Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
II.3- L'Etat camerounais : entre complicité et inertieLa situation du droit d'auteur et des droits voisins au Cameroun inspire de la pitié. La détresse est pitoyable à telle enseigne qu'ARNAUD, G., sur un ton dépité, souligne : « Je n'ai jamais visité aucun pays où le droit d'auteur soit aussi bafoué, ignoré, et où les professions artistiques soient aussi méprisées par un pouvoir qui par ailleurs sait faire preuve d'une redoutable efficacité policière dès que sa propre survie est menacée »246(*). Ainsi, l'Etat semble avoir abandonné la lutte contre la piraterie aux mains des artistes eux-mêmes, alors que celle-ci ne doit pas leur incomber totalement. Ce laxisme dénoterait une sorte d'encouragement tacite de la part des pouvoirs publics et la piraterie serait ainsi devenue une sorte d'exutoire face à une crise à laquelle ces autorités n'ont aucune solution pertinente à proposer. Dans un pays, lorsqu'il y a crise, il incombe aux autorités étatiques de prendre des mesures nécessaires pour restaurer l'ordre et la paix, face à une menace grave qui pèse sur la société. L'inefficacité des efforts mis en place par les pouvoirs publics pour éradiquer ce fléau peut s'expliquer par la mauvaise application, voire la non application effective de la loi sur la protection des droits d'auteur, mais aussi la quasi-inexistence des moyens de répression véritables contre les auteurs des actes de piratage. La législation camerounaise sur le droit d'auteur n'est pas suffisamment protectrice. Il y a un écart considérable entre les pratiques sociales (en avance par rapport au droit) et le droit tel qu'il est pratiqué au Cameroun. Le laxisme et la complicité de certains agents publics dans ces activités mafieuses ne sont pas à négliger, car ils expliquent aussi en partie cet état de chose. Même si ces dernières années au Cameroun le discours officiel fait état d'actions engagées en faveur de la lutte contre la piraterie, même si le ministère de la Culture a créé la CNLP, il n'en demeure pas moins vrai qu'entre les discours, les textes et les actes, il y a comme un fossé constant. Le politique est parfois le premier à transgresser ses propres prescriptions. Sinon, quel est le contenu véritable du slogan pompeusement repris dans les discours officiels des autorités camerounaises, et qui parle du « Renouveau culturel » ? N'est-ce pas là un slogan vide de sens ? Peut-on logiquement parler de Renouveau dans un contexte où rien ne change depuis des lustres ? N'est-ce pas simplement une manière d'endormir les artistes et de leur donner l'impression que l'Etat se soucie de leur sort ? Au total, le discours que les autorités camerounaises prononcent au sujet de la piraterie n'est-il pas un discours démagogique ? Il est de bon ton de répondre à cette question par l'affirmative, car on a encore le souvenir frais de cette cuisine de duplication de cassettes audio détruite publiquement à Bafoussam en 1994, et qui appartenait à un Commissaire de police en fonction dans la même ville. Ou encore ce magasin de stockage des oeuvres musicales pirates découvert à Limbé et dont le propriétaire était le fils d'un influent membre du gouvernement dans les années 1990247(*). Au regard de l'attitude des autorités camerounaises, il est évident qu'elles pêchent par une attitude démagogique qu'elles ont souvent manifestée en d'autres circonstances. Ainsi, lorsque leurs intérêts personnels sont mis à mal, elles n'hésitent pas à faire des sorties diligentes et souvent musclées pour imposer l'ordre républicain. Cela a pu s'observer notamment en mai 2008, lorsque les populations camerounaises, excédées par une hausse générale des prix des produits de première nécessité qui a exacerbé la pauvreté, sont descendues dans les rues pour manifester leur mécontentement. Il faut préciser que longtemps avant, des voix s'étaient déjà élevées pour exprimer le ras-le-bol. En réponse, les autorités ont brillé par un mutisme étonnant. Il a donc fallu ce soulèvement populaire ou cette « révolte des pauvres », pour que des mesures impérieuses soient prises dans le sens d'une baisse des prix des produits. C'était là une preuve tangible que les autorités camerounaises s'illustrent par une inertie qu'elles ne cessent pourtant de décrier à chaque fois qu'elles en ont l'occasion. C'est précisément la même attitude qui a été observée dans le cas de la piraterie des oeuvres musicales. Un soulèvement des artistes aurait-il la même force, lorsque les populations elles-mêmes trouvent leur compte dans la persistance de ce phénomène ? Certainement que non. Nous avons donc à faire à un « Etat voyou », dans lequel la priorité des élites au pouvoir semble être de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible. Les problèmes sociaux et culturels sont relégués au second plan et elles ne leur prêtent qu'une attention périphérique ou furtive. Du côté des pirates, les attitudes sont dictées soit par l'incompréhension, soit par l'inconscience, soit par la pauvreté, aussi bien morale et intellectuelle que matérielle. Et enfin, là où le bas blesse, il nous a été rapporté par de nombreux vendeurs de CD pirates que certains artistes sont de plus en plus impliqués dans ce business en tant que fournisseurs ou pirates. Ils viennent livrer eux-mêmes leurs propres productions aux vendeurs pour, disent-ils, devancer les pirates et tirer un profit de leur métier. D'où la conclusion : le poids du piratage ne saurait être porté seulement par le « marché noir » des CD. Les responsabilités sont pleinement partagées.
* 246. ARNAUD, G., « Le pays qui chante ses fables », in Cameroun : la culture sacrifiée, Collection Africultures, n°60, Juillet-Septembre, Paris, Ed. L'Harmattan, 2004. * 247 Jean-François CHANNON, « Lutte contre la piraterie : Que peut Ferdinand Oyono ? », Le Messager, Edition de 6 février 2005. |
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