Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
II.1- Au niveau politiqueLa piraterie est une activité répréhensible. Au vu du préjudice qu'elle cause aux titulaires et ayants droit des oeuvres de l'esprit, l'Etat a bien voulu définir un certain nombre de lois et règlements qui assurent la cohésion dans la société, et dans le cas d'espèce, la protection du droit d'auteur et des droits voisins. Il est donc du devoir de l'Etat de s'assurer de l'effectivité de l'application des lois en vigueur. Ainsi, la poursuite du laisser-faire qui permet à la piraterie de prospérer, la non applicabilité des lois ou le fait que certaines lois soient foulées au pied, dénotent de l'incapacité de l'Etat à remplir ses missions régaliennes, à faire respecter fondamentalement la loi et les droits de propriété d'autrui. Au niveau politique, la vitalité de la piraterie des oeuvres musicales pose donc le problème de la légitimité du pouvoir politique en place. Elle laisse croire que le pouvoir en place est incapable de faire respecter ses propres lois ou qu'il est un Etat laxiste, car, il est paradoxal de ne pas amener les citoyens à respecter les lois, alors que l'on dispose de moyens de dissuasion, notamment des forces de maintien de l'ordre (police, gendarmerie). La piraterie ternit sérieusement l'image du pays à l'extérieur. En effet : Les investissements dans le secteur culturel de tout pays peuvent être importants et se maintenir pendant de nombreuses années si les investisseurs y trouvent à la fois un système juridique adéquat de protection des droits de propriété intellectuelle et un respect effectif de ces droits. Si un des deux éléments de cette formule fait défaut, l'aptitude industries - ainsi que tous les avantages supplémentaires représentés par l'accroissement des possibilités d'emploi, la création de richesses et les recettes fiscales - disparaît.236(*) II.2- Au niveau économiqueSelon les statistiques de l'IFPI publiées en 2008, environ 3,3 milliards de copies pirates d'enregistrement sonores (cassettes et CD) ont été vendues dans le monde. Ces ventes d'unités pirates ont rapporté 3,7 milliards de dollars US237(*). Les pirates ne payent pas de taxes sur la distribution ou sur les bénéfices énormes qu'ils réalisent de manière illicite. L'Etat devient donc aussi victime de l'activité des pirates. Ils ne prennent aucun risque, sinon celui d'être interpellés et traduits devant les instances judiciaires pour répondre de leurs forfaits. Or, dans nos pays où la législation est encore peu contraignante ou peu enracinée et où il manque de structures efficaces de répression, la piraterie ne peut que prospérer. Au Cameroun, la piraterie vaut à l'Etat des pertes de gains considérables en termes de revenus fiscaux. MOUMI NGINYA relève 8 400 000 supports frauduleux qui échappent au circuit formel camerounais par an et la quantité d'exemplaires de CD contrefaisants déversés sur le marché informel est supérieure à ce qui est produit légalement, les points de vente et de distribution étant plus efficaces et plus nombreux. Dans une de ses éditions, l'hebdomadaire Jeune Afrique238(*) indiquait que la piraterie des oeuvres musicales faisait perdre au Cameroun une somme de 700 millions de francs CFA par an ; ce qui représente 90% de pertes de parts de marché par ces artistes. La piraterie met en péril l'existence des industries culturelles, qui sont sources d'emplois, de profit et de recettes, en marge de leur rôle de vecteur essentiel de promotion de la diversité culturelle aux niveaux local et international. A travers leur activité, les pirates installent une concurrence déloyale, facilitée par le fait qu'ils disposent d'un matériel de reproduction performant et peu onéreux. Ces équipements permettent de déverser sur le marché, des enregistrements de plus en plus fidèles aux copies originales. Et c'est précisément à ce niveau qu'elle paralyse l'industrie locale et la réalisation de nouveaux enregistrements. En 1999, dans un rapport de la Fédération Internationale de l'Industrie Phonographique (IFPI), il est relevé (d'après notre traduction) que : La propagation de la piraterie, à la fois des CD et via l'Internet, est la plus grande menace qui pèse sur l'industrie musicale légale. L'avenir de ce secteur créatif dynamique, la subsistance des artistes et des centaines de milliers d'emplois sont en jeu. 239(*) II.3 - Au niveau social Sur le plan social, la piraterie et la distribution des oeuvres musicales de contrefaçon est à l'origine d'un certain nombre de désagréments sur le plan social. Elle entraine l'encombrement de l'espace urbain (1) et contribue à la marginalisation ou l'exclusion sociale de l'artiste-interprète (2).
1-Encombrement et confrontations dans l'espace urbain ``yaoundéen'' Le centre ville de Yaoundé nous renvoie comme un miroir, l'expression d'une forme de violence qui s'exprime à travers ces images d'encombrement des trottoirs. Or, ces trottoirs qui constituent des espaces apparemment banals de l'habitat urbain, et officiellement destinés à la mobilité piétonne, sont devenus le lieu et le facteur de nombreux processus notamment les dynamiques transactionnelles selon une expression chère à REMY, J. (1981), conflictuelles et confrontationnelles. Les vendeurs des CD pirates et les « téléchargeurs » occupent de manière anarchique et illégale les trottoirs et contribuent à l'insalubrité de la ville. Ces trottoirs subissent une détérioration résultant de la pression des activités qui y sont déployées par les pirates. En outre, en occupant anarchiquement les trottoirs pour leurs activités, les pirates vont à l'encontre de l'article 1 de l'arrêté n°045/87/CU/YDE de la Communauté urbaine de Yaoundé, qui dispose que toute activité commerciale est proscrite le long des trottoirs. Cette situation crée des confrontations permanentes entre exploitants des trottoirs et gestionnaires de la ville (Communauté urbaine et forces de l'ordre). Cela donne lieu très souvent à des évacuations musclées avec destruction et confiscation des biens, d'une part, et d'autre part la réoccupation progressive et insidieuse des mêmes lieux malgré les dégâts antérieurs. La Communauté urbaine étant contrainte de lancer indéfiniment des opérations de libération musclées des emprises publiques au centre ville de Yaoundé et même ailleurs dans la ville. Ces opérations, on en a vu des dizaines depuis plusieurs années. Mais, elles ont souvent étalé leur vanité. Parce qu'il suffit de quelques jours pour que le chaos revienne. Les occupants anarchiques de la voie publique ont presque toujours eu les autorités municipales à l'usure.
2-Exclusion sociale ou marginalisation des artistes-interprètes Toujours sur le plan social, la piraterie des oeuvres musicales entraîne une marginalisation ou une exclusion sociale des artistes-musiciens. Clochardisés, appauvris, spoliés dans leurs droits et dans leur génie créateur, plusieurs parmi eux sont morts dans le dénuement total et sous le regard indifférent de personnes pouvant leur venir en aide, incapables de se soigner. Et pourtant, selon MONO NDZANA, H. : Ailleurs, ce sont les artistes qui sont millionnaires, et qui donnent de petites enveloppes aux fonctionnaires. Ici [au Cameroun], c'est le contraire, les choses étant faites pour que les artistes courent plutôt derrière de petits fonctionnaires véreux comme des mendiants.240(*) Leurs droits sont bafoués sous le regard indifférent des autorités et sous le regard méprisant des pirates. Ils paraissent ainsi comme marginalisés, mis au ban de la société qui n'a plus de compassion à leur égard, et qui ne manifeste aucune solidarité pour eux nonobstant leurs incessantes lamentations. Lorsqu'on fait allusion à un artiste dans notre société, on voit l'image de ce gueux, du créateur loqueteux, misérable et abonné à la précarité. Des clichés aussi tenaces que dévalorisant.
* 236. PANETHIERE, D., op.cit, p.11. * 237. Source: PWC Entertainment and Media Report (2008), IFPI. * 238. Jeune Afrique, n° 2 527 du 14 au 20 juin 2009, p.87. * 239. Rapport annuel ``IFPI Music - Piracy Report 2000'', publié en juin 2000, première page, téléchargeable à l'adresse suivante : http // www.ifpi.org / library / Piracy2000.pdf. * 240. MONO NDJANA, H., « Les vérités qu'il faut dire sur le droit d'auteur », Repères, n°008 du 21-02-2007, p.13. |
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