1.2.2- Raconter une histoire vraie : le récit au
coeur du journalisme narratif
Pour rendre compte au mieux du réel et du milieu
observé, le journalisme narratif revendique l'utilisation du
récit. En effet, celui-ci permettrait de rendre le contenu plus
dramatique et par conséquent, plus captivant pour le lecteur.
L'originalité du journalisme narratif relève donc de la
réunion assez paradoxale des caractéristiques propres au
récit avec le principe fondamental du journalisme qui est de
reconstituer le réel.
En s'appuyant sur le schéma quinaire67
proposé par Paul Larivaille entendu au sens d'un schéma narratif
en cinq étapes décrivant la construction d'un récit et
notamment celle du conte, Marie Vanoost rappelle les fondamentaux du
récit. Celui-ci débute par une situation initiale où il ne
passe rien d'anormal et qui a pour objectif de planter le décor (lieu,
personnages). Cette situation est perturbée par une complication qui
appelle l'action du/des personnage(s) afin de parvenir à une
résolution. Enfin, le cinquième et dernier élément
du récit constitue la situation finale permettant de revenir à un
certain équilibre.
Ainsi, en convoquant le récit, le journalisme narratif
transforme la règle d'écriture de base du journalisme, à
savoir, le principe des « 5W ». Pour Roy Peter Clark, cité par
Marie Vanoost, le « qui a fait quoi, où, quand et pourquoi ? »
est approfondi voir transformé par le récit journalistique de la
manière suivante :
« «Who» becomes character. «What »
becomes plot. «Where» becomes setting. «When» becomes
chronology. «Why» becomes motive. And «How» becomes
narrative68 ».
Dans cette logique, Erik Neveu note que les contenus
journalistiques relevant de ce qu'il appelle les «Nouveaux »
journalismes d'enquête « énoncent qu'«il était
une fois...», enchaînent des épisodes, organisent rebonds et
flash-back, peuvent capturer le lecteur dans la dynamique de
péripéties, d'une intrigue69 ».
Le journaliste est aussi amené à faire appel au
dialogue. Si la citation est employée traditionnellement en journalisme
pour rapporter les propos d'une personne, le journalisme narratif, lui, rend
compte de longues conversations à travers lesquelles le journaliste
cherche à « restituer les
65 PELISSIER, Nicolas, EYRIES, Alexandre.
Op.cit.
66 Ibid.
67 LARIVAILLE, Paul. L'Analyse (morpho)logique du
récit. Poétique, n° 19, 1974, pp. 368-388.
68 ««Qui» devient le personnage.
«Quoi» devient l'intrigue. «Où» devient le
décor. «Quand» devient la chronologie. «Pourquoi»
devient le motif. Et «comment» devient le récit. »
Dans ce mémoire, les citations en langues étrangères
sont traduites par nos soins.
69 NEVEU, Erik. Op.cit.
19
intonations, le style, le lexique - précieux, technique
ou ordurier - d'un personnage ou d'un groupe70 ».
Par ailleurs, parce qu'il prend le temps de raconter, le
journalisme narratif met en place des personnages complexes. En effet, le
lecteur est amené à suivre les actions d'un personnage
évoluant dans un cadre spatio-temporel, rencontrant d'autres personnages
« qui eux aussi sont plus qu'un nom, un âge, une profession ; [ils]
sont avant tout des êtres définis par leur histoire71
». Ainsi, « l'environnement des personnages est au moins aussi
important que ceux-ci72 ». D'autre part, les praticiens du
journalisme narratif ont la particularité d'accorder une
véritable « attention pour les vies ordinaires, les «petites
gens» auxquelles le lecteur est amené à s'identifier - du
moins, comprendre73 ». Erik Neveu envisage, quant à lui,
l'ordinaire de la vie sociale et les styles de vie comme le prisme de lecture
de la société des journalistes issus des « nouveaux »
journalismes74.
Ainsi, le récit en journalisme narratif permet
d'utiliser « la palette de formes qu'offrent les narrations75
» et « c'est toute la panoplie des techniques d'écriture dites
« littéraires » qui semble ouverte au journaliste76
». Mettre en récit le réel a donc pour objectif de capter
l'attention du lecteur, mais également de lui « offrir une
compréhension plus profonde77 » du monde dans lequel il
vit. Alors que le journaliste traditionnel s'efforce de présenter des
faits de la manière la plus objective possible, le journaliste narratif
use de l'écriture littéraire « pour appréhender le
monde à travers ce qu'il nous laisse voir et ressentir78
», et ce, grâce à la mise en scène de personnages, la
création de scènes, la dramatisation, la convocation importante
de détails et de descriptions.
Cependant, si le journalisme narratif emprunte des techniques
d'écriture propres à la fiction, il n'en reste pas moins que le
récit journalistique est « soumis à une exigence de
précision factuelle qui s'ancre principalement dans les démarches
de reportage menées par le journaliste79 ».
|