CHAPITRE I : REVUE DE
LA LITTERATURE
I.1 REVUE THEORIQUE
Le principal objectif des IMF étant principalement un
objectif social, nous allons nous intéresser à cet aspect social
en mettant un accent particulier sur les deux points suivants :
- Impact de la microfinance dans la réduction de la
pauvreté
- Ainsi que sur les dérives et limites de la
microfinance.
I.1.1MICROFINANCE ET REDUCTION DE LA
PAUVRETE
La microfinance peut être définie comme la
fourniture de services de prêts, d'épargne, de transfert d'argent,
d'assurance et d'autres services financiers aux populations exclues du
système financier traditionnel. De manière
générale, la microfinance recouvre toutes les démarches
ayant pour but d'accroitre les accès ou d'améliorer la
qualité des services financiers auxquels les plus pauvres peuvent
recourir (SOULAMA, 2005).
A la lecture de la définition de la microfinance
ci-dessus, il apparait clairement que le souci devenir en aide aux plus pauvres
a présidé à la naissance de la microfinance. L'ambition
affichée de la microfinance dès l'origine était donc
d'aider les pauvres à sortir définitivement de la pauvreté
ou, a défaut, à améliorer significativement leurs
conditions de vie.
Puissant outil de développement avec le potentiel
d'atteindre les populations pauvres, d'élever leur niveau de vie, de
créer des emplois, de créer la demande pour de nouveaux biens et
services, et de contribuer à la croissance économique, la
microfinance joue un rôle d'instrument de réduction de la
vulnérabilité des pauvres aux chocs économiques.
A. HISTORIQUE
Les spécialistes considèrent que la microfinance
a démarré avec la Banque Grameen au Bangladesh, fondée par
le Professeur M. Yunus, directeur de la Faculté de sciences
économiques de l'Université de Chittagong. . Les théories
économiques qu'il enseignait lui parurent décalées face
à la réalité. Cela le poussa à rechercher une
solution concrète aux problèmes quotidiens des pauvres. Au
contact d'une artisane qui lui expliqua sa dépendance de l'usurier pour
acheter sa matière première, il se rendit compte que la
majorité du bénéfice de son travail allait à
l'usurier et non à elle-même ou à sa famille. Ainsi
décida-t-il de contacter les banques locales pour octroyer de petits
crédits. Suite à leur refus, il décida de prêter sur
ses propres économies. À l'échéance du
remboursement, l'ensemble des femmes se sont acquittées de leur dette.
Ainsi commençait ce qui est devenu la banque Grameen, desservant plus de
3,7 millions de clients. Ce développement de la microfinance ne doit pas
faire oublier que d'autres systèmes fondés sur le même
principe existent depuis longtemps en Europe. Suite à une augmentation
de la pauvreté au XVIème siècle, la
première « banque des pauvres » fut fondée en Hollande
en 1618. À partir du début du XVIIIème
siècle, certaines associations de bienfaisance
spécialisées en crédits s'ouvrent en Irlande. Ces
crédits sans intérêts, destinés aux pauvres,
utilisaient - comme la banque Grameen - la méthodologie groupale
utilisant la pression solidaire en cas de retard de paiement. Au
XIXème siècle, ces associations prennent le nom de
LoanFunds . Elles peuvent demander des intérêts et
récolter l'épargne. En 1840, on en dénombrait 300, qui
ensemble atteignaient 20 % des familles irlandaises. En 1843, le gouvernement
irlandais décide d'instaurer un taux d'intérêt plafond,
mettant en difficulté ces LoanFunds et entraînant,
à terme, leur disparition. En 1950, le dernier LoanFund est
liquidé. Sous l'influence irlandaise, la ville de Hambourg lance, en
1801, les premières caisses d'épargne sur le continent
européen. Ces caisses ne se limitaient pas seulement à
l'épargne, elles octroyaient aussi des crédits. Au milieu du
XIXème siècle, sous l'impulsion de
Frédéric Guillaume Raiffeisen, se développa peu à
peu l'idée de coopérative, pour parvenir à la
création de la première coopérative Raiffeisen, en 1864.
De 1885 à 1914, en Allemagne, le nombre de coopératives rurales
basées sur ce modèle est passé de 245 à plus de
15 000. Ce modèle correspond au prototype des
sociétés de crédit agricole, qui existent encore sous une
forme à peine remaniée. Suivant le Pr Seibel, 51,4 % de
l'ensemble des actifs bancaires en Allemagne sont aujourd'hui
gérés par d'anciennes institutions de microfinance. En Afrique,
en Asie et en Amérique latine aussi, la microfinance existe depuis
longtemps, via, entre autres, les tontines. Ce système traditionnel
regroupe des amis ou connaissances qui décident d'épargner
régulièrement un montant fixe. Chacun à son tour a alors
le droit d'utiliser cet argent.
B. LA MICROFINANCE DANS LE CONTEXTE DU
DEVELOPPEMENT
Au demeurant, la réalisation de l'ambition de la
microfinance est tributaire de plusieurs conditions parmi lesquelles les trois
suivantes paraissent fondamentales d'après Julie E. et All (2009):
Ø Il faut pouvoir identifier clairement les pauvres et
les plus pauvres
Ø Il faut pouvoir leur proposer des services
adaptés qui répondent effectivement à leurs besoins et qui
tiennent compte des contraintes qui sont les leurs. Autrement dit, les
montants, conditions et modalités de remboursement des crédits
doivent être suffisamment adaptes à la situation des pauvres pour
leur permettre d'en tirer le meilleur parti.
Ø il faut que les initiatives financées
génèrent suffisamment de valeur ajoutée pour permettre aux
bénéficiaires non seulement de faire face aux remboursements mais
également d'améliorer leur vie quotidienne et de réduire
leur vulnérabilité.
Le constat est que face aux objectifs de
pérennité financière imposés par les bailleurs, les
IMF se concentrent beaucoup plus sur une classe moyenne comme le soulignent
Hume et Mosley (1996).
Selon ces derniers en effet, ce seraient ceux qui ont
déjà un certain niveau de ressources (revenus et actifs,
matériels, symboliques ou informationnels) qui profiteraient le plus du
microcrédit. Ceux-ci seraient en capacité d'accéder a des
processus d'accumulation, tandis que sa contribution auprès des autres
générerait un taux de rentabilité inferieur et, par
conséquent, tiendrait plus de la survie/stagnation des situations que
d'un réel saut qualitatif.
Ce serait donc par un effet d'entrainement que les plus
pauvres bénéficieraient des bienfaits de la microfinance ; il
s'agit de différentes retombées indirectes telles que :
Ø L'amélioration des conditions de vente des
produits, grâce au développement de petits commerces dans les
villages par exemple (limitant les temps et couts de déplacements vers
de gros bourgs centralisant les marches) ;
Ø La redistribution du crédit du fait que les
bénéficiaires des crédits prêtent a leur tour aux
plus pauvres (mais souvent a des taux usuriers).
Le constat de l'impact positif de la microfinance sur la
réduction de la pauvreté avait également été
confirmé par la Banque mondiale dans son rapport sur le
développement dans le monde 2000-2001 : combattre la pauvreté. Le
rapport souligne en effet que dans la majorité des cas, il est admis que
l'utilisation du microcrédit a des effets plutôt positifs sur :
Ø Les opportunités et les
revenus : intensification et/ou extensification de l'agriculture
quand le foncier n'est pas saturé, structuration des réseaux de
commerce et d'artisanat, etc. Ces revenus étant prioritairement
consacres a l'alimentation et aux conditions de vie (sante, éducation,
habillement, habitat, etc.).
Ø L'empowerment :
en termes de statut et d'insertion sociale (limitation des dépendances,
participation accrue aux réseaux sociaux par le biais de tontines, de
fêtes, etc.)
Ø La sécurité qui
peut se trouver renforcée par le recours a l'épargne, la
possibilité de souscrire de nouveaux crédits, les
opportunités ouvertes par les services encore rares- d'assurance).
Nombreuse recherches menées sur plusieurs années
dans des régions très diverses et un travail intensif de collecte
des données par bon nombre d'organisations internationales (Planet,
CERISE,...)montrent que la microfinance est utile, mais qu'elle permet
difficilement de lutter contre la pauvreté et que, dans certains
contextes, elle peut même contribuer à renforcer certaines formes
d'inégalités, d'où il importerait d'étudier ses
limites ainsi que ses dérives.
I.1.2 LIMITES ET DERIVES DE LA
MICROFINANCE
L'ambition affichée par les institutions de
microfinance est de créer un cercle vertueux entre microcrédit,
activité professionnelle et autonomie du micro entrepreneur, et d'avoir
ainsi une influence positive sur les conditions de vie des
bénéficiaires de ses programmes ; mais la microfinance, dont
l'ambition semble être avant tout sociale, ne se
désintéresse pas des questions financières : la recherche
d'une autonomie puis d'une performance financière est aujourd'hui au
coeur des préoccupations des IMF, la microfinance approuvent des
limites dans la poursuite de son objectif et tendent à se
détourner de sa mission initiale(Dérives en microfinance).
A. LIMITES DE LA MICROFINANCE
Une étude menée par Coleman (2006), portant sur
des villages du nord-est de la Thaïlande évaluant l'impact de deux
programmes de microfinance démontre qu'en dépit d'une
volonté affichée de cibler prioritairement les ménages les
plus pauvres, ce sont les villageois les plus riches et les mieux dotés
en terres qui ont le plus de chances de participer aux programmes, d'être
sélectionnés par les caisses villageoises qui octroient les
microcrédits, et qu'une fois membres des caisses villageoises ils
utilisent leur situation sociale pour emprunter plus que les autres.
De même, en cas de pauvreté extrême, les
personnes n'ont pas forcement la capacité à rembourser un
microcrédit. En effet, si la personne n'a pas de revenu lié
à une petite activité rémunératrice, un prêt
risque plus de les endetter que de les sortir de la pauvreté.
Une autre étude a été menée par
Hulme et Mosley (1996), rassemblant dans leur ouvrage les études
d'impact de treize IMF intervenant dans sept pays. Pour chacune des ses
études, deux vagues d'enquête ont été
réalisées, en 1989 et 1993, auprès d'un échantillon
aléatoire de 150 emprunteurs et d'un groupe de contrôle
présentant des caractéristiques similaires en termes de niveau de
revenu, d'actifs et d'accès aux infrastructures. Dans l'ensemble, les
études concluent à un impact positif de l'intervention des IMF
sur le revenu des emprunteurs pauvres or les résultats suggèrent
que l'efficacité des microcrédits augmente avec le niveau de
revenu initial des clients.
Ce qui fait constater que le revenu des emprunteurs non
pauvres augmente en moyenne davantage que celui des emprunteurs se situant
en-dessous du seuil de pauvreté. Et cela d'après ces auteurs, les
individus très pauvres contracteraient des prêts de faible montant
pour assurer leur subsistance et non pour investir dans une activité
économique, acquérir du capital ou recruter de la main d'oeuvre.
Ce qui est contraire à l'objectif premier des IMF, à savoir
favoriser la création et le développement des petites entreprises
et encourager l'autonomie de ses bénéficiaires par le travail.
Dans ce contexte la microfinance ne permet pas de faire sortir ses clients de
la pauvreté mais peut même entraîner un surendettement des
plus vulnérables. D'où importance d'étudier les
dérives de la microfinance.
B. DERIVES DE LA MICROFINANCE
La microfinance a longtemps été
considérée comme un créneau du secteur du
développement en marge des marchés financiers. Beaucoup sont
nées grâce à des subventions. Aussi, son enjeu était
de prouver qu'il était possible d'offrir des services financiers
à des populations défavorisées tout en étant
financièrement viable voire rentable.
Or depuis une dizaine d'années, suite au succès
de certaines IMF, le secteur de la microfinance a amorcé sa «
commercialisation ». Pour toucher le plus grand nombre de personnes
possible, de nombreuses IMF évoluent vers des organismes à
logique bancaire pour accéder à des sources de financement
commercial et ne plus dépendre des subventions. Des fonds
d'investissement privés en microfinance se développent.
Récemment certaines IMF ont même été introduites en
bourse (cas du Compartamos au Mexique), au risque de s'attacher plus au profit
et au taux de recouvrement des prêts qu'à la réalité
financière de ses clients. On commence donc à s'interroger sur
l'impact d'une trop forte logique commerciale en microfinance.
La commercialisation de la microfinance s'amplifie avec
l'ouverture de la microfinance aux investisseurs privés qui y voient
parfois une occasion de diversifier leurs produits d'investissement, mais qui
attendent malgré tout un retour financier, ce qui a parfois pour effet
de détourner les IMF de leur mission sociale, au profit de la
performance financière.
Les risques évidents qui découlent de la
commercialisation du secteur sont l'exclusion de certains
bénéficiaires, des taux d'intérêts trop
élevés et une déviation par rapport à la mission
sociale initiale.
Dans ce cas, la microfinance ne représente qu'un
intérêt mineur par rapport à l'usurier classique.
L'emprunteur passera simplement d'une dépendance à l'usurier
à une dépendance à l'IMF, ce qui est certes moins
dangereux en termes de représailles, mais tout aussi inutile au niveau
de l'impact social du prêt.
Ø Le surendettement des
bénéficiaires de microcrédits : Les
effets d'une compétition accrue dans le secteur de la microfinance
favoriseraient l'émergence d'asymétrie d'information entre
prêteurs, ce qui signifie que les différentes IMF souffriraient
d'un défaut d'information sur la situation et la solvabilité de
leurs clients. Ces clients pourraient ainsi utiliser ce défaut
d'information à leur avantage et solliciter plusieurs
microcrédits. Le taux moyen d'endettement s'élève tandis
que le taux de remboursement anticipé des prêts diminue. Le
bien-être global des emprunteurs en souffre. (telle fut la cause
principale des suicides des emprunteurs en Inde en 2010).
Encore La multiplication du nombre d'IMF sans réelle
formation, la concurrence accrue pour placer le maximum de crédits et
ainsi continuer à recevoir des fonds mais aussi l'absence de suivi des
clients ne font qu'occulter la véritable situation financière des
familles et augmentent le nombre de cas de surendettement.
Dans certains cas aussi, alors que le développement du
secteur devrait permettre de diminuer les coûts supportés par les
IMF, et donc les taux pratiqués, on assiste au contraire à un
envol des taux d'intérêt.
Ø La dérive "hypersociale" de la
microfinance : si une organisation de microfinance distribue
des prêts avec des taux d'intérêts vraiment trop faibles, si
elle collecte les remboursements de façon peu rigoureuse, si elle reste
dépendante de larges subventions publiques pour exercer son
activité, cela peut aussi être très mauvais pour la
population "aidée". En effet, un micro-entrepreneur recevant de l'argent
trop facilement, ne va pas être incité économiquement
à améliorer l'efficacité de son projet, bien au contraire
et on risque au final de dévaloriser son potentiel à créer
une micro-entreprise économiquement viable.
Ø La dérive liée au ciblage
des institutions de microfinance, qui ont tendance à
soutenir des bénéficiaires plus « crédibles » ou
plus accessibles en axant leur activité en zone urbaine. Ainsi, la
population cible de la microfinance aurait tendance à s'enrichir,
délaissant ainsi une partie de la population la plus
nécessiteuse, comme les populations rurales, isolées ou portant
des projets agricoles à faible et lente rentabilité, pas toujours
compatible avec les produits développements en microfinance.
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