Conclusion de la partie 2:
Il n'existe pas de définition universelle de la
fonction achats. Cependant, les diverses définitions récentes qui
lui ont été attribué l'ont amené à se
séparer de la fonction approvisionnements en raison de
l'évolution de l'environnement de l'entreprise, lui donnant ainsi un
poids stratégique. La fonction achats suit un processus précis et
son périmètre d'activités s'est élargi de la
définition du besoin en interne à l'évaluation de la
performance fournisseurs. L'acheteur n'intervient plus seulement sur l'acte
d'achats mais aussi sur le travail en amont et en aval. Enfin, plusieurs
classifications des achats sont possibles.
Après avoir étudié comment la fonction
achats est passée d'une « sous-fonction » à une
fonction administrative puis stratégique, ainsi que son positionnement
dans l'organisation, il convient de voir comment le rôle de l'acheteur se
matérialise aujourd'hui dans le processus organisationnel de
l'entreprise, et les compétences qu'il doit détenir pour remplir
ce nouveau rôle. Cependant, il est intéressant de se focaliser
dans un premier temps sur les travaux réalisés concernant la
notion de compétence et ses enjeux, afin de mieux comprendre en quoi et
comment les rôles et profils de l'acheteur évoluent.
III- LA NOTION DE « COMPETENCE »
En une dizaine d'années, le concept de
compétence s'est considérablement développé,
notamment dans le domaine professionnel pour l'orientation et la gestion des
ressources humaines, mais aussi en psychologie. Les ressources humaines
s'appuient de plus en plus sur des outils tels que les bilans de
compétence pour l'orientation de carrière des employés
dans un environnement en perpétuelle évolution.
3.1 Définition de la compétence
La notion de compétence est complexe à
définir. En effet, le terme ne peut se suffire à lui-même
et il est nécessaire de prendre en compte les variables contextuelles et
temporelles dans lequel il s'inscrit (Le Clainche, 2008). Il existe ainsi une
multitude de définitions possibles. En 1974, Katz distingue trois types
de compétences : les compétences conceptuelles, techniques et
humaines. Il distingue ainsi trois composantes des compétences qui sont
repris par la plupart des auteurs s'étant penchés sur le sujet
depuis. Il s'agit du savoir, du savoir-faire
27
et du savoir-être. En 1984, Montmollin rappelle que
l'identification des salariés d'une entreprise se structure autour d'une
profession. Il définit ainsi les compétences comme les
connaissances, les savoir-faire, les types de raisonnements et les
habilités mises en oeuvre pour réaliser une tâche
spécifique. En 1995, Samurcay et Pastre définissent le sujet en
fonction des situations de travail et distinguent les compétences
finalisées (classes de tâches déterminées), les
compétences opérationnelles (compétence pour une action
donnée) et les compétences apprises (lors d'une formation ou
d'une activité). En 1995, Le Bortef décrit la compétence
comme « la mobilisation ou l'activation de plusieurs savoirs, dans une
situation et un contexte donnés ». Il distingue ainsi six types de
compétences : les savoirs théoriques (comprendre,
interpréter), les savoir procéduraux (savoir comment
procéder), les savoir-faire procéduraux (savoir procéder),
expérientiels (savoir y faire), sociaux (savoir se comporter) et
cognitifs (savoir raisonner, traiter l'information). Ainsi, selon Le Bortef, la
compétence ne se réduit pas à un savoir et un savoir-faire
mais elle doit s'appliquer dans un acte donné. En 1996, Tardif assimile
la compétence à « un système de connaissances,
déclaratives (le quoi) ainsi que conditionnelles (le quand et le
pourquoi) et procédurales (le comment), organisées en
schémas opératoires et qui permettent, à
l'intérieur d'une famille de situations, non seulement l'identification
de problèmes, mais également leur résolution par une
action efficace. » Tardif prend alors une approche systémique du
concept de compétence. Enfin Guillevic (1991) et Perrenoud (2001)
mentionnent la notion de ressources pour décrire les compétences.
Guillevic les définit comme « un ensemble de ressources disponibles
pour faire face à une situation nouvelle dans le travail ». Les
ressources permettent de s'adapter à un environnement donné.
Perrenoud (2001) va plus loin en décrivant ces ressources comme des
ressources cognitives telles que les savoirs, les capacités mais aussi
d'autres ressources comme les valeurs, les normes, les attitudes, le rapport au
savoir, à l'action, à l'autre et au pouvoir. Defélix
(2003) reprend cette notion de ressources en définissant la
compétence comme « une combinaison de ressources, dans une
situation donnée, rendant capable de.. ». Les ressources sont ainsi
diverses et variées et la compétence s'inscrit toujours dans un
contexte, une situation. En 2002, Aubret amène la
nécessité d'avoir un caractère pérenne dans la
compétence en la définissant comme « une capacité
répétée et reconnue ». Il s'agit ainsi de vouloir
mesurer une performance.
Enfin, le concept de compétences basé sur le
triptyque savoir, savoir-faire, savoir-être est un concept
français qui s'oppose aux approches anglo-saxonne et germanique bien que
des concordances puissent s'établir (Le Deist, 2009).
28
Il existe ainsi une multitude de définitions concernant
le terme de compétence. Cependant, les auteurs s'accordent à dire
que la compétence est un ensemble de ressources que l'on peut regrouper
en savoir, savoir-faire, savoir-être s'appliquant à un contexte,
une situation donnée. Il y a l'approche savoirs, capacités,
attitudes et l'approche respect d'une démarche ou d'un processus (Le
Clainche, 2008).
3.2 Les compétences organisationnelles au
service de la stratégie d'entreprise
En 1980, Porter décrit une vision stratégique de
l'entreprise en la positionnant vis-à-vis de sa concurrence. Il
élargit ce concept de concurrence en mettant en évidence cinq
forces s'exerçant sur l'entreprise : le pouvoir de négociation
des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des
produits ou services de substitution, la menace d'entrants potentiels sur le
marché et l'intensité de la rivalité entre les
concurrents. En 1985, il apporte une vision plus interne de la stratégie
de l'entreprise vis-à-vis de la concurrence en décrivant le
concept de chaîne de valeur ajoutée, essentielle pour exister dans
un environnement concurrentiel. Dans le même temps, de nombreux auteurs
comme Wernefelt (1984) et Barney (1986) adoptent une approche différente
de la stratégie d'entreprise, se basant sur ses ressources. Selon ces
auteurs, le succès d'une entreprise ne dépend pas seulement de
son positionnement vis-à-vis de la concurrence mais de la façon
dont elle mobilise les ressources qu'elle a à disposition pour offrir le
meilleur service au client (Durand, 2000). L'avantage concurrentiel est ainsi
présenté comme la valorisation des ressources de l'entreprise.
Cette approche évolue ensuite vers une approche théorique de
connaissances puis une émergence de la notion de compétences qui
regroupe ressources et connaissances étendues.
Amit et Schoemaker (1993) notent que les entreprises sont
dotées d'un différentiel de ressources et d'actifs et que la
distinction des capacités organisationnelles est créatrice
d'avantage concurrentiel. Pour avoir cet avantage concurrentiel, la
compétence doit remplir six conditions : avoir de la valeur, être
rare, être inimitable, être durable, ne pas avoir de substitut et
déboucher sur un résultat. La notion de compétence
clé émerge de cette réflexion. Prahalad et Hamel (1990)
affirment que les compétences clés d'une entreprise, qui lui
donnent un avantage concurrentiel, sont les compétences intangibles.
Celles-ci se définissent comme les compétences qui ne peuvent
être imitées, reproduites par d'autres entreprises et qui sont
ainsi un facteur de différenciation. Ces compétences clés
se retrouvent à la fois dans les ressources et dans les processus mais
également dans la culture de l'entreprise.
Ainsi, ces différents auteurs mettent en exergue la
différenciation d'une entreprise par ses
29
compétences clés qui lui donnent un avantage
concurrentiel. Il s'agit d'une approche « bottom-up » qui consiste
à partir des compétences pour définir la stratégie
de l'entreprise (Le Boulaire et alii, 2008).
3.3 De l'approche « bottom-up »
à l'approche « top-down »
La gestion des compétences et la stratégie
d'entreprise sont interdépendantes. Comme décrit
précédemment, la théorie des ressources autrement
baptisée « Resourced Based View » indique que la
stratégie d'entreprises découle des compétences
présentes dans l'entreprise (approche « bottom-up »)
et non pas du couple marché-produit. Il s'agit ainsi de
développer une capacité d'adaptation aux évolutions
à long terme. Cependant, ce processus peut être inversé.
Dans ce cas, c'est la stratégie d'entreprise qui détermine les
compétences exigées pour remplir les objectifs fixés : il
s'agit de l'approche « top-down » (Le Boulaire et
alii, 2008). Cette approche a des répercussions sur la gestion des
ressources humaines puisque celle-ci est ainsi en support de la
stratégie d'entreprise. Le but est ainsi de déterminer les
compétences nécessaires au positionnement stratégique
visé par l'entreprise.
3.4 De la compétence organisationnelle à la
compétence individuelle
Sont mentionnés précédemment les liens
existant entre compétence et stratégie. De nombreux auteurs ont
mis en avant la nécessité de développer des
compétences en interne, compétences clés amenant
l'entreprise à avoir un avantage concurrentiel. En fait ces
différents auteurs ont décrit la compétence
générale d'une entreprise autrement dit sa compétence
organisationnelle : elle se matérialise notamment par ses ressources
qu'elles soient humaines, financières, techniques ainsi que ses
processus.
Des chercheurs se sont penchés sur le concept de
compétence collective à partir des années 1990 et les avis
divergent. Il y a cependant des points communs entre les différentes
recherches. Par exemple, ils s'accordent pour dire que les membres d'une
équipe possèdent des connaissances et des
référentiels opératoires communs à travers un
langage opératoire et une vision commune (Michaux et alii,
2005). Ils sont également unanimes pour affirmer que la
compétence collective n'est pas la somme des compétences
individuelles.
30
Hormis ce point commun, les visions du concept de
compétence collective sont cependant diverses et variées.
Wittorski (1994) et Amherht et alii, (2000) parlent d'une approche
dynamique où les individus travaillent ensemble dans un but commun.
Dubois et Retour (1999) parlent de pratiques similaires pour les
employés ayant la même tâche et dont la coordination est
rare et ponctuelle. Au delà de cet exemple, les avis des auteurs
divergent sur le concept.
A partir des différents travaux réalisés,
Krohmer (2003) propose une définition de la compétence collective
: il s'agit d'un « ensemble de savoirs et savoir-faire d'un collectif de
travail issu de l'interaction entre ses membres et mis en oeuvre pour faire
face à une situation de travail ».
Il est cependant difficile d'établir un lien clair
entre compétences individuelles, compétences collectives et
compétences organisationnelles. Bien que Dejoux (2000) relève
l'agrégation de compétences individuelles en compétences
collectives puis organisationnelles, le passage de compétences
individuelles en compétences collectives est davantage la
conséquence d'une approche systémique qui repose sur la synergie
de compétences individuelles.
3.5 Une approche systémique des niveaux de
compétence
En 2009, Rouby et Thomas reprennent l'ensemble des
écrits sur le sujet de compétence et résument les liens
entre stratégie d'entreprise, compétences individuelles,
collectives et stratégiques. Leur synthèse se matérialise
par un schéma représentatif de la gestion stratégique des
compétences (figure 8).

31
Figure 8: Solution de Gestion Stratégique des
Compétences (Rouby et Thomas, 2009)
Sont retrouvés sur ce schéma les trois niveaux
de compétences : individuelles (C.I.), collectives, (C.C.) et
stratégiques (C.S., autrement dites compétences
organisationnelles ou encore compétences clés-.
On retrouve également l'approche « bottom-up
» où la stratégie est déterminée en
fonction des divers niveaux de compétences : Rouby et Thomas parlent
alors de stratégie émergente. L'approche « top-down
» où la stratégie détermine les
compétences à acquérir est également
matérialisée : les auteurs parlent alors de stratégie
délibérée.
Rouby et Thomas amènent cependant une nouveauté
en expliquant que le système suit un processus cyclique en six
étapes, où la stratégie émergente s'inscrit dans le
présent tandis que la stratégie délibérée
est davantage orientée vers le futur. Le processus décrit est le
suivant :
- Etape 1 : identification et valorisation des
compétences collectives : les compétences collectives sont
identifiées par les chefs d'équipe qui valorise les ressources,
processus et actions menées dans une optique de redéploiement, de
réorganisation
- Etape 2 : identification des compétences
stratégiques : émergence par l'agrégation des
compétences collectives, des compétences clés de
l'entreprise
- Etape 3 : définition des compétences
stratégiques clés futures : confrontation des compétences
détenues avec l'évolution du marché afin d'en
dégager les compétences clés à développer
32
- Etape 4 : identification des compétences collectives
: orientation des politiques de développement des équipes
(management d'équipe)
- Etape 5 : Gestion Prévisionnelle des
Compétences Individuelles : déclinaison des compétences
collectives sur l'individu. Identification des formations à mener pour
être en phase avec les compétences collectives nécessaires,
recrutement de nouveaux collaborateurs selon les compétences collectives
et stratégiques
- Etape 6 : Valorisation des compétences individuelles
: exploitation des compétences individuelles au sein de processus
collectifs créateurs de valeur, développement du parcours
professionnel en fonction des évolutions stratégiques de
l'entreprise
Cette approche systémique qui suit un processus en six
étapes permet de dégager les liens existants entre
stratégie d'entreprise et compétences nécessaires aux
différents niveaux.
3.6 Le concept de « compétence »
décliné aux achats
Les différents travaux d'études
réalisés sur la notion de compétence ont principalement
été effectués dans l'optique d'améliorer les
processus de gestion des ressources humaines. Par cette approche
théorique, le lien entre stratégie d'entreprise,
compétences organisationnelles, collectives et individuelles est
établi. L'objectif est ainsi de faire le lien entre cette approche
théorique et son adaptation aux achats.
Dans la première partie, la naissance et
l'évolution de la fonction achats a été abordée.
L'évolution de l'environnement avec notamment le choc pétrolier
de 1973 amène les entreprises à vouloir développer une
nouvelle compétence stratégique pour rester concurrentiel sur son
marché : savoir réduire ses coûts. C'est pourquoi, cette
nouvelle compétence clé se décline en compétence
collective avec une fonction achats prenant de l'importance dans l'entreprise
et dans les compétences individuelles nécessaires : savoir
négocier. Une génération de « cost-killer »
apparaît ainsi. Puis les évolutions de l'environnement à
partir des années 1990 ont pour conséquence un changement de
stratégie des entreprises. Des nouvelles compétences collectives
sont ainsi exigées en ce qui concerne la fonction achats. Le rôle
de l'acheteur évolue pour s'adapter aux changements vécus par le
monde de l'entreprise.
Les nouveaux rôles de la fonction achats
nécessitent alors de nouvelles compétences au niveau individuel
de la part de l'acheteur, afin de s'adapter aux décisions
stratégiques de
33
l'entreprise. Ces nouvelles compétences individuelles
requises doivent ainsi être établies en fonction de l'orientation
des politiques d'achat et dépendent aussi des processus et des objectifs
fixés par la fonction.
C'est pourquoi, dans une quatrième partie, les nouveaux
rôles de l'acheteur sont étudiés. Dans une cinquième
partie, le focus est établi sur les nouvelles compétences que
doit posséder l'acheteur (compétences individuelles) pour
s'adapter à ces nouveaux rôles.
IV- L'ACHETEUR : UN ROLE TRANSVERSAL ET COLLABORATIF
4.1 L'acheteur : un « Business Partner » créateur de
valeur
4.1.1 L'acheteur : Une légitimité
à faire valoir en interne
Il existe de nombreux stéréotypes
négatifs concernant le rôle de l'acheteur du point de vue des
autres services de l'entreprise. Considéré comme « un
fouineur » réprimandant le travail réalisé par ses
collègues, l'acheteur a longtemps souffert d'un manque de reconnaissance
en interne. Son rôle a été souvent limité à
la négociation et à la gestion des approvisionnements,
tâches considérées comme faciles par ses pairs et il est
difficile de convaincre les autres fonctions de l'évolution de sa
position. Son apport est ainsi dévalorisé, jugé marginal
voir inutile, les interlocuteurs en interne « n'attendant rien de lui
» (Sebti et alii, 2010). Si on en revient au processus achats, on
remarque que l'image retenue de son champ d'intervention est sa mission
initiale d'acte d'achats. Sa perception varie d'un service à un autre et
il existe un décalage entre son rôle connu (rôle
défini par l'acheteur) et son rôle admis (rôle
attribué à l'acheteur par les autres fonctions de l'entreprise)
(Association CESA Achats, 2004).
De plus, comme il a été décrit dans la
première partie, la fonction achats a pris de l'importance à
partir du moment où les entreprises ont donné de l'importance
à la réduction des coûts à la suite du choc
pétrolier de 1973. Le rôle unique des acheteurs était ainsi
d'étirer les coûts vers le bas ce qui lui a valu l'image de «
cost-killer » qui lui reste collée à la peau. Ensuite,
lorsque le périmètre de la fonction achats s'est élargi au
marketing achats et aux achats hors production, les clients internes ont
interprété cela comme une perte de pouvoir car on leur a
retiré une de leurs activités préférées : la
gestion de la relation fournisseurs. La
34
vexation s'accompagne d'un frein à l'acceptation des
propositions des acheteurs qui ont la possibilité de remettre en
question certaines relations historiques et amicales tissées autrefois
par les clients internes avec leurs fournisseurs.
Ainsi, c'est à l'acheteur de savoir se vendre en
interne, de communiquer et convaincre ses interlocuteurs de sa valeur
ajoutée.
4.1.2 L'acheteur : un chef d'orchestre des processus
internes
Bien que l'acheteur doive savoir se vendre pour affirmer sa
légitimité dans certaines entreprises, l'augmentation de la
pression concurrentielle de l'entreprise fait émerger de nouvelles
attentes de la part de ses collaborateurs au niveau de la création de
valeur (Ducasse et alii, 2002). En étant une fonction à
part entière, elle libère les autres fonctions de certaines
tâches dont elles n'ont pas la pleine maîtrise, leur permettant de
se consacrer à leur coeur d'activité (Cracco et alii,
2011).
De plus, la nécessité pour l'entreprise de se
positionner au niveau du marché, en vendant un produit ou service
répondant aux besoins des consommateurs, incite chaque fonction de
l'entreprise à se donner des objectifs de valeur ajoutée dans
leur propre processus. C'est pourquoi, il est nécessaire pour les achats
de bien comprendre les besoins, les contraintes et objectifs financiers de
chaque fonction pour acheter de façon pertinente. Il doit ainsi
connaître les opportunités et contraintes logistiques, juridiques,
financières, de production etc. ce qui lui donne un rôle
transversal au sein de l'entreprise.
Mais au delà de la transversalité, l'acheteur a
un véritable rôle de « Business Partner ». Il doit
identifier les besoins et traduire les attentes de ses collaborateurs en les
rendant lisibles et compréhensibles pour le fournisseur (Sebti et
alii, 2010). Il les assiste ainsi dans la définition de leurs
besoins, en travaillant communément dans l'instauration d'une relation
de service (Calais, 2009). Cette collaboration nécessite que l'acheteur
soit intégré en amont dès la définition du besoin
(Ducasse et Hogne, 2002).
Cependant, la véritable valeur ajoutée de
l'acheteur est son rôle d'expert. En effet, c'est par sa connaissance du
marché, sa maîtrise de la relation fournisseur, son expertise
technique qu'il peut proposer des solutions innovantes pour réduire les
coûts et être initiateur dans la démarche d'achat. Il
devient ainsi un leader de la relation interne, un véritable chef
d'orchestre qui coordonne les activités et anime les débats.
C'est pourquoi le métier
d'acheteur projet tend à se substituer à
l'acheteur produit s'accompagnant de « la mise en commun des ressources,
risques et profits » (Allal-Cherif et alii, 2010). En 2002,
Martin confirme cette tendance en déclarant : « nous passons d'une
approche en termes de minimisation des coûts et de normalisation des
informations échangées à une logique très proche du
pilotage projet ». Afin d'être force de proposition, c'est à
l'acheteur de s'aligner sur la stratégie business des autres fonctions
pour proposer des innovations en cohérence avec les objectifs de chaque
service. (Cracco et alii, 2011).
Ainsi, le rôle de l'acheteur ne se cantonne plus au
simple acte des achats. Il pilote les relations en interne et doit comprendre
la stratégie de l'entreprise afin d'adopter une stratégie
fournisseurs. Sa charge de travail opérationnelle a donc
considérablement diminué au profit du travail stratégique
comme le matérialise Ducasse et Hogne (figure 9).
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35
Figure 9: Charge de travail des acheteurs (Ducasse et
Hogne, 2002)
L'optimisation de sa relation avec les fournisseurs, à
l'aide notamment des nouvelles technologies de l'information, lui permet aussi
de se consacrer davantage à des tâches stratégiques.
36
4.2 L'acheteur : un manager de la collaboration
fournisseur
Le sourcing, l'évaluation des performances, la
négociation, la contractualisation et l'audit sont les activités
de l'acheteur qui caractérisent la relation de l'acheteur avec ses
fournisseurs dans le processus achats (Calais, 2009).
« Exiger, surveiller, punir », c'est le rôle
que l'on a longtemps attribué à l'acheteur vis-à-vis de la
relation avec ses fournisseurs. En effet l'acheteur « cost-killer »
avait pour seul objectif d'acheter à bas coût. Cela se traduisait
ainsi par une pression permanente infligée au fournisseur. Cette vision
de relation à court terme tend à disparaître aujourd'hui
(Cracco et alii, 2012).
L'internationalisation et l'externalisation des
activités de l'entreprise ont des répercussions sur les relations
acheteur-fournisseur en créant de nouvelles opportunités, de
nouveaux risques. Cela complexifie le rôle de l'acheteur rendant cette
relation plus stratégique et nécessitant plus de temps (Ducasse
et Hogne, 2002). Lorsque les entreprises décident d'acheter plutôt
que de faire (« make or buy »), elles déportent la
création de valeur de l'interne vers l'externe (Cracco et alii,
2012). Cela n'est pas sans risque puisque l'entreprise est amenée
à confier une partie de son savoir-faire et devient davantage
transparente vis-à-vis de ses enjeux stratégiques. Ces variables
amènent les achats à privilégier des relations de
partenariat durable avec les fournisseurs, au détriment de relations
à court terme.
Dès 1988, Johnson et Lawrence déclaraient que
les relations avec les fournisseurs devenaient « plus proches et
meilleures ». La volonté d'entretenir des partenariats
stratégiques a pour conséquence la rationalisation du
portefeuille fournisseurs en éliminant les fournisseurs peu
créateurs de valeur pour l'entreprise. Dans une enquête
récente réalisée par « the Institute of Supply
Management » où plus de deux mille acheteurs ont
été interrogés, 82% d'entre eux déclarent avoir une
meilleure relation avec leurs fournisseurs et 70% des acheteurs affirment avoir
réduit le nombre de fournisseurs dans leur base de données, ce
qui confirme cette tendance.
La relation se base dans un premier temps sur l'innovation et
le développement de solutions adaptées aux besoins actuels et
futurs des clients finaux dans un climat de confiance. Il s'agit ainsi de
collaborer afin d'établir une synergie entre les acteurs. Le concept d'
« entreprise étendue » est né de ces partenariats
stratégiques et processus d'externalisation. Cette notion assimile
l'ensemble des parties prenantes en une seule entité dont le but est la
réalisation de projets communs. Les fournisseurs sont ainsi
amenés à intégrer la Supply Chain de
37
l'entreprise (Calais, 2009). Les acheteurs sont ainsi
prêts à soutenir les fournisseurs de rang 2,3 ou 4 notamment en
termes logistiques ou en management de risque. Dans le sens opposé, il
n'est pas rare de voir un acheteur ayant un bureau à sa disposition chez
le fournisseur. La collaboration entre l'acheteur et ses fournisseurs prend
également tout son sens avec l'émergence de la notion de «
développement durable » amenant l'acheteur à être
créateur de valeur durable (Allal-Chérif et alii,
2010).
Ensuite, les nouvelles technologies de l'information et le
développement des systèmes d'information sont un support
stratégique utile au management des ressources externes. Bien qu'ils
permettent, dans un premier temps, à l'acheteur de passer moins de temps
sur les achats simples grâce à l'automatisation des tâches
rébarbatives, les nouveaux outils permettent de partager des
informations avec les fournisseurs (informations logistiques, appels d'offres,
roadmaps etc.). Ils favorisent aussi la recherche de nouveaux partenaires sur
les places de marché dans le cadre du sourcing.
Enfin, l'internationalisation et la croissance du nombre de
fusions-acquisitions amènent l'acheteur à se retrouver en face de
fournisseurs puissants. Il est ainsi important pour l'acheteur de savoir se
vendre auprès du fournisseur, de réaliser du lobbying afin de
donner envie au fournisseur de mener des projets de co-développement et
de réaliser des investissements importants pour mener à bien ces
projets (Cracco et alii, 2012).
En tant qu'interface entre l'entreprise et ses fournisseurs,
l'acheteur est un collaborateur à la fois sur le plan interne et
externe. Pour résumer « l'acheteur doit simultanément
développer le dialogue avec les autres membres de son entreprise en
pratiquant un marketing interne, et mener des actions auprès des
fournisseurs en développant un marketing externe » (Fenneteau,
1992)
4.3 L'externalisation des achats
Comme décrit précédemment, les
entreprises se recentrant sur leur coeur de métier externalisent un bon
nombre d'activités. De plus, l'acheteur est devenu un acteur
stratégique dans sa collaboration à la fois en interne et
externe. Il convient donc de gagner du temps sur les achats non complexes. Au
delà du gain de temps procuré par les technologies de
l'information, certaines entreprises vont plus loin en externalisant
elle-même la fonction
38
achats. En 2000, l'externalisation de la compétence
achats restait néanmoins marginale, ne représentant que 4% du
montant des achats (Andersen, 2002).
La théorie des coûts de transaction (Williamson,
1985) indique qu'une entreprise est amenée à externaliser lorsque
le différentiel coût de production interne et prix d'achat du
marché, additionné au différentiel coût de
coordination interne et coût de transaction, est positif. Les coûts
de transaction sont les coûts induits par l'externalisation
c'est-à-dire coûts de fonctionnement et d'organisation (ex
post) et le coût en aval de l'activité externalisée
(ex ante).
En 1999, Calvi reprend la théorie de Williamson en
l'adaptant à l'activité achats. Il met en évidence le fait
que lorsque l'externalisation s'applique, elle concerne essentiellement les
achats non stratégiques c'est-à-dire des produits ayant peu de
complexité technologique et dont l'environnement fournisseur est
très concurrentiel (Calvi, 1999).
De plus, si on se réfère à la
classification ABC et au principe de Pareto selon lequel 20% du volume d'achats
représente 80% du montant dépensé, on peut dire que
l'externalisation concerne la classe C, c'est-à-dire les achats
représentant un grand nombre de produits ou de services dans
l'entreprise, mais dont la valeur est faible. Ainsi, ils représentent un
coût administratif lourd en raison de la dispersion des commandes sur un
grand nombre de fournisseurs. Ces achats de classe C sont souvent
assimilés aux achats hors production, car le montant de ces achats est
faible comparé aux achats de production mais le nombre de fournisseurs
est important, en raison de la diversité des produits et services. Il
convient cependant d'être vigilant, de nombreux auteurs limitant la
définition des achats hors production aux achats de frais
généraux.
L'externalisation des achats non stratégiques se
développe notamment grâce à l'évolution des
nouvelles technologies d'information et de communication, dont la
création de places de marché dédiées. Les achats
externalisés bénéficient également de la
création de centrales d'achats qui jouent sur l'effet volume pour
obtenir des prix attractifs (DESMA, recherche collective, 2002). Cependant,
l'évolution de l'offre et l'émergence de compétences
spécifiques d'expertise sur certains domaines en externe, peuvent amener
les entreprises à externaliser une portion de leurs achats
stratégiques (DESMA, recherche collective, 2002).
Pour conclure, l'externalisation des achats renforce le
caractère stratégique de l'acheteur en lui dégageant du
temps pour se consacrer aux achats à plus forte valeur ajoutée.
Elle accentue également son rôle de collaborateur avec le
fournisseur en se penchant sur la définition des besoins, sur la
recherche d'innovation, au détriment de la négociation et de
l'aspect administratif (Usine Nouvelle, 2004).
39
4.4 Un rôle stratégique encore
immature
Le rôle stratégique de l'acheteur reste
néanmoins encore à faire valoir au sein des entreprises. Il
existe des disparités de maturité du service achats en fonction
des entreprises et des secteurs d'activité, mais la majorité des
structures n'a pas encore atteint un niveau optimal.
En effet, les acheteurs ont encore peu de pouvoir
décisionnaire concernant la stratégie de l'entreprise. En effet,
d'après une étude du cabinet CGI Business Consulting
réalisée en 2013 auprès d'acheteurs, « seulement 20 %
des répondants déclarent contribuer réellement à la
définition de la stratégie de leur entreprise ». Une
enquête du cabinet de conseil Demos en 2008 montre que 44% des acheteurs
considèrent leur service comme une fonction support classique. Ensuite,
les auteurs de l'étude du cabinet CGI Business Consulting
déclarent que « Près de 80% de la fonction Achats est encore
objectivée sur des problématiques de
Qualité-Coûts-Délais ». Un des facteurs clés
montrant les limites de la fonction achats dans le pouvoir
décisionnaire, est que bien que « dans le monde, 53 % des
directeurs achats appartiennent au codir, 70 % des acheteurs ne sont pas
cités dans la stratégie de leur entreprise en France »
(Fenoll, 2013)
Ensuite, sur le plan interne, les nouveaux rôles de
l'acheteur demeurent difficiles à mettre en avant. Il y a notamment une
limite culturelle, l'acheteur étant toujours considéré
comme un bon négociateur (Cracco, 2013). Il doit ainsi toujours lutter
en interne pour faire valoriser sa profession.
Enfin, la crise économique a fait resurgir l'obsession
de réduction de coûts. Ainsi, 54% des acheteurs déclarent
qu'il s'agit de leur priorité alors que seulement 18% répondent
que la priorité est la définition des besoins en amont
(enquête CGI Business Consulting, 2013). Les initiatives ou projets trop
coûteux sont directement mis à l'écart. De plus, le danger
est de retrouver le profil du « cost-killer » mettant pression sur
ses fournisseurs au risque de les voir disparaître. Cependant, au lieu de
faire un retour en arrière, cette crise est au final une
opportunité pour réaliser un bond en avant et mettre la fonction
achats en lumière. Il s'agit d'une opportunité pour revoir les
bonnes pratiques, valoriser la fonction et se frayer un chemin pour
reconnaître le statut de l'acheteur, en jouant un rôle dans la
stratégie des entreprises.
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