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Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.

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par Elena JOSET
Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016
  

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3.1.2- Réconciliation de la fonction intrigante et de la fonction configurante au sein du récit médiatique

? Récits médiatiques « minimaux » et « maximaux »

Alors qu'elle s'appuie sur des outils narratologiques, notre grille d'analyse nous a permis de constater que les deux reportages du Quatre Heures et des Jours associent les caractéristiques dites « classiques » du récit, avec des « traits plus proprement journalistiques174». En effet, bien que les deux narratrices convoquent des techniques d'écriture que l'on retrouve dans des contenus relevant de la fiction (personnages, cadre spatio-temporel, récits emboités, vitesse narrative, etc.), celles-ci veillent à faire preuve de précisions (descriptions, discours rapportés, compléments d'information).

C'est donc ce mélange qui distingue le journalisme narratif d'un journalisme plus factuel, et par la même occasion, constitue l'originalité de ce genre journalistique. Cependant, Marie Vanoost rappelle que pour bien cerner cette originalité, il convient de positionner le récit utilisé en journalisme narratif « par rapport à la notion, aujourd'hui d'usage courant, de récit médiatique175», objet des travaux de recherche du narratologue et professeur de communication Marc Lits176.

Actions, personnages, temps et lieu suffisent à identifier un contenu médiatique comme relevant du récit. Marie Vanoost qualifie ce type de récits comme « minimaux » dans la mesure où ceux-ci sont soumis à des contraintes d'espaces ne permettant pas leur développement, ou bien soumis à des règles d'écriture, comme celle de la pyramide inversée qui limite fortement la place accordée aux détails, aux jeux de suspense, à la construction des personnages. De plus, ce type de règle de lisibilité borne considérablement le style d'écriture, ainsi que la voix du narrateur. Puisqu'ils ne répondent pas à ces contraintes d'écriture et d'espace, notamment sur le web, les récits relevant du journalisme narratif sont considérés, eux, comme des récits « maximaux ».

Mais ce qui distingue plus précisément les récits médiatiques « minimaux » des « maximaux » réside dans le fait que le récit journalistique narratif réconcilie les deux fonctions du récit définies par le narratologue Raphaël Baroni : la fonction intrigante et la fonction configurante.

? Faire appel aux émotions du lecteur grâce à la fonction intrigante

La fonction intrigante fait référence à la conception d'une intrigue définie par « la présence au sein d'un récit d'une dynamique entre un noeud, une complication et son dénouement [...] repoussée à la fin du récit, de manière à faire naître de la tension narrative177 ».

La tension narrative au sein du reportage du Quatre Heures repose sur la validation du conseil de classe des voeux d'orientation des élèves. Celle du reportage des Jours est plus complexe à déterminer dans la mesure où le reportage s'étend sur le long terme. Toutefois, si l'on considère la

174 VANOOST, Marie. Journalisme narratif : proposition de définition, entre narratologie et éthique. Les Cahiers du journalisme [En ligne]. 2013. [Consulté le 12/10/2015]. Disponible à l'adresse : http://www.cahiersdujournalisme.net/cdj/pdf/25/9.Marie-Vanoost.pdf

175 VANOOST, Marie. Op. Cit.

176 LITS, Marc. Du récit au récit médiatique. De Boeck, 2008.

177 VANOOST, Marie. De la narratologie cognitive à l'expérimentation en information et communication : comment cerner les effets cognitifs du journalisme narratif ? Cahiers de Narratologie [En ligne], 28 | 2015, mis en ligne le 29 octobre 2015, consulté le 30 octobre 2015. URL : http://narratologie.revues.org/7239

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série « Les années collège » dans son ensemble, la tension narrative relève de la dernière étape de l'année scolaire, à savoir les résultats du brevet et la validation ou non des voeux d'orientation de chacun des élèves.

La fonction configurante, quant à elle, s'appuie sur l'opération de configuration définie par Paul Ricoeur. Durant cette opération de configuration, les différents éléments de l'histoire sont « pris ensemble » pour créer « une synthèse de l'hétérogène178 » afin de « construire d'emblée une compréhension rétrospective des événements racontés179 ». Dans cette logique, la règle de la pyramide inversée utilisée dans le journalisme factuel répond à cette fonction configurante dans la mesure où les informations sont soumises à une forte hiérarchisation, notamment grâce à la titraille, et sont triées selon leur degré d'importance : la conclusion des événements est racontée dès les premières lignes, tandis que les détails sont situés en fin d'article.

À l'inverse, l'enjeu d'un récit journalistique d'ordre narratif est de « tenir en haleine le lecteur », comme le rappelle Estelle Faure, co-fondatrice du Quatre Heures. Lorsqu'elle raconte le verdict du conseil de classe, Marine Courtade crée un certain suspense. Alors qu'elle relate cet événement achevé dont elle connaît la fin, la narratrice ne mentionne pas le nom des deux élèves dont les voeux ont été refusés. Le lecteur, à travers le discours rapporté de Ramzy, délégué de la classe, comprend qu'il est l'un deux :

« Deux heures plus tard, Ramzy, le délégué, sort le premier, visiblement sous le choc. Il fait partie des élèves dépités. La gorge serrée, il susurre : «Oui, je suis déçu de ne pas être pris en général, c'est dur. Je vais devoir trouver d'autres solutions pour devenir prof de sport.» » ( https://lequatreheures.com/episodes/sur-les-bancs-des-quartiers-nord-marseille/, consulté le 02/05/2016)

La narratrice, qui ne révèle toujours pas le nom du second élève, met fin au récit en faisant appel, une nouvelle fois, au discours rapporté de Ramzy :

« Sur le parvis du collège, Ramzy patiente un peu avant de décrocher son téléphone pour appeler Johan, l'aspirant infirmier. «Je vais attendre qu'il finisse de manger avant de lui annoncer la mauvaise nouvelle». » ( https://lequatreheures.com/episodes/sur-les-bancs-des-quartiers-nord-marseille/, consulté le 02/05/2016)

La narratrice fait donc patienter le lecteur jusqu'à la fin du récit pour lui dévoiler le nom du deuxième élève dont les voeux n'ont pas été validés. Par la même occasion, la reporter crée un effet de surprise à travers la chute de son récit. Ces choix d'écriture relèvent donc bien de la fonction intrigante du récit.

? La fonction configurante du récit : informer et légitimer le contenu journalistique

Si les reportages tels que ceux du Quatre Heures et des Jours se structurent autour d'une intrigue, il n'en reste pas moins que ces contenus relèvent, par définition, du journalisme. Ces contenus ont pour vocation de permettre au lecteur de mieux comprendre un sujet ou un événement, ce qui

178 RICOEUR, Paul. Temps et récit. Tome I : L'intrigue et le récit historique. Le Seuil, 1983.

179 VANOOST, Marie. Op. Cit.

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relève - comme on l'a dit - de la fonction configurante du récit, laquelle est donc indispensable au sein de récits relevant du journalisme narratif.

Notre grille d'analyse révèle justement que les deux reportages issus du Quatre Heures et des Jours mettent à disposition du lecteur des informations factuelles qui viennent compléter l'histoire générale des récits. Pour Le Quatre Heures, il s'agit de statistiques : « 84,1% des parents d'élèves sont ouvriers ou inactifs, contre 35,1% à l'échelle nationale ». Le reportage des Jours, quant à lui, convoque, dans la marge à droite du récit, des définitions de termes propres à l'éducation nationale. Non seulement ces informations didactiques nous renseignent sur le fait que les reporters se sont documentées, mais elles permettent également au lecteur de mieux saisir le sujet. En effet, les statistiques du reportage du Quatre Heures offrent une meilleure compréhension de l'environnement social dans lequel évoluent les élèves. Les définitions de termes en complément du récit des Jours offrent au lecteur des précisions afin qu'il saisisse mieux les enjeux des événements racontés (« la remise du bulletin ») ainsi que les discours rapportés de l'équipe pédagogique (« la fin du redoublement », le décrochage scolaire).

Pour Vanoost, l'association de la fonction intrigante et de la fonction configurante au sein d'un même récit est donc « l'essence même du modèle narratif », où « l'information renoue avec une structure temporelle, voire une mise en intrigue à proprement parler, dans le but d'offrir une meilleure compréhension du monde qui entoure [le lecteur]180».

Ainsi, en se concentrant sur l'histoire d'une classe de troisième de collèges classés ZEP et en s'attachant à l'histoire des élèves et/ou des professeurs, les reportages du Quatre Heures et des Jours permettent de mieux comprendre le système éducatif, les dispositifs pédagogiques mis en oeuvre lors du passage de la 3e au lycée, l'état d'esprit et les difficultés rencontrées par le corps enseignant, l'environnement social et les ambitions des élèves.

Alors que les reporters font preuve d'empathie à l'égard des personnages, le lecteur se soucie davantage de ces derniers. Certaines informations au sujet des personnages (le logement insalubre de Naïma chez le Quatre Heures ; l'absence des parents de Moussa lors de la remise du bulletin chez Les Jours) permettent d'impliquer émotionnellement le lecteur. À ce titre, alors qu'elle est citéé par Marie Vanoost, la reporter du New York Times, Amy Harmon considère que faire appel aux émotions du lecteur permet à celui-ci de mieux assimiler les informations181.

Cependant, si le reportage peut susciter des émotions chez le lecteur, il convient de préciser que les récits médiatiques relevant du journalisme narratif ne doivent pas être associés au modèle du storytelling, utilisant le récit à des fins de persuasion dont Christian Salmon a fait la critique182. À ce titre, Marc Lits rappelle à Salmon que si l'utilisation du storytelling participe à la création de « mythes » à des fins commerciales ou politiques, l'usage du récit au sein du journalisme narratif permet de décoder voir déconstruire ces « mythes ». Le discours de Salmon tend ainsi à s'inscrire « dans un discours de dénonciation qui existe depuis que s'est développé le roman-feuilleton, dans la

180 Ibid.

181 Ibid.

182 SALMON, Christian. Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Paris, La Découverte, 2007.

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première moitié du XIXe siècle183. » Marc Lits ajoute qu'en s'inscrivant en « filiation des théories de l'école de Francfort sur l'aliénation des masses par leur consommation de productions culturelles populaires conçues pour fabriquer du conformisme au service de l'idéologie dominante 184», Salmon tend à sous-estimer la fonction émancipatrice du récit journalistique, tout en ignorant le narrative journalism, qui connaît un regain d'intérêt à l'ère du numérique.

183 LITS, Marc. Quel futur pour le récit médiatique ?. Questions de communication [En ligne] 1er septembre 2014. [Consulté le 20/05/2016]. Disponible à l'adresse : http://questionsdecommunication.revues.org/6562

184 Ibid.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille