Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.( Télécharger le fichier original )par Elena JOSET Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016 |
3.2.3- Le web pour révéler l'immersion du reporter et favoriser celle du lecteurAlors que l'immersion du reporter dans un milieu observé est l'une des caractéristiques fondamentales du journalisme narratif, on note que les stratégies éditoriales des médias Les Jours et Le Quatre Heures oeuvrent également pour la captation de l'attention du lecteur, notamment à travers des choix d'écriture, mais également à travers l'exploitation des technologies du web. On remarque dans un premier temps que les deux reportages s'ouvrent avec un visuel (vidéo pour Le Quatre Heures ; photographie pour Les Jours) dont la taille prend la largeur de l'écran, qu'il s'agisse d'un écran d'ordinateur, de tablette, ou smartphone. Cette manière d'introduire le reportage par une large image permet à l'internaute d'avoir un premier contact avec l'histoire : situation du cadre spatial et visualisation des personnages de l'histoire. Par ailleurs, l'ensemble des photographies des deux reportages sont cliquables afin d'agrandir celles-ci. L'internaute qui consulte le reportage des Jours est amené à quitter le récit principal puisqu'au clic d'une image, il est dirigé vers un diaporama de photos accompagnées de légendes. Les photos défilent automatiquement, l'internaute peut choisir ou non de prendre le contrôle sur le défilé des images. Ainsi, durant toute la consultation du récit, le lecteur est très peu incité à mener des actions, qui se traduisent par le « clic ». Afin de ne pas distraire l'internaute, le clic au sein des deux reportages relève donc du choix du lecteur et non d'une obligation. L'unique action que l'internaute doit mener est de « scroller », c'est-à-dire, faire défiler à l'aide de sa souris - ou de son doigt pour un écran mobile, les contenus qu'il visualise sur son écran. La navigation au sein du reportage s'effectue ainsi verticalement, de haut en bas. L'usage du « scroll » s'est démocratisé avec l'apparition de la roulette incrustée dans la souris, mais également avec l'habitude de parcourir avec son doigt les contenus sur smartphone ou tablette. À ce titre, l'ergonome et UX designer Amélie Boucher rappelle que « le pouce humain est articulé de telle manière qu'il est beaucoup plus facile de le faire aller de haut en bas plutôt qu'horizontalement, de l'intérieur vers l'extérieur188». Pour les responsables du pôle visualisation du journal Le Monde, l'usage du « scroll » « est devenu un important vecteur d'animation, d'ergonomie et de créativité189 ». En témoigne d'ailleurs l'apparition du néologisme « scrollitelling », la contraction des mots « scroll » et « tell ». Ainsi, le « scrollitelling » consisterait à dire, raconter en faisant défiler. 188 SCHERER, Eric. Journaliste designer. Meta-media.fr. [En ligne]. 13 décembre 2015 [Consulté le 20/05/2016]. Disponible à l'adresse : http://meta-media.fr/files/2015/12/MetaMediaFTV10SCREEN1.pdf 189 MONASTEROLO, Bernard, SACCHARIN, Kora, DEDIER, Eric. 2014, une année en grand format. LeMonde.fr. [En ligne] 2014. [Consulté le 20/05/2016]. Disponible à l'adresse : http://www.lemonde.fr/grands-formats/visuel/2015/01/02/une-annee-en-grand-format-201445405244497053.html 65 Ce dispositif de navigation, accompagné de contenus plurimédia (texte, photographie, son, vidéo, carte, etc.) faisant partie intégrante de la narration favoriseraient ainsi la concentration de l'internaute vis-à-vis du contenu qu'il consulte, et par là même occasion, son immersion au sein du récit. C'est en tout cas l'un des objectifs des co-fondateurs du Quatre Heures : « La forme au service du fond : grâce à une plateforme innovante, nous voulons optimiser le confort de lecture et l'immersion dans le reportage. Les outils du multimédia sont au service de la narration, pour que rien ne s'interpose entre l'histoire et vous ». ( https://lequatreheures.com/presentation/, consulté le 05/01/2016) Et Estelle Faure d'ajouter : « On tenait absolument à cette idée d'immersion dans laquelle le public se plonge pour lire un article ». (Entretien avec Estelle Faure, 05/05/2016) Les co-fondateurs des Jours parlent, quant à eux, d' « enrichissements » plutôt que d'immersion. En effet, dans un article dédié à la navigation au sein du média, les membres des Jours précisent à propos des éléments qui apparaissent de manière simultanée au « scroll » de l'internaute : « Ces enrichissements approfondissent, complètent, éclairent la lecture de l'article. Ils délivrent la définition d'un mot, d'un acronyme. Ils vous expliquent par exemple qui est tel personnage ». http://lesjours.fr/obsessions/les-jours-c-quoi/les-jours-navigation/ , consulté le 05/05/2016) Notons à ce titre que la présence d'un article décrivant la navigation sur le site du pure player témoigne du fait que celle-ci rompt avec les codes classiques de navigation des médias traditionnels en ligne. De plus, Raphaël Garrigos nous précise que Les Jours est un média qui se situe dans le deep, la profondeur, ce qui participe à cette notion d'enrichissement, tout en faisant écho à la notion d'immersion. En effet, si la « profondeur » chez Les Jours se caractérise par un suivi de sujets sur le long terme, celle-ci participe dans le même temps à l'immersion du lecteur dans la mesure où il est invité à s'attacher à un travail journalistique de temps long, à prendre connaissance des nouvelles informations que le journaliste aura tiré de son enquête, analyse ou reportage. Ainsi, bien que Le Quatre Heures et Les Jours envisagent le web comme un support offrant de nouvelles possibilités de narration, on constate que les deux médias ne délivrent pas les mêmes discours à propos de leurs objectifs dans la mise à disposition de l'information. Cette divergence de discours vient d'ailleurs s'ajouter à des interprétations a priori différentes du concept de Slow media. 66 |
|