La gestion participative des ressources naturelles à
la mode à travers la décentralisation n'a pas été
en reste dans la Communauté rurale de Kandia. En effet le cadre de la
gestion des ressources forestières, on peut dire les populations
riveraines de la forêt communautaire de Kandia ont été
impliquées par le service forestier et encouragées par les
autorités locales.
En fait, (mais en réalité, il ne l'est pas)
après le supposé aménagement de ce massif par le service
des eaux et forêt de Vélingara, les populations locales devaient
assurer le rôle de protection et d'entretien des plantes
reboisées. Pour cela, une stratégie incitative fut adoptée
pour mieux les motiver à remplir efficacement cette mission. Il
s'agissait concrètement de fournir aux populations des vivres de
soudures pendant l'hivernage. Des campagnes de reboisement étaient alors
organisées par les villages environnants, regroupés en une
association inter-villageoise durant l'hivernage. Le service des eaux et
forêts fournissait un appui en pépinières ainsi que le
matériel nécessaire aux opérations de reboisement. En
retour, les personnes qui participaient à ces travaux
bénéficiaient d'un appui en vivres de soudure. La distribution de
ces vivres était faite en fonction du poids démographique de
chaque village. Cette méthode avait fait que les populations
s'intéressaient à la préservation de cette forêt.
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Car elles trouvaient leurs intérêts dans la
distribution des vivres de soudure (riz, huiles, niébé...). Il
faut noter que pendant la saison sèche, le travail des populations
riveraines du massif consistait à établir des pare-feux pour
prévenir les incendies. D'après monsieur Séne, le chef de
secteur du service des eaux et forêts de Vélingara, le but
visé était d'accompagner ces populations dans la gestion de leur
environnement en les encourageant à mener des actions allant dans le
sens de surveiller les coupes et les feux de brousse. D'ailleurs, ce sont ces
personnes qui sont les principales bénéficiaires des ressources
dont dispose cet espace. S'il y'a une menace de disparition de ces ressources,
elles sont les premiers concernées.
Par ailleurs, rappelons que le processus de
décentralisation qui donne compétence de gestion de
l'environnement aux collectivités locales est une forme de
responsabilisation de celles-ci. Par conséquent, la gestion de cette
forêt communautaire relève du conseil rural de Kandia. A ce
niveau, une commission composée d'une dizaine de personnes est
chargée de surveiller le massif contre l'exploitation clandestine et
frauduleuse du bois. Mais, selon les populations riveraines que nous avons pu
interrogées, ces agents communautaires ne font que très rarement
des descentes sur le terrain et seraient corrompus par les contrevenants.
Malheureusement durant notre séjour de terrain, nous n'avons pas pu les
rencontrer pour vérifier ces propos. Quoiqu'il en soit, la
dégradation des paysages végétaux n'est plus à
démontrer. Il suffit de se rendre sur les lieux pour le constater.
L'examen des différentes stratégies
menées dans le cadre de la gestion de la dégradation du couvert
végétal montre qu'il y'a parfois des difficultés de
coordination entre le conseil rural et le service des eaux et forêts de
Vélingara. Les premiers affirment que les agents des eaux et
forêts ne remplissent pas leur rôle de surveillance des ressources
forestières contre l'exploitation frauduleuse tandis que les seconds
pensent que la responsabilité incombe au conseil rural. Sans trop nous
attarder à ces divergences d'opinion, notons simplement que la gestion
des ressources naturelles dans le département de Vélingara n'est
pas aisée pour l'administration forestière.
En effet, ce département partage près de 200
kilomètres de frontières avec trois pays de la sous région
: Gambie, Guinée Bissau et Guinée Conakry. Cette position
géographique pose de véritables défis dans la surveillance
de l'ensemble de cet espace. La porosité des frontières fait
qu'il est difficile, voire impossible de contrôler les différents
flux de personnes et de biens qui se déroulent entre ces pays.
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En outre, l'administration forestière dans le
département de Vélingara est confrontée à un manque
de personnel et de moyens logistiques. A cet effet, le chef de secteur du
service des eaux et forêts de Vélingara nous informait que la
dernière dotation en matériels remonte à l'année
2007. Ce qui illustre les conditions difficiles de travail des agents
chargés de la surveillance et de la protection des ressources
forestières dans cette partie du Sénégal.
Toutefois, en dépit de ces difficultés
rencontrées, l'administration forestière dans le
département de Vélingara effectue un travail remarquable. A titre
illustratif, en 2009-2010, 60 millions de francs de recettes contentieuses ont
été versés au trésor public de Vélingara.
Selon l'article 30 de la loi n°96 -07 du 22mars 1996 portant transfert de
compétences aux régions, communes et communautés rurales
et de l'article R 65 du décret n°98-164 du 20 février 1998
portant application de la loi n°98-03 du 08 janvier 1998 portant code
forestier, le conseil rural perçoit les 7/10 du montant des amendes dont
les infractions ont été constatées dans les forêts
de la communauté rurale en dehors du domaine forestier de l'État.
Ainsi, ce sont 70% de cette somme qui ont été reversées
dans les caisses des collectivités locales du département de
Vélingara, soit 42 millions de francs. Cette performance montre le
dynamisme des agents des eaux et forêts. Ceci témoigne de la
volonté de lutter contre l'exploitation illégale des ressources
forestières de la part du service en question.
En ce qui concerne la communauté rurale de Kandia, il
y'a encore des efforts à faire. Si la plupart des conseils ruraux
disposent de budgets dérisoires, limitant ainsi sévèrement
leur capacité d'entreprendre les actions les plus fondamentales
liées à l'exercice des compétences qui leur sont
transférées (Écho des Collectivités Locales
n°3, 2002 cité par Déthié S. Ndiaye et
ali.)17, celui de Kandia n'a pas défini tout de même
une stratégie claire allant dans ce sens. A part les quelques actions de
sensibilisation des populations, il se contentait jusqu'à une date
récente, de dénoncer une exploitation frauduleuse des ressources
de son territoire et la passivité des populations locales face au
phénomène.
Enfin les populations quant à elles, ont adopté
de manière générale, une stratégie qui a
consisté à s'organiser en association inter-villageoise de
surveillance de la forêt contre les exploitants clandestins. Mais, cette
association inter villageoise n'est pas arrivée à des
résultats satisfaisants.
17 Déthié S. Ndiaye et ali. ?
Gouvernance locales et gestion décentralisée des ressources
naturelles au Sénégal, 8p.
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En effet, après quelques années de travail, la
plupart des membres se sont retirés. Ils invoquent le fait de voir que
l'administration forestière relâche les personnes prises en
flagrant délit dans le massif par ces mêmes populations. En fait,
elles ne comprennent pas pourquoi les contrevenants ne sont pas punis. Selon
ces populations, il y'aurait une corruption de certains agents chargés
de patrouiller dans la zone. Notons que pour le village de Doubirou, des
résultats intéressant ont été obtenus car les
populations ont réussi à interdire aux charretiers gambiens de
traverser leur village pour la coupe de bois de chauffe. Mais à part
cette exception, l'attitude de la population de manière
générale se résume soit à un refus d'accueillir
dans leurs villages des exploitants forestiers ainsi que les éleveurs
venus de la Gambie, soit à l'accueil favorable de ceux-ci.
Si les populations locales ne sont pas déterminantes
dans la régression des ressources ligneuses, elles n'ont pas entrepris
d'actions significatives de restauration et de protection de ces ressources,
pourtant vitales pour leur survie. Même les actions de sensibilisations
menées par le conseil rural et l'administration forestière n'ont
pas permis à ces dernières de prendre conscience des défis
qui se posent pour la sauvegarde de cet écosystème.
Mais au-delà de cette analyse qui essaie de comprendre
l'attitude des acteurs pris individuellement, notons que l'élaboration
du plan d'occupation et d'affectation des sols marque un tournant dans la prise
en charge de la question.
En effet, face à la dégradation continue de
l'environnement et des ressources naturelles, le Conseil rural de Kandia
appuyé par ses partenaires a décidé de mettre en place un
POAS pour mieux gérer l'espace communautaire. Il faut dire que le POAS
est devenu un outil pertinent, de plus en plus incontournable dans la gestion
durable des ressources naturelles à l'échelle communautaire. Les
dispositions qui y sont prises de manière consensuelle par les
populations concernent principalement le domaine agricole, le domaine pastoral,
domaine forestier, le domaine de la pêche et le dispositif
organisationnel.
Ainsi donc, le Plan d'Occupation et d'Affectation des Sols
est « la traduction des règles issues de la Convention Locale
mais appliquées à l'espace ». Il tire alors sa
légitimité de la démarche participative et inclusive de la
Collectivité Locale (POAS de Kandia, 2012.
On comprend dés lors la bonne volonté des
autorités locales de faire face à la dégradation des
ressources naturelles et particulièrement à l'exploitation
frauduleuse du bois dans la Communauté rurale. Cette nouvelle
démarche s'articule autour de règles qui sont établies
dans le cadre d'une convention locale, résultat d'un processus
participatif et inclusif de tous
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les acteurs. Ainsi, le POAS propose un ensemble de
règles qui permettent de réguler l'usage des ressources de
même que de prévenir des conflits sociaux.
L'application de cette convention par les populations locales
devrait en principe améliorer la gestion des ressources naturelles et
permettre par la même occasion aux autorités locales de mieux
prendre en charge les questions relatives à l'environnement. Ces
règles indiquent la conduite à adopter dans l'utilisation de
l'espace et des ressources. Le non respect de ces règles entraine des
sanctions en fonction de la gravité de la faute.
Notons tout de même que ces sanctions ont une
portée contraignante pour l'usager et ne comportent pas un volet de
réparation. Par exemple, ce sont des amendes qui sont imposées
aux personnes pris en flagrant délit. Mais Philipe Lavigne (2001), nous
rappelle que des règles efficaces ne peuvent reposer sur la seule
coercition : « même en supposant que les personnes
concernées ne s'y dérobent pas, constater les infractions, juger,
faire appliquer les sanctions est très coûteux. Les règles
seront d'autant mieux respectées que les acteurs s'y conforment
spontanément et que l'application de sanctions reste exceptionnelle. On
peut compter sur la bonne volonté, sur l'adhésion
idéologique à des règles communes, sur le poids de la
tradition, mais rien de tout ça ne suffit (p.9) ».En fait,
selon lui, les acteurs ne respecteront les règles s'ils ont un
intérêt objectif à jouer le jeu collectif, même si
cela a un coût à court terme. Ce sera le cas si les règles
sont légitimes et réalistes, s'il y a des avantages objectifs
à les respecter.
Des interrogations se posent alors quant au respect par les
populations locales des règles issues du POAS. Car on peut dire qu'il
n'y a vraiment pas une forte adhésion idéologique pour reprendre
l'expression de Delville. L'analyse de la situation permet de craindre un
échec par rapport à l'application de la convention locale. Nous y
reviendrons plus tard. Signalons seulement que l'approbation du POAS par le
sous-préfet de Kounkané date de juin 2012, période assez
courte pour évaluer ses impacts dans le cadre de la gestion des
ressources naturelles. D'ailleurs, il est prévu une période test
de 2 ans pour l'application du POAS.
Au total, ces sont les différentes actions qui ont
été menées pour faire face à la dégradation
des ressources forestières dans la communauté rurale de Kandia.
Mais interrogeons nous sur la portée de ces différentes
initiatives pour essayer de ressortir les limites éventuelles.