Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.( Télécharger le fichier original )par Elena JOSET Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016 |
3.3- Slow media : un concept sujet à des interprétations différentes et révélateur d'un métier en crise identitaire3.3.1- Concept de Slow media : précisions terminologiquesSi Le Quatre Heures se présente ouvertement comme un média de « slow info », les cofondateurs des Jours précisent ne pas s'associer à ce concept. Rappelons que c'est d'ailleurs ce positionnement qui a retenu notre attention afin d'interroger ce concept dont le manifeste à été rédigé en 2010 par des chercheurs allemands190. Il convient de s'interroger sur les différentes interprétations dont le Slow media fait l'objet ainsi que sur les différents discours qui lui sont associés, tout en apportant, quelques précisions terminologiques. Le Slow media est un anglicisme composé de l'adjectif « slow », signifiant « lent », et « media », correspondant à l'homonyme français « média ». Le terme « média » peut être considéré comme un moyen de diffusion direct ou indirect. Dans le premier cas, il peut s'agir d'un support médiatique comme le langage ou l'écriture. Dans le second cas, il peut être considéré comme un dispositif technique, comme l'internet, la télévision, ou la radio. L'adjectif « lent » peut être associé à des animés ou inanimés. Lorsqu'il s'agit d'un homme ou d'un animal, donc d'un animé, l'adjectif qualifie cet être comme manquant de rapidité dans ses mouvements191. Attribué à un inanimé, c'est-à-dire autre chose qu'un homme ou un animal, « lent » peut relever d'un « processus », d'un « objet actif » (une rivière, par exemple), ou bien d'une « période » et d'une « unité de temps ». Or, nous avons noté, dans la première partie de ce mémoire, que l'ensemble des articles du manifeste du Slow media se concentraient d'une part, sur les processus de production de l'information par les professionnels des médias, et d'autre part sur le processus de consommation des médias. Envisagé ainsi comme un processus, l'adjectif « lent » qualifie quelque chose « qui s'effectue en un temps relativement long ». À titre d'exemple, l'unité de recherche du CNRS « Analyse et traitement informatique de la langue française » convoque un extrait du chapitre VII du Salon de 1846 de Charles Baudelaire intitulé « De l'idéal et du modèle » : « [...] Un portrait est un modèle compliqué d'un artiste. [...] Un idéal, c'est l'individu redressé par l'individu, reconstruit et rendu par le pinceau ou le ciseau à l'éclatante vérité de son harmonie native. La première qualité d'un dessinateur est donc l'étude lente et sincère de son modèle ». Attribué à un animé, l'adjectif qualificatif « lent » évoque quelque chose de négatif, renvoyant notamment à la paresse, la pesanteur, ou encore la mollesse. Lorsqu'il vient qualifier un processus, comme le travail du dessinateur de Baudelaire, l'adjectif « lent » se charge de valeurs positives : la lenteur est au service de l'observation du modèle. La lenteur serait même une « qualité » dans la 190 Les auteurs du manifeste sont, pour rappel : Sabria David, chercheuse spécialisée dans les médias, le sociologue Benedikt Köhler, et Jörg Blumtritt, chercheur et analyste de marché 191 Le Trésor de la langue française informatisé. Définition de « lent ». [En ligne]. [Consulté de 10/06/2016]. Disponible à l'adresse : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?61;s=3509476260;r=1;nat=;sol=1; 67 mesure où elle participe de l'étude « sincère » du modèle observé dont le dessinateur « reconstruit [...] l'éclatante vérité [...] ». Ainsi, la notion de lenteur, lorsque l'on parle d'un processus, renvoie à une période favorable à l'observation, à l'analyse, à l'approfondissement, à l'examen et à l'introspection d'un objet ou d'un sujet. Par la même occasion, la lenteur permettrait de représenter avec sincérité et authenticité l'objet ou le sujet en question. De ce point de vue, l'association du terme « slow » à celui de « media » - si ce dernier est envisagé comme un dispositif technique et plus exactement comme un journal, nous évoque la méthode de l'immersion employée par les praticiens du journalisme narratif faisant partie intégrante du processus de fabrication d'un reportage. Toutefois, si l'immersion du journaliste dans un milieu observé peut éventuellement se rapprocher du terme Slow media - à condition que l'adjectif « slow » soit envisagé comme un processus, il convient de s'interroger sur les raisons pour lesquelles le pure player Les Jours précise ne pas s'associer à celui-ci. |
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