Chapitre 2 : Du juriste au manager de l'achat
public
Plan. Comme le soutenaient deux praticiens,
dès 2005 : « La balance de l'achat public comporte donc deux
plateaux : la sécurité juridique, et la logique
économique. La vocation de l'acheteur public est de réaliser le
bon équilibre entre ces deux paramètres, et non pas seulement de
faire de simples gains financiers. »460 Il convient de
s'interroger ici sur les sous-objectifs que doivent avoir tant l'acheteur
public que le droit des marchés publics, afin de mettre en place une
politique d'achat performante. Il s'agit donc d'élaborer une
stratégie d'achat, qui consiste à déterminer la
manière d'atteindre cette performance.
A cette fin deux objectifs doivent tout d'abord
s'équilibrer, de façon à avoir une importance
équivalente lors de l'élaboration de cette stratégie : la
régularité du contrat et une passation ainsi qu'une
exécution efficace. Or il s'impose rapidement le constat d'un retard de
l'objectif d'efficacité de l'achat au dépend d'une
stratégie axée exclusivement sur la sécurité
juridique de ce dernier (Section 1).
Dès lors, il semble nécessaire de décrire
ce que devrait être une stratégie d'achat proactive, en se
concentrant sur les différentes techniques permettant un achat efficace.
Ces techniques doivent être destinées d'une part à avoir
une meilleure gestion du contrat, et d'autre part à professionnaliser
les acheteurs publics (Section 2).
Section 1. L'achat public ou l'objectif
d'équilibre entre l'efficacité managériale et la
sécurité juridique
Plan. Aussi, après s'être
intéressé à l'utilité d'une sécurisation
juridique de l'acte d'achat (I), il faudra mettre en avant le
retard qu'accusent les préoccupations liées à
l'efficacité des acheteurs publics (II).
I. La sécurité juridique, gage
d'efficacité
Plan. La sécurité juridique,
tant dans son aspect formel, que dans son aspect matériel, s'inclut
pleinement dans une stratégie de performance. Cet objectif devrait
guider tant l'élaboration du droit applicable de l'achat public
(A), que sa mise en oeuvre (B).
460 V. LEBON (Attachée territoriale), F. PISTONE
(acheteur), « Le coût économique de la sécurité
juridique des marchés publics », AJDA 2005, p.1817.
118
A. La sécurisation du droit applicable
L'exigence de qualité de la norme.
Dans une optique d'efficacité de l'achat public, la
sécurisation du droit en lui-même semble évidemment
recommandable. La sécurité juridique et l'efficacité
juridique sont étroitement liées.
La sécurité juridique dans sa dimension
matérielle, exige une norme de qualité. Cette exigence a
même été consacrée constitutionnellement, à
travers les objectifs à valeur constitutionnelle d'accessibilité
et d'intelligibilité de la loi461. Cette exigence
appliquée au droit des marchés publics est depuis longtemps
réclamée et s'est progressivement précisée au fur
et à mesure, depuis l'époque où Michel Guibal
réclamait en 1994 une « simple »
codification462 de ce droit des marchés publics. Cette
sécurisation du droit fût de tout temps un enjeu
d'efficacité.
La lisibilité du droit applicable aux
marchés publics : une nouvelle ordonnance porteuse d'espoir. La
nouvelle ordonnance de 2015 était porteuse de beaucoup d'attentes quant
à la clarification du droit des marchés publics. François
Brenet exprime parfaitement un certain optimisme lorsqu'il écrit qu'
« il faut espérer qu'elle concrétise le début
d'une ère nouvelle, marquée par une plus grande lisibilité
et une plus grande facilité d'accès à la règle
juridique, le tout au service d'une meilleure efficacité de l'achat
public. »463. Il semblerait donc que cette réforme
ait répondu aux attentes de simplification et de consolidation, servant
ainsi une intelligibilité, qui est créatrice de performance. Le
professeur Noguellou se range également à cet élan positif
puisque, selon elle, « l'ordonnance du 23 juillet 2015 marque,
à n'en pas douter, une simplification du droit français des
marchés publics. »464.
Les raisons de cette simplification et de cette consolidation
du droit de l'achat public se rattachent selon le Professeur Brenet à
deux facteurs. Bien sûr, d'une part, l'Union Européenne avec sa
nouvelle directive relative aux marchés publics avait initié un
mouvement de clarification et de rationalisation du droit applicable à
l'achat public. D'autre part, et c'est là le facteur le plus
intéressant pour nous, il semblerait que se soit la situation
économique problématique qui ait poussé les
décideurs politiques à des changements
461 Cons. Const., 16 déc. 1999, n° 99-421, L.
portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances,
à l'adoption de la partie législative de certains codes.
462 M. GUIBAL, « Codification et simplification du droit des
marchés publics », AJDA 1994, p.6.
463 F. BRENET, « Les nouvelles bases du droit des
marchés publics », AJDA 2015, p.1783.
464 R. NOGUELLOU, « Le nouveau champ d'application du droit
des marchés publics », AJDA 2015, p.1789.
119
radicaux. Les bienfaits économiques d'un texte
intelligible seraient donc bien présents dans leurs esprits.
La simplification du droit des marchés publics
par l'ordonnance du 23 juillet 2015. Cette ordonnance abroge le Code
des marchés publics, l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux
marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs et entités
adjudicatrices non soumis au CMP, ainsi que celle du 17 juin 2004 relative aux
contrats de partenariat465. La doctrine s'accorde à dire que
le gouvernement a sur-transposé les directives. Le droit de la commande
publique était trop sophistiqué. Si bien que de trop nombreux
textes disparates s'appliquaient.
Or ce défaut avait depuis longtemps été
relevé puisque « l'éclatement des sources écrites
et non écrites applicables en matière de contrats publics
(É) (était) en contradiction avec la nécessaire
sécurisation juridique des décisions prises par les
collectivités publiques. »466 Plus
particulièrement, ce sont les créations successives de contrats
globaux sur-mesure qui sont venues contribuer à ce « trop plein
législatif ». Selon Gabriel Eckert « la
multiplication des contrats spéciaux, chargés chacun de
répondre, plus ou moins efficacement à une difficulté
circonstancielle ou aux besoins de tel ministère, apparaît comme
la négation même de la loi, laquelle doit avoir une vocation
générale. »467 En outre, la simplification
est intervenue à deux autres niveaux.
D'abord la notion de marché public s'est trouvée
unifiée et étendue, notamment par la réunification des
notions de marché et de contrat de partenariat, ce dernier ayant
vocation à devenir un marché de partenariat. Aussi la «
concrétisabilité »468 de cette notion de
marché public fût donc permise. Un texte normatif est clair non
seulement lorsqu'il répond à une exigence de lisibilité,
mais également lorsqu'il est aisément concrétisable
par le juge qui doit statuer dans un cas d'espèce.
Ensuite, un fondement législatif a été
donné au droit des marchés publics, mettant un terme plus que
souhaitable aux constructions maladroites et improbables du juge administratif
pour tenter de légitimer la mainmise du gouvernement sur la «
réglementation » des marchés publics. Cette question
est symptomatique des difficultés de modernisation du
465 O. n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux
marchés publics, art. 102.
466 J.-M. PEYRICAL, « Régime de passation des
contrats publics : le droit des délégations comme modèle ?
», art. préc.
467 G. ECKERT, « Réflexions sur l'évolution du
droit des contrats publics », RFDA, 2006, p.238.
468 Terme théorisé par A. FLCKIGER, «
Le principe de clarté de la loi ou l'ambiguïté d'un
idéal », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 21,
2007.
120
contrat administratif, puisque de facto ce dernier
n'a pas la même protection juridique que son homologue privé,
alors que la notion de contrat est commune aux deux corpus juridiques. Ceci
alors que les droits de propriété, privés ou
publics469 ou la liberté contractuelle privée et
publique, ont certes leurs particularités respectives, mais disposent
théoriquement de la même protection constitutionnelle.
C'est en effet la compétence réglementaire qui
était retenue, pour élaborer les textes applicables aux
marchés publics aussi bien de l'Etat470, que des
collectivités471. Le Code ne serait en effet, d'une part,
qu'un « code de procédure administrative. »,
permettant à l'Etat de « se l'imposer à lui-même
par voie réglementaire. »472 et d'autre part, la
survivance d'un décret d'habilitation de 1938 justifiait la
compétence du gouvernement pour mettre en place cette fois les
règles applicables aux marchés publics des collectivités
territoriales.
Outre le fait que cette construction juridique était
très critiquée473 et fortement instable, le
véritable enjeu selon Yves Gaudemet est « ni plus ni moins de
reconnaître dans le contrat administratif un véritable contrat,
nettement dégagé de la gangue des procédures, un accord de
volontés générateur d'obligations, et non plus seulement
une modalité particulière d'administration
»474. Pour cela il fallait donc reconnaître que
l'article 34 de la Constitution impose au législateur d'élaborer
ce droit, au même titre que les contrats de droit
privé475. Autrement dit, les obligations juridiques, qu'elles
naissent d'un contrat de droit civil ou de droit administratif ont la
même nature. Selon Yves Gaudemet il s'agit dans tous les cas
d'obligations civiles. La protection accordée à l'une ou l'autre
doit donc être la même et doit surtout être consacrée
à l'échelon constitutionnel476. Peut-être
même, que les atermoiements, hésitations et autres
imprécisions qui entourent depuis toujours le droit des marchés
publics trouvent en partie leur explication dans ce déséquilibre
et cette place bien trop importante qui était accordée au
gouvernement ? En tout état de cause, la simplification du droit des
marchés publics est née avec son rehaussement
législatif.
469 Cons. const., 25-26 juin 1986, n° 86-207 DC, relative
à la Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures
d'ordre économique et social.
470 CE, Ass., 5 mars 2003, Ordre des avocats à la cour
d'appel de Paris, n° 238039.
471 CE, Ass., 29 avr. 1981, Ordre des architectes,
n° 12851.
472 Concl. D. PIVETEAU, sous CE, Ass., 5 mars 2003, Ordre des
avocats à la cour d'appel de Paris, préc.
473 L. RICHER, Droit des contrats administratifs, p.
316.
474 Y. GAUDEMET, « Le contrat administratif, un contrat
hors-la-loi », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 17,
2005.
475 Cité par Y. GAUDEMET dans l'article
précité : F. LUCHAIRE, « Fondements constitutionnels du
droit civil », Revue trimestrielle de droit civil, 1982, p. 245.
476 V. en ce sens : Y. GAUDEMET, «
Prolégomènes pour une théorie des obligations en droit
administratif français », Recueil en l'honneur de Jean
Gaudemet, Nonagesimo anno, 1999, p. 613.
121
Finalement la simplification se retrouve aussi dans le
détail des mesures, puisque les notions de pouvoir adjudicateur et
d'entité adjudicatrice ont elles aussi été
simplifiées. La notion de marché de travaux est également
simplifiée en se démarquant de la maîtrise d'ouvrage
publique477. Un rapprochement opportun des législations
européenne et nationale peut être observé, ce qui est
là encore facteur de lisibilité, de sécurité et
donc de performance.
Un droit stable. Quoi qu'il en soit, cette
réforme doit être la dernière. Il faut que le droit des
marchés publics se stabilise, car c'est un prérequis pour la
performance.
»478
Pouvoir anticiper, pouvoir maîtriser l'ensemble des
règles, ainsi que leur portée est essentiel pour mettre en place
une politique d'achat performante. Il faut que des pratiques puissent
naître et s'améliorer et surtout perdurer. Cette exigence
performancielle d'un droit stable fait échos aux recommandations qui
avaient déjà été faites en 2005, après la
seconde réforme, par le professeur François Lichère :
« L'efficacité de la commande publique mais aussi sa
rentabilité, en ces temps favorables à l'analyse
économique du droit, s'accommodent mal de changements intempestifs en
raison des pertes de temps liées à l'adaptation à la norme
et des coûts induits (achats de nouveaux logiciels, formation du
personnel, etc.).
C'est dire si aujourd'hui cette revendication
mériterait d'être entendue, plus de 10 ans déjà
après qu'elle ait été formulée.
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