SECTION II. LE CONSEIL D'USINE, MODÈLE
PARTICIPATIF IGNORÉ DU PATERNALISME CLASSIQUE
Avec la poussée socialiste Harmel sait qu'il faut
donner plus de liberté aux ouvriers. De même que la
démocratie chrétienne répondait aux désirs du
peuple d'avoir plus de liberté au sein de la société,
Harmel sait qu'il devra confier plus de liberté à ses ouvriers au
sein de l'usine. Il parle déjà dans ses discours de
démocratie dans l'usine162(*). Le conseil d'usine lui apparait comme
l'élément essentiel de la démocratie chrétienne, de
la démocratie tout court (§ 1). La démocratie
impliquant le pouvoir rendu au peuple, la démocratie au sein de l'usine
passe par une plus grande participation des travailleurs à la direction
de l'usine (§ 2).
§ 1. Un pas
vers la démocratie dans l'usine par le biais du conseil d'usine
Les démocrates de toutes tendances reconnaissent que
c'est le peuple qui doit régner. Au Val, existe une sorte de
« protodemocratie » qui se manifeste au sein du conseil
d'usine par une représentation du personnel (A) et un cadre de
dialogue social (B).
A. Le conseil
d'usine : un instrument précurseur de représentation du
personnel
Le conseil professionnel est créé au sein de
l'usine en 1883. Il prend le nom de conseil d'usine en 1893 face
à la poussée socialiste et au désir d'Harmel de toujours
adapter les préoccupations du mouvement ouvrier à ses ambitions
d'une corporation chrétienne. Il donne la raison de la création
du conseil d'usine lors d'une conférence qu'il tient à Rome en
ces termes : « Rendez à l'ouvrier devenu esclave par
la machine, la faculté de penser, d'agir, de gouverner par
lui-même. Rendez-lui la part d'initiative qui donne à chacun sa
personnalité [...] par la création de conseil
d'usine. »163(*)
Le conseil doit donc être un outil servant à
conférer plus d'initiative aux ouvriers et leur donner la
possibilité d'être écouté par leurs patrons tant au
niveau de leurs réclamations qu'au niveau de leurs suggestions. Ce souci
de donner plus de pouvoir à l'ouvrier se manifeste dans l'organisation
et le fonctionnement du conseil d'usine.
S'agissant de sa composition, il est composé de
15 membres dont un président qui est un patron en 1890, il
s'agit de Maurice Harmel. Il est aidé par un ouvrier, un homme de
confiance représentant le conseil intérieur (organe
exécutif de la corporation) en la personne d'Alfred Jolivet. Le
secrétariat du conseil était toujours réservé
à un employé. Le gros de l'effectif est constitué par
douze ouvriers, un pour chacune des onze salles et un pour les métiers
annexes. Cette composition montre bien le souci de garder une certaine
représentativité du personnel car toutes les salles ont un
représentant au sein du conseil. Ce représentant a pour
rôle de défendre ses opinions et préoccupations. Les
conseillers deviennent ainsi des intermédiaires entre le patron et les
ouvriers. Le point marquant de cette composition du conseil est l'absence d'un
représentant des contremaitres. L'idée étant
d'éviter d'intimider les ouvriers présents au conseil
d'éventuelles représailles de la part de ses
« seigneurs d'ateliers ».
Concernant le mode de désignation des representants
ouvriers au sein du conseil, il ne cessa pas au fil des années de se
révéler plus démocratique. Avant 1890 les membres du
conseil étaient choisis par le conseil intérieur, ce
procédé est abandonné en 1890 et est remplacé
par la désignation par le conseil corporatif qui est une sorte de
chambre syndicale. Ce procédé parait beaucoup plus
démocratique car les représentants ouvriers sont choisis par
« leurs camarades ». En 1903 le procédé
est encore plus démocratique car les conseillers d'usine ne sont plus
cooptés par un conseil restreint mais chacun d'eux est élu par
tous ses camarades164(*).
Le conseil se réunit une fois en quinzaine. Il est
scindé en 1900 en deux groupes ce qui permet d'accroitre la
fréquence des réunions puisqu'elles se déroulent de
façon hebdomadaire à partir de ce moment et cette scission permet
aussi de spécialiser davantage la réunion.
À travers ces actions, le conseil participe à
rendre l'autorité acceptable au sein de l'usine. L'objectif d'Harmel de
lutter contre l'« absolutisme patronale » en faisant
circuler l'autorité dans plusieurs mains pour ne plus qu'elle soit
concentrée semble être atteint. Cette déconcentration du
pouvoir favorise le dialogue social.
* 162
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 86.
* 163
HARMEL (L.), La démocratie dans l'usine, p. 8.
* 164
TRIMOUILLE (P.), ibid.
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