Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
V.1.2.1- Les indicateurs de la récession économiqueLa baisse du niveau de vie des populations, la faiblesse du revenu par habitant, la pauvreté, la misère, le chômage, l'essor du secteur informel, etc. V.1.2.2- Les indicateurs de la croissance démographiqueForte augmentation de l'effectif de la population au fil des années. V.1.2.3- Les indicateurs du développement des TICDémocratisation de l'Internet, ouverture de nombreux cybercafés, accessibilité facile aux supports numériques. V.1.2.4- Les indicateurs de la crise des valeurs moralesForte montée des comportements déviants dans la société : homosexualité, faux diplômes, corruption, détournements des fonds publics, délinquance, etc.
V.2- Cadre théorique d'analyseLa spécificité des phénomènes sociaux est qu'ils sont généralement très complexes et difficiles à appréhender à la fois dans leur ensemble et dans leurs mouvements par l'esprit humain. Eu égard à cela, le chercheur, dans son effort d'explication, d'analyse et d'intelligibilité de la réalité sociale, doit nécessairement faire recours à des grilles d'explication en vue de leur meilleure saisie. C'est donc en procédant par « analogie » ou en réduisant les phénomènes concrets très compliqués à des phénomènes théoriques beaucoup plus « simplifiés et en quelque sorte stylisés » 38(*) , qu'il peut découvrir ce que PARETO, V., cité par ROCHER, G., appelle des « uniformités expérimentales » 39(*) dont la pertinence et la validité sont légitimées par des « vérifications expérimentales » 40(*). Autrement dit, une telle ambition requiert du chercheur, qu'il procède du mieux connu au moins connu, en partant « des réalités plus familières et plus simples, qui (lui) servent de point d'appui pour appréhender par analogie, des ensembles de phénomènes plus complexes et, par conséquent, plus difficiles à percevoir et à analyser dans leur totalité » 41(*). L'étude d'une réalité sociale aussi complexe que la piraterie des oeuvres musicales qui ne se laisse pas décrypter aisément, ne saurait déroger à cette exigence méthodologique. Plusieurs théories sociologiques se révèlent à même de fournir une compréhension valable, plausible et même satisfaisante des facteurs explicatifs, des modes opératoires et de l'impact de la piraterie des oeuvres musicales à Yaoundé. Aussi, allons nous mobiliser deux modèles théoriques : l'approche dynamiste et critique, ainsi que l'approche stratégique. Cette pluralité de modèles est justifiée par l'extrême ``complexité'' de ce phénomène et exige pour plus de précision et de logique dans l'analyse, une multiplicité d'approches ou une pluralité des modèles explicatifs qui, selon GURVITCH, G., interpelle le chercheur pour une interdisciplinarité. Et ceci, principalement pour un souci de saisie « en profondeur » de la réalité étudiée. V.2.1 - L'approche dynamiste et critique L'approche dynamiste se revendique de l'héritage de l'école de Frankfurt dans les années 1930. Forgée en Occident et portée par des figures de proue de la sociologie à l'instar de TOURAINE, A. et BALANDIER, G., elle est connue dans l'histoire de la sociologie pour sa vocation à rendre compte des changements, des mobilités, des bouleversements sociaux, des transformations et l'inachèvement essentiel de tout agencement social. C'est une école qui accorde une place primordiale aux dynamiques sociales et, « est particulièrement attentive à déceler tout ce qu'une société recèle de potentialités, de peu visible, de latent, qui échappe aux formes visibles »42(*). Elle veut donc saisir les phénomènes à deux niveaux : « le niveau officiel » 43(*)et « le niveau officieux » 44(*) à travers la recherche du latent ou du caché des pratiques sociales, qui permet de comprendre et d'expliquer « l'apparent »45(*). Car, à la vérité, et pour reprendre BALANDIER, G : Les sociétés ne sont jamais ce qu'elles paraissent être ou ce qu'elles prétendent être. Elles s'expriment à deux niveaux au moins ; l'un superficiel, présente les structures `` officielles'', si l'on peut dire ; l'autre, profond, assure l'accès aux rapports réels les plus fondamentaux et aux pratiques révélatrices de la dynamique du système social.46(*) Il a été relevé plus haut que la piraterie des oeuvres musicales est un phénomène complexe, qui ne se laisse pas décrypter avec souplesse et aisance. La réalité qui y est contenue, est en partie voilée, cachée, sinon clandestine. Or, c'est précisément dans cette vérité voilée que se trouve son pouvoir causal. La piraterie procède d'une violation du droit de la propriété intellectuelle, et plus précisément du droit d'auteur et des droits voisins. Ce qui suppose que sa pratique telle que vécue aujourd'hui dans la ville de Yaoundé relève simplement de la clandestinité ou de l'illégalité. Or, la vérité du fait clandestin ou illicite est généralement dissimulée, tue, voilée ou cachée. Transposée dans notre étude, cette approche s'avère d'une grande importance. En effet, elle permet de déceler quelques facteurs saisissants qui expliquent la vitalité de la piraterie des oeuvres musicales. Autrement dit, elle permet de comprendre les logiques qui sous-tendent le mutisme des pouvoirs publics face à la croissance constante de ce phénomène à Yaoundé. Il est donc question de repérer les dynamiques « du dedans » et les dynamiques « du dehors »47(*) qui expliquent la propension de ce phénomène. Selon BALANDIER. G., ce sont ces deux types de dynamiques qui sont porteuses de mutations sociales. D'une part, les dynamiques « du dedans » résultent des contradictions dues à la coexistence de plusieurs entités au sein d'un groupe social. Ces contradictions placent ledit groupe social dans une situation de perpétuel mouvement. D'autre part, les dynamiques « du dehors » sont des forces ou des éléments externes à un groupe social. Ces éléments porteurs de contradiction, du fait de leur extériorité par rapport au groupe social en question, impulsent, au contact des dynamiques internes, des mutations sociales. Par ailleurs, l'approche critique qui découle de l'analyse dynamiste, permettra de ne pas limiter les observations, les analyses et les explications, strictement au niveau institutionnel du visible qui lui, est superficiel. La piraterie des oeuvres musicales ne peut mieux être cernée et comprise qu'à partir du dépassement du niveau formel des lois et autres réalités ayant un caractère mystificateur et fallacieux, pour atteindre le niveau caché et implicite des non-dits où repose l'essence même des causes de la persistance de ce phénomène. Or, « Dès l'instant où les sciences sociales appréhendent ces deux niveaux d'organisation et d'expression, et où elles déterminent leur rapport, elles deviennent nécessairement critiques »48(*). Il est donc question de faire une lecture et une analyse de la piraterie des oeuvres musicales au second degré ; car ce phénomène découle de plusieurs facteurs bien imbriqués entre eux. Plus précisément, il s'agit d'aller au-delà de ce qui se donne à voir dans la pratique de la piraterie ou la contrefaçon des oeuvres musicales et, selon ZIEGLER, J., de « révéler la société derrière les écrans déformateurs des représentations que les idéologies imposent aux hommes »49(*) ; mieux, de décrypter et dévoiler les facteurs qui inhibent la lutte contre la piraterie ou la contrefaçon, de démasquer « le décalage entre les apparences de la réalité sociale et cette réalité même » 50(*), parce que : « Ce qui est montré est à expliquer par ce qui ne se montre pas» 51(*). En somme, l'approche dynamiste et critique nous semble utile pour lire et analyser en profondeur comme cela est l'ambition de cette étude, afin de dé-« mythifier », dévoiler dénoncer, et « regarder ce qui est caché, (...) dire ce qui est tu, (et) faire apparaître la faille d'un discours, la distance de la parole à l'action »52(*). Au total, cette démarche est assimilable à celle d'un espion voulant « dé -couvrir tout ce qui est dévoilé - voilé par la langue ordinaire »53(*), afin de montrer les aspects cachés et parfois déconcertants du phénomène. D'où la nécessité de critiquer l'aspect formel du fonctionnement de la société, et de rendre compte des réalités cachées derrières la vitalité des phénomènes de la piraterie et de la contrefaçon. En refusant de nous limiter aux discours officiels qui soutiennent avec force que la société camerounaise se porte bien, que notre pays est un Etat de droit où les autorités attachent du prix au respect des droits et libertés de tous les citoyens, que l'Etat est encore à l'étape de la sensibilisation des camerounais sur la piraterie (alors que la persistance de celle-ci confine les artistes-musiciens dans la paupérisation depuis des années) et que la phase répressive est imminente, nous ne pouvons que être critique, car le même discours est tenu depuis des lustres. * 38. Guy Rocher : Introduction à la sociologie générale, Tome2 : L'action sociale, Paris, Editions HMH, Point, Ltée, 1968, 258 p, p.160.
* 39. Idem, p.158. * 40. Ibidem, p.158. * 41. Ibidem, p.148. * 42. ANSART, P., Les sociologies contemporaines, Paris, Seuil, 3e éd., 1990, p.50. * 43. BALANDIER, G., Sens et puissance : les dynamiques sociales, Paris, Nathan, 1971, p.11. * 44. Idem, p.11. * 45. ANSART, P., op.cit., p.37. * 46. BALANDIER, G., p.7. * 47. BALANDIER, G., op.cit., 1ère partie. * 48. BALANDIER, G., op.cit., p.7. * 49. ZIEGLER, J., Retournez les fusils ! Manuel de sociologie d'opposition, Paris, Seuil, 1980, p.20. * 50 BALANDIER, G., op.cit., p.7. * 51. ZIEGLER, J., op.cit.,, p.20. * 52. TOURAINE, A., Pour la sociologie, Paris, Seuil, Coll. « Points », 1974, p.88. * 53. BOURDIEU, P., Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p.56. |
|