92
3. Quelle perspective de gestion des ressources
forestières dans le cadre du
développement durable ?
Tout d'abord rappelons que les ressources naturelles
renouvelables (ressources aquatiques, ligneuses, halieutiques,
cynégétiques, pastorales, produits forestiers non ligneux, etc.)
se caractérisent par le fait qu'elles sont prélevées mais
non produites. Dès lors, l'homme n'a que peu de moyens de peser sur les
volumes disponibles, qui découlent essentiellement de la
productivité de l'écosystème en question (sauf de
façon indirecte, par protection). Une exploitation durable passe
essentiellement donc par le contrôle des prélèvements, qui
doivent rester inférieurs à la productivité de
l'écosystème. D'où les débats sur la façon
de contrôler ce taux de prélèvement, d'autant que, le
« stock » étant limité, les ressources sont de type
« soustractif » : tout ce qui est prélevé par un
individu ne pourra pas l'être par un autre, d'où une concurrence
entre usagers potentiels (Ph. L. Delville)19.
On peut essayer de s'appuyer sur des expériences de
gestion menées ailleurs pour poser quelques pistes de réflexion.
Au demeurant, précisons qu'on ne prétend pas jouer le rôle
de consultant mais plutôt d'apporter une réflexion sérieuse
sur la question car c'est un des défis qui se posent aux
décideurs. Notons qu'il existe une diversité des formes de
participation communautaire à la gestion des ressources naturelles qui
ont fait leur apparition aux quatre coins du continent au cours des vingt
dernières années (Roe D., Nelson F. et Sandbrook C. (sous la
dir.), 2009 .
Cependant, dans le cadre d'identifier des pistes de solution
pour une gestion durable des ressources forestières, on peut en premier
lieu se référer aux différents projets et programme
menés à l'échelle de la région de Kolda. Il s'agit
particulièrement du Plan d'action pour l'aménagement forestier et
l'approvisionnement durable en combustibles domestique élaboré
par le conseil régional de Kolda pour la période 2013-2017.Ce
plan est adossé à la Nouvelle politique forestière du
Sénégal, évoquée un peu plus haut et au Plan
d'action environnemental régional (PAER) qui sont des outils importants,
des cadres stratégiques pour une gestion durable des ressources
forestières de la région. Les objectifs visés à
travers ce document sont entre autres :
~ l'aménagement des formations naturelles
classées et de terroir pour asseoir durablement leur gestion et leur
valorisation avec comme actions phares un inventaire et une description des
peuplements afin de connaître les ressources forestières
disponibles et les potentialités de régénération
car comme le note la PFS (2005)
19 Delville Ph. L., 2001.Quelle gouvernance des
ressources renouvelables ? La gestion des ressources naturelles dans le
contexte de la décentralisation en Afrique de l'ouest
93
l'évaluation de l'état actuel des ressources
forestières se heurtent à l'absence d'inventaires nationaux du
potentiel.
· Promouvoir l'utilisation de la meule Casamance pour
une meilleure valorisation du bois ;
· Renforcer la lutte contre les feux de brousse et
l'exploitation clandestine du bois.
Dans ce contexte, la communauté rurale de Kandia
pourrait bénéficier l'appui de ce projet pour non seulement
aménager ce massif et procéder à l'inventaire des
peuplements végétaux. Ceci permettrait une meilleure satisfaction
des besoins des populations en garantissant leur approvisionnement durable en
combustible ligneux. Il appartiendra à la collectivité locale de
Kandia de travailler dans ce sens avec ses partenaires pour arriver à
cet objectif.
Dans ce même ordre d'idées, il faut dire que la
région de Kolda a eu la chance de bénéficier un certain
nombre d'expériences intéressantes dans la gestion des ressources
forestières avec l'appui de ses partenaires. Certaines
communautés rurales comme celle de Dioulacolon située dans le
département de Kolda constitue un bon exemple. En fait, cette C.R est
arrivé à mettre en place un dispositif de gestion des ses
ressources forestières avec l'appui du PERACOD20. C'est un
projet qui concerne la filière charbon de bois où les populations
locales ont réussit à prendre en charge toutes les
activités (de la coupe à la vente). C'est un cas très
intéressant qu'on peut adapter à la C.R de Kandia.
En effet, la particularité de l'expérience
menée à Dioulacolon est que les populations locales sont au coeur
du dispositif de gestion de la filière. Elles se sont organisées
en Comité villageois de gestion et en association et/ou GIE (groupement
d'intérêt économique). Le tout est coordonné par un
comité inter villageois (CIV). Précisons que c'est sur la base
d'un contrat de gestion que le conseil rural de Dioulacolon a confié la
gestion de la forêt au CIV ; c'est-à- dire qu'il est responsable
de la mise en oeuvre du Plan d'aménagement et de gestion de la
forêt. C'est donc le CIV qui est habilité à se faire
délivrer au niveau du service forestier, les titres d'exploitation dans
le cadre de la mise en oeuvre du plan de gestion. De même, c'est le CIV
qui est habilité à délivrer les constats de production qui
sont un préalable pour l'obtention des titres d'exploitation. Cependant
la mise en oeuvre des filières mentionnées dans le plan
d'aménagement est assurée par les GIE.
20 PERACOD : Programme de Promotion des
Énergies Renouvelables, de l'Électrification rurale et de
l'Approvisionnement en Combustibles Domestiques financé par la
coopération allemande
94
Donc, on le voit bien ce sont des mécanismes qui
responsabilisent l'ensemble des parties prenantes. Ce qui laisse de place
à aucune association d'exploitants extérieure de la
Communauté rurale. Mais notons que si cette expérience à
réussi, c'est que les populations locales y trouvent leurs
intérêts et qu'elles ont été impliqué depuis
le début du processus. D'ailleurs la clé de répartition
des fonds issus de la vente du charbon s'établit comme suit : 80% sont
destinés aux producteurs locaux, 10% au Comité inter villageois
(CIV) pour financer l'exécution du plan d'aménagement à
l'échelle du bloc (lutte contre les feux de brousse, reboisement, mise
en défens, entretien des pare feux, régénération et
10% au conseil rural pour participation au budget du conseil rural. On remarque
que cette exemple contribue non seulement à une meilleure gestion des
ressources forestières mais aussi à améliorer le niveau de
vie des populations notamment par les revenus tirés de cette
filière.
Certes, la communauté rurale de Kandia n'est pas encore
ouverte à la filière du charbon de bois. Néanmoins cet
exemple d'implication des populations locales dans un processus tel que
celui-ci peut être très intéressant. Car il a de fortes
chances de parvenir à une implication effective des populations locales
dans la gestion des ressources de leur terroir. C'est donc un modèle
qu'on peut s'inspirer et l'adapter en fonction du contexte local qui est celui
de l'exploitation clandestine des ressources forestières. On pourrait
appuyer les populations à valoriser les ressources forestières
non ligneuses comme la filière anacarde et par la même occasion
les inciter à faire des reboisements. La clé de leur implication
est de faire en sorte qu'elles prennent conscience du phénomène
de dégradation de leur milieu ou qu'elles éprouvent un
réel intérêt à le faire. D'ailleurs, c'est dans ces
conditions qu'est apparue ce que V. Etienne (1998) appelle « une
expérience spontané, endogène de construction
institutionnelle pour la protection de la couverture ligneuse » au Burkina
Faso. Essayons de voir l'originalité de cette démarche.
En effet, il s'agit d'un comité inter villageois de
gestion d'une brousse constitué par 6 villages. Ce comité a
été en fait, initié par un villageois autochtone qui n'est
ni un chef de village, ni un chef de terres mais qui avait travaillé en
Cote d'ivoire. Certainement son expérience acquis durant son
séjour a beaucoup pesé dans le cadre de cette initiative. En
outre, la particularité de ce comité est qu'il s'est
constitué en dehors de toute aide financière et fonctionnait
jusque-là sans ressources financière extérieure. C'est une
réponse endogène des populations face à « une
dégradation importante de la brousse et devant l'incapacité des
autorités de réglementer ce types de problèmes, que les
autochtones Nuni, les migrants Mossi et gourmanché, et les
éleveurs peul se sont accordés à la fois sur un ensemble
de règles de
95
gestion de la brousse, sur les sanctions à prendre en
cas de non respect du règlement, ainsi que sur la manière de
faire respecter la loi (p.180) ».
Il est important de retenir ici que ce sont les populations
qui ont pris conscience du phénomène de dégradation de
leur milieu de vie pour se mettre d'accord sur un ensemble de règles de
gestion ; une convention locale. C'est toute la portée de ce cas car ce
ne sont pas des personnes venues d'ailleurs qui leur ont donné cette de
prise conscience. En plus, les initiateurs du projet n'ont aucun pouvoir ou
influence au niveau local. C'est après un diagnostic et une autocritique
de leurs pratiques que les habitants de ces villageois ont estimé
nécessaire qu'il fallait agir sans chercher un appui extérieur.
Dés lors, « l'argumentaire selon lesquelles seules les populations
locales peuvent avoir un intérêt à préserver une
ressource à long terme, et qu'elles ne peuvent le faire que si elles y
ont un intérêt objectif, que si elles ont un droit exclusif sur la
ressource, ainsi qu'une capacité à définir et faire
appliquer des règles d'accès et d'exploitation semble
incontestable » (Delville, 2001 : 24).
Une autre originalité de cette expérience locale
de gestion de la brousse réside dans le fait que les règles
établies ne sont pas uniquement coercitives ; elles comportent
également un volet de réparation de la faute commise. Par
exemple, dans le cadre de la coupe du bois, toute personne pris en flagrant
délit va non seulement planter un arbre et l'entretenir mais aussi payer
une somme prévue par le règlement. Enfin pour donner plus de
crédibilité à cette convention, les responsables ont
sollicité l'approbation du préfet qui sert de dernier recours en
cas de refus d'un individu de se plier aux règles établies. C'est
donc un exemple très intéressant de gestion de ressources par les
populations locales.
Dans le cas du POAS de la Communauté rurale, il faut
dire qu'il y'a certes des règles qui sont établies mais elles
relèvent plus d'une vision technicienne plutôt que celle des
populations. Aussi, ce n'est pas une initiative des populations locales mais
plutôt du conseil rural. Même pour l'application, les mesures sont
plutôt coercitives. Or il ne suffit pas d'imposer ce type de
règles pour avoir l'adhésion des populations. Cela d'ailleurs
peut entrainer un effet contraire à l'objectif recherché. Par
ailleurs, le POAS, n'indique pas les mécanismes qui feront respecter les
règles. Donc il faudrait encore que le conseil rural se donne les moyens
de faire respecter cette convention au niveau local.
Au total, ces quelques exemples de gestion des ressources
naturelles dans lesquelles les populations locales sont impliquées
constituent des cas qui peuvent servir de point de départ pour asseoir
une gestion durable des ressources naturelles dans la Communauté rurale
de Kandia.
96
|