Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.( Télécharger le fichier original )par Elena JOSET Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016 |
Troisième partieInterprétation des données récoltées : le web comme terrain favorable à un journalisme de temps long et à l'identité forteCette troisième partie a pour objectif d'analyser les données issues de la grille d'analyse, laquelle s'appuie sur une approche narratologique. Nous souhaitons comprendre ce qu'apporte le récit au sein d'un contenu journalistique relevant du registre narratif. Nous tenterons d'identifier ce que révèlent les techniques d'écriture narrative : prise de position du narrateur, compréhension du sujet, angles choisis, etc. Par ailleurs, nous préciserons en quoi un récit médiatique inscrit dans le registre du journalisme narratif réconcilie les deux fonctions du récit, à savoir sa fonction intrigante et sa fonction configurante. Après avoir défini ce qu'est un récit médiatique, nous tenterons d'identifier les effets d'une telle réconciliation, propre au journalisme narratif. De plus, nous nous pencherons sur les apports web dans le récit journalistique, au sein des deux pure players. Nous identifierons comment chacun des pure players se saisit des possibilités offertes par ce support. Nous verrons, en effet, que le web permet une « mise en relief » du récit, et participe de l'immersion de l'internaute pour une lecture active du contenu journalistique. Enfin, nous nous concentrerons sur les discours issus des fondateurs de deux pure players convoqués à propos du concept de Slow media, qui a priori, divergent. Il s'agit d'interroger la vision de ces professionnels, mais également d'élargir cette analyse aux autres discours émis par les professionnels issus de la « nouvelle vague » de pure players qui s'est développée ces dernières années. Nous nous concentrerons ainsi sur le processus dans lequel s'inscrit le concept de Slow media pour tenter d'en dégager ses tendances d'évolution. 54 3.1- La narratologie au service de l'analyse de récits médiatiques3.1.1- La narration pour affirmer des choix éditoriaux et légitimer le récit en tant que production journalistiqueL'analyse des techniques de narration utilisées (instance narrative, distance et fonction du narrateur) nous permet d'identifier l'angle choisi par les deux narratrices ainsi que le degré de leur prise de position. Si les deux reportages traitent de l'éducation nationale, et plus précisément de la dernière étape avant la fin de la scolarité obligatoire, ceux-ci ne soulèvent pas les mêmes problématiques et enjeux. En effet, en rapportant de nombreuses fois les paroles des élèves, en les interrogeant sur leurs parcours antérieurs, sur leur situation familiale, en les mettant en avant par le biais des photographies et des vidéos, le reportage du Quatre Heures accorde davantage de place aux élèves plutôt qu'au corps enseignant. La méthode des « récits emboités » permettant de rapporter les histoires personnelles voir les sentiments des élèves, suscite de l'empathie à l'égard de ces derniers. La mise en tension des récits des élèves avec les discours rapportés des deux professeurs et du principal adjoint, permet à la narratrice de soulever des problématiques relatives au système éducatif national. En s'appuyant sur l'histoire de Johan, la reporter interpelle sur le fait que certains élèves ne peuvent poursuivre leurs ambitions professionnelles parce que leurs résultats et l'avis du conseil de classe les en empêchent. Marine Courtade évoque également la résignation de certains professeurs à l'égard de l'encadrement d'élèves en difficulté scolaire. En effet, Pierre Martin, professeur d'histoire-géographie admet qu' « il y a clairement des élèves [qu'il a] lâchés ». De plus, la narratrice évoque l'influence des environnements sociaux défavorisés dans les résultats scolaires en s'appuyant sur le discours du principal adjoint : « «L'environnement social des gamins fait que papa-maman n'ayant pas fait de longues études, ils sont conditionnés et manquent d'ambition. Du coup, peu demandent le lycée général» ». (
https://lequatreheures.com/episodes/sur-les-bancs-des-quartiers-nord- Ainsi, le constat du principal adjoint rapporté par la narratrice peut susciter chez le lecteur, en creux, l'interrogation suivante : si les enfants issus de milieux défavorisés sont « conditionnés » à ne pas faire d'études longues, est-ce que le corps enseignant les y incite pour autant ? Enfin, le point de vue de la narratrice s'affirme davantage lorsqu'elle raconte le dénouement de l'histoire : le conseil de classe a tranché et Ramzy et Johan ne pourront intégrer la filière de leur choix alors que le projet professionnel de chacun nécessite un enseignement général. En utilisant le discours transposé de style indirect, la narratrice affirme sa présence au sein de l'histoire, fait part de ses interrogations à Mélanie Clément, professeure principale, et par la même occasion, au lecteur : « Mais quand on demande à Mélanie Clément si elle n'a pas eu l'impression, parfois, de freiner des élèves en les envoyant en seconde professionnelle, sa réponse se fait tranchante : «C'est le contraire. J'ai cru en beaucoup d'élèves qui se sont écrasés au lycée. Je préfère mille fois qu'ils réussissent en pro. Ce n'est plus la voie de garage qu'on imaginait.» » 55 ( https://lequatreheures.com/episodes/sur-les-bancs-des-quartiers-nord-marseille/, consulté le 02/05/2016) Concernant le reportage des Jours, la narratrice semble interroger davantage les opinions du corps enseignant. En effet, lorsque la narratrice raconte la remise de bulletins aux différents élèves et parents, celle-ci rapporte très peu les paroles des élèves. Cela dit, il est possible qu'à ce moment de remise des bulletins les élèves ne prennent pas la parole et restent silencieux. Toutefois, nous avons relevé dans notre grille d'analyse que leur réaction était racontée à travers les photographies. Par ailleurs, à l'inverse de la reporter du Quatre Heures, Alice Géraud a pu assister au conseil de classe. Elle a donc recueilli plus d'informations auprès de l'équipe pédagogique : « Pour les huit autres élèves de la classe qui ont coché en voeu une seconde professionnelle, il n'y a pas d'avis négatif de la part du conseil de classe. Et pour cause, il n'y a pas d'alternative. «On ne propose plus le redoublement», explique la principale adjointe, Pascale Guillemin, en préambule de la séance de conseil de classe. Chaque élève devra sortir du collège avec une orientation et ce sera donc éventuellement un CAP (mais les places sont rares), plus sûrement un bac pro. » ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) Alice Géraud rapporte davantage les « coulisses » des événements de l'histoire, à savoir le conseil de classe suivie de la remise des bulletins. Par la même occasion, la reporter permet au lecteur d'en savoir plus sur les mécanismes de passage des élèves en filière professionnelle et générale. De plus, les informations en marge du récit apportent des compléments d'information sur le système éducatif : précisions quant à l'étape de « la remise de bulletin », informations sur la « fin du redoublement », définition du « décrochage scolaire ». La narratrice tend à montrer toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les professeurs, la conseillère d'orientation ainsi que la principale adjointe, tout en soulevant des interrogations sur le système éducatif. En effet, alors que Louanne souhaite s'orienter dans la mode et intégrer une filière professionnelle, les professeurs l'invitent fortement à se diriger vers un lycée général au vu de ses bons résultats : « Pourtant, dans la salle du conseil de classe, on est quand même un peu ennuyés qu'une aussi bonne élève ait coché cette case inattendue. Éléonore Garcia, la prof de français, se dit qu'elle pourrait passer un bac général avec option théâtre, qu'il y aurait certainement des choses autour du costume. On parle de l'importance de la culture générale. Du choix, aussi, que conservent jusqu'à tard dans la scolarité les bacheliers généraux. » (
http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/,
consulté le De plus, Alice Géraud évoque la complexité du système de choix des lycées considéré comme « un problème » : « À la remise des bulletins, les parents s'avouent déjà totalement perdus avec l'illisible système d'inscription parisien par points (on vous raconte cela dans un prochain épisode). Le père de Dialikatou ne s'est pas encore penché sur le problème ». 56 ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) Enfin, la narratrice prend position, par le biais d'un commentaire personnel, sur la difficulté des jeunes élèves de 3e à choisir une orientation, malgré les actions du personnel pédagogique : « Depuis le début de l'année, le prof principal et la conseillère d'orientation ne lâchent pas les élèves susceptibles d'être orientés. Ils tentent de définir avec eux une envie, un centre d'intérêt, une aptitude qui puisse leur permettre de faire un choix. Pas facile à 14 ou 15 ans ». ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) La narratrice affirme également son point de vue, cette fois-ci, en rapportant les actions et le discours d'une mère dont les enfants peinent à trouver leur voie : « Elle multiplie les rendez-vous avec la conseillère d'orientation du collège. Elle imprime des fiches métiers, montre des vidéos d'orientation à ses fils, les envoie aux journées portes ouvertes des lycées professionnels. Finalement, elle conclut : «Ça ne va pas le système français, c'est trop tôt pour eux pour choisir». » ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) Ainsi, le sujet de l'orientation des élèves de 3e en filière générale ou professionnelle est abordé dans les deux reportages à travers deux angles différents : le reportage du Quatre Heures traite de ce sujet à travers les élèves alors que celui des Jours l'aborde à travers les actions menées par l'équipe pédagogique pour que chaque élève ait un projet de formation après le collège. Quand le premier reportage aborde la dimension sociale, le second se concentre sur la complexité et les limites du système éducatif français. À ce titre, il est important de rappeler que le reportage des Jours s'étend sur une année scolaire entière et que la notion des environnements sociaux des élèves peut être abordée au sein des autres récits composant la série « Les années collège ». 57 |
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