Le code forestier du Sénégal (1998) dans sa
partie réglementaire définit l'exploitation forestier en ces
termes : « l'exploitation forestière s'entend de la coupe ou de la
collecte des produits forestiers, notamment :
-le bois ;
-les exsudats, le mil et les huiles ;
-les fleurs, fruits feuilles, écorces et racines ; -la
faune sauvage terrestre, aviaire et aquatique.
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Est également considérée comme
exploitation forestière l'utilisation de la forêt à des
fins touristiques ou récréatives (article R18) ».
Pour le service des eaux et forêts, c'est «
l'ensemble des opérations permettant la récolte et l'utilisation
avantageuse des ressources forestières » (DEFCCS, 1998,
p.2).12 C'est donc tout prélèvement de produits
naturels d'origine minérale, animale ou végétale sur une
formation forestière.
Ainsi définie, l'exploitation forestière
regroupe plusieurs acteurs ayant comme ressource commune la forêt. Pour
mieux analyser le secteur, nous distinguerons les coupes liées au bois
d'oeuvre, le bois énergie, la pharmacopée entre autres.
La communauté rurale de Kandia est dotée d'un
potentiel de ressources ligneuses qui fait l'objet d'une intense exploitation
par les populations locales mais aussi par d'autres personnes venues
d'ailleurs. L'activité de coupe de bois d'oeuvre est très
dynamique dans le département de Vélingara. A cet égard,
la communauté rurale de Kandia a longtemps servi d'approvisionnement
à la commune de Vélingara. L'espèce la plus
convoitée est le venn. Mais aujourd'hui, elle a presque disparu à
cause de la forte pression qu'elle subit. Une visite sur le terrain permet
d'observer les dégâts écologiques causés par les
exploitants du bois d'oeuvre. La pratique a concerné d'abord les
formations qui étaient proches de la commune de Vélingara par la
coupe des troncs d'arbres. Au fil des années, la filière a connu
un regain d'intérêt qui s'est manifesté alors par une
intensification des coupes de bois faisant ainsi des dommages
écologiques irréparables. Tout ce processus s'est
déroulé sous le regard insoucieux des populations qui se
contentaient d'observer le phénomène. Pour le service des eaux et
forêts, le manque de moyens logistiques et de personnel est une
contrainte pour faire face aux différents contrevenants. En outre il
apparait dans nos investigations qu'il y'a une fraude importante de la part des
acteurs du bois d'oeuvre qui se déroule durant la nuit pour
échapper au contrôle des agents des eaux et forêts. Il
semble que certains de ces agents seraient corrompus d'après les
témoignages recueillis auprès des populations.
L'exploitation du bois d'oeuvre dans la communauté
rurale de Kandia se fait dans deux directions essentielles : vers la commune de
Vélingara avec des charretiers qui après avoir coupé les
troncs les acheminent pour les revendre aux chefs d'atelier de menuiserie.
Ces
12 Direction eaux, forêts, chasse et
conservation des sols, 1998 cité par Fofana B., 2001. Exploitation
forestière et suivi de l'évolution des ressources dans le Boundou
: état des lieux et perspectives, mémoire de maitrise, UGB, 133p
et annexes.
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menuisiers possèdent des machines pour scier ces troncs
et les transforment en meubles. Ces derniers sont soit vendus sur place, soit
acheminés vers la capitale, Dakar pour y être vendus. En ce qui
concerne la zone frontalière avec la Gambie, ce sont des exploitants
étrangers qui sont basés dans les villages frontaliers avec ce
pays. Ici, l'espèce la plus menacée est le fromager car le venn a
été complètement décimé. Ces exploitants
venus de la Gambie disposent de scies électriques qui sont suffisamment
efficaces pour venir à bout d'un tronc d'arbre. Les observations sur le
terrain permettent de saisir l'ampleur du phénomène dans le
massif forestier et constitue un élément déterminant dans
le processus de dégradation du couvert végétal.
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Photo 10 : phénomène de coupe
des grands arbres Photo 11 : Les exploitants forestiers
ciblent les grands arbres qui sont plus rentables, clichés BALDE M. M.,
2012
Ces photos illustrent la coupe des troncs de fromagers
qui sont destinés à la menuiserie locale. Après la coupe,
les troncs sont transportés par charrette au village. En ce moment,
certains troncs sont transformés en planches et d'autres sont vendus en
Gambie.
C'est en réalité une activité
très lucrative avec des ramifications de part et d'autre de la
frontière sénégalo-gambienne. D'ailleurs les propos du
chef de secteur du service des eaux et forêts de Vélingara
résument bien la situation : « « Il y'a un réseau
d'exploitants forestier basé en Gambie mais évoluant au
Sénégal ». Selon toujours ses propos, ce réseau
bénéficie de la complicité passive des populations locales
car ce sont elles qui hébergent ces étrangers pilleurs de leurs
ressources forestières. C'est dans ce contexte qu'il avait
adressé un rapport au préfet du département de
Vélingara par le même chef de secteur du service des eaux et
forêts pour lui alerter des conséquences néfastes que cette
exploitation frauduleuse de bois engendre.
Par ailleurs, les exploitants forestiers sont majoritairement
composés de « peuls fouta » qui ont des parents
installés dans la C.R. de Kandia et qui opèrent à partir
des villages frontaliers avec la Gambie pour accéder à la
ressource. C'est une activité bien organisée. En fait la
porosité de la frontière en complicité avec certains
individus permettent d'entretenir ce trafic
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de troncs d'arbres. Avec la forte demande, la filière
connait une intensification avec les scies électriques qui sont plus
rapides pour la coupe. Donc elles font plus de dégâts que la hache
traditionnelle. Cette intense exploitation est loin de dissiper les craintes de
destruction irréversible de ce massif forestier si la dynamique actuelle
continuait.
En somme, il faut dire que l'exploitation clandestine des
ressources forestières est une question qui concerne toute la partie
Nord de la Casamance. A ce titre, le journal, le Quotidien daté du
vendredi 28 juin 2013 consacrait un large dossier à la question.
L'auteur de l'article écrivait que : « les ressources
forestières de la Casamance sont exploitées par un vaste
réseau de trafiquants de bois composé de
sénégalais, de gambiens et de chinois basé à
Banjul. Le phénomène a pris de l'ampleur ces dernières
années .......le produit issu de la fraude est exporté vers
l'Asie. Et la Gambie est la plaque tournante de ce commerce illicite qui
compromet l'économie locale (p.4) ».
Il faut noter que c'est le même phénomène
qui est observé dans la communauté rurale de Kandia. Ce sont les
espèces les plus préservées qui sont
décimées par ces exploitants frauduleux. Ces images prises au
mois de juin 2013 illustrent l'ampleur du phénomène.
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Photo 12 : prise en juin 2013 Photo
13 : tronc de venn coupé, clichés (BALDE M. M., 2013)
Il s'agit des espèces comme le venne, le dimb,
cailcédrat et le rônier qui sont les plus recherchées. Ces
espèces génèrent une forte valeur ajoutée pour
l'artisanat et l'industrie. C'est une exploitation bien organisée.
En effet, les troncs d'arbres coupés sont
transportés en Gambie via les deux marchés hebdomadaires
situés à la frontière sénégalo-gambienne.
Ces marchés sont Sabi non loin de Bassé et Gambisara, deux villes
gambiennes. Ces deux villes servent de point de transit des produits issus de
l'exploitation. Par, ailleurs, la localité de Gambisara,
frontalière avec la communauté rurale de Kandia, est l'un des
plus grands dépôts de bois importé du
Sénégal. La position géographique de cette localité
lui confère un statut de ville carrefour pour le
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département de Médina Yoro Foula, où le
phénomène d'exploitation clandestine du bois est très
développé et la communauté rurale de Kandia. Cette
situation fait de ce marché hebdomadaire une destination phare pour ce
trafic de bois.
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Photo 20 : Exploitant forestier à
Djida,cliché BALDE M. M., 2013
La photo montre un exploitant forestier à Djida, un
village frontalier avec la Gambie. On voit que les arbres coupés sont
ensuite transformés en planches pour divers meubles. Ensuite les oeuvres
d'art sont vendues en Gambie. Ici on est à quelques kilomètres de
Gambisara, marché hebdomadaire très fréquenté les
mercredis.
Notons que l'exploitation clandestine du bois d'oeuvre dans
la communauté rurale s'effectue par un ciblage des grands arbres qui
sont plus rentables économiquement. L'usage de tronçonneuses
cause plus de dégâts écologiques dans la forêt
communautaire. Elle aboutit à la disparition des grands arbres ainsi que
les espèces ciblées. Ce qui n'est pas sans conséquences
pour l'équilibre écologique du milieu surtout quand on sait que
ces grands arbres y jouent un rôle fondamental.
Les enquêtes menées auprès des
populations riveraines du massif révèlent que 34% des personnes
interrogées pensent que les coupes abusives d'arbres constituent le
premier facteur de dégradation du couvert végétal
(graphique 8).
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Graphique 8 : Causes principales de la
dégradation du couvert végétal en (%) selon les personnes
interrogées
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34
10
14
12
30
Feux de brousse Emondage (élevage) Bois-énergie
Coupes abusives
Défrichement suivi de brulis
Source : d'après les enquêtes de terrain,
2013
Comme on le voit, l'exploitation forestière
plus précisément, les coupes abusives de bois d'oeuvre sont
considérées par les populations locales comme étant la
principale cause de la dynamique de régression des ressources
forestières. En outre, on remarque que les feux de brousse
arrivent en deuxième position. Mais, on note aussi que
l'élevage à travers l'émondage (coupe des branches
d'arbres) occupe une part non négligeable (14%). Ceci montre le
rôle essentiel des coupes de bois dans ce processus de dégradation
quel que soit l'usage que l'on en fait.
Par ailleurs, l'analyse de cette exploitation
frauduleuse de bois dans cette partie de la communauté rurale de Kandia
présente une double perte pour les habitants. Tout d'abord le
caractère frauduleux de la filière constitue un manque à
gagner en termes de recettes pour le conseil rural. Ensuite, le pillage des
ressources primaires dans un contexte d'accroissement des besoins est une
menace pour la stabilité de l'écosystème, support des
modes de productions locales. Que se passera t-il pour les
populations si les ressources forestières venaient de se
terminer comme c'est le cas dans le Nord du pays ? La
réponse à cette question mérite d'être
cherchée.
En définitive, l a dégradation du
couvert végétal se manifeste dans ce cas à travers une
perte de biodiversité (disparition du bois de venn) et
une menace de disparition pour le fromager. C'est également une
diminution de la densité des paysages végétaux ; donc une
perte de quantité qui s'observe. La combinaison de ces
éléments prépare le massif à la dynamique de
l'érosion. Aussi les coupes pour le bois-énergie
ne peuvent pas être négligées dans cette dynamique, elles
ont des impacts qui doivent être considérer.