2-Espaces européen et asiatique
Après une série de
pérégrinations et/ou d'errances à travers les pays
d'Afrique, les autobiographes de notre corpus traverseront les
frontières continentales pour se retrouver en Europe et en Asie (dans le
cas de Mahamat Hassan). Ces voyages en France, en Syrie et au Liban
s'inscrivent dans la logique de la quête du positionnement des
personnages. Le choix de ces espaces, comme ce fut le cas avec les pays
africains, repose sur des idéologies personnelles. En effet, chez
Mahamat Hassan, d'une part, c'est la volonté d'étudier dans un
pays arabe qui l'a conduit de l'Égypte en Syrie, d'où il fera une
excursion de découverte au Liban. Ainsi, qu'il s'agisse du Liban ou de
la Syrie, le choix de Mahamat Hassan, comme celui de tous les étudiants
africains s'y trouvant, a pour fondement la foi religieuse, l'islam :
« Tous les étudiants africains arrivés en Syrie
sont musulmans. La foi religieuse est déterminante pour le choix du pays
d'accueil. » (UTAA, p.85). D'autre part, le choix de l'espace
syrien par Mahamat Hassan repose sur la possibilité de pouvoir
décrocher une bourse d'étude qui lui était inaccessible en
Egypte pour des raisons politiques. En effet, il apparaît dans son
récit que, à cette époque, l'accès à la
bourse égyptienne pour les Tchadiens n'ayant pas une autorisation
dûment signée par les autorités tchadiennes, pose
problème. Ainsi, suivant les conseils d'un ami qui lui a montré
les enjeux de la situation, il s'envolera en destination de la Syrie pour y
tenter sa chance. C'est dans un style direct qu'il reprend les termes du
conseil de « ce confrère » :
- Ne perd pas ton temps ici, me dit-il, l'Egypte a bien
fortifié ses relations avec le gouvernement tchadien et elle ne te
donnera pas de bourse sans l'avis favorable de ce dernier. Mais par contre, si
tu vas en Syrie, tu n'auras aucun problème. Les Africains sont peu
nombreux là-bas et comme la Syrie désire consolider ses relations
avec nos pays, la formation de cadres africains est pour elle l'un des
meilleurs gages. Donc, fait ta valise et va-t'en ! conclut-il (UTAA,
p.57)
Telles sont, en effet, les circonstances ayant amené
Mahamat Hassan à choisir la Syrie comme espace migratoire.
Pour ce qui est du choix de la France comme espace
migratoire, les raisons qui se dégagent des récits de ces trois
autobiographes sont les mêmes. L'élément premier est ce
lien issu de la colonisation qui existe entre le Tchad et la France, lien qui
ayant donné lieu à l'instauration du français comme langue
nationale. Ainsi, pour ces autobiographes dont le pays d'origine est
francophone, étudier en France donne, selon eux, la
crédibilité au diplôme acquis. C'est ainsi qu'après
avoir obtenu sa licence en droit d'expression arabe en Syrie, Mahamat Hassan
juge utile de parachever son parcours en France, question de se perfectionner
en français et donner du poids à son cursus universitaire. De
même, après l'étape du Congo, sanctionnée par une
formation professionnelle qui a fait de lui un administrateur colonial, c'est
en France que Kosnaye choisit d'aller compléter sa formation afin de
pouvoir remplacer les colons français qui, en ce temps précis
(1958), tenaient encore les rênes de l'administration tchadienne. Aussi,
faut-il le spécifier, chez Zakaria Fadoul et Kosnaye, en sus de ces
raisons purement idéologiques, leur option pour la France est en partie
liée à l'influence des actions de leurs compatriotes qui y
étudiaient. Dans Loin de moi-même, l'immigration de
Zakaria Fadoul en France s'inscrit dans le cadre d'une visite qu'il rend
à ses amis et aussi bien d'une découverte de l'espace
français : « Le lendemain, je décolle pour la
France. La joie et l'inquiétude se mêlent en moi : joie
à l'idée de voir enfin le pays de de Gaule et de pouvoir
rencontrer mes amis... » (LDMM, p.62). Et pour N'GangbetKosnaye,
aller en France signifie un embarquement pour les études, mais aussi et
surtout retrouver le cadre idéal pour le militantisme politique. Son
attention accordée aux activités de ses compatriotes
étudiant en France lui vaut le titre de représentant de ceux-ci
à Bousso, province tchadienne : « En effet, à
Bousso, j'étais le correspondant de l'Association des étudiants
tchadiens en France (AETF). Je recevais régulièrement d'elle le
journal L'Etudiant tchadien, que je diffusais dans la
région » (TDJT, p.137).
Il est donc à retenir que le choix de Mahamat
Hassan pour l'espace syrien repose sur la volonté d'étudier dans
un pays arabophone et la nécessité d'obtenir facilement une
bourse d'étude. Le souci linguistique lié à son parcours
universitaire prolonge ses études en terre française. Comme lui,
les choix de Zakaria Fadoul et N'GangbetKosnaye se trouvent
régentés par l'histoire existante entre la France et le Tchad,
leur pays d'origine.
2-1- La France
Dans Loin de moi-même, Un Tchadien
à l'aventure et Tribulations d'un jeune tchadien, l'espace
français fait l'objet de diverses évaluations. Ces
évaluations qui sont le résultat des regards distincts se
recoupent et s'opposent à certains égards. Il faut signaler que
dans ces trois récits, la ville la plus représentative de la
France est Paris. Ainsi, chez Zakaria Fadoul et N'GangbetKosnaye, la capitale
française apparaît, au premier contact, comme la ville
lumière, c'est-à-dire une ville dans laquelle l'éclairage
est permanent, où on ne distingue ni le jour, ni la nuit. Chez Zakaria
Fadoul tout comme chez N'GangbetKosnaye, le sentiment dominant est celui du
dépaysement : « C'est le survol de Paris. Il est presque
deux heures du matin. La capitale française est abondamment
illuminée. Les lumières ressemblent à des étoiles
jetées du ciel sur la ville. Cette ville qu'on dit la plus belle du
monde » (TDJT, p.137). Cette vue lumineuse de Paris qui les
accueille dès l'entrée leur a permis de renforcer et/ou modifier
leurs jugements sur cette ville. N'GangbetKosnaye par exemple confirme
volontiers l'opinion générale qui fait de Paris la
première ville sur le plan mondial ; tandis que chez Zakaria
Fadoul, le dépaysement sème la confusion et fait naître
chez lui le sentiment de complexité. Cette confusion se justifie par le
fait que Zakaria Fadoul témoigne d'une certaine incapacité
à asseoir son opinion sur ces spectacles qu'il ne parvient d'ailleurs
à situer ni dans le réel ni dans l'imaginaire. C'est ainsi qu'il
relate cet embrouillamini :
Tout ceci est un peu étrange pour moi et je me
demande si mon frère n'a pas raison et si je ne me suis pas
laissé tromper par un diable qui essaie de me faire voir des illusions
[...] Paradis ou invention de Satan ? J'ouvre de grands yeux ; des
écritures en rouge, des écritures en vert, des lumières et
des personnes qui parlent et discutent ! C'est trop fort pour moi, je
n'arrive pas à comprendre... (LDMM, p.62)
Ici, l'évaluation tend à être
hyperbolique dans la mesure où Zakaria Fadoul donne l'impression d'avoir
à sa vue un spectacle extraordinaire d'où l'affluence des termes
tels que « étrange », « me faire voir des
illusions », « invention de Satan »,
« C'est trop fort pour moi... », dans un seul
énoncé exprimant une seule situation du moment.
En comparaison à Zakaria Fadoul et
N'GangbetKosnaye, le premier regard de Mahamat Hassan sur Paris exprime un
paradoxe. En effet, il en donne une peinture totalement opposée à
celles proposées par les deux autres autobiographes. Si dans Loin de
moi-même et Tribulations d'un jeune Tchadien, les
narrateurs exaltent vivement la modernité de Paris, celui de Un
Tchadien à l'aventure n'y trouve rien de majestueux. C'est ainsi
qu'il déclare : « A Paris, je ne suis nullement
dépaysé par les premières images : ni les meubles, ni
les bus ne me semblent particuliers [...] Je me dis que ce qui fait la
beauté et la grandeur de cette ville mondaine réside sans doute
ailleurs que sur ses façades » (UTAA, p.99).
Le jugement que Mahamat Hassan fait de l'espace parisien n'est
pas seulement différent ; il est même antithétique par
rapport à ceux de Zakaria Fadoul et N'GangbetKosnaye. Pendant que
Zakaria Fadoul confond Paris à « Paradis » et que
N'GangbetKosnaye la place au summum de toutes les villes du monde, Mahamat
Hassan parle d'une « ville mondaine » qui n'a
« rien de particulier ». Cette attitude sereine dont fait
montre Mahamat Hassan dès son entrée en France peut s'expliquer
par le fait qu'il avait eu à errer dans d'aussi grands pays
(Égypte, Ghana, Syrie, Italie) avant d'arriver en France. Or, cela n'est
pas vrai de Zakaria Fadoul et N'GangbetKosnaye qui ont quitté Fort-Lamy
(Tchad) pour la France.
Aussi, il faut signaler qu'au-delà de ses dimensions
architecturale et industrielle précédemment
évoquées, l'évaluation de l'espace français et
plus précisément de l'espace parisien demeure négative
chez Mahamat Hassan. Par métonymie, si le contenant doit refléter
le contenu, tel ne semble pas être le cas de Paris dont il estime que
l'image somptueuse que lui colle l'imaginaire collectif contraste parfaitement
avec les réalités du quotidien. Ainsi, comme pour montrer le
revers de la médaille, le narrateur de Un Tchadien à
l'aventure oppose au sociogramme français (pays d'abondance, de
beauté...) la description d'un espace clos en plein centre-ville de
Paris, où sont abrités des SDF (Sans Domicile Fixe) à qui
l'on inflige des traitements « inhumains » (dormir
superposés, manque de nourriture, manque d'eau pour assurer
l'hygiène...). Mahamat Hassan dont les difficultés
d'intégration ont poussé à solliciter ces lieux de refuge
en a gardé un souvenir qui n'en demeure pas moins un puzzle pouvant
aider à déterminer l'image de l'espace parisien en particulier et
français en général. C'est dans un accent de
désolation qu'il évoque ce dévoilement
démythifiant : « Je n'aurais jamais pu imaginer
qu'à Paris, ville mythique de beauté et d'abondance, il puisse y
avoir des endroits aussi détestables. » (UTAA, p.103)
Le récit analytique de Mahamat Hassan qui se
poursuit, l'amène à se rendre compte de la division sociale
majeure qui se meut dans l'espace parisien, mais très peu manifeste.
Ainsi, de son évaluation, il s'avère qu'à Paris, l'argent
prime sur l'Homme. Cela dit, la valeur de l'Homme ne se détermine que
par la somme d'argent qu'il possède. C'est en côtoyant à la
fois les parisiens du camp des SDF et ceux en dehors que Mahamat Hassan
parvient à s'imprégner de l'existence de cette
inégalité sociale. C'est dans un procédé de
comparaison qu'il présente cette autre image
« contrastée » de l'espace français :
Il n'y a aucune ressemblance entre les autres Parisiens et
ceux du Centre Nicolas Flamel. Ceux-ci sont sales, crasseux et fatigués
alors que les autres sont propres, élégants et vifs. Mes
camarades d'infortune me paraissent tous débiles. Ce sont les
damnés de l'industrialisation. La différence flagrante entre ces
deux classes de Parisiens c'est aussi l'argent. L'argent ici, peut vous
élever au plus haut rang de la société ! ne pas en
posséder vous rabaisse au fin fond des enfers. L'argent ici, fait le
bien, le mal, la haine, le respect, le beau. (UTAA, p.104)
? la liste des inégalités sociales et du manque
d'humanisme qui relève de l'espace parisien dans Un Tchadien
à l'aventure, nous pouvons ajouter, à la lecture de la
citation précédente, l'injustice, l'exploitation de l'homme par
l'homme comme éléments identitaires qui caractérisent
l'espace français vu par Mahamat Hassan.
Faisons remarquer en guise de précision que dans
Loin de moi-même, le regard de Zakaria Fadoul sur la France se
limite aux premières impressions qu'il donne au premier contact de
Paris. C'est N'GangbetKosnaye qui, comme Mahamat Hassan, a décrit avec
précisions les coins et les recoins de cet espace dont il donne une
image sinon négative, du moins quelque peu contrastée. ? tout le
moins, cette représentation de Paris, sous la plume de Kosnaye semble,
dès le départ, marquée du sceau de la positivité.
La France apparaît aux yeux de Kosnaye comme un espace de liberté
en comparaison au pays d'origine vu comme espace carcéral. C'est
à quelques heures de son départ vers la France que Kosnaye
formule implicitement une intention qui fait de ce pays européen un
eldorado : « A Gardolé où je vis avec mon
cousin, les cases sont construites les unes contre les autres. Aucun espace
où l'air peut souffler. Bientôt je m'échapperai de cet
espace carcéral. » (TDJT, p.136). Dans cette citation, la
perception de l'espace français par le narrateur s'appréhende
dans le sous-entendu, l'implicite, le non-dit ou le blanc que laisse
présager ses phrases.
Aussi, N'GangbetKosnaye présente-t-il l'espace
français comme un espace de droit, un espace où la liberté
de soi n'exclut pas celle de l'autre, où tout acte, tout geste, sont
mesurés avant accomplissement. Pour avoir déménagé
à la fin de son contrat de bail sans avertir sa bailleresse, Kosnaye a,
ainsi, encouru le risque de se faire poursuivre en justice, n'eut
été l'intervention des autorités de son
établissement et la clémence de la dame. Et le surveillant
général de saisir l'occasion pour lui faire la morale :
« Monsieur Gago ! En France, on ne quitte pas une chambre
comme cela ! On donne un préavis obligatoirement, sauf arrangement
spécial entre le locataire et le propriétaire, en l'occurrence
madame. Vous avez la chance, monsieur Gago, madame comprend les jeunes
Africains qui viennent pour la première fois en France.»
(TDJT, p.144). L'espace français peut, dans ces circonstances,
être contraignant pour les personnages comme Gago, issus d'un pays
où les notions de droit et/ou procédures judiciaires n'avaient
pratiquement pas cours.
Mais lorsque le sujet respecte à la lettre les
lois d'un pays, ce pays cesse d'être un espace de contrainte dans la
mesure où ces mêmes lois pourraient lui permettre de revendiquer
ses droits. Ainsi, en sus de ces images mythiques et générales
que nous retenons du regard évaluateur de N'GangbetKosnaye, la France de
celui-ci, à spécifiquement parler, est un espace de prise de
conscience et du militantisme. En effet, c'est à Paris que Kosnaye avoue
avoir pris conscience du fait national africain et du méfait de la
colonisation, entreprise pour laquelle il était pourtant l'un des
administrateurs avant d'arriver en France dans les années 1958. Et c'est
justement dans ce Paris des années 1950 où la révolution
nègre battait son plein, menée par des intellectuels noirs
animés d'un militantisme ardent que Kosnaye se rend compte de cet autre
rôle (lutte pour l'émancipation de la race noire) qu'il pouvait
jouer au-delà des études. Ainsi, il prend la tête de la
Fédération des étudiants d'Afrique noire en France (FEANF)
au sein de laquelle il s'imprègne amplement des enjeux du devenir
politique de son continent : «C'est au sein de la FEANF que je
prends lentement conscience du fait national africain et du méfait du
colonialisme. Des slogans simples mais réalistes et porteurs d'espoir,
des slogans qui ne sont nullement de vides velléités des jeunes
de mon âge... Je suis convaincu de lutter ainsi pour
l'émancipation du continent noir » (TDJT, p.147).
L'espace parisien de N'GangbetKosnaye se
révèle, de fait, un lieu de prise de conscience mais aussi et
surtout de liberté d'expression dans la mesure où il
s'avère un espace non hostile aux organisations révolutionnaires.
La mosaïque d'associations anticolonialistes et contre les
antinationalistes que créent les Africains selon leurs pays d'origine
corrobore le regard du narrateur:
La FEANF crée des associations de base qui font sa
notoriété et sa responsabilité. Ces associations sont
fédérées et réparties selon les territoires
d'origine des adhérents : ainsi, les sigles de ces associations
commencent toujours par « Association des
étudiants... » et finissent par « ...en
France... ». Ainsi, on a. - Côte d'Ivoire : AECIF ;
Tchad : AETF ; Dahomey : AEDF ; Haute-Volta :
AEVF ; Oubangui : AEOF, etc. (TDJT, p.147)
Une telle possibilité d'épanouissement
donnée aux jeunes Africains par la France dans un contexte où les
activités de la colonisation créent de temps à autre un
climat de haine entre Blancs et Noirs ne peut que marquer N'GangbetKosnaye qui,
on le verra dans le dernier chapitre, croupira des années en prison pour
avoir organisé une simple conférence débat dans son propre
pays.
En somme, l'espace français vu à travers
Paris, donne lieu à des évaluations qui varient d'un
autobiographe à un autre. C'est ainsi que, de la ville lumière de
Zakaria Fadoul et de N'GangbetKosnaye, Mahamat Hassan découvre
complètement l'envers : le Paris des sans-abris, de la
promiscuité, « d'êtres sales, crasseux et
fatigués ». De la France, espace de droit et de liberté
pour N'GangbetKosnaye, Mahamat Hassan oppose la France capitaliste où
l'argent prime sur la valeur humaine. Au-delà de l'importance narrative,
l'évocation de l'espace français recouvre une valeur symbolique.
De là, nous pouvons retenir que Paris est le lieu d'une prise de
conscience idéologique chez Mahamat Hassan et N'GangbetKosnaye.
2-2- La Syrie et le Liban
Mahamat Hassan est le seul autobiographe du corpus que
l'errance a conduit en Syrie et au Liban. Conformément à la
tradition du récit autobiographique et du récit d'aventure, le
narrateur de Un Tchadien à l'aventure ne manque pas de
présenter les premières images qui l'accueillent. Ainsi,
dès son atterrissage à l'aéroport de Damas, le
narrateur s'offre une vue qu'il expose au lecteur, avec quelques
supputations : « L'avion atterrit sur l'aéroport
entouré de fils de fer barbelés, surveillé par des radars
géants et des canons antiaériens. On dirait un aéroport
militaire. Tout cela me rappelle que la guerre du Moyen-Orient n'est pas finie.
Il y a eu seulement une pause. » (UTAA, p.59).
Évidemment, à travers cette description qui se veut
réaliste, le lexique utilisé par Mahamat Hassan donne à
voir que la Syrie est un pays de guerre. Aussi, pour y avoir
séjourné quatre années durant, Mahamat Hassan parvient
à remarquer que la Syrie des années 1978 dont il rapporte les
faits, est un cadre d'exil politique. Ce jugement naît du constat de la
présence massive des personnes de diverses nationalités qu'il
rencontre et qui, pour la plupart, sont animées d'idées
révolutionnaires. C'est ainsi qu'il écrit :
« Damas est à cette époque un nid de toutes sortes
de vrais et faux révolutionnaires. Des bureaux de `'fronts de
libération'' surgisse de partout. » (UTAA, p.79).
La Syrie religieuse n'est pas aussi perdue de vue par le
narrateur de Un Tchadien à l'aventure. Ainsi, la pratique de
l'islam vue comme source de division resurgit sous la plume de Mahamat Hassan.
En effet, si toute évaluation n'exclut pas la subjectivité, le
choix des « sites » qui donnent lieu à cette
évaluation n'en est pas du reste. Ce qui est
« valeur » pour un personnage oriente sans cesse sa vision,
au point de devenir une obsession. Ainsi, le tableau de la Syrie que
présente Mahamat Hassan se révèle peu différent de
celui qu'il donne du Liban. Comme la Syrie, le Liban apparaît comme un
pays de guerre. Cette évaluation est perceptible dès le
sous-titre du chapitre: « Au Liban : Beyrouth en
feu » (UTAA, p.65) mais c'est à travers le récit
qu'elle laisse choir l'émotion du narrateur : « La
guerre continue ses ravages et ses destructions. Terrible destin pour un pays
aussi beau ! » (UTAA, p.67). L'antithèse,
procédé habituel de Mahamat Hassan revient une fois de plus dans
cet énoncé évaluateur : « terrible
destin » opposé à « un pays aussi
beau ».
Il faut aussi noter que si l'image du Liban peut se fixer
de par ses deux pans (guerre et conflit religieux) évoqués,
au-delà de ces deux aspects négatifs qui leur sont communs, la
Syrie se révèle un pôle de formation professionnelle
pour Mahamat Hassan. En effet, c'est dans cette Syrie
caractérisée par des conflits de tout genre que le personnage de
Un Tchadien à l'aventure obtient sa licence en droit. Comme
N'GangbetKosnaye avec l'espace français, et Zakaria Fadoul avec l'espace
sénégalais, Mahamat Hassan, dans l'espace syrien, nous
promène dans le milieu universitaire où il nous montre les
idéologies en vogue, orchestrées par les étudiants. En
évaluant ces différentes associations, le narrateur estime que la
leur (celle regroupant les ressortissants des pays francophones) est
dénuée de tout préjugé. C'est dans un
procédé de comparaison qu'il évoque les diverses tendances
idéologiques :
Contrairement aux associations estudiantines arabes, la
nôtre n'est pas déchirée par des divisions
idéologiques prononcées. Au sein de l'association soudanaise, par
exemple, il y a autant d'idéologies que de membres : il y a les
bâassistes, les nassériens, les communistes, etc... toute une
foule de tendances et de partis qui se contredisent, se méprisent et se
bousculent pendant les assemblées générales
ordinaires. (UTAA, p.84)
Bref, la Syrie et le Liban apparaissent comme des
espaces conflictuels. Au-delà de ces images négatives, la Syrie
se révèle un pôle de formation professionnelle. De
là, le milieu universitaire syrien est vu par Mahamat Hassan comme un
milieu générateur d'idiologies.
Au terme de cette première partie portant sur
l'évaluation des espaces migratoires, il ressort que le choix des pays
opéré par Zakaria Fadoul, Mahamat Hassan et N'GangbetKosnaye est
un choix idéologique. Aussi, les évaluations qu'ils ont faites de
ces espaces relèvent de la subjectivité dans la mesure où
chaque autobiographe n'est intéressé que par les spectacles
relevant de ses goûts. C'est ce qui justifie la disparité et,
parfois même, le contraste dans la perception des images, dans la
présentation des mêmes lieux, dans l'évaluation des
mêmes espaces.
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