III.2 - Accompagnements individuels
A l'adolescence, la relation avec les pairs se complexifie
pour la plupart des enfants suivis au PFS. Le phénomène
identitaire de l'adolescent par le double-attachement est d'autant plus
complexifié. Il se perd entre le lien affectif qu'il a pu créer
avec sa famille d'accueil, et le lien d'attachement qu'il a avec ses
parents.
Cette période est souvent propice à des
changements de famille d'accueil, à des placements en foyer
éducatif, au moment où l'enfant clame son désir de
retourner chez ses parents ou de faire ce qu'il veut.
Je constate un décalage entre leur âge
réel et la vie qu'ils mènent. Nous, professionnels, leur
demandons d'exposer leurs besoins, ce qui nécessite d'avoir une certaine
maturité. Contrairement aux autres adolescents de leur âge, ils
connaissent déjà les dispositifs de la protection de l'enfance et
discutent régulièrement avec des adultes.
Les enfants que nous suivons ont déjà
vécu beaucoup de complications, et ont développé des
troubles importants de l'attachement, ou de comportement. De plus,
l'adolescence est souvent la période où toutes les souffrances du
passé ressurgissent :
- Qui suis-je ?
- Pourquoi je suis en famille d'accueil ?
- Pourquoi je n'habite pas avec mes parents ?
- Est-ce qu'ils m'aiment ?
- Que vais-je devenir à la majorité ?
Ils s'aperçoivent que leur vie est particulière
et comprennent les défaillances de leurs parents. A contrario, ils
veulent garder l'alliance avec leurs parents et pensent que le placement est
une décision prise par les travailleurs sociaux.
Pour travailler avec des adolescents, il est essentiel
d'apprendre à les connaître. Après quelques rencontres,
j'ai compris qu'Amélie se livrait à travers des activités.
Jules, quant à lui, préfère être en entretien dans
un bureau. Avec Adrien, il est plus judicieux d'utiliser l'humour. Damien est
plus à l'aise dans la relation avec Mme R, et plus accessible à
son domicile.
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Les adolescents ont besoin de sentir que nous essayons de les
comprendre. Nous devons, pour cela, faire preuve d'empathie.
Il est nécessaire pour l'éducateur de prendre en
considération ce qu'exprime le jeune, parce que « l'adolescence
est la dernière chance de comprendre les conflits de l'enfant et de les
résoudre de manière spontanée. Si ces mêmes conflits
survenaient par la suite, ce serait du domaine pathologique. La personne s'y
engluerait gravement. D'ailleurs la plupart des pathologies adultes
éclosent à l'adolescence. »1
III.2.a - Les après-midis d'Amélie Mise en
place
Lors d'un entretien avec l'assistante familiale
d'Amélie en septembre 2014, durant lequel nous évoquons les
comportements inadaptés de la jeune fille, nous définissons 3
axes de travail que je développerai avec elle :
- rencontre avec d'autres jeunes,
- comment se présenter aux autres,
- comment se comporter dans les lieux publics.
Puis, j'ai organisé des accompagnements
éducatifs les mercredi après-midi. En plus de ces axes, ces temps
sont prévus pour que Mme S et Amélie prennent de la distance dans
leur relation conflictuelle.
La jeune a un comportement difficile envers les adultes, et
notamment envers Mme S. Elle s'en aperçoit, mais elle admet avoir du mal
à se comporter différemment. Leur relation conflictuelle ne
semble pas s'apaiser au fur et à mesure du temps. Elles en souffrent
toutes les deux. L'assistante familiale ressent son travail comme
inadapté, et Amélie a le sentiment de faire des efforts qui ne
sont pas remarqués par cette femme qu'elle considère comme sa
« mère de coeur ».
1 Sébastien LE LAY, op.cit.
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J'ai envoyé un calendrier de mes interventions tous les
mois à son école afin de prévenir de mon passage, de
même à son assistante familiale avec qui je faisais le point
régulièrement. Et Amélie notait les dates de mes
interventions dans son agenda.
J'ai mis en place ces accompagnements avec Amélie
à partir de début novembre. J'allais la chercher le mercredi
à 13h à l'ITEP. Ce temps me permettait de faire le point avec
l'équipe éducative si besoin. Je restais ensuite avec elle
jusqu'en milieu d'après-midi. Puis, je la ramenais soit à son
domicile où je discutais avec l'assistante familiale, soit à des
cours de chant qu'elle avait à 16h.
Je suis intervenue 15 fois auprès d'Amélie les
mercredis, en plus des vendredis 1 fois sur 2 où j'allais la chercher
pour la visite à sa maman.
Voici la description de mes actions, par ordre chronologique.
Établir la relation
Le premier jour, en accord avec Mme S, je vais à son
domicile pour observer dans quel environnement elle évolue. Cette
première approche permet d'instaurer la relation entre ma position
d'éducatrice et la jeune. Elle me montre son lieu de vie et
m'emmène voir sa chambre, notamment ses habits
préférés et ses albums photos. Elle semble ravie de me
faire partager ses souvenirs personnels à tel point que je dois la
freiner dans son « déballage ». Je constate que la chambre
n'est pas très investie par Amélie, parce que les
décorations personnelles sont absentes. Cette caractéristique est
fréquente chez les enfants placés qui n'investissent pas
totalement la famille d'accueil.
Je lui propose de la rencontrer dans un lieu extérieur,
qu'elle a l'habitude de fréquenter : la médiathèque.
Partager ses activités
La seconde fois, je l'accompagne à la
médiathèque où elle a l'habitude d'aller seule. Je
découvre le comportement débordant d'Amélie et comprends
pourquoi il est indispensable de lui mettre des limites. Elle va sur
l'ordinateur et me montre un jeu qu'elle a l'habitude de faire. Je
m'aperçois que c'est en fait un moyen de discuter avec des internautes
inconnus. Des conversations me paraissent dangereuses. Suite à cela,
nous parlons des risques d'Internet. Mon intervention est nécessaire
à plusieurs reprise pour qu'elle accepte de quitter l'ordinateur.
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Elle me montre également ses copains sur les
réseaux sociaux. Je me rends compte qu'elle n'a pas de copines. C'est
à partir de ce constat que j'organise une sortie patinoire avec une
autre jeune accueillie au PFS, qui est dans sa classe d'intégration de
5ème SEGPA.
Permettre le contact
L'amitié féminine permet de partager toutes les
inconvenances de la puberté et d'accepter le changement de son corps.
Pour illustrer cette remarque, voici le témoignage d'adolescents, dans
le livre Parole pour adolescents, ou le complexe du homard, de
Françoise DOLTO, psychanalyste pour enfants : « l'image que le
groupe, la bande, se fait de nous nous paraît vitale par moments. On
cherche à s'identifier, à être pareil aux autres. De peur
d'être rejeté, on s'identifie à ses amis. »1
Il est vrai qu'Amélie étudie dans une
école constituée uniquement de garçons. Elle n'a pas de
relations amicales féminines. Elle est maladroite dans sa façon
de se présenter aux autres, c'est pourquoi, il lui est difficile
d'investir des relations sur le long terme.
Dans le cadre de mes objectifs de travail, ces accompagnements
m'ont permis d'observer son comportement en dehors des accompagnements
individuels.
Nous avons fait deux sorties : une à la patinoire puis
une au bowling. Amélie qui fait preuve d'assurance au premier abord,
cherche en réalité la présence constante de l'adulte. Et,
je me suis aperçue que, contrairement à l'image que laisse
apparaître Amélie, elle se positionne comme plutôt «
suiveuse » que « meneuse » vis-à-vis de l'autre jeune.
Ce constat a surpris l'éducatrice
référente d'Amélie et Mme S, et leur ont permis d'avoir
une vision différente de la jeune. Faisant part de mes observations
à Mme S, elle s'est rappelée qu'Amélie est une enfant
fragile et très carencée. Je lui ai expliqué qu'elle
pouvait avoir un comportement de mimétisme ou exagérer ses
émotions pour plaire à sa nouvelle copine. Nous en avons
déduis qu'elle pouvait être maladroite pour se faire
apprécier de l'autre.
Cette opportunité a permis à Amélie de
créer une relation avec cette jeune, et d'être plus à
l'aise lors des cours d'intégration. Cette assurance lui permet de
retrouver confiance en elle, et de vouloir devenir plus autonome, comme sa
copine.
1 Françoise DOLTO, Catherine DOLTO et Colette
PERCHEMINIER, Parole pour adolescents, ou le complexe du homard, Paris
: Editions Gallimard Jeunesse, 2007, p.55
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Accéder à l'autonomie
Après quelques rencontres avec Mme S, je remarque
qu'elle redoute qu'Amélie devienne autonome dans les transports, parce
qu'elle appréhende que la jeune suive un inconnu et se retrouve dans une
situation compliquée. Aussi, j'accompagne Amélie lors d'un
transport en bus pour aller à l'école afin qu'elle le prenne
seule 2 jours par semaine, en lui expliquant les dangers. Son comportement
m'interpelle, Amélie observe l'attitude des jeunes de son âge.
Elle semble avoir besoin de cette étape pour apprendre le
savoir-être en communauté.
Les enseignants et Mme S ont confirmé le jour suivant,
qu'elle arrivait bien à l'heure. Malgré les craintes toujours
présentes chez Mme S, cette avancée lui a permis de constater
qu'Amélie gagnait en maturité.
Maintenant que la relation entre Amélie et moi semble
établie, il me semble important qu'elle puisse se comporter de
façon adaptée dans les lieux publics.
Apprendre le savoir-être
Par ailleurs, Amélie aime beaucoup faire les magasins.
Lors d'une sortie, nous sommes allées dans des magasins de chaussures,
puis dans des magasins de vêtements lors de deux autres sorties.
La maman d'Amélie avait rempli un recueil de besoin
concernant son enfant, en précisant qu'elle souhaiterait que ses tenues
soient contrôlées sachant que sa fille est attirée par des
habits assez provocants. Cette dernière, qui pouvait se montrer
extravagante le premier jour - en marchant dans les rayons dans des tenues peu
adaptées pour son âge et sa morphologie - a su, au fur et à
mesure, s'adapter et respecter la demande de sa mère.
Cependant, les relations amoureuse d'Amélie prennent la
place dans nos conversations. Contrôler ses
affects
Lors de notre dernière rencontre, où nous
devions aller à la piscine, Amélie avait dessiné 2 tagues
en forme de coeur, sur les murs de l'ITEP. L'équipe éducative m'a
fait part de ce comportement inacceptable, et notamment envers les
garçons de l'école avec lesquels elle joue de sa
séduction.
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La quête de l'autre sexe est une des
préoccupations première à l'adolescence. En effet, «
les affects liés aux relations amoureuses constituent une part
essentielle de la vie émotionnelle des jeunes. Ces relations sont
sources d'émotions, d'expériences intenses. [...] Lors
de la puberté, les pulsions sexuelles conduisent l'adolescent à
rechercher un partenaire, le plus souvent du sexe opposé, qui deviendra
sa figure d'attachement centrale, remplaçant le parent
désinvesti»1, cite Pierre G. COSLIN,
spécialisé en psychologie de l'adolescent, dans son livre La
socialisation de l'adolescent.
Amélie se lie d'amitié, puis d'amour avec les
garçons de l'école, et cela crée beaucoup d'excitation et
de tension chez ces jeunes ayant aussi des troubles divers.
Pierre GALLIMARD confirme qu'« il y a
fréquemment un aspect de jeu, un désir plus ou moins conscient de
faire comme les grands, coquetterie féminine aguichant le désir
homologue de jouer au petit mâle, dans ces attaches qui ne se placent pas
sur le même plan que l'amitié et qui semblent ne pas tellement
gêner celle-ci qui reste l'expérience la plus enrichissante et la
plus nécessaire. »2
L'adolescente a été sanctionnée ce
jour-là en étant privée de piscine. Je lui ai
annoncé à l'ITEP et sa réaction première a
été de se rendre à son arrêt de bus au lieu de venir
avec moi. L'ayant rejointe, je l'ai convaincue de faire demi-tour, mais elle
est restée sans s'exprimer un moment. Finalement, elle a vite
oublié ce qui s'était passé. Devoir remplacer la piscine
par un après-midi au PFS ne semble pas l'avoir
dérangée.
Voici mes interprétations face aux comportements
d'Amélie lors de nos rencontres. Bilan des
interventions
J'ai remarqué qu'Amélie retrouve parfois des
comportements de petite fille, même si j'ai trouvé qu'elle avait
mûri depuis le début de mes interventions. Tout comme les jeunes
de son âge, elle réclame sa liberté mais ne se sent pas en
sécurité quand elle est seule. Elle représente l'enfant
dont parle Christian ALLARD, chez qui les troubles de l'attachement sont «
fixés », cet enfant qui se représente l'image d'un monde :
imprévisible, à l'instar de ses parents qui ont un
double-discours et auprès desquels il ne se sent pas en
sécurité.
1 Pierre G. COSLIN , La socialisation de l'adolescent.
Paris : Armand Colin éditeur, 2007, p.57
2 Pierre GALLIMARD, op.cit., p.75
A plusieurs reprises, la maman d'Amélie a coupé
tout lien avec le service et sa fille. La dernière fois, son absence a
duré plus d'un an. Depuis, Amélie s'inquiète toujours de
sa venue à chaque visite programmée. Elle éprouve de la
déception lorsque sa maman ne se déplace pas, même si elle
a signalé son indisponibilité.
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Lors d'une visite avec sa mère, Amélie a dit
qu'elle avait reçu une claque de la part de Mme S. Cette
révélation a valu des explications entre Mme S et Amélie.
Il s'est avéré qu'Amélie avait exagéré les
faits. A la visite suivante, la maman d'Amélie (qui respecte le travail
effectué de Mme S auprès de sa fille), a évoqué le
fait qu'il était peut-être temps que le placement chez cette
assistante familiale prenne fin, étant donné le comportement
changeant d'Amélie. Dans ce contexte, l'éducatrice a
annoncé qu'en effet, Mme S mettrait fin à cette prise en charge,
sachant quelle prévoit de rendre sa retraite.
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Dans ce cas, le parent représente la
sécurité et le danger, ce qui entraîne des troubles du lien
chez Amélie, notamment :
- l'intolérance à la frustration, le refus de la
loi, - la maîtrise des relations à l'autre,
- l'instabilité psychomotrice,
- les difficultés d'apprentissage.
Selon moi, ces accompagnements ont été positifs,
autant pour Amélie que pour Mme S. Cette dernière m'a
exprimé avoir beaucoup apprécié ces temps de répit
le mercredi après-midi, et qu'elle voudrait que cela continue.
Quant à Amélie, elle était toujours
enjouée de venir au PFS. Cela signifiait pour elle s'éloigner du
quotidien et prendre de bons moments de plaisir avec moi, même si des
temps de punitions étaient établis par le chef de service quand
cela se passait mal en famille d'accueil ou à l'ITEP. Alors, tristesse
ou colère s'affichaient sur le coup, puis elle s'apaisait dans ce cadre
extérieur à son environnement, entourée
d'éducateurs. Cela me fait penser que dans son cas, comme le dit Maurice
BERGER, « la simple présence d'un éducateur peut suffire
parfois à ce que l'enfant aille mieux »1.
Je me suis positionnée en tant que personne de
confiance auprès d'Amélie, tout en gardant une certaine
autorité, car elle recherchait à mes côtés un lien
de copinage. L'éducatrice qui la suit depuis des années a
confirmé que le contact entre nous deux avait été
bénéfique, contrairement à certains autres
éducateurs à qui elle a manqué de respect.
Cependant, la situation d'Amélie a évolué
durant mes dernières semaines de stage, durant lesquelles quelques
événements ont eu lieu :
1 Maurice BERGER, L'échec de la protection de
l'enfance, op.cit., p.24
Communément, seul le chef de service est
habilité à déclarer la fin d'un accueil, mais l'attitude
d'Amélie a provoqué cette annonce que nous avons dû faire
précocement. En effet, les enfants sentent lorsque l'assistant familial
est épuisé. Ils ont la capacité de mettre en place des
comportements inhabituels, au moment où ils comprennent qu'une
séparation est imminente.
Lors des interventions suivantes, après lui avoir
annoncé, j'ai demandé à Amélie comment elle
réagissait. Afin qu'elle quitte l'assistante familiale sur une bonne
image, j'ai défini avec elle les éléments positifs de
l'accueil chez Mme S.
Or, la veille de ma fin de stage (que je lui avais
formulé), Amélie nous a fait une révélation venant
perturber sa fin de placement chez Mme S. Elle a dénoncé des abus
sexuels de la part du fils de celle-ci. Il s'agirait d'un fait datant de plus
d'un an.
Que ce soit réel ou non, en équipe, nous nous
sommes interrogés sur le moment choisi pour faire cette
révélation. Nous avons interprété cela comme
étant une façon d'arrêter le placement plus vite que
prévu, par vengeance ou par envie de créer la rupture au plus
vite pour moins souffrir. Nous n'apportons pas aujourd'hui de réponses
à ces questionnements.
La fin de prise en charge d'Amélie chez Mme S
était inévitable, étant donné que celle-ci prenait
sa retraite. Cependant, les derniers événements n'ont pas permis
une séparation, mais une rupture entre Amélie et l'assistante
familiale. Le soutien de l'équipe n'a pas suffit à ce que les
deux protagonistes se quittent sereinement.
Par la suite, je vous présente mes interventions plus
ponctuelles auprès d'Adrien, Jules et Damien.
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