Si l'agriculture est la première activité qui
fournit aux populations les ressources alimentaires et financières dans
la communauté rurale de Kandia, il n'en demeure pas moins qu'elle reste
un facteur de dégradation de l'environnement. En effet, le lien entre
croissance démographique et dégradation du couvert
végétal a été souligné par de nombreux
chercheurs. Le rapport sur l'état de l'environnement au
Sénégal (2005) souligne que « la pression humaine se traduit
principalement par des pratiques culturales ou pastorales inadaptées
».Pour le plan d'action environnemental régional (PAER, 2007) cette
pression se traduit en termes de défrichements abusifs et de
dégradation des sols. Ce qui représente une menace pour la
viabilité des systèmes de production.
Ainsi dans la Communauté rurale de Kandia, on observe
ce type de pratiques agricoles. Il y'a une croissance démographique
importante qui entraine une extension des champs à travers les
défrichements. Le rapport du ministère de l'environnement et de
la protection de la nature (MEPN) de 2005 estime que cette expansion agricole
est due par les faibles performances de l'agriculture, la dégradation
des sols et la nécessité de nourrir une population de plus en
plus pauvre et à forte croissance démographique. D'ailleurs la
population de la C.R de Kandia est passée de 18.111 habitants en 2004
à 22.582 habitants (PLD de Kandia, 2011). Les villages les plus
peuplées se trouvent au nord de la C.R et entourent la forêt
communautaire. La zone de Doubirou regroupe 43% de la population rurale de
Kandia avec un taux d'occupation des sols de 70% (POAS de Kandia, 2012).
Cette situation constitue un facteur potentielle de
défrichement et donc de déforestation. D'ailleurs ce qui est
étonnant, c'est que dans le cadre de l'élaboration du POAS, la
zone où se trouve la forêt communautaire de Kandia est
classée en ZAPA (zone agropastorale à priorité agricole)
et en ZAPE (zone agropastorale à priorité élevage). On
remarque donc une contradiction flagrante entre la perception des populations
et la volonté des autorités locales.
60
En effet on peut s'interroger sur l'avenir de cette
forêt communautaire dés lors qu'elle n'est pas prise en compte
dans le plan d'occupation et d'aménagement des sols
élaboré avec la participation des populations
locales. Mais intéressons-nous aussi à
l'organisation sociale de l'agriculture.
L'organisation de l'agriculture dans la zone permet
d'identifier deux types de champs : les champs collectifs et
les champs individuels. Les champs collectifs servent à l'alimentation
de la famille en général. On y cultive essentiellement du sorgho,
du mais ou du mil. Leur superficie varie en fonction de la taille de la
famille. Ils sont appelés « maaru »10. Le
« Kamagna »11 , quant à lui est le champ
individuel. Il permet de satisfaire les besoins financiers par la vente de la
récolte. Ici, plus le nombre de personnes de la maison est important,
plus les superficies emblavées le sont aussi. L'augmentation de la
population se traduit par une déforestation dans le but de trouver des
terres à l'ensemble des personnes en âge de pratiquer
l'agriculture au sein du ménage. Il y'a alors un
phénomène de réduction des superficies cultivables ainsi
que les jachères. Pour avoir une idée plus précise sur la
question, nous avons mené des enquêtes
auprès des populations en 2013 (graphique
7).
Graphique 7 : Types d'occupation en fonction des
personnes interrogées
Propriétaire
Héritage
Cédée par le mari Champ familial
Defrichement Héritage+défrichement
Source : Enquêtes de terrain
10 Nom qui désigne le champ collectif
en milieu peul et sert de nourriture à la famille.
11 Champ individuel permettant au
propriétaire de trouver des ressources financières par la vente
de la récolte
61
L'examen du graphique 7 montre les différents types
d'acquisition de la terre par les populations. On remarque que 28% des
personnes interrogées ont hérité leurs champs de leurs
parents. C'est la proportion la plus importante, suivi de ceux qui affirment
qu'ils sont les propriétaires de leurs terres, soit 24% de l'effectif
total. Il apparait que l'essentiel des femmes interrogées ont obtenu
leurs champs par « don du mari ». Ce qui met en
lumière la difficulté des femmes à accéder à
la terre en dépit de leur droit reconnu par la loi sur le domaine
national.
L'occupation du sol par les deux modes d'acquisition :
héritage+ défrichement représente 10%. Ce taux signifie
que l'extension des terres de culture pour faire face à la croissance
démographique ne connait pas encore des proportions
démesurées.
En effet, pour la plupart des ménages
interrogés, il ressort que l'augmentation de la population n'a pas eu
comme effet une extension des champs de culture. Les personnes
interrogées affirment qu'elles n'ont pas défriché de
nouveaux terrains depuis plusieurs années. Selon elles, le fait de
demander une autorisation préalable au niveau du conseil rural rend la
situation plus compliquée. En effet, depuis l'adoption de la loi 96-07
du 22 mars 1996 portant transfert de compétences aux
collectivités locales, on assiste à un renforcement des pouvoirs
du conseil rural en matière de gestion domaniale. Désormais, les
populations rurales doivent formuler une demande d'affectation adressée
au président du conseil rural pour l'obtention d'une autorisation de
mise en valeur de la terre. Toutefois, on note qu'il y'a un décalage
entre ce que disent les textes de lois et la pratique sur le terrain. En effet,
durant les enquêtes menées, certaines personnes ont avoué
qu'elles n'étaient pas informées de ces dispositions relatives au
foncier et s'adonnent à des défrichements non autorisés
(photos 6 et
7). Photo 6 Photo 7
Photo 6 : Défrichement
à des fins agricoles dans la zone de Doubirou, cliché BALDE M.
M., 2013
On observe à travers ces images une
déforestation pour un nouveau champ plus riche. Le bois mort jonche le
sol. Les cendres témoignent ici de la pratique de l'agriculture sur
brûlis.
62
Ces images montrent qu'en dépit de l'interdiction de
défricher à des fins de cultures sans l'autorisation du conseil
rural, qu'il existe encore des pratiques qui font fi de cette mesure. Pourtant
le chef de la délégation spéciale qui est au sein du
conseil rural, nous confiait que les demandes de défrichement
concernaient « des régularisations, en général ne
dépassent pas 4ha ». En se rendant sur le terrain, on se rend
compte que la situation est différente de celle qui est décrite
par les autorités locales. Globalement le phénomène de
recul du couvert végétal est plus accentué dans la partie
Nord du massif forestier. On observe une distance plus importante entre les
champs et le village (1,5à 2km) alors que la moyenne autour du massif
est de l'ordre du kilomètre. C'est dans ce secteur que l'érosion
éolienne est la plus manifeste car c'est un espace « désert
». Ce constat s'explique d'une part par le poids démographique de
cette zone et d'autre part, par les moyens dont disposent ces populations en
termes de possibilité de mise en valeur des terres.
En fait, ces villages sont habités par des
sarakholés qui disposent des tracteurs et des moyens financiers
conséquents pour cultiver des superficies relativement importantes en
comparaison avec le reste de la Communauté rurale de Kandia. Ce sont des
villages qui ont la chance d'avoir beaucoup d'émigrés et ces
derniers à la veille de chaque hivernage envoient à leurs
familles de l'argent pour l'achat d'intrants et aussi pour payer les services
d'un tracteur. Il s'agit de Doubirou (village le plus peuplé de la C.R),
Djida, Lambatara et Médina Mari Cissé.
Il est intéressant de mentionner que c'est dans ces
localités que les ventes frauduleuses d'engrais ont lieu. Cela
s'explique par le fait que certaines personnes n'ayant pas de ressources
financières suffisantes pour assurer l'alimentation de leur famille en
période de soudure, préfèrent détourner ces
intrants pour les revendre à ces populations à des prix plus
chers.
Une autre raison est que les villages situés dans
cette partie Nord de la communauté rurale de Kandia ne
bénéficient pas de l'engrais car la distribution de cet intrant
obéit à la condition de cultiver du coton qui est
commercialisé par la SODEFITEX. Or ces populations ont pour principales
spéculations les cultures vivrières comme le mil, l'arachide, le
maïs entre autres ; d'où la nécessité de recourir
à l'achat d'engrais pour améliorer la fertilité des sols
en dépit de la présence de cheptels bovins importants.
Par ailleurs, les résultats des enquêtes
semblent montrer que la diminution de la durée des jachères est
de plus en plus observée au sein des terres de cultures.
63
En somme, l'analyse des informations recueillies sur le
terrain aux moyens d'enquêtes et d'entretien dans la C.R. de Kandia
permet de confirmer le rôle néfaste de l'agriculture pour le
maintien de la végétation en termes de superficie dans un
contexte de croissance démographique. D'ailleurs, on assiste à
une réduction de la superficie du massif forestier au profit de
l'extension des champs de cultures.