4.3
Résultante sur la reproductivité
Les résultantes que nous avons vues
précédemment vont avoir un impact direct sur la
reproductibilité du comportement violent. Plus le
comportement aura de conséquences positives, plus il aura tendance
à être reproduit. Si l'objectif initial, quel qu'il soit, a
éteint atteint, si le désir est satisfait, si les émotions
ressenties ont provoqué une forme de plaisir, si la stratégie
s'est avérée payante... le sujet aura probablement encore recours
à la violence. (Traube, 2002) C'est quelque chose de parfaitement
logique : quand une stratégie fonctionne, on l'utilise. De plus,
lorsque le sujet observe chez les autres que cela fonctionne de manière
similaire, son opinion va se renforcer. Au fur et à mesure, cela peut
devenir une habitudeancrée dans le fonctionnement psychologique du
sujet.
Histoire sans fin À cela s'ajoute un
mécanisme de cercle vicieux fréquent dans les
situations conflictuelles amenant à la violence. Pour diverses raisons
(croyances, expériences précédentes...) quand une personne
(personne A) en percevra une autre (personne B) comme hostile ou dangereuse,
elle pourra avoir deux types de comportements instinctifs :
l'agressivité ou la fuite. Ainsi, une première perception
erronée ou tronquée peut donner lieu à une agression de la
part de la personne A. La personne B, étant réellement
agressée, se défend de la même manière. Cette
réaction agressive de B confirme l'idée qu'avait A : B lui
veut du mal. Il réagit ainsi de manière encore plus violente et
un cercle vicieux d'escalade de la violence est ainsi mis en place. Ce
fonctionnement, aux graves conséquences, peut toucher les individus, les
groupes et les sociétés. Plusieurs expériences
citées par Gagnon & al. (2006 in Vanaublel, 2010) ont mis en
évidence ce type de fonctionnement chez les enfants agressifs. Il est
également possible d'observer cela dans les rivalités entre
familles ou entre quartiers défavorisés. Peu importe si quelqu'un
a réellement commencé le conflit, on est agressif parce que
l'autre l'est et l'autre est agressif pour la même raison.
Interventions pratiques : revue de la littérature
Mis à part en plaçant une conséquence
négative comme la punition après une action violente, il existe
des méthodes qui permettent de réduire la
reproductibilité. Il est possible de traiter l'habitude qui a
été prise.
Règlements Dans tout groupe, les
différentes règles ont normalement pour fonction
de structurer et de protéger le fonctionnement social. Les individus
sont amputés d'une partie de leurs libertés, mais en
échange, ils y gagnent en sécurité et en confort de vie.
Les règles mettent de l'ordre et permettent d'avoir toute une
série de décisions à ne pas prendre. Imaginez la vie si
nous avions à nous poser des questions pour chaque aspect de notre vie.
Toutes sortes de règles déterminent ce qui est autorisé,
ce qui est interdit et ce qui est obligatoire. Les règles sont donc
conçues pour être des éléments au service des
individus et des groupes. Mais pour qu'elles fonctionnent, elles doivent
être respectées. Tout un attirail de rappels à l'ordre et
de sanctions sont prévues pour cela, mais le mécanisme le plus
efficace reste celui de l'intériorisation d'une
règle. D'après Traube (2002), c'est indispensable à la vie
sociale. Pour qu'une règle soit facilement intériorisée,
elle doit être perçue comme protectrice, légitime
(pertinente) et juste. J'insisterai sur le concept de perception. Une
règle peut être pensée et mise en place comme étant
protectrice, légitime et juste, mais perçue totalement autrement.
Il est vraiment très important de faire passer le sens et la fonction
des règles. Il arrive souvent que des règles et des principes
imposés aux personnes "pour leur bien" fassent des dégâts
parce qu'elles sont perçues différemment. Ainsi, pour qu'une
règle soit perçue comme persécutrice, elle devra avoir les
caractéristiques suivantes : inadéquate (qui ne correspond
pas à la réalité), purement formelle, arbitraire (dont
l'application varie d'une personne à l'autre ou selon l'humeur du
détenteur de l'autorité), injuste, mal comprise ou mal
expliquée et être un moyen pour l'autorité de marquer sa
domination. Des règles fonctionnant ainsi vont provoquer la violence ou
le repli (Traube 2002). Il est donc important d'avoir des règles, mais
aussi de bien réfléchir à leur énonciation,
à leur perception, à leur mise en pratique et à une forme
d'acceptation qui les rendra effectives.
Tirer un trait Pour le public concerné par
cette étude, le respect des règles est un élément
qui a fait, à un moment du moins, défaut. L'une des fonctions des
règles est de permettre la transgression : c'est une phase normale
du développement de l'être humain (Traube 2002). Pourtant, si le
comportement transgressif devient une habitude, la société, la
vie sociale se trouve menacée. Il est donc parfois nécessaire de
mettre l'un de ses membres à l'écart dans un établissement
pénitentiaire par exemple. Ainsi, selon Mbanzoulou (2000)
l'amendement du prisonnier est l'un des buts essentiels de la
prison. Pour pouvoir se réinsérer efficacement dans la
société, le prisonnier doit faire un trait sur son passé
criminel et accepter de vivre dans une certaine légalité. Selon
lui, cela se fait par deux moyens. Le premier est que la prison est un milieu
très réglé et discipliné. L'apprentissage d'une vie
réglée et stricte donnerait de bonnes habitudes que les
prisonniers intégreraient avec le temps passé dans
l'établissement. La deuxième se situe plus
particulièrement au niveau de la relation avec les gardiens et les
autres intervenants de la prison. Une attitude bienveillante, bien que stricte,
de la part de différents acteurs permettrait au prisonnier de s'amender,
de reprendre confiance en la vie sociale et dans les règles qui cadrent
celles-ci. Il prône une meilleure formation et une revalorisation du
métier d'agent pénitentiaire, leur donnant un rôle bien
plus social que leur rôle actuel similaire selon l'auteur à celui
d'un porte-clés. Selon moi, penser que vivre plusieurs années
dans un cadre strictfavoriserait le respect des lois n'est que partiellement
vrai. Cela à une valeur comportementaliste : le sujet s'habitue
à respecter des règles, mais rien n'est fait pour qu'il les
intériorise. On ne peut donc pas garantir que la personne continuera
à utiliser ces comportements en dehors de la prison.
Désapprentissage Traube (2002) cite sans les
expliquer des moyens de désapprendre des comportements
problématiques. Il prend notamment l'exemple du film de fiction
« Orange Mécanique » de Stanley Kubrick (1972) dans
lequel le héros subit une thérapie brutale qui provoque en lui un
dégout profond pour la violence. Il devient complètement
incapable de réagir à toute forme d'agression ce qui en fait
quelqu'un d'assez inadapté socialement. Les thérapies
comportementalistes utilisent parfois ce principe de manière beaucoup
plus acceptable en termes d'éthique (Massé & al. 2006).
Sur le terrain : observations et interventions
personnelles
Règlements Le projet à une série
de règles formelles (R.O.I.63(*) du projet) et informelles
(passées oralement). Personnellement, j'essaye toujours de les passer
tout en les associant avec leurs objectifs. La règle de la
ponctualité par exemple, sert au bon fonctionnement du projet certes,
mais c'est surtout un apprentissage de ce savoir-être essentiel pour une
bonne insertion professionnelle. J'ai insisté pour que la partie
sanction du R.O.I. commence par la phrase : « tout le monde a le
droit à l'erreur ». C'était pour moi un point essentiel
qui a pour effet de rassurer les participants. Les règles existent, nous
sommes là pour les appliquer, mais l'erreur, la faute, fait partie des
éléments normaux au projet. Leurs erreurs sont simplement des
éléments à travailler avec eux afin que celles-ci ne les
handicapent pas plus tard. Ils ont la possibilité de questionner les
règles, voire de les changer avec le conseil des participants. Nous
essayons de bien leur expliquer le sens de ces règles.
On est souvent aux prises avec leurs perceptions des
règles et des autorités qui les appliquent. Ils vivent certains
de ces éléments comme des injustices profondes. L'extrait du
casier judiciaire (ancien certificat de bonne vie et moeurs) est un bon
exemple. Ils ne comprennent pas pourquoi ce document existe puisqu'à
leurs yeux, il ne sert qu'à les empêcher de trouver un travail.
J'essaye donc de les écouter, d'entendre leur vécu tout en
essayant de les amener à une forme d'acceptation ou du moins de
soumission à ces règles. Souvent, je ne peux qu'être
d'accord avec leur interprétation sans avoir plus de pouvoir qu'eux pour
changer ces éléments. Comme ma collègue éducatrice
leur répète souvent : « la vie est une dure
lutte. »
Au début de la session 2, nous laissions les participants
lire le R.O.I. avant de le leur faire signer. Nous avons constaté que
beaucoup avaient lu sans retenir ou comprendre ce qui était
écrit. Donc, dans la session 3, nous leur avons expliqué tous les
points du règlement deux fois : à l'inscription et le
premier jour du projet. Nous avons perçu que cette mise en place plus
efficace du cadre a eu des effets bénéfiques sur leurs
comportements au début de la session.
C'est du passé Nous arrivons à observer
chez les participants du projet leur état d'esprit par rapport à
la criminalité en général. De mon observation, nous
n'avons pas encore amené à l'amendement d'un
seul des participants. Nous faisions parfois évoluer leur vision (comme
le sujet 2 qui a commencé à concevoir la violence physique comme
négative). Il est aussi arrivé que nous rappelions la
décision qu'ils avaient déjà prise à ce sujet
(comme avec le sujet 7 qui, à un moment, a commencé à
fréquenter à nouveau des criminels et qui s'est ravisé
dès que nous en avons parlé avec lui). Ainsi, certains des
participants n'avaient pas du tout envie de s'amender (d'après notre
perception, leurs comportements et leurs propres affirmations) : les
sujets 3, 6 et 9 semblaient fonctionner comme cela. Ils développaient
simplement des stratégies pour éviter de se faire prendre. Nous
avons l'impression d'avoir très peu de capacité d'influence sur
cette décision. Certains autres semblaient avoir tiré un trait
sur toute forme de criminalité (sujet 7 et 4). La plupart se situant
entre les deux partageants une envie sincère de s'insérer avec un
refus de mettre en pratique toute une série de lois. Le meilleur moyen,
d'après moi, que nous avons de les faire évoluer sur ce point se
situe dans notre posture éducative :
profondément bienveillante, mais aussi ferme, cadrante et critique. Nous
devons aussi nous mettre à leur niveau, réussir à
comprendre leurs valeurs et leurs modes de fonctionnement tout en les mettant
en rapport avec ceux de la société. J'ai parfois l'impression que
nous sommes comme des ponts, des intervalles entre le fonctionnement
bien-pensant de la société et leur fonctionnement à
eux.
* 63 R.O.I. :
Règlement d'Ordre Intérieur, apparu à partir de la session
2.
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