II. Une liberté contractuelle résiduelle
Plan. Au moment d'acheter, les personnes
publiques ne sont pas libres puisqu'elles sont contraintes par un certains
nombre de règles principalement procédurales qui nuisent à
leur liberté contractuelle, alors que cette dernière est un
prérequis à toute démarche de performance
(A). C'est sans doute ce qui explique que réforme
après réforme du droit des marchés publics, les personnes
publiques se voient octroyer des libertés lors de leurs achats
(B).
A. La liberté contractuelle comme
prérequis performanciel
La liberté contractuelle des personnes
publiques est au fondement de la distinction contre performante entre l'achat
public et l'achat privé. Selon Laurent Richer, « la
liberté contractuelle de l'Etat peut être conçue comme un
investissement du champs politique par le droit civil, ce qui va dans le sens
d'une «dépolitisation« du droit public, d'un rapprochement
avec la société civile. »403 Alors
même que le Professeur Richer s'empresse d'ajouter qu'à l'image de
la propriété des personnes publiques, la liberté
402 M. DELMAS-MARTY, « Réinventer le droit commun
», Recueil Dalloz 1995, p. 1.
403 L. RICHER, Droit des contrats administratifs, Op.
cit., p. 7.
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contractuelle des personnes publiques possède sa propre
originalité, son propre contenu, il apparaît que le canal pour
pouvoir s'inspirer des techniques privatistes est matérialisé par
la liberté contractuelle. L'origine de la divergence contre-performante
entre achat public et achat privé se situe dans le contenu donné
à la liberté contractuelle.
Sur l'existence de la liberté contractuelle des
personnes publiques. Pour beaucoup d'auteurs cette liberté est
inexistante. Les contrats administratifs ne seraient pas fondés sur
l'autonomie de la volonté404, celle-ci n'existerait pas en
droit administratif, au motif qu'il s'agirait d'un « principe
essentiellement civiliste »405. Certains diront même
qu'il n'y a même pas de véritable contrat en droit
administratif406. La plupart sont moins extrêmes et
considèrent simplement que la liberté contractuelle des personnes
publiques est tellement moindre comparée à celle des personnes
privées, qu'elle ne peut fonder un contrat. D'autres encore estiment
qu'il s'agit d'une compétence accordée par la loi, permettant aux
personnes publiques de signer des contrats. Ils reprennent ainsi la
thèse du Professeur Vedel qui soutenait qu'il n'y a pas de cause
contractuelle en droit administratif407. Dès lors la
liberté contractuelle n'existerait pas et les personnes publiques
bénéficieraient « simplement, et le cas
échéant, de pouvoirs plus ou moins discrétionnaires d'user
du procédé contractuel »408, autrement dit
cette liberté ne serait qu'une affaire de compétence.
Pourtant la liberté contractuelle a bien
été consacrée en 2006 par le Conseil
Constitutionnel409. Cela n'a rien d'étonnant car comme le dit
très bien Laurent Richer : « l'Administration est en
négociation permanente avec les acteurs économiques »
et ces relations s'apparentent donc à celles qu'ont les
particuliers entre eux. Il fallait donc une protection adéquate. Le
Conseil d'Etat avait d'ailleurs, bien plus tôt, consacré cette
liberté410.
Sans volonté, pas de performance.
« Le rôle de la volonté demeure l'essence du
contrat et son critère le plus sûr : le contrat est en effet le
mode volontaire de souscription des obligations »411
autonomie de la volonté et liberté contractuelle sont donc bien
les
404 G. PEQUIGNOT, Théorie générale du
contrat administratif, Thèse Montpellier, 1944.
405 Concl. GAND sous CE, 28 nov. 1958, Langlois, Rec.
590.
406 COHEN-TANUGUI, Le droit sans l'Etat, PUF, 1985.
407 G. VEDEL, Essai sur la notion de cause en droit
administratif français, Sirey, 1934.
408 E. PICARD, « La liberté contractuelle des
personnes publiques constitue-t-elle une liberté fondamentale ? »,
AJDA 1998, p. 651.
409 Cons. const., 30 nov. 2006, n° 2006-543 DC, Loi relative
au secteur de l'énergie.
410 CE 20 janv. 1989, SA GBA Berry-Loire, n° 49756
; CE, 28 janvier 1998, Sté Borg Warner, n°138650.
411 M. FABRE-MAGNAN, Les obligations, coll.
Thémis droit privé, PUF, 2004, p. 58.
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fondements des contrats de droit civil. L'existence de cette
volonté est ce qui permet la validité du contrat. C'est le
règne du subjectivisme.
Le droit des marchés publics est l'exact opposé.
Son fondement est la contrainte. Le droit des marchés publics existe
dans un seul but : choisir l'offre économiquement la plus avantageuse.
Fondamentalement, la dernière chose qui doit de fait intervenir lors
d'un achat par les pouvoirs adjudicateurs est la volonté tant de
l'opérateur, que de l'acheteur. Dès lors, le contrat est quant
à lui, validé par « l'économie des
volontés »412. Cette vision va à l'encontre
même de l'utilisation du mode contractuel. On parle cette fois «
d'objectivisme contractuel »413.
Aussi Frédéric Allaire considère
très justement que « cette logique fondamentale, induite par
l'obligation de mise en concurrence et sa chronologie, s'avère impropre
à réaliser les objectifs de performance qui sont assignés
au droit des marchés publics parce que l'économie des
volontés ne coïncide pas avec l'économie de l'acte
contractuel. » Autrement dit, la logique de l'adjudication Ð
même si elle a été fortement améliorée avec
le passage du choix moins-disant à celui du mieux-disant Ð a
été conservée, tandis que l'instrument formalisant cette
commande est devenu le contrat, avec l'équilibre et la
subjectivité qu'il suppose.
S'en remettre au droit objectif pour parvenir à une
rencontre optimale de l'offre et de la demande est utopique. Aussi le droit des
marchés publics doit seulement permettre d'éviter Ð et encore
pas toujours Ð une disproportion manifeste entre l'offre et la demande.
C'est insuffisant pour parvenir à un achat efficace, car «
n'ayant pu dépasser sa fonction palliative, le droit des marchés
publics est même iatrogène en ce qu'il affecte l'exigence de
gestion administrative performante. »414 Aussi «
s'il est envisagé de satisfaire une exigence de performance, le droit
doit rompre avec la tentation de l'évaluation objective du contrat et
par conséquent accepter de reconsidérer l'acheteur public.
»415.
Avec les récents octrois de libertés, il semble
que le droit des marchés publics prenne progressivement cette direction
et fasse de plus en plus confiance aux acheteurs publics
(B).
412 F. ALLAIRE, « Dépasser le droit des
marchés publics », art. préc.
413 Idem.
414 Idem.
415 Idem.
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