule
voie autorisée pour les autres membres de le faire revenir à
28 Cf. Julien. BURDA, « L'efficacité du
mécanisme de règlement des différends de l'OMC : vers une
meilleure prévisibilité du système commercial
multilatéral », RQDI, n°18.2, 2005, p 2
29 Sous la plume de G. MALINVERNI on a pu lire :
« l'objectif premier des procédures de règlement des
différends en matière économique n'est pas de
décider qui a tort ou qui a raison ou d'établir la
responsabilité d'un Etat, mais de faire en sorte que les violations,
même importantes, ne soient que temporaires et puissent cesser le plus
rapidement possible. », cité par Safiah. SY, in Le
règlement des différends dans les Organisations Internationales
Economiques : exemple la Banque Mondiale(BM), le Fond Monétaire
International(FMI) et l'Organisation Mondiale du Commerce(OMC), mémoire
de maitrise, F.S.J.P-UCAD, 2007-2008, p 22
30 Voir, P. Van. Den BOSSCHE et G. MARCEAU, «
Le système de règlement des différends de l'OMC : analyse
d'un système particulier et distinctif », Revue du
marché unique européen, 1998, p 40. Voir également,
Amélie. FONDIMARE, Le système de règlement des
différends de l'OMC et les pays en développement, mémoire
de DEA en Droit international économique, Université de Paris (
Panthéon-Sorbonne), 1998-1999, p 5
31 Article 5 du Mémorandum d'Accord
32 Annexe II de l'Accord de Marrakech
33 Voir, Thomas. A. ZIMMERMANN, « L'OMC : un
bilan intermédiaire après dix ans de règlement des
différends », Revue de politique économique, 2004,
p 66
l'ordre. C'est effectivement une originalité du
mécanisme de résolution des conflits commerciaux internationaux
(Paragraphe 1).
PARAGRAPHE 1 : L'ORD, un mécanisme original de
règlement des différends commerciaux internationaux
Le mécanisme de règlement des différends
de l'OMC est considéré comme le succès réel de
cette organisation. L'ORD est ainsi aperçu comme son « le bras
armé ».34 Lorsqu'un membre estime que des mesures
commerciales prises par un autre membre, dans le cadre de sa politique
commerciale intérieure ou extérieure, lui causent un dommage ou
rétrécissent ses avantages ou encore violent les dispositions des
Accords de Marrakech, il peut engager une procédure devant l'ORD afin de
faire revenir celui-ci dans le respect de ses engagements envers les
présents Accords. Nul n'ignore que ce mécanisme a pour champ
d'application le règlement des litiges opposant les Etats membres dans
le cadre de leurs relations commerciales, encadrées par les textes de
l'OMC.35 C'est pourquoi, il est non seulement global et
intégré(A) mais également interétatique(B).
A) Un mécanisme intégré et global
de règlement des différends commerciaux internationaux
Le mécanisme de résolution des conflits
commerciaux multilatéraux à travers l'ORD de l'OMC constitue
effectivement « un élément essentiel pour la
sécurité et la prévisibilité du système
commercial multilatéral. Les membres reconnaissent qu'il a pour objet de
préserver les droits et les obligations résultant pour les
membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes
de ces accords conformément aux règles coutumières
d'interprétation du droit international public. Les recommandations et
décisions de l'ORD ne peuvent pas accroitre ou diminuer les droits et
obligations énoncés dans les accords
visés.»36 En s'attachant à cette
stipulation, il apparait clairement que ce mécanisme peut être
considéré comme un système « intégré
», étant donné qu'il embrasse tous les litiges relatifs
à l'application des normes visées dans l'Accord de
Marrakech. Ainsi, dans l'affaire Article 1105(plainte des
Communautés européennes), le groupe spécial a soutenu que
« tous les accords visés par l'Accord sur l'OMC forment un seul
système juridique intégré. »37 Il se
caractérise par une intégration aussi bien de toutes les
règles de procédures que celles du droit applicable dans un
instrument unique.38 Le Mémorandum d'accord
constitue alors une sorte de catalogue, faisant intégralement
partie de l'Accord de l'OMC, qui sert une uniformisation du traitement
de tous les litiges nés de l'application dudit accord, comme
déjà le fait savoir le professeur Yves Nouvel en ces termes:
« tous les litiges issus du système sont canalisés vers
un mécanisme de règlement unique devant lequel, de
surcroît, ils font l'objet d'un traitement
34 Cf. Olivier. BLIN, L'organisation mondiale
du commerce, Paris, Ellipses, 2004, p 13. Voir également, Annie.
Krieger-KRYNICK, L'organisation mondiale du commerce. Structures juridiques
et politiques de négociation, Paris, Vuibert, 2005, p 91. Elle
confia ceci : « le système de règlement des
différends est devenu la pièce maitresse du fonctionnement de
l'OMC. »
35 Ludovic. LORENZO, op.cit. p 137
36 Article 3§2 du Mémorandum
d'Accord
37Affaire Etats-Unis-Article 1105 de la loi des
Etats-Unis sur les droits d'auteurs. 2000. OMC. Doc. WT/DS160/R, parag
6.185. Rapport du Groupe spécial [Article 1105]
38 D.CARREAU et P. JUILLARD, op.cit. p 95
uniforme. »39 Toutefois, il n'est pas
sans intérêt de rappeler que cette unicité de l'instrument
n'entraine pas ipso facto l'unification des procédures, car il
existe des différends spécifiquement nés des Accords
commerciaux multilatéraux constitutifs des Accords de Marrakech
dont le règlement renvoie aux procédures sus visées
dans le Mémorandum et ceux nés d'autres accords, et qui
ne remettent pas en cause l'équilibre du système commercial
international, auxquels la résolution ne nécessite pas forcement
le recours aux procédures du Mémorandum.40
Etant intégré, le mécanisme est encore
global. Le Mémorandum d'accord sur les règles et
procédure de règlement des différends(MARD) se veut
être un instrument global.41 Ainsi, les procédures et
les règles inscrites dans le Mémorandum d'accord s'appliquent
à tous les litiges résultants des Accords de Marrakech
(énumérés à l'Appendice 1 du
Mémorandum)42 ; également elles s'appliquent aux
différends entre les membres relatifs à leurs droits et
obligations en vertu de l'Accord instituant l'OMC, en conséquence
ceux-ci se trouvent dans une obligation de se conformer simultanément et
cumulativement à toutes les obligations issues de ces accords. C'est du
moins la position de l'Organe d'appel dans l'affaire des produits laitiers
(une plainte des Communautés européennes) où il
précise qu' « il est maintenant établi que l'accord sur
l'OMC constitue un · instrument unique· et, par
conséquent, toutes les obligations contractées dans le cadre de
l'OMC sont en général cumulatives et les membres doivent se
conformer simultanément à la totalité d'entre elles.
»43
Il convient de retenir que pour certains des accords
commerciaux dits plurilatéraux44 le mémorandum ne
s'applique pas ipso jure. C'est dire que son application est en effet
subordonnée, selon l'Appendice 1, à une manifestation de
volonté des parties. Ainsi, les parties à chaque accord
commercial plurilatéral vont adopter non seulement une décision
qui soumettra cet accord au mémorandum, mais également elles vont
déterminer les modalités particulières de l'application du
Mémorandum à cet accord. Cependant, si ces modalités
particulières aboutissent à la création d'une règle
ou procédure nouvelle, cette règle ou procédure devra
être notifiée à l'ORD, car c'est à lui qu'il revient
en définitive de mettre en oeuvre le Mémorandum.45
Dans la même perspective, il est important de rappeler que certains
accords annexés à l'accord sur l'OMC-visés à
l'Appendice 2 du Mémorandum46-prévoient
39 Yves. NOUVEL, « L'unité du
système commercial multilatéral », AFDI, n°46,
2000, p 663
40 D. CARREAU et P. JUILLARD, supra note
32
41 Ibid. p 93
42Art 1-1 du Mémorandum d'Accord.
Les accords commerciaux multilatéraux visés à
l'Appendice 1 comprennent l'Accord instituant l'OMC, l'Accord
relatif au mémorandum, l'Accord sur les marchandises
(annexe1 A), l'Accord sur les services, AGCS (annexe1 B) et
l'Accord sur ADPIC/TRIPS (annexe 1 C).
43L'affaire Corée-Mesures de sauvegarde
définitive appliquée aux importations de certains produits
laitiers, 1999(adopté le 12 janvier 2000), OMC, Doc WT/DS98/AB/R
parag 74, Rapport de l'Organe d'appel [produits laitiers]
44Voir, Annexe IV de l'Accord de
Marrakech. Les accords commerciaux plurilatéraux sont maintenant
deux. Il s'agit de l'Accord sur le commerce des aéronefs
civils, 12 avril 1979, R.T. Can.1980 n°39 et de l'Accord sur les
marchés publics, 12 avril 1979. R.T. Can. 1981. n°39
45 Cf. D. CARREAU et P. JUILLARD, op. cit. p
94
46 Ces Accords sont entre autres, l'Accord sur
l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (annexe1A) de
l'Accord de l'OMC,14 avril 1994, 1867.R.T.U.N.508, l'Accord sur
les textiles et les vêtements (annexe1A) de l'Accord de
l'OMC, 14 avril 1994, 1867.R.T.U.N.3, l'Accord relatif aux obstacles
techniques au commerce, 12 avril 1979 entré en vigueur le 1 janvier
1980. R.T. Can. 1980. n°41, l'Accord sur la mise en oeuvre
des règles et procédures spéciales
ou additionnelles en matière de règlement des
conflits auxquels le Mémorandum d'accord s'applique ipso jure.
Dans ce cas, il apparait que ces règles et procédures
spéciales peuvent entrer en collision avec celles dites
générales sus visées dans le Mémorandum. Alors, le
Mémorandum d'accord fournit quelques directives pour remédier ce
problème. La première est de caractère impératif et
une application classique du principe specialia generabilus derogant
selon lequel : « Dans la mesure où il y'a une
différence entre les règles et procédures du
Mémorandum et les règles et procédures spéciales ou
additionnelles indiquées à l'Appendice 2, ces dernières
prévaudront. »47 La seconde directive consiste pour
les parties, à l'occasion d'un seul et même conflit exigeant
l'interprétation et l'application aussi bien d'un accord visé
à l'Appendice 1 que d'un autre prévu par l'Appendice 2, à
s'entendre sur le choix des règles et procédures applicables. En
cas d'échec, le Président de l'ORD visé au paragraphe 1 de
l'article 2 du Mémorandum, en consultation avec les parties en conflit,
déterminera les règles et procédures à suivre dans
les dix(10) jours suivant la demande de l'un ou l'autre membre.48 En
fin, la troisième directive - subséquemment liée à
la seconde- est, lorsque le Président de l'ORD exerce sa mission,
d'utiliser de préférence les règles et procédures
spéciales.49
Si le mécanisme de règlement des
différends commerciaux multilatéraux de l'OMC est
intégré et global, il n'en demeure pas moins qu'il est, dans une
large mesure, interétatique.
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