En présentant une évaluation des travaux
publiés, Temple (1999) fait preuve d'un optimisme prudent. On
résume le tableau qui ressort des modèles empiriques modernes de
la croissance en disant qu'ils comportent trois étapes : les analyses de
forme réduite (A), puis les modèles structurels de la croissance,
avec et sans dynamique transitoire explicite (B).
A : Les travaux publiés reposant sur une
analyse transversale de forme réduite
Dans les travaux publiés qui reposent sur une analyse
transversale de forme réduite, on s'entend généralement
pour dire que l'équation de croissance renferme relativement peu de
60
variables statistiquement robustes37.
L'équation de croissance fait voir la croissance moyenne de la
productivité du travail comme variable dépendante et un ensemble
de variables explicatives possibles du côté droit. Les variables
utiles sont notamment :
· le niveau de revenu au début de la période
;
· les ratios d'investissement au PIB ;
· les niveaux de scolarité ;
· la croissance de la population ;
· les indicateurs de l'ouverture au commerce ou à
l'investissement étranger direct
(IED).
Temple (1999) passe en revue cette documentation et note
qu'en raison de l'absence d'une structure théorique explicite, on a fait
l'essai d'un très grand nombre de variables; ce courant de la
documentation souffre manifestement d'un problème de surexploitation des
données. Cela dit, les analyses de régression publiées sur
la croissance ont exercé une très grande influence, quoique
davantage sur les questions touchant aux pays en développement que sur
celles propres aux pays avancés. Les premiers travaux ont aussi
démontré qu'un certain nombre de variables ne constituaient pas
de bons facteurs explicatifs de la croissance. Parmi celles-ci, il y a la
politique budgétaire, les mesures de la R-D et diverses variables de
nature politique et juridique.
B : Modèle structurel de la
croissance
Un important modèle structurel de la croissance est la
version du modèle de Solow enrichi par Mankiw, Romer et Weil (1992). Ce
modèle correspond au modèle néoclassique de base de la
croissance mis au point par Solow, avec épargne exogène se
transformant en capital matériel, auquel vient s'ajouter un
troisième facteur de production -- le capital humain. Le modèle
repose sur une fonction de production agrégée comportant des
rendements d'échelle constants. L'application empirique du modèle
suppose l'imposition d'une contrainte d'état stationnaire, par laquelle
les pays demeurent sur un sentier de croissance stable à long terme
durant toute la période étudiée. Dans cette
hypothèse, les taux de croissance (qui sont la variable
dépendante) peuvent être exprimés sans
référence aux stocks de capital matériel ou humain, mais
comme fonction du taux d'épargne, d'une variable de scolarité et
d'un niveau initial de productivité que l'on suppose être
réparti de façon aléatoire entre les pays. Les tentatives
faites pour ajuster ce modèle aux données transversales de l'OCDE
n'ont pas eu
37 Voir Levine et Renelt (1992) et Sala-i-Martin (1997).
61
beaucoup de succès. Cela peut être
considéré soit comme une réfutation de la théorie
soit comme un reflet du fait que la contrainte d'état stationnaire est
trop rigoureuse.
Dans les années 90, on a vu apparaître divers
modèles de croissance structurelle intégrant le capital humain et
délaissant l'hypothèse selon laquelle la croissance
observée se situe sur une courbe d'état stationnaire. En
intégrant des effets dynamiques transitoires qui permettent de faire
varier les taux de croissance théoriques dans le temps, ces
modèles ont obtenu un peu plus de succès.
Barro (1991) a été l'un des pionniers dans ce
domaine, mais de nombreuses améliorations aux niveaux de la
méthodologie, de la mesure et de l'analyse économétrique
ont été apportées au cours de la dernière
décennie. Une bonne revue technique de cette documentation est
présentée dans Durlauf et Quah (1999), que Barro et Sala-i-Martin
(1995) ont repris en partie dans leur manuel. Ce qui est plus significatif, les
versions les plus récentes de ces modèles utilisent des
données par panel, qui exploitent à la fois la variation
transversale et la variation temporelle, et sont estimées à
l'aide d'une variété de méthodes d'analyse dynamique par
panel.
Au début, on s'est interrogé sur la
façon dont les variables de capital humain devraient entrer dans ces
modèles et certains des premiers résultats obtenus pour le
capital humain étaient assez étranges. Cependant, ce paradoxe du
capital humain a, pour l'essentiel, été résolu
récemment. Nombre de ces estimations appuient l'hypothèse de
rendements presque non décroissants sur une mesure étendue du
capital humain et du capital non humain. Des rendements non décroissants
supposent qu'un accroissement du capital (largement défini) par
travailleur engendre une augmentation marginale de la production qui ne diminue
pas à mesure que du capital supplémentaire est ajouté.
Cela se rapproche beaucoup d'une corroboration de ce que l'on appelle la
croissance endogène à long terme.
La notion de croissance endogène, telle
qu'élaborée par Romer (1990) et Lucas (1988), intervient
lorsqu'une variable de politique, par exemple le taux d'épargne, peut
avoir un effet permanent sur le taux de croissance plutôt que
sur le niveau du revenu à long terme. Les rendements non
décroissants sur le capital sont une condition suffisante pour qu'un
modèle engendre une croissance endogène. Un modèle montre
une croissance exogène lorsque les variables de politique n'ont qu'un
effet transitoire sur le taux de croissance, bien qu'elles puissent influer sur
le niveau de revenu à l'état stationnaire.