Le crime d'agression en droit international pénal, portée et enjeux de la révision de Kampala( Télécharger le fichier original )par Olivier Lungwe Fataki Université Catholique de Bukavu - Licence 2016 |
§3. Les immunités des dirigeants feraient-elles obstacle à la répression du crime d'agression ?Plus haut, a-t-on montré qu'avec la consécration dans le Statut de Rome du « défaut de pertinence de la qualité officielle », l'on ne peut plus se prévaloir de sa qualité de dirigeant à n'importe quel titre pour se soustraire des poursuites mues par la CPI. Cependant, l'on ne doit pas également perdre de vue que cette Cour fonctionne selon le principe de complémentarité, qui veut que la CPI agisse complémentairement, sous réserve du principe de non bis in idem, aux juridictions nationales qui sont censées connaitre en premier les crimes internationaux commis sur leur territoire. En effet, bien que les crimes inscrits dans le Statut de Rome soient considérés comme les plus graves et touchant l'ensemble de la communauté internationale, force est de constater que contrairement à la CPI, devant laquelle les immunités n'ont aucune valeur et ainsi ne constituent pas un obstacle aux poursuites et à la répression de toute personne coupable, la justice pénale nationale peut encore buter très souvent sur le mur infranchissable des immunités, tant il est vrai que le crime d'agression est un crime des dirigeants. L'intérêt de cette question réside dans le fait que le crime d'agression, selon le Statut de Rome, ne peut être commis que par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État qui peut s'agir des dirigeants ou hautes personnalités de l'État, et des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques. Lorsqu'il faut poursuivre ces personnes, surtout les dirigeants, devant les juridictions pénales internes comme étrangères, leurs immunités ne vont pas sans entraver l'action de la justice. Encore plus, sur le plan international pénal, le succès de l'action de la CPI dépend beaucoup plus de la coopération des Etats parties au Statut de Rome avec la Cour. Mais, la pratique surtout en Afrique, ne semble toujours pas s'inscrire dans cette logique. Il sied alors de revenir sur le cas des immunités en droit interne (a) et sur la réalité au vu de l'obligation de coopérer avec la CPI en droit international pénal (b). a. Les immunités pénales en droit interneLe droit interne de beaucoup d'Etats consacre encore des immunités les plus étendues à la fois au profit du Président de la République, des membres du Gouvernement et des parlementaires228(*). A titre d'exemple, donnons le cas de la RDC en ce qui concerne le Président de la République ; il ne peut répondre des actes commis dans le cadre ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, d'atteinte à l'honneur ou à la probité et des délits d'initiés229(*) punis notamment de la déchéance de ses fonctions230(*). Le quorum requis pour la décision des poursuites à sa charge et sa mise en accusation devant la Cour constitutionnelle est de deux tiers des membres de l'Assemblée nationale et du Sénat composant le Congrès231(*). En ce qui concerne les infractions commises en dehors de l'exercice de ses fonctions, les poursuites sont suspendues jusqu'à l'expiration de son mandat232(*). Ces dispositions constitutionnelles s'appliquent également au Premier ministre, à cette seule différence qu'aux infractions commises à l'occasion ou dans l'exercice de ses fonctions dont celui-ci peut être appelé à répondre s'ajoute l'outrage au Parlement233(*). De manière générale, la règle de l'immunité de juridiction pénale des chefs d'État, des dirigeants et autres hautes personnalités, sur le terrain des immunités ratione personae, a été réaffirmée par la CIJ dans l'affaire ayant opposé la RDC à la Belgique à l'occasion de laquelle, il a été fixé l'état du droit international sur la question de l'immunité pénale et de l'inviolabilité d'un ministre des affaires étrangères. Dans cette affaire, les autorités judiciaires belges avaient émis en avril 2000, un mandat d'arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité à l'encontre de Monsieur Yerodia Ndombasi, à l'époque ministre des affaires étrangères de la RDC. C'est ainsi que cette dernière va s'adresser à la CIJ en la priant de juger qu'en émettant un mandat d'arrêt international contre son ministre des affaires étrangères, la Belgique a violé le droit international, l'immunité pénale et l'inviolabilité de son ministre des affaires étrangères234(*). Se prononçant sur la question, la Cour avait dit « ... qu'il est clairement établi en droit international que, de même que les agents diplomatiques et consulaires, certaines personnes occupant un rang élevé dans l'État, telles que le chef de l'État, le chef du gouvernement ou le ministre des affaires étrangères, jouissent dans les autres États d'immunités de juridiction, tant civiles que pénales... »235(*). Par conséquent, a noté la Cour in casu, les immunités résultant du droit international coutumier sont opposables devant les tribunaux d'un État étranger, même lorsque ces tribunaux exercent une telle compétence sur la base des conventions internationales tendant à la prévention et à la répression de certains crimes graves qui mettent à la charge des États des obligations de poursuite ou d'extradition et leur font obligation d'étendre leur compétence juridictionnelle236(*). Cette limitation du droit à la répression des hauts dirigeants en droit interne peut s`étendre sur le plan international, aux actions initiées par la CPI contre la personne des dirigeants étatiques suite au refus des Etats de coopérer avec cette Cour. * 228D. FATAKI et Alii, RDC : Un Etat de droit en pointillé, Essai d'évaluation des efforts en vue de l'instauration de l'Etat de droit et perspectives d'avenir, Une étude d'AfriMAP et de l'Open Society Initiative for SouthernAfrica, juillet 2013, p. 47. Disponible en ligne sur http://www.osisa.org/sites/default/files/rdc_justice_et_etat_de_droit_19jun0930.pdf Visité le 20 mai 2016. * 229 Article 164 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour. in JORDC, Numéro spécial, Kinshasa, le 5 février 2011. * 230 Article 167, alinéa 1 de la Constitution de la RDC. Déjà citée. * 231 Article 166, alinéa 1 de la Constitution de la RDC. Déjà citée. * 232 Article 167, alinéa 2 de la Constitution de la RDC. Déjà citée. * 233 Article 165 de la Constitution de la RDC. Déjà citée. * 234M. CIFENDE, Op., cit., p. 153. * 235 CIJ, RDC c. Belgique, § 51. Déjà cité. * 236Idem., § 59. |
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