La
revue de la littérature théorique
Cette revue de littérature théorique tourne
autour de deux points majeurs à savoir : le cadre théorique
d'analyse de sécurité alimentaire et le cadre théorique
d'analyse de politique agricole
1.2.2.1- Cadre théorique d'analyse de
sécurité alimentaire
Dans cette section, deux points majeurs seront abordés
à savoir : la place de l'alimentation dans la théorie
économique et les politiques publiques de lutte contre la faim.
1.2.2.1.1- L'alimentation et la théorie
économique
L'alimentation étant un des besoins primaires de
l'homme et la production agricole une des premières activités
à laquelle l'homme s'est livré, l'agriculture et l'alimentation
ont été l'objet de nombreux débats dans la théorie
économique. On peut même dire que dans la théorie
économique la sphère alimentaire fait l'objet d'un traitement
particulier. Ainsi une certaine spécificité est accordée
au fait alimentaire et émane des différents courants de
pensée. Cette spécificité repose sur les conditions de
satisfaction des besoins alimentaires des nations, sur l'enjeu de
l'indépendance alimentaire, et enfin sur les causes de la faim dans le
monde.
1.2.2.1.1.1- La satisfaction des besoins alimentaires
selon la théorie économique
Pour les premiers économistes, les mercantilistes, l'un
des objectifs fondamentaux de toute société est de garantir
à sa population un approvisionnement alimentaire régulier et
substantiel. De même chez les auteurs libéraux à l'instar
d'Adam Smith cette analyse est faite: «aucune société ne
peut être florissante et heureuse, si la majorité de ces membres
est pauvre et misérable». Les courants de pensée
reconnaissent le caractère primordial de la satisfaction des besoins
alimentaires mais n'arrivent pas à trouver un consensus sur les
modalités d'une telle satisfaction.
1.2.2.1.1.1.1- L'analyse mercantiliste
Pour les mercantilistes, c'est l'Etat qui doit veiller au bon
approvisionnement alimentaire des populations ainsi qu'aux bas prix de
marché. Les mercantilistes ont analysé les produits agricoles en
particulier le blé d'abord comme un bien de subsistance avant de le
considérer comme un objet de commerce. Pour garantir un prix à la
portée de tous et donc une satisfaction des besoins alimentaires, l'Etat
doit constamment surveiller et encadrer les marchés et même
intervenir s'il y a lieu. L'Etat remplit cette mission par
l'intermédiaire de stocks publics qui ont pour résultat la
stabilisation des prix. A cet effet Bodin (1986) propose « d'avoir
dans chaque ville un grenier public(...) on verrait jamais la cherté si
grande qu'elle soit, car outre le fait qu'on aurait provision pour les
mauvaises années, on retrancherait les monopoles des marchands de
blé...». Ainsi une gestion publique des réserves de
même qu'un contrôle du commerce du blé permet d'avoir un
prix juste.
Les mercantilistes proposent aussi à côté
de cette intervention étatique, une réduction de la circulation
des céréales à l'extérieur de la nation et donc
d'empêcher toute sortie du territoire des produits agricoles.
«La France ne fut jamais affamée c'est-à-dire qu'elle a
richement de quoi nourrir son peuple quelque mauvaise année qui
survienne, pourvu que l'étranger ne vide nos granges». Aussi
le commerce extérieur n'est autorisé que si le pays est bien
approvisionné. De telles politiques alimentaires ne sont pas l'apanage
des mercantilistes, on les retrouve également chez Galiani (1984),
Linguet (1788), Mably (1788), Steuart (1759), Bentham (1795) et Malthus (1815)
(bien que ces derniers fassent partie du courant libéral) et
Boisguilbert (1707).Boisguilbert souligne la dimension incompressible de la
demande alimentaire dans la mesure où elle correspond à des
besoins vitaux. En conséquence la demande en produit alimentaire est
constamment sous tension, tension d'autant plus accentuée que la
pression démographique sur les ressources alimentaires s'exerce sans
répit et augmente les prix. Cette spécificité se retrouve
aussi dans l'offre de produits agricoles et cela à cause de son
caractère rigide et incontrôlable du fait des aléas
climatiques. Ainsi l'offre alimentaire d'une nation peut fluctuer entre
surproduction et pénurie.
Pour Boisguilbert le marché des produits alimentaires
obéit à des lois spécifiques en raison des contraintes qui
pèsent sur l'offre et la demande. Sur ce marché les informations
sont souvent erronées et asymétriques de ce fait il y
règne un climat de désordre et de spéculation rendant
difficile la stabilité des prix. Donc indépendamment de
l'état de la récolte, le marché produit à des prix
élevés. On comprend mieux alors pourquoi Boisguilbert cautionne
la mise en place de greniers publics. Contrairement aux mercantilistes il est
favorable au commerce extérieur des aliments car il permet selon lui de
réduire les effets négatifs des anticipations
auto-réalisatrices des agents économiques.
La conception de l'état nourricier à travers la
mise en place de stocks prôné par les mercantilistes,
Boisguilbert, Malthus entre autres est remise en cause à partir du
XVIIème siècle par les libéraux qui proposent comme
réponse aux problèmes de l'alimentation: le marché
autorégulateur et de considérer le produit alimentaire comme
n'importe quelle marchandise.
1.2.2.1.1.1.2- L'analyse libérale
Pour le courant libéral, le meilleur moyen d'assurer un
bon approvisionnement alimentaire des populations est de
« laisser faire le marché »avec une
harmonisation de ce dernier à travers les ajustements par les prix et
les salaires. Cela suppose une libre circulation totale des produits agricoles
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays sans
que l'Etat ne réglemente le fonctionnement du marché comme
l'exige la tradition séculaire. Pour apaiser les craintes des
populations face à cette libéralisation des échanges
agricoles les libéraux se fondent sur les spécificités des
biens alimentaires. D'abord ces biens étant renouvelables leur abondance
est assurée. Dupont (1911) parle de «richesses
renaissantes». Le secteur des produits agricoles est ainsi
analysé comme une génération et non une simple addition de
richesses que multiplie la terre nourricière et qui s'assimile à
un véritable don gratuit de la nature (analyse physiocrate). De plus, le
caractère volumineux et périssable des biens alimentaires les
rend difficilement transportables par rapport aux autres marchandises. Ainsi
les échanges avec l'étranger ne concernent qu'une faible partie
de la production nationale. Les inquiétudes des populations face aux
dangers du commerce extérieur des produits alimentaires n'ont ainsi
aucune raison d'être. Cette analyse libérale du marché
agricole fut remise en cause.
1.2.2.1.1.1.3- La remise en cause de l'analyse
libérale
Les partisans de l'interventionnisme reviennent pour rejeter
en bloc les arguments libéraux et exigent une politique alimentaire
active et volontaire. Ils mettent en avant le fait que même si
l'ajustement prix salaire est possible il exige quand même un
délai assez long préjudiciable aux populations. De plus la
cupidité étant le principe, la fin et l'âme même du
commerce, elle suppose le comportement de spéculateurdes agents
économiques responsables de l'approvisionnement, alors que les besoins
alimentaires ne peuvent être différés. Enfin, les
antilibéraux remettent en cause le caractère relatif du commerce
extérieur par le fait que la sortie d'une petite quantité des
biens alimentaires du territoire fait évoluer considérablement
les prix.
La résolution des problèmes alimentaires a ainsi
opposé les théoriciens notamment les partisans de la
libéralisation et les défenseurs de l'interventionnisme
étatique. Ce débat qui s'est poursuivi tout au long du XIXe
siècle n'avait pas perdu de sa vigueur à la fin du XXe
siècle quand on songe à la manière dont sont
abordés les problèmes alimentaires du tiers monde.
La théorie économique toujours dans cette
spécificité qu'elle a accordée au fait alimentaire s'est
aussi intéressée à l'objectif d'indépendance
alimentaire.
1.2.2.1.1.2- L'indépendance alimentaire selon
la théorie économique
Cette section traite des points ci-après :
l'objectif d'indépendance alimentaire invariant dans le temps ;
l'indépendance alimentaire par le protectionnisme ou le libre
échange ; et les causes de la faim selon la théorie
économique.
1.2.2.1.1.2.1- L'objectif d'indépendance
alimentaire invariant dans le temps
L'objectif d'indépendance alimentaire est
revendiqué aussi bien chez les politiques que chez les
économistes et ceux-ci reposent leur argumentaire sur la
spécificité de la production agricole et alimentaire. La
nourriture étant octroyée généreusement par la
providence. Ainsi d'après les premiers économistes un pays qui a
la chance de bénéficier d'un tel avantage doit tout faire pour le
conserver. Tout pays disposant de la capacité naturelle de produire ce
dont il a besoin sans obligation d'achat à l'extérieur est tenu
de le faire. Il existe également une raison politique, en effet
l'autosuffisance alimentaire permet d'éliminer la dépendance vis
à vis des pays étrangers.
Les théoriciens semblent avoir trouvé un
consensus sur la nécessité de l'indépendance alimentaire,
cependant cet accord n'est plus de mise dès qu'il s'agit de voir quel
sont les coûts et les modalités de cette indépendance.
1.2.2.1.1.2.2- L'indépendance alimentaire par
le protectionnisme ou le libre échange
Pour assurer l'objectif d'indépendance alimentaire les
mercantilistes défendent la thèse selon laquelle il faudrait
limiter les échanges avec l'extérieur par des taxations
élevées des produits alimentaires à la sortie du
territoire. Cette politique fut appliquée en Angleterre avec
l'application des corns laws au XVème siècle. Les politiques des
Tudors et des Stuarts autorisaient le commerce extérieur des produits
alimentaires seulement en période d'abondance et à condition que
ces échanges ne conduisent pas à une hausse artificielle des prix
alimentaires. Des politiques similaires sont appliquées en France pour
la même époque.
Cette politique d'interventionnisme était
également défendue au XVIII et XIXème siècle par
des auteurs comme Malthus qui sont favorables à l'application des corns
laws.
Les physiocrates vont défendre une solution tout
à fait contraire à ceux des mercantilistes et qui va se
révéler très impopulaire. Ainsi ils affirment que le libre
commerce des céréales est le seul moyen d'assurer
l'indépendance alimentaire, et à cet effet furent les
précurseurs des mesures de libéralisation des années
1763-1764.
D'après la théorie physiocrate l'agriculture est
le seul pourvoyeur de richesse et tout doit être mis en oeuvre pour
favoriser son indépendance. Le bien alimentaire doit répondre
à un impératif de rentabilité car n'étant plus
considéré comme un simple bien de subsistance mais comme une
marchandise qui a un prix même s'il doit également satisfaire les
besoins populaires. Le peuple réclame toujours une alimentation à
bon marché sans se préoccuper des conditions de production. Pour
Quesnay (1757) il n'y a pas de contradiction entre abondance et cherté.
Il faudra concentrer les efforts sur les conditions de production, et non sur
les conditions de distributions donc favoriser l'agriculture marchande en
fournissant à la terre les capitaux nécessaires à sa
productivité. Seul le bon prix est en mesure de régler les
problèmes d'approvisionnement alimentaires. «La non valeur avec
l'abondance n'est point richesse, la cherté avec pénurie est
misère». Le bon prix doit permettre au fermier de se
dédommager et de récupérer ses avances ce qui l'incitera
à continuer à produire et en plus grande quantité car un
résultat financier négatif n'est point encourageant. La
liberté de commerce doit être totale pour favoriser l'apparition
d'un bon prix. Cette liberté de commerce loin de remettre en cause
l'objectif d'indépendance alimentaire la renforce selon les
physiocrates. En effet même si le libre échange permet un prix au
producteur plus grand par la vente à l'extérieur de
l'excédent, les quantités échangées sont faibles
car« plus le commerce extérieur est libre moins il ya
d'échange».
En résumé il y a un objectif
d'indépendance alimentaire, largement partagé et qui tient en
grande partie à la qualité intrinsèque des biens
agricoles, soit en tant que biens de subsistance pour les uns, soit en tant que
marchandises source unique d'enrichissement pour les autres. Mais les moyens
d'atteindre cet objectif sont en totale opposition. Tout en partageant
l'idée que la nation doit nourrir son peuple, les physiocrates ont
considéré les produits agricoles plus comme un objet de commerce
que comme un simple bien de subsistance. Dans une certaine mesure, ils ont
contribué à orienter la question agricole vers les
problèmes de la production et non plus vers ceux de la consommation et
de l'approvisionnement des marchés.
La théorie économique toujours dans cette
spécificité qu'elle accorde au fait alimentaire après
s'être intéressée à la manière dont les
besoins alimentaires doivent être satisfaits et aussi à l'enjeu de
l'objectif d'indépendance alimentaire s'est aussi penchée sur les
causes de la faim dans le monde.
1.2.2.1.1.3- Les causes de la faim selon la
théorie économique
Il existe deux grands courants d'analyse des causes de la faim
dans le monde. La première est l'oeuvre de Malthus la seconde plus
contemporaine est l'oeuvre d'Amartya Sen.
1.2.2.1.13.1- L'analyse malthusienne
La première analyse est l'oeuvre de Thomas Robert
Malthus (1766-1834). Dans sa quête des voies et moyens pour parvenir au
bien-être de la population, Malthus a donné une réflexion
sur les relations entre population et subsistance. Ainsi dans son essai sur le
principe de population (1798), Malthus affirme que l'être humain comme
tout être vivant n'échappe pas une tendance naturelle qui est
d'accroître son espèce plus que ne le permet la nourriture
à sa portée. En effet il affirme que «lorsque la
population n'est arrêtée par aucun obstacle (...) elle croît
de période en période de manière
géométrique, alors que les moyens de subsistance dans les
conditions les plus favorables à l'industrie ne peuvent croître
plus rapidement que selon une progression arithmétique». Cette
situation a donc pour conséquence de creuser l'écart entre les
besoins et les disponibilités alimentaires. Pour éviter les
situations catastrophiques qui en découleront nécessairement,
Malthus préconise des freins préventifs à l'accroissement
de la population. Ainsi l'éducation et la raison peuvent encourager les
hommes à avoir moins d'enfants de manière à pouvoir les
élever le mieux possible. Toujours dans cette optique de freins
préventifs, Malthus considère que l'avortement qui bien
qu'étant un vice pour lui est à même de limiter la
population. A côté il nous préconise aussi des freins
actifs à l'accroissement de la population que sont les guerres, les
famines, les maladies qui abaissent durablement le nombre d'hommes à un
niveau compatible à celui des vivres.
Malthus à travers cette thèse considère
que la faim dans le monde a pour cause la surpopulation. Cette thèse
malthusienne a été la source d'inspiration de nombreuses analyses
tout comme elle fut l'objet de nombreuse controverses. Dans plusieurs rapports
célèbres (le rapport sur les limites de la croissance, club de
Rome (1972), l'état de la planète, rapport annuel du World Watch
Institute), les analyses pessimistes de Malthus ont été reprises
pour affirmer que la croissance démographique conjuguée à
la croissance des activités humaines (agriculture - industrie) sont de
nature à épuiser les ressources naturelles et à menacer
l'avenir des générations futures.
Les analyses Malthusiennes ont mis en évidence,
à une certaine époque, la gravité des situations agricoles
due à la surpopulation dans certaines localités. Toutefois elles
ont été démenties par les faits au cours de la seconde
moitié du XXème siècle. En effet dans certaine
région du monde la croissance des produits agricoles a été
plus rapide que celle des besoins des populations.
1.2.2.1.13.2- L'analyse d'Amartya Sen
La deuxième analyse des causes de la faim est l'oeuvre
d'Amartya Sen (prix Nobel d'économie en 1998). Sen fut l'un des plus
grands contradicteurs de Malthus. Selon lui le ratio disponibilités
alimentaires/population si cher a Malthus ne suffit pas pour expliquer la faim
dans le monde. Pour illustrer son point de vue, il montre que dans plusieurs
grandes famines (Bengale, 1943, Bangladesh, 1974...), les disponibilités
alimentaires par personne ne sont pas en baisse et parfois même elles
sont plus importantes que dans les périodes sans famines. Malgré
cela, tout un groupe de la population a vu ses capacités
d'accèsà la nourriture baisser dramatiquement. Ainsi au Bengale
les pêcheurs, les ouvriers, les transporteurs subirent en 1943 une baisse
de leur capacité d'accès au riz qui constitue leur alimentation
de base parce que leur pouvoir d'achat avait baissé. Cette situation
peut s'expliquer par le fait qu'en cette période de seconde guerre
mondiale l'intensité de l'activité économique à
Calcutta a entraîné une augmentation des revenus ce qui est
à l'origine d'une augmentation de la demande de consommation urbaine
entraînant une flambée des prix du riz. Au Bengale donc on assiste
à un paradoxe : il y a une famine dans un contexte de boom
économique. Au Bengladesh les familles paysannes furent touchées
par la famine à cause des inondations qui ont emporté leurs
récoltes.
L'idée majeure qui est ressortie des travaux de Sen et
qui est largement reconnue par les instances internationales c'est que la
pauvreté est la cause de la faim.Dès lors un certain nombre de
politiques publiques sont préconisées pour lutter contre la
pauvreté et partant de là contre la faim dans le monde.
1.2.2.1.2- Les politiques publiques de lutte contre la
faim
L'élaboration de politiques publiques de lutte contre
la faim ne s'inspire pas nécessairement des deux principaux courants
d'analyse de la faim mentionnés ci-dessus. Toutefois, on peut noter une
certaine filiation entre les politiques publiques de lutte contre la faim et
ces courants d'analyse des causes de la faim. En effet rien ne justifie que la
politique d'augmentation du ratio disponibilité alimentaire/population
soit incompatible avec l'analyse malthusienne des causes de la faim et des
solutions possibles. La politique d'abaissement et de stabilisation des prix
alimentaires semble elle donner comme solution à la faimcelle de Sen
à savoir l'augmentation de l'accessibilité par la lutte contre la
pauvreté. La politique de sécurité alimentaire plus
récente peut être considérer comme englobant les deux
précédentes.
1.2.2.1.2.1- Politique d'augmentation du ratio
disponibilité alimentaire/population
Pour résoudre le problème de la faim certains
pays qui souffrent de surpopulation ont mené des politiques
antinatalistes utilisées pour abaisser les taux de
fécondité, ces politiques pouvant être aussi bien
incitatives que répressives. Ces pays ont aussi cherché à
augmenter les disponibilités alimentaires. Pour atteindre ce dernier
objectif deux stratégies non exclusives ont été
utilisées. Il s'agissait pour la première stratégie
d'augmenter la production agricole nationale de manière à
s'assurer éventuellement une autosuffisance alimentaire. Pour la
deuxième, il fallait augmenter les recettes en devises pour pouvoir
importer des produits vivriers en complément de la production nationale.
Le recours à l'aide alimentaire est aussi envisagé.
1.2.2.1.2.1.1- La stimulation de la production
nationale
Pour accroître la production agricole nationale les
gouvernements peuvent combiner tout un arsenal de moyens. En se fondant sur
l'idée qu'une augmentation de la profitabilité des
activités agricoles stimule la production agricole, de nombreux
gouvernements ont eu recours aux subventions des moyens de production (engrais
chimiques, pesticides, matériels agricoles). Toujours dans la même
logique les gouvernements ont encouragé les crédits agricoles,
ils ont aussi cherché à stabiliser les prix des produits
agricoles. Il s'agissait de garantir aux producteurs locaux des prix
supérieurs aux prix internationaux afin d'accroître la production
et de garantir l'autosuffisance alimentaire. Cette démarche à
été appliqués surtout par les pays
développés (l'Union Européenne dans le cadre de sa
Politique Agricole Commune, PAC). Pour une plus grande disponibilité
alimentaire, des investissements publics ont été faits dans la
recherche et la vulgarisation agricole mais aussi dans le développement
d'infrastructures rurales. Par ailleurs la lutte contre les pertes après
récolte lors du transport et ou le stockage est un moyen efficace
d'augmentation des disponibilités alimentaires, ces pertes pouvant
atteindre jusqu'à 30% des récoltes. Outre la production nationale
les disponibilités alimentaires peuvent être renforcées par
les importations commerciales et les aides alimentaires.
1.2.2.1.2.1.2- Importations commerciales et aides
alimentaires
Les importations de denrées alimentaires de base sont
pratiquées par les pays soit par obligation, soit par choix. Les
marchés internationaux de denrées alimentaires se
caractérisent par leur très grande instabilité
expliquée par le nombre insuffisant d'exportateurs et un grand nombre
d'importateurs. Ainsi cinq territoires seulement à savoir les
Etats-Unis, le Canada, l'Union Européenne, l'Australie l'Argentine ont
assuré plus de 80% des exportations durant la période 1997-1999,
les Etats-Unis en assurant près de la moitié. De plus tout le
négoce international des denrées alimentaires est aux mains d'une
demi-douzaine de firmes internationales. La pratique des importations
alimentaires qui représente une part importante des dépenses en
devises et de la consommation intérieure est risquée à
cause du caractère oligopolistique des marchés internationaux de
denrées et de l'instabilité des prix qui en découle.
Concernant l'aide alimentaire, l'un des premiers programmes
est né aux Etats-Unis en 1954 dans le cadre du plan Marshall. La loi
relative à cette aide (la Public Law 480) fixait comme objectif
la lutte contre la faim dans le monde mais également l'écoulement
du surplus agricole américain, de conquérir de nouveaux
marchés agricoles et enfin d'asseoir une influence politique pour lutter
contre le communisme. Les pays européens quant à eux ont
commencé à adopter les programmes d'aide alimentaire à
partir de 1960 une fois que leur autosuffisance a été
assurée. Actuellement plus d'une soixantaine de pays fournissent l'aide
alimentaire mais les Etats-Unis en assurent à eux seuls près de
la moitié. Cette aide se présente le plus souvent sous forme de
dons, de ventes à prix particulièrement bas, de prêts
à des taux d'intérêt faibles, de devises pour acheter des
denrées alimentaires. L'aide d'urgence en cas de catastrophe et de
guerre est devenue plus importante quantitativement que l'aide apportée
dans le cadre de projets ou programmes. Dans les pays receveurs l'aide est
donnée vendue ou échangée en contrepartie de participation
en travail à de grands travaux publics. L'aide alimentaire a
été très largement critiquée: d'abord parce que les
flux sont très irréguliers et peu prévisibles. De plus
lorsque l'aide est très abondante et distribuée gratuitement aux
populations elle peut entraîner chez celles-ci la passivité et
maintenir la dépendance d'autant plus que les producteurs ne produisent
plus. Dans certains cas l'aide arrive en retard ou est composée de
denrées qui ne correspondent pas aux habitudes alimentaires des pays
receveurs ou encore elle est de mauvaise qualité. Enfin l'une des plus
véhémentes critiques de l'aide est qu'elle peut être
détournée par des groupes sociaux puissants; elle peut amener
certains pays à ne pas combattre les premiers signes d'apparition de la
famine pour bénéficier de plus d'aide avec l'aggravation de la
situation. Ainsi certaines famines pourraient même être
fabriquées de toute pièce (Brunel, 1997).
Des politiques d'accroissement ou de maintenance à un
certain niveau des capacités d'accès des populations notamment
les plus pauvres à la nourriture peuvent être menées.
Parallèlement ou non à ces politiques de l'accroissement des
disponibilités alimentaires
1.2.2.1.2. 2- Les politiques d'abaissement et de
stabilisation des prix alimentaires
Comme leurs noms l'indiquent ces politiques visent un
abaissement des prix alimentaires pour rendre la nourriture accessible aux
populations. Les gouvernements de certains pays comme l'Inde, le Bengladesh
pour stabiliser les prix ou les empêcher d'atteindre un certain plafond
jugé critique pour les pauvres, ont mis en place des politiques de
stockage publique. Ces politiques obéissent au schéma suivant:
d'abord les organismes publics achètent les produits alimentaires chez
les producteurs locaux à des prix d'intervention ou à
l'étranger; ensuite ils procèdent au stockage dans des greniers
publics et enfin quand le niveau des prix deviendra trop élevé
pour les populations défavorisées, les autorités publiques
procèdent au déstockage des aliments pour les mettre sur le
marché et les vendre à un prix relativement modéré
parfois même inférieur au prix de revient compte tenu des
coûts de stockage et de transport.
Pour abaisser les prix alimentaires tout en les stabilisant de
nombreux gouvernements ont fait de sorte que le prix au producteur des aliments
soient réduits. Pour cela les méthodes suivants ont
été combiné suivant les pays et les époques: prise
en charge par l'Etat de tout ou partie du commerce intérieur des vivres,
bas prix d'achat au producteur, fixation de plafond de prix au producteur pour
le commerce non étatique, importation par l'Etat de vivres à bas
prix tout en surévaluant la monnaie nationale, taxation des exportations
agricoles...
La critique dans de tels cas est que c'est la paysannerie qui
supporte le poids des politiques. En effet ces prix agricoles sont
défavorables aux producteurs et aux autres ruraux mais sont favorables
aux consommateurs urbains. C'est pourquoi ce phénomène a
été qualifié de «biais urbains» (Lipton
1977).
De nombreux pays utilisent aussi leurs ressources
budgétaires pour financer des subventions à la consommation de
certains produits alimentaires. Ces subventions peuvent
bénéficier à l'ensemble de la population ou être
réservées aux plus vulnérables. L'Etat peut aussi ne
subventionner que des biens inférieurs ou se limiter à certaines
zones défavorisées.
Il existe d'autres politiques d'accroissement des
capacités d'accès à la nourriture: comme les politiques
salariales (imposition du salaire minimum), la création d'emploi ou la
redistribution des richesses (impôts, allocations revenu minimum...). Ces
politiques ont été mises en place aussi bien dans les pays en
développement que dans les pays développés à
l'exception des Etats-Unis et sont censées garantir l'accès
à une alimentation correcte entre autres besoins essentiels.
Les politiques de réformes agraires qui consistent en
une distribution des terres plus égalitaire socialement sont aussi un
bon moyen d'augmenter la capacité d'accès à une
alimentation saine aux paysans les plus mal lotis mais aussi d'augmenter le
ratio des disponibilités alimentaires/population.
Il faut reconnaître que les moyens d'assurer la
couverture des besoins alimentaires sont multiples et varient suivant les
contextes et les lieux. Toutefois le concept de sécurité
alimentaireparait plus complète car comprenant à la fois la
politique d'augmentation de la disponibilité alimentaire, et la
politique d'abaissement et de stabilisation des prix alimentaires.
1.2.2.2- Cadre théorique d'analyse de politique
agricole
Dans cette partie, nous allons aborder (i) les raisons
spécifiques qui justifient ou expliquent l'intervention sur les
marchés agricoles, (ii) des arguments qui militent en faveur d'une
libéralisation des échanges, compte tenu des
spécificités de l'agriculture et enfin (iii) la thèse
néoclassique sur les subventions d'intrants agricoles.
1.2.2.2.1- Les arguments en faveur d'une
libéralisation des échanges agricoles
Le premier argument renvoie à la loi des coûts
comparatifs.Depuis Ricardo, on sait que les pays ont intérêt
à se spécialiser dans les productions pour lesquelles ils ont un
avantage comparatif, et c'est cette loi (ou sa version néo-classique
dans le théorème d'Heckscher-Ohlin) qui fonde le bienfait du
libre-échange. Dans l'agriculture, cette loi peut avoir plus
d'importance que dans d'autres secteurs dans la mesure où les
coûts de production dépendent de variables exogènes
à l'économie, et en particulier des conditions climatiques. Si
deux pays ont le même niveau de développement, des
rémunérations identiques pour les facteurs de production et un
même stock de connaissances, il est indifférent, sur le plan
économique, que la production de voitures ou d'ordinateurs se fasse dans
l'un ou l'autre pays. Il n'en est pas de même pour le blé ou la
banane, les sols et le climat jouant, dans ce cas, un rôle essentiel. De
ce point de vue, la loi des coûts comparatifs joue donc pleinement pour
l'agriculture, et le soutien à la production de certains produits dans
certains pays, tels que le blé en Arabie Saoudite ou même le riz
au Japon par exemple, s'est traduit par des dépenses exorbitantes dont
l'emploi à d'autres activités aurait pu générer des
gains d'efficacité considérables (Petit, 2002).
Le deuxième argument est relatif à la
sécurité alimentaire mondiale. Dans chaque pays, la production
agricole est fluctuante d'une année à l'autre compte tenu des
conditions climatiques. Toutefois, la probabilité pour que des
conditions climatiques identiques soient observées pour tous les pays
est très faible. Ainsi, au niveau mondial, les pertes de production des
uns peuvent être compensées par les gains des autres. De ce point
de vue aussi, la libéralisation des échanges peut être
particulièrement bénéfique dans l'agriculture,
l'élargissement des marchés étant un facteur de leur
stabilité.
1.2.2.2.2- Les raisons en faveur de
l'interventionnisme
Pour (Bureau et al., 2002), les raisons
invoquées dans les théories actuelles d'économie
internationale pour justifier les politiques protectionnistes ou
interventionnistes ne s'appliquent pas, enrevanche, nécessairement au
secteur agricole.
o Les secteurs agricoles ne constituent pas en effet, du moins
dans les pays développés, ce que l'on appelle des industries
« naissantes », dont les avantages comparatifs ne peuvent se
révéler qu'ex post et dont il faut favoriser les conditions de
développement, en les soutenant et/ou en les protégeant de la
concurrence extérieure.
o Ils ne constituent pas non plus des marchés
émergents dont la croissance dépend de la réalisation
d'économies d'échelle, ce qui justifie sur le plan
stratégique, pour chaque pays, de soutenir les entreprises nationales.Il
y a donc des raisons spécifiques qui expliquent les interventions
nombreuses dans l'agriculture.
1.2.2.2.3- La thèse néoclassique sur les
subventions d'intrants agricoles.
Selon la théorie néoclassique, toute distorsion
sur les prix, comme celle introduite par une subvention, a pour effet de faire
éloigner de l'allocation optimale des facteurs de production. C'est ce
fondement qui est à la base de la recommandation de
réduction-suppression de la subvention des intrants agricoles contenue
dans la politique de Price-Pull. Ce fondement a semblé valable pour le
cas spécifique des intrants agricoles destinés aux petits
paysans, avec l'énoncé de l'hypothèse de
rationalité contenue dans le "Poor but efficient" de Schultz. En
montrant que cette hypothèse de Schultz n'est pas vérifiée
pour les "intrants modernes", Fontaine (1991) indique aussi que la conclusion
sur l'effet négatif de la subvention des intrants sur l'allocation des
facteurs de production nécessite également d'être revue.
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