Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
III - Hypothèses de rechercheAvant d'énoncer nos hypothèses, il est utile de préciser au préalable que l'hypothèse est étymologiquement formé de deux racines : hypo, qui signifie : sous, en dessous, en deçà de ..., et de thèse, qui signifie : proposition à soutenir, à démontrer. Par conséquent, l'hypothèse est : « une proposition provisoire, une présomption, qui demande à être vérifiée »23(*). En d'autres termes, elle désigne « une réponse provisoire à la question de départ de la recherche »24(*), qu'il faut en quelque sorte soumettre à l'épreuve des faits. En bref, et d'une façon très générale, on peut dire qu'une hypothèse est une supposition que l'on fait d'une chose possible ou non et dont on tire une conséquence. Son rôle étant d'indiquer les voies possibles de réponse aux questions que pose le problème de la recherche. En tant que telle, elle constitue le soubassement, la fondation préliminaire de ce qui est à démontrer ou à vérifier sur le terrain. Elle établit un lien entre deux concepts ou deux phénomènes et devrait être exprimée sous une forme observable afin d'indiquer le type d'observation à rassembler. Le questionnement qui précède nous inspire donc deux types d'hypothèses, qui se déclinent précisément en une hypothèse générale appuyée par deux hypothèses secondaires. En guise d'hypothèse générale, nous posons que : - La vitalité de la piraterie ou la contrefaçon des oeuvres musicales à Yaoundé, résulterait des facteurs pluriels, inhérents au juridique, au politique, à l'économique et au social. De cette hypothèse générale, découlent deux hypothèses spécifiques que nous formulons de la manière suivante : H.1- La récession économique et ses corollaires, la croissance démographique asymétrique, l'insuffisance de la législation en matière de protection, le développement des TIC, combinés à la crise des valeurs morales, seraient des facteurs explicatifs de la croissance de la piraterie. H.2- La piraterie des oeuvres musicales est une activité qui épouse les contours de la mafia. Son enjeu serait important et son impact sur la vie des artistes-musiciens est très considérable.
IV- Revue de la littératureIl est unanimement admis que : Lorsqu'un chercheur entame un travail, il est peu probable que le sujet traité n'ait jamais été abordé par quelqu'un d'autre auparavant, au moins en partie ou indirectement (...) Tout travail de recherche s'inscrit dans un continuum et peut être situé dans ou par rapport à des courants de pensée qui le précèdent et l'influencent. Il est donc normal qu'un chercheur prenne connaissance des travaux antérieurs qui portent sur des objets comparables et qu'il soit explicite sur ce qui rapproche et sur ce qui distingue son propre travail de ces courants de pensée. 25(*) Fort de cela, nous pouvons, sur la base de l'abondante documentation en rapport avec le champ thématique que nous entreprenons d'analyser, affirmer que la question de la piraterie des oeuvres musicales a fait l'objet d'études antérieures. La particularité de celles-ci est qu'elles sont dans leur grande majorité, l'oeuvre des chercheurs des pays occidentaux. En effet, en Europe et aux Etats-Unis, ce phénomène se caractérise nettement par son indéniable ancrage dans la configuration sociale actuelle de ces pays. Intimement liée au développement des Technologies de l'information et la communication, la piraterie des oeuvres musicales se présente comme un défi aux enjeux considérables. Il suffit de se référer à la problématique causée par la démocratisation de l'Internet et de la mise à disposition par les utilisateurs mêmes, de fichiers musicaux protégés, outrepassant de la sorte l'autorisation préalable de l'auteur ou de l'artiste. Cet aspect du piratage ou de la contrefaçon a largement inspiré de nombreux auteurs, qui pensent que : La numérisation et la mise en réseau d'oeuvres est désormais à la portée de tout un chacun qui peut devenir du jour au lendemain un éditeur de contenus informationnels et culturels. La copie est facile, rapide, de bonne qualité et sa communication est potentiellement mondiale et illimitée.26(*) Internet s'est donc mis au service des activités les plus hétéroclites, et en l'espèce, le domaine musical n'a pas été en reste. C'est pour cette raison que la toile27(*) est assimilée par certains à un ``septième continent'' ou bien encore une ``terre de crimes''. Si l'avènement des TIC et plus généralement de l'informatique a bouleversé la perception classique du droit d'auteur et des droits voisins, et changé la configuration du problème, il faut dire que plusieurs auteurs ont travaillé sur l'organisation juridique du droit d'auteur et sa protection, les brèches sur l'application des prescriptions légales (BERENBOOM, A.28(*), LIPSZYC, D.29(*), KELLENS, G.30(*)), ou sur l'évolution historique ainsi que les mutations du droit d'auteur et droits voisins (DE BORCHGRAVE, J.). D'autres auteurs ont voulu cerner « les circonstances des violations au droit d'auteur et leur ancrage contextuel », en adoptant une grille de lecture criminologique. C'est le cas de COLANTONIO, F.,31(*) qui considère la piraterie comme un crime, et fait une analyse de la personnalité des pirates ou des contrefacteurs. En outre, il détermine les motivations et explications potentielles du passage des contrefacteurs à l'acte de piratage, et formule des « hypothèses prophylactiques susceptibles d'être appliquées en vue d'une meilleure protection du droit d'auteur »32(*). Les effets néfastes de la piraterie ou de la contrefaçon des oeuvres musicales ont également fait l'objet de recherches, à l'instar de celles menées par PANETHIERE, D.33(*) Dans un article publié en 2005 par l'Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO), cette dernière montre que la persistance de la piraterie musicale a des conséquences considérables sur l'industrie de la production musicale, la créativité des artistes et le développement durable. Toutefois, il faut dire que le phénomène de la piraterie tel que vécu en Europe ou en Amérique, n'a ni la même ampleur, ni la même configuration qu'en Afrique. En raison de la très faible accessibilité à l'outil informatique et aux supports numériques (Mp3, Mp4, Ipod, Iphone, etc.), la piraterie est beaucoup plus visible chez nous à travers la commercialisation des CD et DVD de contrefaçon, et dans une certaine mesure, à travers le téléchargement illégal des musiques. Malgré l'ampleur de ce phénomène, il faut avouer que la question est restée un domaine à explorer par les chercheurs des pays en développement, notamment ceux de l'Afrique subsaharienne. La question de la piraterie des oeuvres musicales ne bénéficie que d'un regard furtif ou d'une attention périphérique. C'est la raison pour laquelle le chercheur qui s'y engage est toujours confronté à une indigence documentaire qui constitue un véritable écueil pour la réalisation de son travail. La piraterie livresque a certes suscité l'intérêt de certains chercheurs. C'est le cas notamment de Dieudonné ATCHANG34(*) qui fait une incursion dans l'univers de la photocopie en milieu universitaire, afin de décrypter et analyser les éléments incitatifs à la progression de cette activité. Pour ce qui est plus spécifiquement de la contrefaçon des oeuvres musicales, il existe très peu de recherches approfondies sur la question. On note beaucoup plus la publication d'articles parus dans des journaux locaux, qui décrivent ce phénomène pourtant en plein boom dans ce continent devenu cible privilégiée des contrefacteurs, depuis le renforcement des contrôles douaniers aux frontières de l'Europe. Le peu d'intérêt suscité par l'étude de ce phénomène au Cameroun pourrait s'expliquer par le fait que la piraterie des oeuvres musicales, considérée à juste titre comme un délit ou une infraction passible de peine correctionnelle, a laissé croire à plus d'un chercheur qu'elle relève exclusivement du domaine du droit. Par conséquent, cela légitime, d'une part, l'abondance de la littérature juridique en la matière ; D'autre part, cela justifie l'absence manifeste de renseignements sur ce sujet, produits par des chercheurs autres que ceux d'obédience juridique, notamment les sociologues, les statisticiens, les économistes, etc., qui sont tout aussi interpellés par ce phénomène. Après un tour d'horizon sur les différentes approches du phénomène de la piraterie abordées par un certain nombre d'auteurs, il est question pour nous maintenant, et comme le recommandent si bien QUIVY, R. et CAMPENHOUDT, L. de : « (...) dépasser les interprétations établies qui contribuent à reproduire l'ordre des choses afin de faire apparaître de nouvelles significations des phénomènes étudiés qui soient plus éclairantes et plus pénétrantes que les précédentes »35(*). Eu égard à ce qui précède et contrairement aux travaux sus-cités, ce travail se veut plutôt une étude exploratoire sur ce phénomène qui s'illustre par son caractère banal. Nous n'allons pas nous étendre dans les arcanes des développements juridiques en déroulant in extenso le contenu du cadre légistique en matière de violation des droits d'auteur ; nous n'allons non plus chercher à cerner les circonstances des violations au droit d'auteur ainsi que leur ancrage contextuel ; et encore moins à déterminer la typologie des délinquances et les motivations potentielles des infracteurs, ou à proposer des stratégies prophylactiques. Le but de notre étude est d'aller au-delà des approches antérieures, en adoptant une grille de lecture sociologique pour analyser les facteurs explicatifs, les modes opératoires et l'impact de ce phénomène dans la ville de Yaoundé. Notre approche se veut plus pragmatique et voudrait nous amener à saisir les raisons sociologiques qui expliquent que les dispositions légales et judiciaires organisant la protection des oeuvres musicales au Cameroun soient dramatiquement ébranlées aujourd'hui, sous le regard indifférent des pouvoirs publics, à qui incombe pourtant la responsabilité de garantir les droits des citoyens sans distinction aucune. * 23. QUIVY, R., CAMPENHOUDT, L., Manuel de recherche en sciences sociales, 2e Ed., Paris, Dunod, 1995, p.135. * 24. Idem., p.136. * 25. QUIVY, R., CAMPENHOUDT, L., op.cit., pp.42-43. * 26. DUSSOLIER, S. : « Internet et droit d'auteur», in Actualité du droit des technologies de l'information et de la communication, Commission Université-Palais, Formation permanente CUP, février 2001, vol.45, p.165. * 27. La toile est une métaphore couramment utilisée pour désigner autrement l'Internet. * 28. BERENBOOM, A. : Le droit d'auteur - 8e Ed., 2000-01/2, syllabus à l'attention des Etudiants de l'Université Libre de Bruxelles (U.L.B.), Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles (PUB), 2000. * 29. LIPSZYC, D. : Droit d'auteur et droits voisins, Unesco, 1997. * 30. KELLENS, G. : Punir - Pénologie & droit des sanctions pénales, Liège, Editions juridiques de l'Université de Liège, 2000. * 31. COLANTONIO, F. : « Piratage et contrefaçon : Approche socio criminologique des violations au droit d'auteur et aux droits voisins en matière musicale », Travail de fin d'études en vue de l'obtention du diplôme de Licence en Criminologie, Université de Liège, Année académique 2000 - 2001. * 32 * 33. PANETHIERE, D. : Persistance de la piraterie : conséquences pour la créativité, la culture et le développement durable, UNESCO, 2005. * 34. ATCHANG, D. : « Les petits métiers de rue en zone universitaire : le cas de l'activité de photocopie au quartier Ngoa-Ekelle », Mémoire présenté et soutenu en vue de l'obtention de la Maîtrise en sociologie, 2003-2004. * 35. QUIVY, R. et CAMPENHOUDT, L., op.cit., p.42. |
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