« Alors que l'égalité est bonne pour
la croissance- si elle est héritée du passé ou si elle
résulte de facteurs historiques ou exogènes - les politiques qui
visent à introduire davantage d'égalité sont mauvaises
pour la croissance» Rodrik (1998). Les enjeux liés aux
objectifs de réduction de la pauvreté ; de croissance
redistributive et du renforcement d'une économie basée sur la
sécurité et le développement humain place la
stratégie de protection sociale au coeur des politiques publiques. La
protection sociale et la croissance ont des liens théoriques et
empiriques évidents, dans la mesure où les systèmes de
protection sociale peuvent contribuer dans certaines conditions à
l'accroissement ou au ralentissement de la croissance dans un pays. Pour mieux
appréhender ces liens théoriques et empiriques il sera opportun
tout d'abord, d'analyser les mécanismes théoriques de
transmission des effets macroéconomiques de la protection sociale sur la
croissance (I), puis de présenter quelques résultats empiriques
issus des études précédentes (II).
SECTIONI: ANALYSE DES MECANISMES DE
TRANSMISSION DE L'INCIDENCE DE LA PROTECTION SOCIALE SUR LA
CROISSANCE
Les débats consacrés aux politiques de
protection sociale (ou, plus généralement, à
l'Etat-providence) ont traditionnellement revêtu la forme d'un simple
arbitrage entre égalité et efficacité ou entre
équité et croissance une fois définie la fonction de
protection sociale par rapport aux niveaux de revenu des individus. Ainsi, dans
certaines des études, les systèmes de protection sociale seraient
un obstacle à la croissance (I-1), tandis que d'autres présentent
leurs effets positifs (I-2).
Il existe une pléthore de théories qui
présentent l'impact négatif que peut avoir les systèmes de
protection sociale sur croissance économique d'un pays, mais compte tenu
de leurs exhaustivités on présentera dans cette sous-section
celles qui ont trait à l'effet sur l'emploi des non qualifiés et
relativement au coût du financement (I-1-1) et celles qui ont trait aux
effets sur l'épargne et l'investissement (I-1-2).
I-1-1 : La contrainte de financement et le rôle
de la protection sociale sur le marché du travail : effets sur
l'attractivité du territoire et chômage des travailleurs peu
qualifiés.
Le financement des systèmes de protection sociale
entraîne un alourdissement de la fiscalité qui a des effets sur
l'attractivité des investissements et la compétitivité
d'une économie (A), puis la hausse des salaires des travailleurs peu
qualifiés induite par la générosité des
systèmes de protection sociale entraîne une hausse du
chômage de cette catégorie de travailleurs (B).
A : Effets sur l'attractivité et la
compétitivité.
Les systèmes de protection sociale sont aujourd'hui
largement contestés car ils auraient un coût économique
élevé pour un rendement social assez faible.
La relation inverse entre prélèvement
obligatoire et attractivité du territoire remet indirectement en cause
les systèmes de protection sociale qui canalisent une part croissante
des prélèvements sociaux et fiscaux. L'attractivité du
territoire est de plus en plus souvent évoquée comme une
condition de développement économique dans un monde totalement
ouvert et caractérisé par une mobilité
élevée des biens, des hommes et des capitaux. La fiscalité
figure parmi les éléments d'attractivité d'un territoire
(Bassanini et Scarpeta, 2002). Une charge fiscale (impôts et cotisations
sociales) perçue comme trop élevée conduirait les agents
les plus dynamiques de la population à s'expatrier (évasion
fiscale et délocalisation) et découragerait les investisseurs
étrangers. Ainsi, les prélèvements obligatoires
grèveraient la compétitivité des entreprises en augmentant
leur coût de production.
Le mode de financement des systèmes de protection
sociale (cotisations sociales ou impôts) pénaliserait l'emploi en
alourdissant le coût du travail. Il est possible de mesurer le taux de
prélèvements obligatoire pesant sur le facteur « travail
» à travers la différence entre le coût total pour
l'employeur et ce que reçoit l'employé après
impôt/cotisations. Cet
53
indicateur dénommé « coin socio-fiscal
», est pertinent économiquement car il donne l'ampleur la
distorsion introduite sur le marché du travail par les
prélèvements fiscaux et sociaux. Un « coin socio-fiscal
» élevé peut entraîner une perte de
compétitivité dans un contexte de concurrence accrue avec les
pays où le facteur travail coûte peu. Cette perte de
compétitivité se traduirait par des délocalisations, des
licenciements et un accroissement du chômage. De plus, les cotisations
sociales patronales, assises sur le salaire brut et s'ajoutant à
celui-ci pousseraient les entreprises à remplacer in fine les
travailleurs par des machines, ce qui serait néfaste pour la croissance
car il y aurait une hausse vertigineuse du taux de chômage.
B : La protection sociale néfaste
à l'emploi des travailleurs peu qualifiés
Les travailleurs peu qualifiés sembleraient être
les plus exposés au chômage généré par le
mode de financement de la protection sociale. Or, en Afrique en
générale, et au Cameroun en particulier la structure de la
population active est encore constituée, pour une large part, des
personnes sans qualification ou à faible qualification. Les effets
distributifs de la protection sociale s'avèrent donc être
importants en termes de revenus, notamment pour les individus les plus
défavorisés. Mais, cette redistribution agit aussi sur le niveau
de l'emploi. Il est possible d'appréhender simplement cet aspect du
problème en supposant que les gains des chômeurs non
qualifiés sont indexés sur une moyenne des salaires de l'ensemble
de la population, tandis que les gains des chômeurs qualifiés ne
dépendent que du salaire des travailleurs qualifiés.
s
Zq=bWq et Z
N bW q W -
1 s
= avec 0 = s = 1
N
Dans cette expression, le paramètre b
s'interprète comme un indicateur du degré de
«générosité» globale de la protection sociale,
tandis que le paramètre s mesure le degré de
«distributivité»du système. Plus s est proche de
l'unité et plus la protection sociale devient redistributive.
Zq et ZN sont respectivement les gains des
chômeurs qualifies et chômeurs
non qualifies de la population, tandis que,
Wq et WN représentent les
salaires des qualifiés et
des non qualifiés respectivement.
Une meilleure protection sociale permet donc de limiter
l'accroissement des inégalités de revenus dû à la
modification de la structure de la demande de travail, mais elle influence
négativement l'emploi des non qualifiés. La déformation de
la demande de travail se répercute sur les taux de chômage au
détriment des travailleurs les moins qualifiés. La maîtrise
des inégalités par le biais de la protection sociale, en
exerçant une pression à la
54
hausse sur les salaires des non qualifiés, conduit
à un accroissement des inégalités en termes de taux de
chômage (Cahuc et Zylberberg, 1996).
L'analyse de l'incidence de l'indemnisation du chômage
sur le fonctionnement du marché du travail est un thème
récurrent. La générosité des allocations de
chômage découragerait l'effort de recherche d'un emploi. Plus
globalement, les prestations sociales, du type « revenu minimum »
freineraient l'activité. En effet, l'octroi de prestations sociales,
même d'un niveau insuffisant pour couvrir les besoins
élémentaires des allocataires, enfermeraient leurs
bénéficiaires dans des trappes à inactivité. Le
raisonnement traditionnel microéconomique repose sur l'idée que
l'individu n'augmente son offre de travail que si cela lui procure un gain
matériel. Or, l'existence des prélèvements sociaux-fiscaux
et les modalités des prestations sociales (aide sociale et allocation
chômage notamment) peuvent conduire à ce que la reprise du travail
représente un revenu faiblement supérieur aux avantages
découlant des prestations.
Selon la théorie du salaire de réserve (Lippman
et Mc Call, 1976), les allocations ont pour effet d'élever le salaire de
réserve, c'est-à-dire le salaire en deçà duquel un
chômeur refuserait de travailler. Ce faisant, les salaires ne peuvent
baisser en dessous des prestations de chômage, même pour les
travailleurs peu qualifiés. Dès lors, les modifications des
conditions qui nécessiteraient une baisse des salaires ne peut s'exercer
librement. Ceci se traduit par du chômage, les entreprises ne pouvant
embaucher au coût du travail en vigueur sur le marché du travail.
Cet effet de seuil, découragerait donc l'enfermement dans les trappes
à inactivité et dans le chômage de longue durée. Or,
ce chômage tend à devenir structurel, l'inemployabilité des
chômeurs augmentant avec l'allongement de la durée du
chômage.
Les systèmes de protection sociale diminueraient donc
l'offre de travail dans l'économie et freineraient la croissance
à long terme. De même, ils peuvent décourager
l'épargne et l'investissement.