Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.( Télécharger le fichier original )par Elena JOSET Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016 |
3.2.2- Une « mise en relief » du récit médiatique grâce au webPour Raphaël Garrigos, les pure players comme Les Jours ou Le Quatre Heures se distinguent des autres médias en ligne par l'exploitation du web dans la mise à disposition d'un récit. Dans cette logique, Raphaël Garrigos considère Les Jours comme faisant partie de la « deuxième génération de pure players », la première correspondant à des médias en ligne tels que Rue89 ou Médiapart : « [...] On voulait se positionner comme la 2e génération de pure players, c'est-à-dire celle qui utilise pleinement toutes les ressources du web, notamment en étant disponibles immédiatement sur les trois écrans. C'est également les apports des personnages, des sons, des vidéos, qui permettent d'avoir des articles enrichis. Ces enrichissements ne seraient pas possibles sans le web. [...] Il y a aujourd'hui beaucoup de sites comme Ulyces, Le Quatre Heures, L'Imprévu, et d'autres qui représentent pour moi cette génération. (Entretien avec Raphaël Garrigos, le 06/05/2016) Lorsqu'elle parle de l'exploitation des possibilités du web, Estelle Faure, co-fondatrice du Quatre Heures évoque quant à elle la « mise en relief » des reportages : 63 « Concrètement, je trouve que le web donne du relief au sujet. Faire appel à d'autres supports comme la vidéo et le son a parfois plus de sens. Avec ce type de support, on peut laisser vivre une scène de l'histoire. Écouter la voix d'un personnage peut aussi donner plus de profondeur au récit. [...] La possibilité de faire des choix en matière de support (photo, vidéo, son, dessins, texte), donne une autre dimension au reportage ». (Entretien avec Estelle Faure, 05/05/2016) La métaphore de la « mise en relief » du récit est une notion qui a été abordée par Harald Weinrich dans le cadre de ses travaux sur l'utilisation des temps dans les textes littéraires186. Bien que le linguiste se concentre uniquement sur le support textuel, la métaphore a le mérite d'évoquer la notion de superposition de plans au sein d'un récit. En somme, l'imparfait est « le temps de l'arrière-plan » et le passé simple, « le temps du premier plan187 ». Cette « mise en relief » par les différents temps du récit peut faire écho - dans une juste mesure - à la « mise en relief » du récit dont parle Estelle Faure. En effet, Le Quatre Heures fait appel à une vidéo pour introduire chaque reportage. « Sur les bancs des quartiers nord » débute ainsi par une vidéo réalisée en plan séquence. À travers cette vidéo, le lecteur est invité à découvrir les élèves de la classe de 3e du collège Arthur Rimbaud. À ce plan séquence s'ajoutent en voix off les paroles des élèves qui évoquent leurs ambitions professionnelles ou bien leur relation avec les autres collégiens. D'autres parlent des meurtres et règlements de compte qui ont eu lieu dans la région de Marseille. Ainsi, cette vidéo tend à se rapprocher de « l'arrière-plan » de l'ensemble de l'histoire que le lecteur s'apprête à lire dans la mesure où celle-ci permet une première approche du décor et des personnages. Les premières lignes du reportage, quant à elles, pourraient correspondre au « premier plan » du reportage : « «M'dame, c'est quoi «morne» ?» «Triste», répond la professeure. Parmi les mots qui font tiquer les élèves, il y a aussi «tumulte», et «bicêtre», synonyme de «malheur» en vieux français. Assise sur le coin du bureau, Mélanie Clément surveille sa classe de troisième 2, encourageant les uns, répondant aux autres. «Shérazade, tu as un stylo ? Allez, fais des croix». » ( https://lequatreheures.com/episodes/sur-les-bancs-des-quartiers-nord-marseille/, consulté le 02/05/2016) Bien que la narratrice n'utilise pas le passé simple, mais le présent - puisque l'objectif est également de rendre compte de l'immersion du reporter, cette scène de classe vient se superposer à la « toile de fond » que constitue la vidéo. À ce titre, Le Quatre Heures utilise la technique dite « parallax », un procédé propre au support web permettant, au scroll de la souris par l'internaute, de générer un effet de profondeur. Dans le cas du reportage du Quatre Heures, la couche sur laquelle est situé le contenu textuel se superpose à la couche vidéo renforçant par la même occasion l'effet de « mise en relief » du récit. 186 WEINRICH, Harald. Le temps. Paris : Seuil, 1973. 187 KAEMPFER, Jean. MICHELI, Raphaël. La temporalité narrative. [En ligne] 2005. [Consulté le 06/05/2016]. Disponible à l'adresse : https://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/tnarrative/tnintegr.html#tn021200 64 Par ailleurs, l'alternance de ces différents « plans », qu'ils soient réalisés à travers des contenus de supports différents, ou par la méthode des « récits emboités » participe à la notion d'immersion du lecteur au sein du récit. |
|