Les prélèvements sociaux et l'aide sociale
correspondent à un investissement dans le capital humain, dont tous les
ménages et toutes les entreprises profitent (amélioration de la
productivité de la main d'oeuvre grâce à la formation, la
santé, etc.).
A : Les dépenses de protection sociale
comme un investissement productif
Dans la théorie du capital humain, l'état de
santé de chaque individu est envisagé comme un stock
c'est-à-dire, comme un capital santé dont la contribution
productive se fait sous forme de flux de services de bonne santé. Les
dépenses de santé à travers l'assurance maladie sont un
facteur d'efficacité qui élève la productivité
(Grossman, 1972). Les dépenses de santé ou de vieillesse
constituent une part très importante des dépenses de protection
sociale. L'objet principal de telles dépenses n'est pas d'être
« productives », même si elles peuvent avoir une influence sur
les capacités productives des travailleurs, c'est ce qui explique le
fait que les entreprises acceptent à l'origine de participer à
leur financement, notamment en ce qui concerne les dépenses de
santé avec la médecine du travail (Tabellini, 2000).
Les dépenses de santé contribuent à la
productivité de la population active à long terme et il existe
une forte présomption à cet effet (Harris, 2002). Cela dit, il
reste la question de l'ordre de grandeur des répercussions des
dépenses de santé sur la productivité des entreprises dans
un pays en développement tel que le Cameroun. Une évaluation
raisonnée des effets de la protection sociale sur la productivité
du travail doit nécessairement aborder cette question d'importance
capitale.
24
B : Une esquisse de la perception du lien
santé-productivité du travail par certains théoriciens
Cette présentation contribue à mettre en
exergue les liens entre les dépenses de santé des systèmes
de sécurité sociale et la productivité. Il ressort de la
littérature que les liens entre la santé et la
productivité ont fait l'objet de recherches de la part des
économistes et demeurent fortement controversés. Toutefois, on
trouve relativement peu d'études semblables à celles
consacrées au secteur de l'éducation que l'on pourrait citer en
référence. Les données disponibles font habituellement
ressortir une corrélation entre le revenu et la santé, mais sans
préciser le sens dominant de la causalité (Piateki et Ulmann,
1996). Dans le cas des pays en développement, il y a des meilleures
preuves d'un lien entre la santé et la productivité des
travailleurs. Une approche qui permet d'identifier l'effet de la santé
sur la productivité est celle des coûts de la maladie mesurant le
temps de travail perdu, qui est une perte de productivité manifeste
(Majnoni d'Intignano et Ulmann, 2001). En haussant la probabilité que
les travailleurs occupent leur emploi sans interruption pendant de longues
périodes, la santé contribue à inciter les entreprises
à investir dans du matériel nouveau et dans la formation sur le
tas (Banque mondiale, 1999).
Ulmann (1999) prolonge l'analyse de Lucas (1988) en
incorporant la santé en tant que déterminant de la qualité
du capital humain et donc comme un facteur de la fonction de production
globale, car les travailleurs en bonne santé sont non seulement plus
productifs parce qu'ils sont plus présent au travail mais aussi parce
qu'ils sont plus efficaces dans leur tâche. De même, Van Zon et
Muysken (1997) trouvent qu'une bonne santé est un pré-requis pour
toute croissance économique compte tenu de son influence sur la
productivité du travail par exemple.
II-1-2 : Protection sociale comme couverture des
risques de la maladie et productivité
L'assurance maladie offre une garantie médicale aux
agents économiques en mutualisant les risques encourus par ces derniers
dans leurs lieux de travail. Ainsi cette assurance présente certaines
limites qui peuvent être mises en exergue d'une part et a trait à
des problèmes d'information d'autre part. Dans ce qui suit, on analysera
tout d'abord l'effet de l'assurance maladie publique sur la productivité
(A) et ensuite, la valeur de la vie humaine et le coût social des risques
(B).
25
A : L'assurance maladie publique et
productivité
L'assurance maladie est un élément de
protection sociale, elle est le reflet de la sécurité sanitaire
des travailleurs. L'assurance maladie publique se présente sous deux
formes différentes :
· En premier lieu l'assurance maladie publique
universelle des régimes de Beveridge qui couvre toute la population de
la nation, d'une région ou d'une commune, comme au Royaume-Uni, en
Italie, en Espagne, etc. Elle met en oeuvre la solidarité nationale ou
locale entre les citoyens et entre les générations selon le
principe égalitariste et compense les inégalités
indépendantes de la volonté individuelle selon les principes de
justice proposés par Rawls. Elle permet en particulier l'accès
des pauvres et des non-assurables à une couverture maladie égale
à celle de l'ensemble de la population. Ainsi, la productivité de
ces catégories se trouve améliorée parce que cette
couverture maladie leur assure un capital santé adéquat, qui est
corrélé positivement d'après la théorie du capital
humain à l'efficacité du travail (Grossman, 1972).
· En second lieu, on trouve les « filets de
sécurité » publics nécessaires pour suppléer
aux défaillances du marché et aux inégalités dans
les pays où domine l'assurance privée ou sociale. Il ne s'agit
plus ici d'assurance, mais de solidarité21 ou d'assistance.
Cette couverture est financée par une cotisation obligatoire sur
l'ensemble des revenus et les prestations, définies par l'Etat, sont
servies par des assurances privées, en général celles qui
assurent la couverture pour les soins courants.
L'assurance maladie permet aux individus de se
protéger des aléas qui peuvent
subvenir durant leur période d'activité, de ce
fait, elle contribue à réduire les pertes de productivité
dues aux accidents de travail, aux invalidités et à la maladie.
Car les maladies et accidents de travail que sont victimes les travailleurs
amenuisent leur force de travail et partant réduisent leur niveau de
productivité.
B : Approches d'évaluation des
coûts de la maladie
Une manière d'analyser les liens entre la santé
et la productivité consiste à évaluer les coûts de
la maladie. On peut évaluer les coûts de la maladie selon une
approche basée sur la valeur de la vie humaine ou le coût social
des risques.
La valeur de la vie humaine : Ici,
on évalue tous les éléments contribuant à la valeur
individuelle et sociale d'une vie humaine ainsi que les coûts
provoqués par la mort, dans un
21 A l'instar du système camerounais de
protection sociale à voir au prochain chapitre.
26
groupe de travail donné. La valeur économique se
mesure à la capacité de production potentielle d'un travailleur.
Certains auteurs, comme Le Net (1994), l'évaluent en brut, par la somme
actualisée des gains potentiels au moment de la mort. Ces gains,
censés refléter la productivité individuelle du travail,
différent selon la qualification et le sexe et décroissent avec
l'âge.
Par exemple, pour évaluer les pertes de production
liées aux accidents de travail, dues au Sida, on prendra un salaire
supérieur à la moyenne car les victimes appartiennent aux
catégories élevées et sont majoritairement les hommes. Les
coûts provoqués par une maladie ou la perte d'une vie sont des
coûts directs et indirects de soins. Ils se mesurent comme dans les
études coût/efficacité : coûts des soins en ville et
à l'hôpital, estimé au prix réel. En fin, les pertes
effectives peuvent être évaluées en recensant les
indemnités versées par la firme au titre de préjudice
moral aux blessés, selon leur taux d'invalidité, ou aux familles,
en cas de décès. Cette approche est donc fondée sur le
capital humain.
Le coût social des risques: Il
peut être intéressant d'estimer les charges financières et
sociales liées à une maladie particulière. Cette approche
permet aussi d'évaluer la rentabilité sociale potentielle des
actions de prévention. Elle consiste à évaluer tous les
coûts induits par une maladie ou un comportement à risque. On
suivra ici l'étude de Kopp et Fenoglio (2000)22. On recense
les pertes de productivité du travail dues à la maladie ou
à la mort précoce dans les entreprises (estimées par les
pertes de revenus des intéressés et l'effet de
l'absentéisme dans les entreprises), celui des soins apportés aux
malades enfin, les dépenses de prévention ou de recherche et les
charges liées à l'application des lois en ces matières.
II-2 : Présentation d'un modèle
intégrant la santé comme facteur endogène dans l'ensemble
des comportements de production : le modèle d'investissement de
Grossman
Grossman (1972)23 a présenté la
santé comme un bien durable et l'a intégrée dans un
modèle général de consommation et d'investissement des
ménages. Tout agent économique hérite d'un capital humain,
qui tend à se déprécier à un rythme croissant avec
l'âge. Grossman considère l'individu en partie comme un producteur
de sa propre santé. Il optimise son revenu et sa consommation au cours
de sa vie en lutant contre cette dépréciation, par ses
études
22 Kopp et Fenoglio (2000), Le coût social des
drogues licites (alcool et tabac) et illicites en France, Observatoire des
drogues et des toxicomanies.
23 Grossman (1972), op.cit ; Grossman (1998) «on
the optimal length of life», Journal of Health Economics,
vol..17.
27
préventives, en y consacrant du temps et en utilisant
des soins. Cette optimisation se fait sous contrainte de temps et de revenu. On
considère ici la santé comme un investissement permettant
d'augmenter la capacité production et de gain (II-2-1). La demande de
santé est alors une demande dérivée de la demande
générale de bien-être, ceci peut être
appréhendé dans la formalisation du modèle (II-2-2).
II-2-1 : La santé comme un investissement
permettant d'augmenter la capacité de production et de gain
L'approche de Grossman fait de la santé un facteur
endogène dans l'ensemble des comportements de production. Par la suite,
de nombreux auteurs se sont attachés à intégrer la
dépréciation du capital santé avec l'âge et la
gestion de leur cycle de vie par les agents économiques. Le nombre
d'années restant à travailler, la qualité de ces
années jusqu'à l'âge de la mort peut être l'objet
d'un choix rationnel et d'une action volontaire. Des auteurs comme Ried (1998)
ont montré que le choix d'un terme optimal à la vie peut
être fait au début de la vie, et résulter d'un processus
d'optimisation24. La santé est une composante de la
productivité du travail au même titre que l'éducation. La
santé peut être interprétée dans les modèles
généraux de demande de bien-être de l'individu. Il en
découle une forme particulière de demande de santé et donc
de sécurité et de soins. Donc, la demande de santé peut
être considérée comme une composante de la demande de
sécurité (Menahen, 1998)25
L'analyse de Grossman, vieille de plus de trente
années, apparaît aujourd'hui prémonitoire et illustre bien
la présentation du capital santé individuel et de son effet sur
la productivité du travail. L'évolution des
sociétés modernes permet en effet d'y distinguer deux groupes :
un groupe de personnes intégrées et un groupe des exclus, dont
l'attitude à l'égard de la santé diffère. Les
membres du premier groupe sont intégrés en ce sens qu'ils sont
majoritairement éduqués, ont une stratégie professionnelle
et construisent une famille. Les membres du second groupe vivant en marge de la
logique de transformation de la société liée à la
croissance économique.
Les premiers ont une attitude positive et une
stratégie volontaire à l'égard de leur santé au
cours de leur cycle de vie. Ils construisent sciemment leur capital humain en
s'informant sur les moyens de le protéger et de l'augmenter ou d'en
retarder la détérioration. Le lien entre
24 Ried (1998) «Comparative dynamic analysis of
the full Grossman model», Journal of Health Economics, vol.
17.
25 Menahen (1998) « Demande de soins, demande de
santé, demande de sécurité : trois modèles pour la
santé en économie», Cahier du Gratice, n°15,
Université Paris XII, décembre.
28
leur capacité de travail te leur santé est
évident puisque leur revenu, supérieur aux minima
sociaux, diminue lorsqu'une maladie les oblige à ralentir leur
rythme de travail ou à renoncer à travailler.
Le second groupe de la population est constitué de
personnes vivant essentiellement des prestations sociales (revenus minima et
allocation logement) ou dont le revenu d'activité est proche et de
jeunes hommes peu qualifiés ayant de médiocres perspectives
professionnelles.