1.2- Tentative de définition du journalisme
narratif
1.2.1- Un journalisme qui s'écarte du modèle
canonique de l'écriture journalistique
Alors que le journalisme narratif s'approprie les techniques
d'écriture littéraire, celui-ci s'écarte du modèle
canonique de l'écriture journalistique présenté dans les
manuels pratiques et enseigné dans des écoles de journalisme
« souvent bien obligées [...] de répondre aux exigences du
marché en termes de formatage et de rapidité
d'exécution56 ». Tenter de définir ce qu'est le
journalisme narratif « exige de se décentrer totalement des
conventions habituelles de traitement et d'exploitation de l'information
brute57 ».
En effet, le journalisme narratif rend compte « d'une
histoire réelle où des personnages déploient leurs actions
dans le temps et dans un cadre spatial [...] ». Cette histoire est «
mise en forme - par un narrateur qui possède une voix propre,
personnelle - de manière à créer un récit
organisé et capable de simuler une forme d'expérience pour ses
lecteurs58 ». Ce sont donc les techniques d'écriture
empruntées à la fiction qui vont participer à cette mise
en forme de l'histoire qu'évoque Marie Vanoost dans sa proposition de
définition.
Ainsi, le journalisme narratif échappe aux
règles d'écriture classiques : usage des « 5W »,
concision, vocabulaire et structure de phrase simples ou encore «
neutralité [du journaliste] posée comme impératif
catégorique59 ». Erik Neveu ajoute que les formes
d'écritures employées en journalisme narratif «
transgressent les limites, les censures, les impuissances expressives que
peuvent engendrer l'écriture de presse codifiée par les principes
d'objectivité, de neutralité, la rhétorique de la pyramide
inversée60 ».
En effet, le journalisme narratif rompt avec l'organisation de
l'information selon le principe de la pyramide inversée qui consiste
à hiérarchiser l'information de l'essentiel à
l'accessoire. Les praticiens du journalisme narratif s'éloignent de
cette pratique puisqu'elle limite les effets de suspense. Alors que le
journalisme traditionnel a tendance à résumer le temps, le
journalisme narratif permet au lecteur d'expérimenter « l'action
comme si elle se déroulait en temps réel61 ». Par
ailleurs, les « principes de sélection de l'information [...]
» utilisés dans le journalisme traditionnel « [...] poussent
à écarter toute une série de détails qui permettent
de construire un personnage ou de visualiser une scène
[...]62 ». Quand le journalisme conventionnel met l'accent sur
le résumé, le journalisme narratif privilégie le
détail concret63. Enfin, c'est en se détachant des
règles de lisibilité que le journaliste peut développer un
style d'écriture, un ton, ainsi que sa voix de
narrateur64.
56 MEURET, Isabelle. Op.cit.
57 PELISSIER, Nicolas, EYRIES, Alexandre.
Op.cit.
58 VANOOST, Marie. Op.cit.
59 PELISSIER, Nicolas, EYRIES, Alexandre.
Op.cit.
60 NEVEU, Erik. Op.cit.
61 GREVISSE, Benoît. Op.cit.
62 VANOOST, Marie. Op.cit.
63 GREVISSE, Benoît. Op.cit.
64 Ibid.
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Enfin, pour Nicolas Pélissier et Alexandre
Eyriès, le journalisme narratif se situerait en fait dans un «
entre-deux narratif65 ». En inscrivant ainsi ce genre dans une
« zone frontière », Pélissier et Eyriès
émettent l'idée qu'en journalisme narratif, «
l'impératif réaliste de l'éthique journalistique n'entrave
pas la célébration du style et la recherche du suspense via des
procédés de mise en tension narrative66 ».
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