Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.( Télécharger le fichier original )par Elena JOSET Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016 |
2.2.2- Les Jours : l'actualité traitée en séries d' « obsessions »Lancé en février 2016, le pure player Les Jours revendique le fait de traiter des sujets en profondeur en suivant leur évolution dans le temps, de proposer un site esthétique s'adaptant aux usages des utilisateurs, et d'être indépendant tout en se situant dans une démarche participative avec ses abonnés. ? Fondateurs Les Jours est un site d'information généraliste en ligne fondé par huit anciens journalistes de Libération : Olivier Bertrand, Nicolas Cori, Sophian Fanen, Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts, Alice Géraud, Antoine Guiral et Charlotte Rotman. Les Jours compte aussi parmi ses fondateurs un directeur financier et administratif, un directeur de la photographie, un développeur, ainsi qu'un directeur artistique, Jean-Christophe Besson. ? Un média indépendant Les Jours est un média payant et ne comporte aucune publicité. Ses abonnés sont par ailleurs invités à voter une fois par an pour un sujet qu'ils souhaitent voir traité. De plus, les fondateurs du média mettent en avant le fait que toute personne peut devenir actionnaire des Jours, à travers une campagne de « crowdequity », ou financement participatif en actions. Une version pilote du site accompagnée d'une offre de démarrage (abonnement mensuel à 1€) ont été mises en place entre le 11 février et le 9 mai 2016. En trois mois, 5400 personnes se sont abonnées au journal. À partir du 9 mai, l'abonnement est passé à 9 euros par mois. Le site est 159 Ibid. 39 accessible sur ordinateur et écrans mobiles (smartphone et tablette). À ce titre, le journal est consulté en majorité sur ordinateur, puis sur smartphone et enfin, sur tablette160. ? L'actualité traitée en « obsessions » De la même manière que Le Quatre Heures, Les Jours se propose de traiter l'actualité par « épisodes ». Cependant, alors que les épisodes du Quatre Heures font partie de « saisons », ceux des Jours relèvent d' « obsessions » liées à l'actualité. Pour les fondateurs des Jours, « les obsessions sont racontées à la manière d'une série télé. Avec des personnages, avec des lieux, avec des épisodes, avec une bande-son... 161». Pour Raphaël Garrigos, codirecteur du journal, les obsessions correspondent à l'envie de l'équipe de cibler des sujets d'actualité et de les traiter en profondeur. À ce titre, les « obsessions » sont traitées quasi exclusivement par un seul journaliste. Selon Raphaël Garrigos, en s'appuyant sur les domaines de spécialité de chacun, Les Jours a pour objectif « de resituer un sujet, de le contextualiser, et de redonner de la mémoire à l'information 162». Cette manière de procéder s'inscrit en cohérence avec le terme même d' « obsession ». En effet, une « obsession » correspond à l'action d'obséder, et est le résultat de cette action. Par définition, une obsession constitue une « idée, image, sensation qui s'impose à l'esprit de façon répétée, incoercible et pénible163 ». Il s'agit également d'une « préoccupation constante dont on ne parvient pas à se libérer ». L'obsession, terme également employé en psychiatrie, est une « impulsion à caractère involontaire et angoissant, qui s'impose à tous moments à l'esprit du sujet, malgré son caractère absurde reconnu et qui constitue le symptôme essentiel de la névrose obsessionnelle164 ». À ce propos, les co-fondateurs du média ironisent lorsqu'ils précisent aux internautes en quoi consiste une « obsession » : « Non, l'obsession n'est pas une maladie. Ou alors c'est une déformation professionnelle qui pousse les journalistes des Jours à vouloir en savoir toujours plus, à aller au fond de l'actualité, tout au fond, pour comprendre et expliquer, contextualiser, raconter mieux et ne pas se contenter des friselis de l'info ». ( http://lesjours.fr/obsessions/les-jours-c-quoi/les-jours-tuto-obsession/, consulté le 20/02/2016) En mettant le terme « obsession » au coeur de leur ligne éditoriale, les co-fondateurs des Jours affirment leur positionnement, celui de s'intéresser à des sujets sur le long terme, de prendre le temps de l'enquête et du recul nécessaire pour analyser, mais surtout de rendre compte de l'évolution de situations, de faits, d'événements. Mais ce terme envoie également un message fort à l'ensemble d'une profession visiblement en crise identitaire. En effet, les actions qui consistent à « [...] comprendre et expliquer, contextualiser [...] » dont font référence les co-fondateurs du média, constituent les fondamentaux du métier de journaliste. Par ce message, les membres des Jours semblent vouloir ainsi redonner du sens au métier de journaliste, dont le rôle est de « ne pas se contenter des friselis de l'info ». 160 Entretien avec Raphaël Garrigos, 06/05/2016. Voir annexe. 161 « Les Jours », le projet. Les Jours. [En ligne]. 7 février 2016. [Consulté le 20/02/2016]. Disponible à l'adresse : http://lesjours.fr/obsessions/les-jours-c-quoi/les-jours-le-projet/ 162 Entretien avec Raphaël Garrigos, 06/05/2016. Voir annexe. 163 Le Trésor de la langue française informatisé. Définition de « obsession». [En ligne]. [Consulté de 02 juin 2016]. Disponible à l'adresse : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2490047970; 164 Le Trésor de la langue française informatisé. Op.cit. 40 À propos de la notion de série télévisée, Raphaël Garrigos justifie ce choix en rappelant que ce type de format fait partie de notre époque : « L'époque actuelle est marquée par les séries. De fait, on a souhaité parler de notre époque avec ses codes. [...] Cette manière de raconter l'information en série nous semblait correspondre à la fois à notre époque et au concept d'obsessions ». (Entretien avec Raphaël Garrigos, le 06/05/2016) De plus, la notion de série télévisée renvoie à celle d'histoire, de narration et de récit dans lesquels évoluent des personnages. Les fondateurs du journal précisent d'ailleurs - comme l'avaient écrit Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Baccaria pour leur revue XXI - qu'il ne s'agit pas de « faire de la fiction, mais de raconter le réel 165» à travers leur « propre outil de narration journalistique ». En ce qui concerne la périodicité du journal, un article par est publié quotidiennement par Les Jours. Chacun des articles relève d'une obsession. Raphaël Garrigos précise que Les Jours ne s'associe pas au concept de Slow media, contrairement au Quatre Heures. Le codirecteur du journal préfère parler de « deep » : « Aux Jours, nous voulons rester connectés à l'actualité, sans pour autant être dans la course à l'information. Nous voulons traiter des sujets en profondeur, avant tout ». (Entretien avec Raphaël Garrigos, le 06/05/2016) Cependant, Raphaël Garrigos précise : « Le «Slow media» existe, mais nous, nous ne partons pas en reportage durant deux à trois mois, pour le vendre des mois plus tard [...] XXI fonctionne de cette manière, s'inscrit dans le «Slow media» » et la revue fonctionne très bien comme ça ». (Entretien avec Raphaël Garrigos, le 06/05/2016) Ainsi, les journalistes des Jours procèdent à des choix éditoriaux afin de traiter de sujets gravitant à la fois autour de l'actualité, mais également autour des « obsessions » que les journalistes ont entreprises. À titre d'exemple, l'obsession intitulée « La charnière : nouvelles de Turquie, frontière brûlante de l'Europe » traitant de la situation complexe de la Turquie est alimentée en fonction de l'actualité. De nouveaux articles sont venus compléter l'obsession, notamment le 8 mars 2016, où une manifestation a eu lieu à Istanbul dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes166, ou encore le 19 mars 2016, alors que la capitale était victime d'un attentat167. À ces épisodes qui s'inscrivent dans une actualité « chaude », s'ajoutent des reportages plus denses et racontant l'histoire de personnages directement confrontés à la situation turque. Alors que l'article « Une marche turque » compte environ 5400 signes, la première partie168 d'un reportage réparti en trois épisodes sur la situation des Kurdes en compte environ 17 000. Pour Raphaël 165 Les Jours. Op. cit. 166 BERTRAND, Olivier. Une marche turque. Les Jours. [En ligne]. 9 mars 2016. [Consulté le 12/03/2016]. Disponible à l'adresse : http://lesjours.fr/obsessions/la-charniere/ep-5-marche-femmes/ 167BERTRAND, Olivier. Istanbul, jour d'attentat. Les Jours. [En ligne]. 19 mars 2016. [Consulté le 20/03/2016]. http://lesjours.fr/obsessions/la-charniere/ep-7-attentat/ 168 BERTRAND, Olivier. Kurdistan : dans Cizre, ravagée et oubliée. Les Jours. [En ligne]. 1er avril 2016. [Consulté le 10 mars 2016]. Disponible à l'adresse : http://lesjours.fr/obsessions/la-charniere/ep9-cizre/ Garrigos, cette stratégie éditoriale permet de parler de l'actualité tout en révélant d'autres problématiques. En prenant l'exemple de l'obsession dédiée à Vincent Bolloré dont il est le coauteur avec Isabelle Roberts, le codirecteur du journal explique que derrière ce sujet, « on parle aussi de la violence au travail et d'un monde économique impitoyable.169 » De la même manière, l'obsession « Les années collège » révèle, en creux, des enjeux liés à la « mixité, l'intégration et la jeunesse 170». ? Ressources professionnelles En matière d'organisation, l'équipe des Jours compte huit journalistes dans son effectif permanent. Le média fait également appel à des pigistes et temporairement à des graphistes et illustrateurs. Une personne au sein de l'équipe est chargée de l'édition des contenus sur le web. Raphaël Garrigos nous éclaire sur les processus de travail de la rédaction : « Il y a plusieurs «niveaux de lecture». Chaque rédacteur met son article en ligne, sans que celui-ci soit visible du public. L'article est ensuite relu par les codirecteurs de la rédaction puis communiqué au service « édition » qui va se charger de relire, de titrer, de mettre en forme l'article et l'enrichir (apparition de textes au scroll, citations, exergues, mise en ligne des photos, etc.). L'article est à nouveau relu avant d'être mis en ligne ». (Entretien avec Raphaël Garrigos, le 06/05/2016) Le codirecteur du journal insiste également sur le rôle du directeur de la photographie, Sébastien Calvet. En effet, Les Jours n'est pas abonné aux fils photo des agences telles que l'AFP ou Reuters et possède son propre fonds iconographique. Le journal souhaite ainsi se démarquer avec des photographies uniques. Les Jours utilise tout de même des photographies issues d'agences, mais celles-ci sont exclusives au journal. 41 169 Entretien avec Raphaël Garrigos. Voir annexe. 170 Ibid. 42 |
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