Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
V.2.2 - L'approche stratégiqueIssue des relations de pouvoir empruntée à DAHL, R., l'analyse stratégique des organisations impersonnelles, à l'instar des bureaucraties, est promue par CROZIER, M. et FRIEDBERG, E. Ce courant est principalement fondé sur le diptyque pouvoir-jeu et sur des concepts tels que : marge de liberté, calcul, stratégie, rationalité (limitée), enjeu, projet et règles du jeu, qui constituent son cadre théorique. Fille de la sociologie des organisations, cette épistémologie propose une analyse générale du système observé, des rôles et des stratégies qu'on peut discerner derrière les comportements. En d'autres termes, elle étudie comment les individus agissent à l'intérieur d'organisations caractérisées par des relations de pouvoir. Dans leur approche stratégique des comportements au sein des entreprises, CROZIER et FRIEDBERG font de chaque membre de l'organisation un acteur jouant son rôle selon ses propres finalités. Mieux, l'interaction entre l'individu-acteur et l'organisation est perçue comme un jeu dans lequel chaque acteur-joueur tente de maximiser son gain en minimisant sa mise ; ce qui est le propre du comportement rationnel. Même les relations de pouvoir sont envisagées comme un système réglé, tel un jeu au sein duquel les acteurs jouent leur partie selon leur place et leurs moyens. Dans les relations de pouvoir, la notion de pouvoir est entendue comme « la capacité de A d'obtenir que B fasse quelque chose qu'il n'aurait pas faite sans l'intervention de A »54(*). Ainsi, A dispose d'une certaine liberté d'action et s'appuie sur un ensemble de règles qui codifient le comportement de B et qui limitent sa marge de manoeuvre. L'acteur n'est donc pas totalement contraint, il dispose d'une marge de liberté qui lui permet de choisir entre plusieurs solutions, celle qui est la plus apte à servir ses projets ou celle qu'il juge satisfaisante compte tenu de son information, de la situation et de ses exigences. Par conséquent, son comportement est le résultat d'une stratégie rationnelle, et dont la rationalité n'est pas pure, mais plutôt « limitée ». De manière plus précise, on peut retenir que cette approche :
donne à voir que les conflits d'intérêts, d'autorité, poussent à l'invention des stratégies gagnantes aidant à l'accomplissement des desseins propres à un individu, stratégies destinées à la satisfaction des ambitions personnelles dont l'interface peut s'avérer nuisible au bon fonctionnement de la structure d'ensemble pourtant au service de l'homme. 55(*) CROZIER a ensuite tenté de transposer à l'ensemble de la société, les résultats acquis au cours de son analyse microsociologique. Dans le cadre de notre étude, cette approche semble intéressante, en ceci qu'elle paraît plus susceptible de rendre compte des différentes stratégies déployées par ces acteurs sociaux que sont les pirates ou les contrefacteurs des oeuvres musicales, pour se détourner de la législation sur le droit d'auteur et les droits voisins. Elle conduira à déterminer les stratégies de ces acteurs, à s'interroger sur les logiques d'acteurs pour montrer comment, en fonction des conditions organisationnelles et de la conjoncture économique actuelle, ils répondent en adoptant des conduites qui leur sont favorables. En d'autres termes, cette approche permettra de montrer comment chaque acteur ménage sa zone d'incertitude et choisit en fonction des conditions qui lui sont favorables, une stratégie qu'il estime gagnante. A travers cette marge de manoeuvre, chaque individu poursuit ses propres objectifs, lesquels ne sont pas nécessairement compatibles avec ceux de certains membres de la communauté qui ont une condition de vie plus acceptable. Les pirates disposent d'une marge de liberté qui leur permet de tirer profit de leur position en saisissant les opportunités diverses qui s'offrent à eux dans l'exercice de leur activité. Une telle décision est rationnelle en ceci qu'elle est basée sur le calcul des chances de gain des pirates et des clients (gagner de l'argent ou obtenir à moindre coût les musiques qu'on aime) en fonction des atouts (grande disponibilité des produits piratés et facilité d'obtention de ces musiques), des règles du jeu (discrétion, clandestinité...) et de l'intérêt porté à l'enjeu (trouver des moyens de survie ou bien acquérir à moindre coût les musiques de son choix et trouver du plaisir à les écouter). Les pirates ne sont pas des sujets passifs qui subissent les affres de la misère et la pauvreté. Ils inventent des stratégies gagnantes en vue de s'extirper de cette pauvreté dans laquelle ils sont confinés. En outre, l'approche stratégique va mettre en exergue les conflits d'intérêt et les relations de pouvoir qui existent entre les autorités chargées de faire respecter la législation sur le droit d'auteur et les pirates ou contrefacteurs des oeuvres musicales. * 54. CROZIER, M., FRIEDBERG, E., L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p.129. * 55. MBONJI, Edjenguèlè, L'Ethno-perspective ou la méthode du discours de l'ethno-anthropologie culturelle, Yaoundé, PUY, 2005, p.49. |
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