Quand on sait que d'après la théorie de la
croissance, l'épargne et l'investissement sont considérés
comme les moteurs de la croissance économique, la protection sociale
réduirait le niveau d'épargne au sein d'une économie.
Si les régimes de prestations sociales
découragent les individus de travailler, l'offre de travail dans
l'économie diminue, ce qui réduit le niveau de la production et
dans certains cas, de l'investissement et, de ce fait, de la croissance. Quand
le système de protection sociale
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décourage la population d'épargner, à
moins que l'épargne publique n'augmente d'un montant équivalent,
le capital disponible pour réinvestir diminue. En outre, les
impôts qu'il faut prélever pour pouvoir financer la protection
sociale peuvent rendre l'innovation moins rentable (Mirrless, 1971)
Une large tradition d'économistes met l'accent sur la
dynamique inégalitaire dans une économie. En effet, les hauts
revenus ont une propension marginale à épargner que les bas
revenus. Lorsque leur revenu augmente, ils consacrent à l'épargne
une part plus importante de ce supplément de revenu que les titulaires
des bas revenus qui le consomment davantage. Or, si le taux de croissance d'une
économie dépend de son niveau d'épargne nationale, les
économies les plus inégalitaires où les taux
d'épargne sont les plus élevés connaîtraient une
croissance plus dynamique (Kaldor, 1956). On considère souvent comme une
évidence qu'un système de retraite financé par la
capitalisation favoriserait davantage l'accroissement du niveau de
l'épargne, et donc du taux de croissance du PIB, qu'un système
reposant su la répartition. En effet, dans le cadre de la
répartition, les agents actifs anticipent le bénéfice
d'une pension garantie quand viendra l'âge de la retraite. La
répartition rend donc négligeable la constitution d'une
épargne retraite en période d'activité. A l'inverse, la
capitalisation constitue une incitation forte à l'épargne pour
les ménages actifs, soucieux de se garantir une retraite future.
Bien que la protection sociale ait des effets négatifs
sur la croissance économique comme l'affirme certaines théories,
elle contribuerait aussi à la croissance dans une certaine mesure.
La protection sociale n'est pas seulement un coût, elle
produit aussi des services dont l'impact sur l'économie est positif en
termes de croissance et de productivité. Il s'agira ici de
présenter la protection sociale comme un instrument de stabilisation
macroéconomique et d'ajustement structurel (I-2-1) et on fera une
analyse intergénérationnelle de la protection sociale et de ses
effets sur le bien-être social des populations (I-2-2).
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II-2-1 : La protection sociale comme instrument de
stabilisation macroéconomique et facilitateur des ajustements
structurels
La protection sociale des populations a des effets
remarqués sur les indicateurs de stabilisation macroéconomique
d'un pays (A) et sur les mécanismes d'ajustement structurel (B) qui
induisent les perspectives d'une croissance économique.
A : Instrument de stabilisation
macroéconomique
La protection sociale est un soutien de la demande en
période de ralentissement économique. Cet argument classique et
keynésien conserve toute sa pertinence de nos jours. Dés les
trente glorieuses, la protection sociale a été principalement
analysée en Europe comme un instrument contra-cyclique
c'est-à-dire atténuant les effets d'un ralentissement
économique. Les dépenses de protection sociale ont, en effet,
été utilisées comme des instruments de régulation
macroéconomique, contribuant au soutien de la demande. Certes, cet
argument keynésien a été contesté, la fonction de
« stabilisateur automatique » de la protection sociale a
été présentée comme inefficace dans le contexte
d'ouverture des économies nationales. En effet, il est plus
évident que la consommation intérieure d'un pays, soutenue par
des dépenses de protection sociale, se rapporte sur la production
nationale et ne privilégie pas des produits d'importation moins
coûteux.
Les dépenses de protection sociale ne soutiendraient
plus l'activité dans le pays. Par ailleurs, la protection sociale peut
être appréhendée comme un instrument facilitateur des
ajustements structurels.
B : Un instrument facilitateur des ajustements
structurels
Les filets de sécurité sociale servent à
(i) promouvoir l'investissement des particuliers dans leur capital
humain et (ii) à réduire l'opposition politique aux
mesures d'ajustement et aux politiques propices à la croissance. En
effet, la protection sociale pourrait faciliter l'ajustement structurel dans la
mesure où une société est amenée à faire des
choix politiques et économiques « difficiles », ainsi, elle
évitera qu'une catégorie ou une classe sociale ne reste à
ce point à la traîne du mouvement général, qu'il lui
soit impossible de participer à l'économie marchand, occasionnant
à cet effet une perte permanente de production
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potentielle : le fait de mettre les enfants à l'abri de
la pauvreté peut avoir des avantages à long terme sur leur
développement social et intellectuel, etc.
Certains auteurs à l'instar de Ahmad, Drèze et
Sen (1999), analysent la protection sociale comme une « aide à
l'adaptation technologique ». La protection sociale en réduisant
les inégalités et en visant l'inclusion notamment par le biais
des minima sociaux, est génératrice de la cohésion
sociale. Ce faisant, elle peut éviter l'accroissement des
dépenses moins productives à l'instar de celles relatives
à la sécurité des biens et des personnes (prisons,
gardiennage, surveillance,...) qui peuvent être perçues comme la
résultante d'une régulation sociale défaillante. Dans les
périodes d'ajustements structurels, cette cohésion sociale permet
à certaines catégories de la population d'être trop
rapidement et trop radicalement exclues du marché du travail, et de se
retrouver en marge de la société (CAE, 2001)
Le filet de sécurité offert par les
systèmes de protection sociale donne la possibilité aux
sociétés d'opérer des choix politiques et
économiques « difficiles » dont l'objectif est de favoriser la
transition des secteurs peu productifs vers des secteurs plus productifs. Sans
ce filet des ajustements structurels seraient moins acceptables socialement et
freinés ; ce qui à terme, diminuerait le potentiel de croissance
de certains pays.
II-2-2 : Approche intergénérationnelle
de la protection sociale et amélioration du bien-être
social
Les systèmes de protection sociale bien conçus
ont un impact positif sur les générations car ils permettent de
lier financièrement les diverses générations des
populations (A) et contribuent à améliorer le bien-être
social des individus (B).
A : Une réponse au « dilemme des
générations »
Dans un monde à générations
imbriquées, trois générations se côtoient : les
actifs, les jeunes et les personnes âgées, ces deux derniers
groupes ne produisent pas de richesse. Si l'on confiait au marché la
prise en charge des besoins de ces différents groupes, le système
ne serait pas efficient. Cet argument est valable pour les théoriciens
des défaillances du marché présenté ci-dessus. Un
système où chacun cotiserait pour lui seul (capitalisation)
conduirait à des effets pervers. Par exemple, les personnes actives aux
revenus les plus bas, sachant que nul ne peut financer leur retraite, seraient
prioritairement incitées à épargner pour se
prémunir
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du risque vieillesse ; ce qui réduirait d'autant leur
possibilité et leur désir d'investir dans le domaine de
l'éducation de leurs enfants. Cela diminuerait le potentiel d'offre de
travail.
A l'inverse, un système basé sur la
solidarité intergénérationnelle et sur
l'état-providence garantit que chaque génération rembourse
à l'âge actif l'éducation et la politique familiale dont
elle a bénéficié et reçoit, à la vieillesse,
les cotisations sociales qu'elle a payées à l'âge actif.
Cette conception de la protection sociale, assurant des transferts vers les
individus les plus jeunes et âgés, est non seulement juste d'un
point de vue éthique mais aussi efficace économiquement. Et ce
d'autant plus, qu'en solvabilisant des demandes de services en matière
d'enfance et de dépendance, les dépenses de protection sociale
contribuent à soutenir la dynamique économique de deux secteurs
qui constituent aussi des gisements d'emplois peu délocalisables.
B : L'amélioration du bien-être
social des populations
La protection sociale peut largement contribuer à
l'amélioration du bien-être social dans une économie
où il n'existe pas de marché de rentes (Hubbard et Judd, 1987) et
où les individus ont des difficultés à emprunter
(Imrohoroglu et al., 1995). Dans ce cas, la présence d'un
système de sécurité sociale est bonne pour le
bien-être social général dans la mesure où il
procure à la population une assurance contre le risque que le secteur
privé a du mal à mutualiser et à gérer - maladie
chômage, etc. En outre, cette assurance permet aux ménages de
prendre plus de risques dans leur comportement économique puisqu'elle
les garantit (dans une certaine mesure) en cas d'échec. Ahmad et
al.(1991) démontrent que l'assurance offerte par la protection sociale
peut favoriser la croissance dans le cas où il y a une relation positive
entre le degré de risque d'un projet et son taux de rendement attendu.
En réduisant l'incertitude affectant le revenu individuel au cours du
cycle de vie, la protection sociale constitue un facteur de
sécurité propice à désinhiber les individus face
aux risques et donc à les rendre plus entreprenants.
Pour des raisons économiques, comme on a pu l'observer
en pratique, les agents économiques préfèrent avoir une
consommation régulière et donc, étaler l'utilisation
à cette fin de leurs revenus escomptés sur une période
prolongée, voire pendant le tout le cycle de leur vie (Besley, 1995 ;
Deaton, 1997). Parce que l'obtention des revenus est généralement
un phénomène stochastique et que, durant les périodes
caractérisées par des chocs négatifs, ou parce que
certains événements futurs sont relativement prévisibles
mais qu'il n'existe pas de moyens appropriés de mettre en réserve
les revenus pour les transférer à une date future ; il est
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crucial d'avoir accès à des instruments de
protection des revenus, tels que des systèmes d'épargne et de
ponction sur l'épargne pour étaler la consommation dans le temps
et, aussi améliorer le bien-être social.