Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
III.2.2- Crise des structures camerounaises de protection du droit d'auteur
Le domaine du droit d'auteur représente un secteur très important dans l'industrie culturelle d'un pays. Cela étant, le moins convenable est d'y installer l'instabilité, la mal gouvernance, la corruption, et bien d'autres comportements malsains. La situation du droit d'auteur et des droits voisins au Cameroun est, depuis de nombreuses années, très préoccupante. Toutes les sociétés camerounaises de gestion collective des droits d'auteur ont plongé dans la tourmente et l'incertitude. Le cas de la CMC, devenue plus tard SOCAM, est une parfaite illustration du malaise qui s'est emparé de ces structures et qui paralyse véritablement leur fonctionnement. Batailles de pouvoir, gestions litigeuses et problèmes de recouvrement rythment la vie de ces sociétés. De par la place qu'elle occupait déjà au sein de l'ex SOCINADA, la musique et ses sociétés de gestion des droits d'auteur successives sont considérées comme la vitrine du droit d'auteur camerounais. C'est ce qui explique, reconnaissent certains artistes avec qui nous avons eu des échanges, que les conflits, problèmes de gestion et autres actualités autour de l'ex-Cameroon Music Corporation (CMC) devenue aujourd'hui SOCAM, ont un écho médiatique plus fort. Sans doute également parce que, nonobstant les difficultés de recouvrement qui sont réelles, c'est également le secteur qui brasse les plus gros sous. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la vie des sociétés de droits d'auteur musical, depuis l'année 2000, est tout sauf un long fleuve tranquille. En effet, agréée en septembre 2003 par les soins de Manu DIBANGO, autorité morale s'il en est dans la galaxie musicale camerounaise et internationale, et ceci dans la mouvance de la loi de 2000 sur le droit d'auteur et les droits voisins au Cameroun, la CMC va presque aussitôt s'empêtrer dans des querelles intestines. La gestion de l'équipe dirigeante d'alors est vivement contestée par une faction qui finira par prendre le dessus, lorsque la tutelle de cet organisme, notamment le ministère de la culture, décèle de lourdes fautes de gestion. Face à une telle situation, Ferdinand Léopold OYONO, alors ministre de la culture de l'époque, a été amené à sévir même si cela lui a valu des malheureuses accusations d'immixtion dans les affaires internes des sociétés de gestion collective des droits d'auteur. La tutelle de la CMC a donc décidé de suspendre l'agrément qu'elle lui avait accordé. Selon le ministre, en effet : En dix huit mois, soit de septembre 2003, date de la création de la société, à février 2005, l'audit relève que la CMC a reçu 284 millions FCFA de redevances de droits d'auteurs et réservé aux ayants-droits 44 millions FCFA. Cela sans préjudice d'autres sommes évaluées à plus de 50 millions FCFA, prélevées directement auprès de divers utilisateurs d'oeuvres de l'esprit, et non reversées au compte de dépôt spécial créé par le gouvernement à l'effet de sécuriser les ressources du droit d'auteur. Ce n'est pas acceptable, alors que les textes et réglementations en vigueur commandent l'affectation de 70% de ces sommes aux ayants-droits, et 30% au fonctionnement des sociétés d'auteurs. Le rapport d'audit fait apparaître également que ces ressources ont été affectées à d'autres dépenses incongrues comme la location d'un siège à 10 millions de FCFA, l'achat de 3 ordinateurs à 13 millions de FCFA, des billets d'avion et tutti quanti.227(*)
Dans le cas d'espèce la loi est formelle, et « prévoit qu'en cas de dysfonctionnement et de mauvaise gestion des sociétés d'auteurs, la tutelle peut, après mise en demeure restée sans suite, suspendre leurs activités, aux fins de normalisation »228(*). Dans la foulée, et avec un soutien au moins tacite de la tutelle, une Assemblée générale est convoquée en avril 2005. Sam MBENDE EBOBISSE, chef de file de la faction dissidente, est élu à la tête du Conseil d'administration au terme d'un scrutin pour le moins houleux. Alors que tout semble aller pour le mieux, des plaintes font de nouveau échos. Les soupçons de détournements, des relations jugées trop féodales par rapport à la tutelle, des accusations de management direct des ressources au détriment d'une direction générale exécutive, sont autant de griefs qui ont occulté l'essentiel : la perception et le reversement des droits d'auteurs aux artistes. Des dissensions apparaissent à nouveau et commencent à prendre corps à l'intérieur même de la CMC. Et puis donc l'épisode de retrait de l'agrément à la CMC le 12 mai 2008. Dans la foulée de cet acte administratif, une nouvelle société de gestion collective des droits d'auteur, la SOCAM, est créée et une nouvelle Assemblée générale élective programmée. Il s'en est suivi des batailles médiatico-juridiques où des querelles pouvoiristes l'ont une fois de plus emporté sur le reste. La suite de l'histoire va se décliner en plusieurs épisodes : Saisine du juge administratif par les dirigeants de la CMC, ordonnance de sursis à exécution des décisions du ministre de la culture, recours du ministre de la culture, rejet desdits recours, etc. Par deux fois, le ministère de la Culture est débouté, c'est-à-dire que la justice donne raison, pour la forme, au plaignant qu'est la CMC. Le contentieux est tranché net par la Cour suprême du Cameroun qui prend l'ordonnance n° 034/OSE/CA/CS accordant un sursis à exécution à la CMC contre les décisions du Ministre de la culture, et par la suite deux autres arrêts qui rendent définitivement applicable l'ordonnance du 17 décembre 2008. La Cour suprême ordonne au ministère de la Culture de surseoir l'exécution des décisions prises par le chef de ce département en mai 2008. Tant et si bien que ces décisions sont nulles et de nul effet. Ainsi, on revient au statu quo ante, à savoir la situation en vigueur avant le 12 mai 2008, date de la signature des décisions querellées. Mais pour autant le problème n'est pas résolu, et pour une simple raison : pour que la CMC à qui profitent les arrêts de la Cour suprême reprenne ses activités, il lui faudra un agrément que seul le ministre de la Culture peut lui délivrer. Or, en l'état actuel des choses, cela est quasiment impossible. Au terme de cet imbroglio judiciaire ministère de la Culture-CMC-SOCAM, on n'aura donc pas beaucoup avancé. Et les artistes-musiciens sont ceux qui paient le plus lourd tribu de cette situation. Car, les autres sociétés de gestion collective des droits d'auteur que sont la SOCADAP, la SCAAP et la SOCILADRA et la SOCADAP, sont également paralysées et pénalisées. L'observation de la crise qui s'est emparé de la SOCAM nous a permis de faire un certain nombre de constats saisissants. Le droit d'auteur représente un secteur très important dans l'industrie culturelle d'un pays, de sorte que le moins convenable est d'y installer aussi bien l'instabilité permanente que la grande corruption. Tous les remous agitant la bulle du droit d'auteur camerounais ont des causes structurelles. Le point de départ est la loi de décembre 2000 qui est souvent mal assimilée par les gestionnaires des sociétés et qui est à l'origine d'interprétations diverses et contradictoires. Cette mauvaise assimilation des textes a créé un vide, permettant à n'importe quel aventurier ou mercenaire attiré par l'odeur de l'argent à venir s'en mettre plein les poches au grand dam des artistes. Il y a ensuite le rôle imprécis de la CPMC, qui s'illustre plutôt comme une structure budgétivore. Selon les textes : « 1% des revenus des sociétés de droits d'auteur sont affectés à la CPMC pour la lutte contre la piraterie. Mais, sur le terrain, ce sont encore les sociétés qui sont obligées de mener des campagnes, sinon il n'y a rien de ce côté » 229(*). Il y a aussi l'assiette financière calculée à minima, qui fait en sorte que les principaux opérateurs de téléphonie mobile versent moins de 10 millions de francs chacun par an, ou encore les entreprises brassicoles dont les redevances sont dix fois moins que ce qu'elles devraient verser. Entre-temps, les charges de fonctionnement sont telles qu'il devient difficile d'appliquer la règle du 30% pour le fonctionnement et 70% pour les répartitions, au moment où rentre un peu d'argent. Toutefois, des écarts de gestion existent bel et bien, du fait déjà d'incongruités comme les engagements financiers qui relèvent des PCA, alors que « la signature » devrait échoir à un Directeur Général - un non musicien - chargé de l'administration de la structure. A ce stade, l'une des issues porteuses de sortie de crise reste que les deux parties accordent leurs violons en faisant la paix des braves, dans l'intérêt des artistes-musiciens. Car, au-delà de la solution judiciaire, il faut également envisager une solution administrative et politique. L'on partirait ainsi du procès à un arrangement à l'amiable, car il est impératif de restaurer l'indispensable sérénité qui doit régner dans les corporations dans l'ultime but de rendre aux artistes toute leur dignité et tout le respect qui leur est dû en tant que grands créateurs des oeuvres de l'esprit. C'est précisément dans cette optique que la CPMC, structure ad hoc créée dans le but de veiller à l'orthodoxie au sein des sociétés de gestion collective des droits d'auteur, a été mise sur pied en juin 2004. En effet, l'une des dispositions du Décret d'application n°2001/956/PM du 01 novembre 2001 fixant les modalités d'application de la loi n°2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, notamment en son article 3 alinéa (a), dispose : La commission est chargée de l'organisation et de la supervision des concertations et négociations entre les organismes de gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins ou entre ces derniers et les usagers ; assure au nom et pour le compte du Ministre chargé de la culture, le contrôle général des organismes de gestion collective et notamment le respect des normes en matière de perception et de répartition. * 227. Ferdinand Léopold OYONO, in Ministère de la culture, Cameroun, publi-information réalisé par DIFCOM (Régie publicitaire du Groupe jeune Afrique), 2005, p.2. * 228. Idem, p.2. * 229. Entretien avec l'artiste Ange EBOGO Emérant. |
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